I. ISAAC.

« Ne sois pas nerveux. » Logan lance un regard froid à son aîné. « Je ne suis pas nerveux. Je suis meilleur que toi, à tous les niveaux. » Isaac fronce les sourcils, inspecte son cadet des pieds à la tête, les lèvres tordues par une grimace. Il sait qu'il a raison. Ce qui ne l'empêche pas de le regarder avec condescendance, comme il le fait depuis toujours. C'est lui l'aîné. Lui qui l'a entraîné pour qu'il puisse entrer dans le cercle si fermé et secret des chasseurs de mutants. C'est à lui qu'il doit sa prochaine ascension sociale. Ils ne se sont pourtant jamais entendus. Probablement parce que Logan  a toujours eu une longueur d'avance sur lui. Probablement parce qu'il lui a toujours préféré Jane, leur cadette. Quoi qu'il en soit, Isaac a su reconnaître les talents de son frère, et a jugé qu'il ferait un excellent élément pour l'aider dans sa lutte contre la race mutante. Il ne s'attendait simplement pas à ce que l'élève dépasse le maître si vite. Isaac aurait dû s'en douter, pourtant. Logan n'est pas comme les autres hommes qu'il connaît. Logan ne semble pas avoir de limites, Logan ne suit que ses propres règles. Le cadet Linwood est un homme dangereux, et il suffit à Isaac d'un regard pour remettre en question sa décision de le faire intégrer son cercle de chasse. « Fais en sorte de ne pas pas faire de vagues. Il est inutile de nous faire remarquer. Nous travaillons pour le Salut de la race humaine, mais cela doit rester un secret. » C'est à peine si Logan hausse un sourcil. C'est à peine si les paroles de son frère l'intéressent. Isaac n'a jamais été d'un grand intérêt pour lui. Il n'a jamais été capable d'éprouver une once d'affection pour lui, pas plus que pour leur père. Les seules trouvant grâce à ses yeux sont Claire et Jane, leur mère et leur sœur. Ironie du destin.

II. EDEN.

Logan a vingt-cinq ans. Eden en a tout juste vingt. Elle a de grands yeux verts. Une peau cuivrée et de longs cheveux noirs. Elle veut devenir pédiatre. Elle sait ce que Logan fait, mais ça lui est égal, elle l'aime quand même. Pour la première fois de sa vie, Logan ressent le besoin impérieux d'être avec quelqu'un. Eden sait ce qu'il est, mais Eden s'en moque. Elle est ce genre de femme qui ne juge pas les autres, le genre de personne qui pardonne plus vite que Dieu en personne. Peut-être est-cela qui l'attire le plus chez elle, sa capacité à accepter ce que sont les autres sans pour autant les juger. Eden est très croyante, lui non, mais Logan s'en moque. Ça fait trois ans qu'il fait partie du cercle de chasseurs, mais elle lui donne envie de le quitter. Pour pouvoir vivre une vie normale avec elle, Logan est prêt à sacrifier des années d'entraînement et toute son ascension au sein du groupe. Il ne veut plus être ce monstre qui aime se salir les mains, il veut devenir un homme normal. Quelqu'un de bien, c'est ce qu'Eden mérite. Le seul problème, c'est qu'Eden ne plaît pas aux Linwood. Elle n'est pas assez bien pour lui. Mais Logan n'est pas idiot. Il sait capter les sous-entendus dans les paroles de son paternel. Ce n'est pas qu'Eden n'est pas assez bien. C'est simplement qu'elle n'a pas la peau assez claire pour convenir à ses standards. Peu importe pour Logan, ça ne le regarde pas. Et puis de toute façon, Eden est enceinte.

