i. que pensez-vous du mouvement terroriste des hunters ?
Rien de bien. Mais alors là quand je dis rien de bien, c’est vraiment rien. Tu n’arrives simplement pas à comprendre leur peur, leur haine, leurs motivations. Tu peux comprendre que certains puissent avoir peur, mais de là à les chasser ? De là à les terroriser et les obligés à se terrer à quelque part ? Ce sont toujours des êtres humains pour toi. Avec un génome différent, peut-être, mais ils restent humains et ils ont des sentiments, des pensées, comme tout le monde. Ils méritent d’être respectés au même titre qu’un autre citoyen et ils méritent aussi d’être protégés. Ce sont des hommes et des femmes qui ont une étroitesse d’esprit impressionnante, et qui devrait réfléchir un tantinet avant de sortir n’importe quoi sur les mutants. Et encore, les insulter ce n’est déjà pas si mal. Mais les traquer pour les assassiner ensuite de sang-froid ? Cela te fait frissonner rien que d’y penser. Et si c’était ton frère ? Et si c’était leur frère ? Leur amie, leur père, leur copain ? Auraient-ils toujours le doigt sur la gâchette ?
ii. êtes-vous effrayée par l'apparition des transmutants dans la société ?
Bien sûr que non. C’est une bénédiction pour tout le monde. C’est une évolution et au lieu d’en avoir peur, nous devrions tenter d’apprendre et de comprendre. La tactique semble être plutôt de les tenir le plus éloigné possible et de tirer à vue, mais tu es complètement contre. Les transmutants ne sont pour la plupart pas dangereux, et il n’y a pas plus de psychopathes parmi eux que parmi les humains. Ils ne sont pas plus cruels, pas plus méchants, pas plus sadiques. Ils perdent parfois le contrôle, mais méritent-ils de mourir pour cela ? Nous devrions les aider à contrôler leurs pouvoirs plutôt que de les laisser s’arranger seuls avec cela. Nous devrions leur offrir de l’aide, de la protection. Nous devrions leur tendre la main, pas leur mettre une balle dans la tête. Ou même les capturer pour faire des expériences, c’est aussi inhumain.
iii. avez-vous déjà fréquenté des mutants ?
Bien sûr. Ton frère est le mutant que tu connais le mieux. Vous avez une relation plutôt fusionnelle, et tu sais toujours ce qu’il va dire ou faire à l’avance tellement vous vous connaissez bien. C’est d’ailleurs lui qui t’a poussée à t’intéresser autant aux mutants. Tu veux le comprendre, tu veux être en mesure de l’aider s’il a un jour besoin de toi. Sinon, tu en as probablement fréquenté d’autres sans même le savoir. Après tout, ils sont là, parmi nous. Nous ne pouvons pas les reconnaître à l’œil nu parce qu’ils sont exactement comme nous. Tu es consciente de leur présence et tu entends souvent des histoires folles d’un type qui a gelé des trucs ou qui a envoyé un rayon d’énergie qui a pulvérisé un pan de mur. Tu sais qu’ils sont là, mais, même dans ton obsession, tu tentes de ne pas rentrer dans leur bulle lorsque tu en rencontres un. Même si tu aurais tellement de questions.
iv. que pensez-vous de l'élection récente de thaddeus lancaster à la tête du comté ?
C’est juste mal. C’est une mauvaise nouvelle pour les mutants et pour toi, qui a toujours soutenu leur cause avec beaucoup d’ardeur. Tu ne sais pas trop comment voir tout cela, mais avec Lancaster à la tête de la ville, cela ne peut définitivement pas bien finir. Cela prouve encore une fois l’ignorance et la peur de la population face à ce qui est différent. Et puis toute cette histoire de dépistage, c’était vraiment n’importe quoi. Tu n’es pas mutante – ô, surprise – et ceux qui pouvaient déjà lancer des tables contre des murs avec leur esprit avaient maintenant eu la confirmation qu’ils étaient bel et bien « spéciaux. » Merveilleux. Surtout une mesure pour recenser tous les mutants, oui. Recenser les potentielles menaces. Qu’est-ce qu’ils vont faire avec toutes ces informations maintenant ?

