Accroupi face à l’homme qui se tordait de douleur à ses pieds, Jimmy le détaillait d’un œil dédaigneux, voire amusé. C’était toujours aussi risible de voir les hunters – qui se prenaient pour les sauveurs de l’humanité – s’effondrer sans résister face à ces mutations qu’ils exécraient et craignaient au point de vouloir les détruire. Quelle ironie, de se faire tuer par ce que l’on haïssait le plus. Tant pis pour eux : la leçon était, certes tardive, mais au moins ils comprenaient aux portes de la mort qu’ils n’étaient rien face à l’immensité de ce que la Nature avait prévu pour la suite de l’Evolution. Et ceux qui niaient ce fait, ceux qui prenaient les mutants pour des anomalies et les appelaient « dégénérés » avec tant de mépris ne faisaient que se voiler la face. Un jour prochain, tous les porteurs du gène X réaliseraient leur plein potentiel et se ligueraient pour prendre ce qui leur revenait de droit, mais qu’une humanité trop timorée leur refusait tout net. En attendant, il ne pouvait qu’éduquer ceux qu’il trouvait sur son chemin, ceux qu’on avait fait passer pour des monstres ou auxquels on avait appris qu’ils ne valaient rien ; le mutant au blouson de cuir les aidait tous sans exception, ceux qui doutaient en eux et en leur pouvoir, leur faisant voir à quel point ils étaient merveilleux, à quel point ils étaient radieux dans ce monde qui s’écroulait lentement sur lui-même. Et lorsque les Hommes auront fini de s’entretuer, il n’en resterait plus assez pour contredire l’autorité de ceux qui avaient légitimement le droit de s’asseoir sur le trône que les humains avaient occupé depuis bien trop longtemps maintenant.
Fixant le chasseur qui le dévisageait avec une méchanceté et une hostilité plus que certaines, le grand homme haussa un sourcil et sourit. C’était le même sourire qu’un chat aurait pu faire à une souris tentant de se montrer intimidante. Ca n’avait rien d’effrayant ; c’était même presque mignon tant c’était ridicule.

- Eh ben, t’en fais une tête. C’est si désagréable que ça, par terre ?

Il rit doucement, les lèvres closes, puis pencha légèrement la tête sur le côté, comme un prédateur jaugeant une proie.

- Tu sais, quand j’ai découvert ma mutation, mes parents m’ont dit : « Jimmy, si tu veux bien t’en servir, va falloir t’éduquer et apprendre comment marche un squelette ». Alors j’ai attrapé mon livre de bio et j’ai appris tous les os par cœur. Y en a deux-cent-six, même toi tu dois savoir ça. Ca fait un paquet d’osselets par personne.

Son sourire s’étendit, révélant ses dents blanches et alignées comme des touches de piano ; au même moment, ses prunelles, jusque là d’un brun presque noir, se teintèrent d’un jaune vif totalement surnaturel, une couleur qu’on retrouvait dans les yeux des animaux, chez les personnages de fiction et dans les légendes, mais certainement pas chez un humain – mais après tout, Jimmy n’était pas humain. Pas vraiment.

- Au début, c’était pas évident de retenir le nom de tous les petits morceaux qui nous permettent de bouger, mais c’est comme pour tout, un peu d’effort et ça finit par rentrer. Alors attend, j’vais voir si j’ai bien retenu mes leçons … Y a le sternum, l’humérus, la scapula, l’ulna, l’olécrane, les crêtes iliaques, la patella, le calcanéum, le talus …

A chaque fois qu’il donnait un nom, il faisait se briser l’os correspondant dans le corps du hunter, les craquements sinistres se mêlant aux grognements puis aux cris de douleur de l’homme qui ne pouvait rien faire d’autre que de sentir son squelette se fissurer petit à petit. Des fêlures remontèrent le long de ses côtes, ses doigts se tordirent selon des angles improbables, ses tibias transpercèrent la peau de ses jambes et son bras gauche fit un tour à trois-cent-soixante degrés, se déboîtant dans un bruit écoeurant. Jimmy ne se considérait pas comme un sadique ; simplement, ce petit chasseur trop orgueilleux avait déjà fait couler le sang de nombreux mutants, et ça, il ne pouvait pas le pardonner. Il le pouvait encore moins qu’il y avait parmi ses victimes une jeune femme qu’il avait tenté de remettre sur ses pieds alors qu’elle hésitait à se vacciner pour ne plus prendre de risque, pour ne plus craindre ces hommes et ces femmes qui se croyaient suffisamment importants pour se targuer d’avoir le droit de vie et de mort sur ceux que la Nature avait désigné comme étant leurs maîtres. Alors, rien que pour ça, il s’assurait que le pauvre type qui gigotait à ses pieds en gémissant ait une agonie particulièrement douloureuse. Pas longue cependant : il avait beaucoup de choses à faire ce soir et il ne pouvait décemment pas passer toute la nuit à s’occuper de ce moins que rien. Jimmy poussa un soupir presque las et appuya son coude contre sa cuisse pour pouvoir poser son menton contre son poing fermé.

- J’pourrai faire ça longtemps, mais j’ai la flemme de tout réparer pour recommencer.

Son sourire revint une fois encore, plus froid ce coup-ci, plus méprisant que quelques secondes plus tôt. Et ses yeux toujours dorés n’aidaient pas à adoucir l’expression qui imprimait ses traits. Il contempla un moment le corps tordu qui tremblait doucement, totalement indifférent au regard à la fois furieux et apeuré du chasseur. Ce ne serait certainement pas ça qui l’attendrirait oui lui donnerait des remords. Il n’était pas un habitué de la remise en question de toute façon. L’homme au blouson tapa finalement sur ses cuisses et se releva.

- Bien, j’ai encore du travail ce soir – des gens à voir, des choses à faire. J’te dis pas à la prochaine, hein. Allez, bye bye gamin.

L’homme ouvrit la bouche pour parler, mais avant qu’il n’ait eu le temps de dire quoi que ce soit son cou se tordit sur le côté, ses cervicales entraînées par la mutation de Jimmy qui les brisa net. Le hunter fut parcouru d’un spasme douloureux et s’effondra finalement sur le sol, inerte, le bout de ses doigts frémissant encore quelques instants, ultime reste des dernières impulsions nerveuses qui glissaient encore le long du cadavre.
Passant l’une de ses mains gantées sur sa tête, s’assurant que ses cheveux étaient toujours parfaitement tirés en arrière, Jimmy s’éloigna tranquillement avant de sortir son téléphone portable et d’y jeter un coup d’œil. C’était un message de son bras droit qu’il attendait, cet homme qui l’avait suivi des années durant et le seul auquel il vouait une réelle confiance. William travaillait aussi ce soir. Et visiblement, il avait bien travaillé, à en juger par le compte-rendu concis mais précis qu’il venait d’envoyer à monsieur Archer. Ce dernier sourit, tout à fait satisfait.

- Atta boy.

Rangeant son portable dans sa poche, il partit, sortant du bâtiment dans lequel il se trouvait, profitant des ombres de la nuit pour se faufiler de rue en rue, pas inquiet le moins du monde.
Après tout, qui aurait-il bien pu craindre ?