III. JANE.

Jane est morte. L'idée ne parvient pas à faire son chemin dans l'esprit de Logan. Jane ne peut pas être morte. Sa disparition subite bouleverse tout. Elle change la donne, elle change l'avenir. Jane est morte. Sa petite sœur est morte. Logan a toujours aimé sa cadette plus que n'importe quel autre membre de sa famille. Comme Eden, Jane était facile à aimer. Alors Logan ne comprend pas comment elle a pu mourir dans quelque chose d'aussi stupide qu'un incendie. Et pourquoi ils n'ont même pas de corps à inhumer. Ça le rend furieux. Alors Logan ne se rend pas à ses funérailles. À quoi bon, il sait que le cercueil est vide. Pour quelques jours, loin d'Eden et de leur fils, il se remet à la chasse. Il redevient un animal, un prédateur, un cauchemar pour tous les mutants qui ont le malheur de croiser sa route. Isaac l'incite à la prudence, mais il n'en a que faire. Il est furieux, fou de douleur, il a besoin de s'exprimer – d'une façon ou d'une autre. Jane est morte. Toute sa vie, il regrettera de ne pas avoir pu lui dire adieu. De ne pas lui avoir dit à quel point il l'aimait. Logan a toujours eu beaucoup de mal à dire les choses. Un homme n'exprime pas ses sentiments, c'était ce que son père lui avait enseigné. Marcus n'avait pas versé une seule larme en apprenant la mort de sa fille, alors que Claire s'était effondrée. Quant à Isaac... Cela faisait bien longtemps qu'il ne faisait plus partie de la famille. Les cinq étapes du deuil, Logan sait pertinemment qu'il ne parviendra pas à toutes les traverser. Lui, il restera coincé à la seconde : la colère.

IV. MILO.

« Je suis désolée, je suis désolée... Je ne pouvais pas le laisser comme ça, je ne pouvais pas le laisser comme ça... ! » Les mâchoires serrées, Logan passe une main qui se veut apaisante dans le dos de sa femme. À côté d'eux, dans un lit d'hôpital, est étendu leur fils.  « Ce n'est rien. Ça va aller. » Mensonge. Les choses n'allaient pas. Milo était malade, très malade, et c'était de sa faute. Milo n'était pas un petit garçon comme les autres. Comme Eden préférait dire, il était né différent. Le véritable mot était mutant. L'ironie du sort a voulu que le fils d'un chasseur possède le gène mutant. Et la mutation de Milo n'est pas de celles avec lesquelles on peut vivre aisément. Le pauvre enfant est un véritable poison pour tout être vivant. Il rend malade quiconque le touche, et Eden et Logan ont rapidement perdu le compte du nombre de fois où ils se sont rendus malades pour seulement pouvoir le prendre dans leurs bras. Alors, Logan a retourné tous les cailloux de la planète pour tenter de trouver un remède pour sauver son fils. Durant ses recherches, il a recroisé Isaac, qui lui a simplement suggéré d'abréger ses souffrances, comme si Milo n'était qu'un chien bon pour l'euthanasie. Si Logan ne l'a pas tué, c'est uniquement par respect pour sa mère, laquelle, il le savait, ne supporterait pas de perdre un second enfant. Il lui a fallu des semaines avant que quelqu'un, un scientifique, ne lui présente une solution à son problème. Un prétendu vaccin qui sauverait Milo. Désespéré, Logan a accepté. Et à présent, il contemple son enfant dans son lit d'hôpital, empoisonné par ses propres toxines et souffrant le martyr.  « Je sais que tu n'aimes pas les gens comme elle... Mais elle peut l'aider. Faire en sorte qu'il ne souffre plus... Jusqu'à... Jusqu'à ce que... » Jusqu'à ce que son cœur cesse de battre. Les médecins sont clairs. Milo ne survivra pas au poison qui coule dans ses veines. En essayant de le sauver, Logan l'a condamné. Eden, elle, a trouvé une mutante qui pourra soulager les douleurs de Milo, l'apaiser et faire en sorte qu'il ne meurt pas dans la peur. Sans doute a-t-elle eu raison de faire appel à cette femme. Mais la rencontrer, là, c'est au dessus de ses forces.  « Très bien. J'espère pour elle que ses... Tarifs... Sont à la hauteur de ses talents. » Monnayer la vie d'un enfant... Cette Valentina Sandrelli a tout intérêt à être à la hauteur de sa réputation.