« Dis, Cathy, est-ce que t’as déjà appris à te taire ? »
« Dis, frérot adoré, est-ce que t’as déjà appris à être moins con? »

Tu avais 17 ans, il en avait 20. Tu adorais ton frère, et c’était réciproque. Installée devant ton ordinateur, tu lui expliquais en long et en large ce que tu étais en train de faire et, de toute évidence, il s’en fichait complètement. Cela ne te dérangeait pas du tout. Tu adorais taquiner ton frère, surtout sur sa nouvelle copine, et il te le renvoyait bien. Écrasé sur ton lit, cellulaire en main, il pianotait sur le clavier tactile avec un air concentré. Tournant ta chaise vers lui, tu l’observes un moment. Vous restez tous les deux en silence pendant un instant, jusqu’à ce qu’il relève les yeux vers toi et te surprend en train de le regarder. « Pourquoi tu souris comme ça ? J’ai une mèche de travers ? » Tu rigoles un moment en regardant sa touffe de cheveux avant de lui répondre. « Si seulement ce n’était qu’une mèche ! » Et tu te prends un oreiller en pleine figure. Bref, tu adores ton frère.

Parce que ton frère, 20 ans et toutes ses dents, blagueur et un peu con sur les bords avec toi mais toujours authentique, c’est un mutant. Et donc, c’est le mutant le plus cool de tous les temps. Tu as une admiration sans bornes pour lui, et il te le renvoie bien. Tu l’aimes pour sa simplicité, ses blagues encore plus foireuses que les tiennes, ses tentatives désespérées pour avoir l’air sérieux de temps à autre. Lui, il t’aime pour ta force de caractère, ton adorable mais un peu creepy obsession envers les mutants, tes répliques bien senties et ton indépendance. À 17 ans, tu continues tes études pour être un minimum éduquée, mais tu sais que tu ne pourras pas rester chez tes parents jusqu’à 25 ans pour rester plus longtemps sur les bancs de classe. Un jour, tu voudras aller vivre des expériences, voir le monde, goûter à la vie. Rencontrer d’autres mutants. Tu ne comprends pas pourquoi vos voisins ont peur de lui. C’est toujours le même gamin qui leur apportait le journal et allait leur acheter du lait à l’épicerie du coin. Pourtant, dès que sa mutation s’est manifestée, soudainement ton frère s’est retrouvé seul, sans amis avec qui jouer le soir et il se buttait toujours à une porte fermée lorsqu’il allait les visiter. Toi, tu ne comprends pas. Tu n’as jamais compris. Ton frère, c’est le type le plus sympathique que tu connaisses, le plus drôle, le plus brillant. Pourquoi le fait qu’il soit mutant changerait ces faits de base ? C’était déjà un humain exceptionnel, maintenant il en a simplement la preuve dans son ADN.


Tu es partie de la maison à 20 ans. Tu serais partie plus tôt si tu n’avais pas eu d’aussi bonnes relations avec ta famille. Et si tu n’étais pas justement en train d’économiser pour t’acheter un appartement (la voiture étant gracieusement fournie par ton frère préféré, qui te laissait sa vieille voiture pour s’en racheter une nouvelle.) Tu ne savais pas vraiment où l’avenir te guidait, ni où tu voulais atterrir. Tu allais rester à Radcliff au début, quitte à voyager en auto par la suite pour visiter ton pays. Et ensuite, si tu avais assez d’argent, tu pourrais aller un peu plus loin. Tu pourrais découvrir le monde, pas seulement à travers les yeux d’un autre. Tu pourrais rencontrer d’autres mutants que ton frère, aussi. Tu pourrais commencer à vivre pour vrai.

Le pire, c’est que tu pensais que ça allait être merveilleux. Certes, prendre des petites jobs ici et là n’avait rien de fascinant, mais tu préférais cela à étudier jusqu’à 28 ans. Tu voulais bouger, tu voulais faire quelque chose de ta vie, rencontrer des gens, et être serveuse est probablement le meilleur moyen de le faire. C’est le boulot parfait pour toi, dans le fond. Il y a juste assez d’action pour te tenir en alerte – gérer des hommes saoul, un travail à temps plein – et, en écoutant les conversations, tu te tiens au courant de l’actualité de la ville par rapport aux mutants. C’est d’ailleurs en servant au bar que tu as rencontré Kyle.

