Rôdant autour de la piste de danse, somptueuse dans sa tenue blanche qui laissait juste apercevoir ce qu’il fallait sans trop en révéler, Rayen laissait ses yeux sombres passer d’un fêtard à l’autre. Elle cherchait sa proie, son mutant qu’elle traquait depuis deux semaines déjà et qui avait pris un malin plaisir à lui filer entre les doigts. Elle connaissait son visage, lui non, ce qui lui offrait un avantage certain ; et puisqu’elle ne pouvait pas l’attraper avec ses méthodes de traque habituelles, elle optait désormais pour quelque chose de plus terre-à-terre, peut-être de plus lâche aussi, mais ce n’était certainement pas elle qui serait regardante sur la question. Après tout, tant que la monstruosité était tuée, tous les moyens étaient bons pour arriver à ses fins.
Finalement, après un deuxième tour de la salle, elle consentit à se poser au bar en attendant de pouvoir affiner sa stratégie. Oh, elle ne s’était pas lancée là-dedans sans avoir de plan, bien entendu, mais il était toujours pratique de pouvoir le retravailler en cas de besoin. Et puis, assise où elle se trouvait, elle avait une vue imprenable sur la sortie. Personne ne pourrait passer cette porte sans que son regard acéré ne l’aperçoive. Alors si sa si charmante cible comptait s’en tirer si facilement, elle se mettait le doigt dans l’œil.
Elle commanda un cocktail et reporta son attention sur la foule une fois encore ; elle se demandait combien d’entre eux étaient des dégénérés, combien avaient été recensés et combien s’étaient faufilé entre les mailles du filet comme les immondes serpents qu’ils étaient. Elle se demanda aussi combien de chasseurs étaient également en train de danser, ou combien d’humains dont l’allégeance restait à vérifier. Des humains qui soutenaient les aberrations de la nature qu’étaient les transmutants, elle en avait croisé quelques-uns, et à chaque fois leur soutien à cette cause l’avait laissé particulièrement perplexe. On n’apprenait pas aux enfants à aimer les monstres de conte de fée, ni à laisser des biscuits pour le croque mitaine caché sous leur lit ou derrière la porte de leur placard. On ne leur apprenait pas à se laisser aller à trouver sympathique une entité grotesque qui aurait tôt fait de les abattre sans réfléchir davantage. Alors, que certains puissent ouvertement prendre le parti des mutants, ça la laissait sans voix.
Cependant, ce qui la surprenait toujours autant, c’était la facilité avec laquelle le destin pouvait se mêler de ce qui ne le regardait pas, pour le pire mais aussi, parfois, pour le meilleur. Et ce fut ainsi que le mutant qu’elle traquait depuis les derniers jours vint tranquillement s’installer à côté d’elle. Une lueur carnassière brilla au fond de ses prunelles presque aussi noires que ses cheveux tandis qu’elle le détaillait brièvement. Il avait la trentaine, peut-être un peu plus, un look faussement débraillé, des cheveux juste ébouriffés ce qu’il fallait et l’air indolent à souhait. Elle aurait presque pu le trouver à son goût si seulement son sang n’était pas pourri par un gène raté qui le rendait aussi dangereux qu’un fou avec une arme à feu. Non, à dire vrai, il le rendait plus dangereux que n’importe quel humain armé, cinglé ou non ; après tout, il était rare que les psychotiques se mettent à geler leurs victimes sur place, ou bien leur saute à la gorge pour les dévorer comme une bête sauvage – un sort affreux, celui qui avait été réservé à son père et son grand’ père, et qu’elle ne souhaitait même pas à son pire ennemi.
L’inconnu finit par se tourner vers elle et engagea la conversation. Ca n’avait rien de très extraordinaire, c’était de la bête drague de comptoir, mais c’était exactement ce qu’il lui fallait ce soir. Elle n’était pas en quête d’un compagnon ou d’une compagne pour la nuit et elle si elle donnait l’impression de faire la fine bouche, c’était pour tester son adversaire, pour voir à quel point il était suffisamment motivé à l’avoir dans son lit pour insister. Visiblement, il avait l’air assez enthousiaste, aussi fit-elle mine de baisser sa garde et de se laisser tenter. Ca n’était pas si mal de savoir mentir avec conviction, en fin de compte. Sans doute que si sa vie avait été différente, la jeune femme aurait pu être une excellente actrice. Mais être médiatisée l’aurait trop ralentie dans son petit nettoyage ethnique – et puis, être sous les feux de la rampe, ça ne l’enchantait pas plus que ça. Qu’elle choisisse où et quand on pouvait la voir, c’était une chose, mais être une cible ambulante sans plus aucune intimité, très peu pour elle. De toute façon, ça n’était pas vraiment le motto de sa famille d’être ainsi exposé à l’opinion publique. Il n’aurait plus manqué que son oncle la voit déambuler à la télévision à parader comme un paon – enfin, pour ça, il aurait fallu qu’il allume son poste, et à moins de le faire pour s’intéresser aux affaires locales, elle imaginait mal Rafael assis devant son écran plat à s’abrutir devant des programmes divers et variés. Ca non plus ça n’était pas le genre de la maison.
Finalement, son inconnu de mutant l’invita à poursuivre leur conversation dans un lieu plus calme et moins peuplé ; cette invitation, elle l’accepta volontiers, se faisant aussi charmante et tentatrice qu’un serpent, suivant le jeune homme à l’extérieur du bar après avoir récupéré sa veste au vestiaire.
Contre sa cuisse, elle sentait le poids de la dague qu’elle gardait accrochée en jarretière. C’était une lame fine et légère, faite d’un alliage solide qui se glisserait facilement entre les côtes de sa cible. Elle n’aurait qu’à le laisser s’approcher suffisamment pour pouvoir lui percer le cœur. Elle savait déjà qu’elle ne raterait pas son coup.
Après tout, ce n’était pas la première fois qu’elle perpétuait son héritage en tuant un monstre. Et si elle le faisait mieux que ses cousins, elle n’allait pas s’en plaindre. Quel dommage qu’une famille aussi illustre que les DeMaggio ait engendré des abominations, celles-là même qu’ils chassaient depuis des générations. Le problème Aria avait été réglé ; ne restait plus que celui de Cesare. Et s’il fallait qu’elle persifle de viles paroles à l’oreille de son oncle pour le pousser à abattre le seul enfant qu’il lui restait, alors elle le ferait sans hésiter. Après tout, liens du sang ou nom, il restait un mutant. Et ça, c’était inacceptable.