Parrish courrait dans tous les sens, son regard acéré parcourant le terrain comme il le ferait pour un champ de bataille : il analysait la topographie, il repérait les mouvements de chacun, malgré le manque de luminosité. Il avait été appelé en catastrophe en même temps qu’une douzaine d’autres chasseurs pas les responsables des lieux pour venir sur le champ : des mutants s’étaient échappés, dieu savait comment, et parmi eux certains que le chasseur avait attrapé lui-même. Il y avait du gros bonnets parmi les prisonniers, et les risques qu’ils s’en prennent aux scientifiques, ou pire, aux habitants des alentours étaient importantes. Suffisamment importantes pour que les ordres données soient expéditifs : aucun survivant. Ils avaient tous en tête les noms et visages des fugitifs, et ils étaient autorisés à tirer à vue. Parrish avait sorti un fusil doté d’une lunette infrarouge pendant qu’il quadrillait la zone avec ses camarades, tendant l’oreille : il comptait les coups de feu, écoutait le moindre bruit de pas suspect, le moindre gémissement. Il savait que certains mutants étaient mal en point, et qu’ils ne pourraient pas aller bien loin. Il leur ficherait une balle dans la tête, et passerait à autre chose. Bientôt, il n’eut plus assez de munitions, et il abandonna son arme de guerre au pied d’un arbre mourant, et sortit un revolver du holster autour de sa ceinture,  alors qu’il dépassait une haie de buis, devinant une forme humaine à une dizaine de mètres, immobile. Prudent, il pointa la silhouette avec son arme, incapable de discerner son visage dans l’obscurité. Les formes étaient féminines, fluettes, mais il ne se souvenait pas qu’il y eu des femmes parmi les fugitives, alors … Lorsqu’il chargea son arme, l’inconnue fit volte face dans un bond, et le cœur du chasseur rata un battement, puis deux. « Parrish… » . Bianca. C’était Bianca, devant lui, échevelée, acculée comme une bête sauvage, ses yeux rouges sans qu’il ne sache pourquoi. Il allait baisser son arme, avant de comprendre qu’elle n’était pas seule, et surtout qu’elle n’était pas là pour lui donner un coup de main. Caché derrière la frêle jeune femme, un petit garçon, à peine plus épais, sale et terrifié. L’ancien major ne mit pas longtemps à comprendre qu’il était l’un des mutants captifs, on lui avait indiqué qu’il y avait un enfant parmi les fuyards, le seul qu’il avait décidé de ne pas abattre, mais de ramener aux scientifiques. Il le voyait agripper la jambe de Bianca en lui lançant des regards inquiets, et la vérité frappa l’homme comme un coup de poing au visage. Elle l’avait fait sortir. Le petit garçon. C’était elle qui l’avait fait sortir de ce labo. « Par-» « Comment t’as pu faire ça Bianca ? Comment t’as pu ME faire ça ? » Il n’avait pas pu s’empêcher de demander, de sa voix grave rendue sourde par la colère. « J'suis désolée. Tout c'que j'ai fait, j'l'ai fait pour lui. « Ils ont pris mon fils, Par'. Il avait quatre ans quand ils sont venu l'chercher. Regarde c'qu'ils lui ont fait, c'est qu'un gosse. C'est .. C'est mal c'qu'ils font, même toi tu dois l'avouer Par'. C'est qu'un gosse ». Son visage était défigurée d’une grimace de rage et d’une fureur qu’il ne tâchait même pas de contenir. Elle s’était moquée de lui, elle s’était bien, bien foutue de sa gueule, et pourquoi ? Pour un môme, un mouflet dont elle ne lui avait jamais parlé, jamais. A vue d’œil, le gamin avait six ou sept ans. Il existait donc depuis longtemps, et en trois ans de relation, elle ne l’avait pas mentionné, pas une seule fois. Aujourd’hui, elle lui faisait face avec une petite main dans la sienne, un petit corps serré contre le sien. Fils, Fils, Fils, ça tournait dans sa tête comme si le disque était rayé. Fils, fils, fils, le sien, celui de Bianca, le sien. Pas le leur. Evidemment, pas le leur, il était trop vieux pour ça. Un fils. Comme il en avait rêvé, avec elle, comme ils en avaient parlé, parfois. Sauf que c’était pas le leur, c’était le sien à elle, celui qu’elle avait gardé secret, celui qu’elle était venue libérer. Un mutant. Un dangereux mutant, sans quoi il n’aurait pas attiré l’attention du laboratoire. Dans le crâne de Kane, ça bouillonnait, comme si l’éruption de rage dans son cœur faisait bouillir son cerveau. Il était incapable de dire quoi que ce soit, alors elle continuait à parler, comme on parle à un animal furieux qui s’apprête à se jeter sur vous, d’une voix tremblante, presque suppliante. Un grondement s’échappa de sa gorge, alors qu’elle s’excusait. Garce, Garce, Garce, tes excuses sont des mensonges comme tout ce que tu lui as un jour dit, il en est sur maintenant. Tout ce que tu veux, c’est sauvé ta peau et celle de ton gamin dégénéré. Un mec bien … Il l’avait été, l’était il encore ? Il sentait des tics nerveux agiter son visage dans la pénombre, alors qu’il fixait sans ciller les yeux plein de larmes de Bianca. Bianca Bianca Bianca … Garce, vraiment ? Il ne sait pas, il ne sait plus, alors qu’il a l’impression que sa tête bourdonne. Il sait qu’il n’est pas le seul chasseur du coin, que bientôt, d’autres arriveront, qui réussiront à appuyer sur cette putain de gachette. Il serra les mâchoires, fort, jusqu’à en avoir mal, avant de souffler, presque pour lui-même. «  Je suis désolé ». Désolé de quoi ? Que ça se finisse ainsi ? Que tu ne l’aies pas aimé suffisamment pour lui avouer ton secret ? qu’il faille se séparer ainsi, et devenir des ennemis héréditaires ? Il ne sait pas, là non plus, et il ne le saura pas avant un moment, surement. Machinalement, il leva le bras au ciel et tira, une fois. Les autres chasseurs sauront ainsi qu’il y a déjà quelqu’un sur la zone, et partiront plus loin, ailleurs, pour retrouver les derniers dégénérés en cavale, alors qu’il fixait le dos de Bianca qui détalait comme un lapin. Sur ses joues, il sentit couler des larmes sans prendre la peine de les essuyer : son futur était en train de disparaitre sans qu’il ne puisse jamais le rattraper, et il n’était pas encore certain de ce qu’il allait faire de cette information, ni de ce qu’il devait ressentir à ce sujet…

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