Etalé sur son lit, à regarder le plafond avec une obstination sans nom, Owen se demandait comme un truc pareil avait bien pu lui arriver, lui tomber dessus. Ça n’était pas la pire chose qui lui était arrivée, loin, très loin de là. C’était évidemment pire que le petit drame d’enfant qu’avait été l’arrivée de sa sœur mais, infiniment moins grave que la perte de ses parents. Pourtant, il avait l’impression que son monde explosait à nouveau, comme s’il venait d’apprendre la vérité sur un mensonge vieux de plusieurs années. Il était transmutant, il ne savait pas depuis quand, il ne savait pas ce dont il était capable, il ne voulait pas vraiment le savoir. Depuis des semaines il savait, seulement, ça avait été le cadet de ses soucis puisqu’ils n’arrivaient pas à mettre le doigt sur ce qu’était précisément sa mutation. Le plus problématique, ça avait surtout été les charges de corruption, cette extraction aussi rapide que bâclée, du moins jusqu’à ce qu’il se découvre quelques bizarreries devant le miroir. Des écailles... petites, brunâtres, tirant parfois vers le vert-de-gris en zones plus ou moins étendues. Il avait bien tenté de les retirer, les arracher même mais, il avait vite constaté douloureusement que c’était ça, sa peau à ces endroits désormais. Les reproches de corruption qui lui avaient été fait étaient soudain devenus secondaires. Sans même y penser ne fut-ce qu’un peu, il avait acheté un vaccin et se l’était injecté. Un peu plus de deux semaines, ça avait été le temps pendant lequel il s’était senti lui-même à nouveau. Deux semaines, pas le mois dont tout le monde parlait. Pourquoi, il n’en avait aucune foutue idée. C’était à ça qu’il était en train de songé, étalé sur son lit. À ça et à la nouvelle injection qu’il venait de se faire et à la prochaine et à la suivante... Il n’en avait pas parlé à Scarlett, il n’était pas prêt pour ça. Il savait qu’elle lui aurait probablement dit que ça n’était pas la mer à boire. Sauf qu’il ressentait les choses d’une façon tout à fait différente et que sa mère n’était pas là pour l’aider, comme elle avait pu l’aider elle. Pourtant, il allait devoir se poser la question, il ne pourrait pas lui cacher indéfiniment, pas alors qu’il allait probablement devoir la rejoindre dans son bled. Il aurait dû être là pour sa sœur mais, trop occupé par ses propres emmerdes, il n’avait pas pu répondre présent et il ne le pouvait toujours pas, pas encore. Se grattant presque jusqu’au sang tant sa peau nouvellement retrouvée lui démangeait, il se leva de son lit -enfin- et alluma sa cigarette en soupirant, espérant que cette fois, le vaccin ferait effet plus longtemps.


Les mêmes gestes, encore et encore jusqu’à ce que ça ne serve plus à rien. Elles étaient toujours là, ces putains d’écailles, à le narguer depuis des semaines. Même le double de la dose n’y avait rien fait. Quoi que fasse sa mutation, elle minimisait voire annulait clairement les effets du vaccin, tous ses effets. Ça n’aurait peut-être pas été un problème majeur si, bientôt, il n’allait pas être un putain de flic mutant supposé corrompu même si blanchi, au milieu d’une ville pleine à craquer de cinglés qui voulaient sa peau d’étrangeté de la nature. Lorgnant ses sacs et son appart vide, il les attrapa sans se retourner, ça n’était pas comme si New-York avait encore des choses à lui offrir. Il y avait plus urgent. Cette sale vieille habitude de grand frère protecteur, vouloir protéger Scarlett, quoi qu’il en coûte. Il allait rapidement savoir ce que ça lui coûterait d’ailleurs.
Son transfert avait été d’une rapidité affolante, il ne savait même pas comment ça avait pu être possible alors qu’il était ce qu’il était et que c’était indiqué un peu trop clairement dans son dossier. Scarlett l’avait mis en garde contre les hunters, le maire sans savoir qu’il était un peu comme elle et c’était ce qui le préoccupait. Pourquoi autant de facilités ? Il ressassa cette question tout le long du trajet et surtout la façon dont il allait annoncer à sa sœur ce qu’il était.


Aucune réaction, aucun cri, pas d’engueulade. Ça l’avait pas mal arrangé, il fallait dire les choses comme elles étaient. D’ailleurs, c’était à peine s’ils s’étaient attardés sur la question avec Scarlett. Ce qu’elle avait vécu, tout ce qu’elle avait vécu... Il était là à cause de ça, à cause de ce que cette ville faisait aux gens. Transmutants ou humains. Pour lui, la loi était pareille pour tout le monde mais très imparfaite pour trop de gens. Le problème pour lui maintenant, c’était de survivre à ce bled. Emménager et avoir la confiance de ses collègues, c’était plus qu’accessoire.
Ce n’est qu’en prenant son poste et en s’intéressant de plus près à Radcliff qu’il comprit pourquoi son transfert avait été aussi simple. C’était le bordel. Il ne savait qui s’était probablement dit que ce serait facile de l’enterrer là-bas, au sens propre comme au figuré. Mais, la position du maire était affaiblie, ses idées plus que discutées et surtout, il avait une opposante. Le tout, alors que la ville était divisée sur bien des sujets. Pour lui, ça avait été fascinant de voir à quel point Lancaster était sûr de lui, de sa victoire, voir à quel point il était persuadé être suivi par les habitants ou alors de voir à quel point il comptait sur la peur qu’il avait générée. Extérieur à tout ça ou plutôt à l’intérieur depuis trop peu de temps, Owen avait suivi tout ça en tant que simple flic, il avait laissé traîné ses oreilles, apprenant que son opposante, la dénommée Saddler était flic. Il fallait oser. Elle avait des couilles.
Et puis la victoire, la complexité de la sécurité, le nombre de gens. Franchement, il avait halluciné. Il y avait plus de mouvements dans cette ville depuis qu’il était là que quand il était en planque pour la DEA, plus de stress aussi et ce soir-là n’avait pas dérogé à la règle. Des explosions... et ça n’était pas la première fois que ça arrivait. Où était-il tombé ? C’est ce qu’il se demanda alors qu’il tentait d’apporter son aide au milieu de la fumée, des cris et des sirènes. Un mois qu’il était en ville, un mois et il se demandait plus que jamais si cette fois, il n’avait pas surestimé ses capacités d’adaptations.