V. MARCUS.
Le sang coule sur ses lèvres, et le goût métallique de l'hémoglobine ne tarde pas à faire son apparition sur sa langue. Les yeux écarquillés, Logan fixe le cadavre de sa mère sur le sol, les yeux grands ouverts et une expression horrifiée figée sur le visage. Le sang qui s'échappe de son corps meurtri arrive jusqu'à ses chaussures, et Logan déglutit lentement. « Qu'est-ce que... Qu'est-ce que tu as fait ? » Les mains de Marcus sont encore pleines de sang. Il a battu sa femme à mort. Claire n'a cherché à se défendre. Sans doute se sentait-elle trop coupable d'être différente. Marcus reste silencieux, impassible. Logan serre les poings. Et il se répète, lentement. « Qu'est-ce que tu as fait ? » Logan a perdu Jane. Puis Milo. Puis Eden – son couple n'a pas survécu à la mort de leur fils. Et à présent il fixe le corps sans vie de la seule personne pour laquelle il avait encore de l'affection. Massacrée par son propre père, comme un animal. « C'était une dégénérée. Il fallait l'éliminer. » « C'était ma mère ! » « Estime-toi heureux qu'elle ne t'ait pas transmis ce maudit gène. » Le coup part avant même que Logan ne réalise avoir saisi son arme. Marcus s'effondre sur le plancher,  une balle en pleine tête. Une dizaines de secondes s'écoulent avant que Logan ne réalise qu'il n'a plus aucune famille. Peut-être est-ce un mal pour un bien. Libre de toute attache, il est enfin libre. Mais avant de quitter Salem pour de bon, il offrira à sa mère des funérailles décentes. Elle les mérite. Marcus, lui, pourrira dans un coin de leur vaste propriété sans que quiconque ne se soucie jamais de sa disparition.

VI. VALENTINA.

Il l'aime. D'un amour fou, inconditionnel. Elle était pourtant la dernière femme qu'il s'attendait à aimer. Elle, la mutante. Elle, qui avait été là durant les pires semaines de son existence. Elle... Et pourtant. Le hasard fait drôlement les choses. Valentina aurait dû disparaître de sa vie en même temps que Milo. Mais des années après la mort de son fils, c'était avec elle qu'il voulait refonder une famille – qu'il allait refonder une famille. Valentina est enceinte, elle accouchera bientôt. Sans lui. Parce qu'elle l'a laissé dans une mare de sang dans leur salon, après l'avoir poignardé. Ils sont plus différents qu'il ne le pensait. Elle tuait les chasseurs. Lui, les mutants. Et tous les deux, ils sont deux tueurs en puissance. Logan ne comprend pas comment il a pu se laisser berner à ce point. Toutes ces années de mensonge... Il se vide de son sang, et il est incapable de penser à autre chose qu'à la rage qui le ronge. Lequel est le meilleur menteur ? Qui a trahi qui en premier ? Et puis il y a leur enfant. Son enfant. Mourir maintenant, c'est l'abandonner à un bien triste sort. Et Logan ne peut s'y résoudre. Il a déjà perdu Milo. Tant pis si celui ci est celui d'une mutante. C'est aussi le sien. Alors Logan grogne comme une bête furieuse et se relève, une main plaquée sur la plaie dégoulinante. Il ne crèvera pas comme ça. Il emmerde le destin. Il retrouvera Valentina, et il lui fera payer ses mensonges, sa trahison, tout. Il la tuera, s'il le faut. Logan a toujours été familier avec l'idée de vengeance. Personne ne peut vous haïr avec autant d'intensité que quelqu'un qui vous a un jour aimé.

VII. ROSALIE.

« Mais qu'est-ce que je vais faire de toi, putain. » Les bras croisés, Logan observait l'adolescente endormie sur le canapé de son tout nouvel appartement, dans cette minable petite ville du Kentucky. La gamine a tout juste dix-sept ans, on dirait une poupée de porcelaine. Elle donne l'impression qu'on pourrait la casser en la bousculant un peu trop fort. Et en plus, c'est une foutue mutante. Pourtant elle est là, profondément endormie sur le canapé et Logan a le réflexe idiot d'étendre une couverture sur elle pour qu'elle n'ait pas froid. Ça fait des mois qu'il se la trimballe, la pauvre petite orpheline mutante dont personne ne voulait. Peut-être que si elle avait été plus vieille, il aurait été capable de s'en débarrasser. Mais quand il l'a rencontrée pour la première fois, elle n'avait que seize ans et elle était terrifiée. Alors comme un con, il a tué le chasseur qui en avait après elle et a décidé de prendre soin d'elle temporairement. Il essaie encore de se persuader qu'il la garde parce qu'elle a une mutation parfaite pour l'aider à traquer ses semblables, parfaite pour le moment où, enfin, il mettra la main sur Valentina. Elle annule de façon passagère les mutations des dégénérés. Les rend aussi impuissants que les gens normaux. Elle est comme du NH25 sur pattes, en illimité. C'est ce qu'il se dit. Qu'il se sert d'elle. Pourtant, quand elle pleure, il est là pour la rassurer. Quand quelqu'un la menace, il est là pour lui refaire le portrait. Alors non, vraiment, Logan ne sait pas ce qu'il va bien pouvoir faire de Rosalie Carter. Il trouvera une solution après s'être occupé de Valentina. Un problème à la fois.