Tu ne sortiras plus jamais avec des types rencontrés dans un bar. Plus jamais.

Tu l’adorais, Kyle. Il était intelligent, il te racontait des blagues, il avait une moto, et tu pensais, apparemment de façon très naïve, qu’il t’aimait bien lui aussi. Il était toujours tendre avec toi, et tu croyais qu’il nourrissait de l’affection à ton égard. Apparemment, il nourrissait encore plus d’affection pour ton ordinateur portable et ta télévision, parce qu’un soir, alors que tu rentrais du travail, tu as trouvé la porte de ton appartement entrouverte, et les deux bébelles en question avaient disparues. Sans note, sans rien. La clé que tu lui avais donnée était mise bien en évidence sur la table de la cuisine, et tu ne l’as plus jamais revu.

Tu n’as plus revu ton ordinateur et ta télévision non plus, il va sans dire.

Salaud.


Après cet épisode malencontreux, qui était le point culminant d’une séries de relations toutes plus foireuses les unes que les autres, tu t’es promis de ne jamais être aussi naïve, de ne jamais laisser tes sentiments obscurcir ton jugement, de ne jamais plus faire confiance trop facilement. Tu t’es fait beaucoup de promesses, en te disant que sur le lot, tu devrais bien être capable d’en tenir au moins une. Sauf que bon, comme ta vie aurait été beaucoup plus simple si tu avais eu plus de jugement face aux hommes, cela n’aurait pas été aussi drôle. Donc, malgré tes mauvaises expériences, tu ne peux pas t’empêcher de t’attacher un peu trop vite, de manquer grandement de jugement et de te dire que tout finira par s’arranger malgré quelques problèmes de valeurs. Par exemple, si un type extrêmement séduisant détestait les mutants. Vous auriez un problème de valeurs communes. Donc, normalement, tu devrais le fuir, t’en écarter, ne pas tenter de creuser plus loin et surtout, surtout ne pas t’accrocher pour rien. Parce que c’est voué à l’échec.

Ce ne sont que de belles paroles, que des paroles en l’air. Tu avais remarqué ton discret, légèrement ténébreux et franchement attirant collègue qui travaillait avec toi au bar, sans que vous n’ayez engagé une conversation digne de ce nom. Il y a eu cette fois, où, même si tu maîtrisais parfaitement la situation, il a empêché un gaillard complètement saoul de te faire regretter tes paroles un peu trop audacieuses. Et même s’il t’a bien fait comprendre qu’il n’avait pas fait cela pour toi – en gros qu’il n’avait vraiment pas envie d’engager une conversation avec toi – cela a piqué ta curiosité. Évidemment. Parce que tu ne pouvais pas être attirée par le mignon et sympathique type à lunettes qui vient toujours au bar pour jaser de la vie avec toi. Mais non. Il fallait obligatoirement que ce soit ton collègue mystérieux, qui déteste les mutants en plus de cela. Sauf que toi, tu sens une petite indécision lorsqu’il en parle. Il n’a pas cette ferveur que certains ont lorsqu’ils discutent des montres, des mutants, des abominations. Lui, il a l’air d’hésiter pendant une fraction de seconde. Mais bon. Tu te l’imagines sûrement. C’est clair que c’est du n’importe quoi. Sauf que juste au cas où ce ne soit pas le cas, tu lui parles. Tu le suis. Tu tentes de le comprendre. Tu veux le comprendre. Tu sens qu’il y a quelque chose de plus, et ça te tue de ne pas savoir.

Parfois, tu lui jettes un regard, par-dessus le bar, pendant que tu essuies une table. Vos yeux se croisent l’espace d’un instant, et tu te détournes toujours, le cœur battant juste un peu plus vite, juste assez pour que tu le remarques et que cela te trouble.

Putain de bordel de merde.