« Ils me détestent. » Il était dur ce constat. Mais c’était le seul que Reyna pouvait faire. Ses parents la détestaient. Ils détestaient aussi son frère. Ils les détestaient pour ce qu’ils étaient. Sacha lui, il ne sortait quasiment plus de sa chambre. Elle avait souvent l’impression d’être toute seule à devoir affronter le regard de leurs parents. Toute cette crainte dans leurs yeux. Ça n’avait pourtant pas été comme ça avant. Les Pendleton, ils étaient plutôt simples. Une famille banale, parmi tant d’autres. Reyna et son frère, ils avaient été plutôt heureux jusqu’à présent. Très proches, parce qu’ils étaient jumeaux sans doute. Pendant les premières années de leur vie, les jumeaux Pendleton avaient été heureux et aimés. Mais, il avait fallu que tout change du jour au lendemain. Ils étaient des transmutants. On en parlait pas encore beaucoup, de ces gens capables de faire des trucs plus ou moins incroyables. Mais, pour le peu qu’ils en savaient, les parents Pendleton, ils trouvaient ça particulièrement effrayant. Ils ne voulaient pas être confrontés à cette horreur et pourtant, leurs enfants possédaient cette mutation. Et ils ne faisaient bien de particulièrement incroyable, ça ressemblait plus à une malédiction. Sacha, il avait tué le chat sans savoir ce qu’il faisait et elle, elle s’était engueulée avec ce type et elle lui avait attrapé le poigné avec hargne. Il était tombé malade d’un coup. Empoisonné qu’on avait dit. Heureusement, les médecins avaient réussi à le sauver et peu de gens étaient prêts à admettre que c’était elle qui l’avait empoisonné, on disait que c’était probablement un serpent qui l’avait mordu, quand bien même y avait pas de plaie, ça semblait encore l’explication la plus logique. Elle, elle savait que c’était elle. Elle l’avait ressenti, alors que la rage s’était emparée d’elle, qu’elle avait attrapé son poignet, y avait quelque chose qui s’était passé. Maintenant, elle n’osait plus toucher personne et à la maison personne n’osait la toucher, tout comme ils ne touchaient plus Sacha. Ils étaient dangereux. « Je suis sûr que non. » Elle soupira suite à la réplique du jeune homme. Andy, c’était un ami sur qui elle pouvait compter. Ils se connaissaient depuis un moment maintenant. Elle passait beaucoup de temps chez les Altman, et là elle avait bien envie de s’y installer à vie. « Si. Et ils ont raison. Je suis dangereuse. » Elle pourrait tuer quelqu’un avec ce don, elle en était certaine. Il avait eu de la chance celui qu’elle avait empoisonné. Y en aurait d’autres qui n’auraient pas cette chance. Andy esquiva un geste pour lui prendre la main, d’un geste réconfortant. « Me touche pas. » Elle avait vite poussé sa main. Pas question qu’il ne la touche, elle ne voulait pas lui faire du mal. Elle ne voulait faire de mal à personne, mais surtout pas à lui.

« Je t’aime. » Elle aurait voulu reculé d’un pas, de plusieurs pas même. S’enfuir à toutes jambes. Pas qu’elle n’aimait pas cette révélation, pas qu’elle ne l’aimait pas lui aussi, mais qu’elle n’était pas sûre de pouvoir le toucher sans l’empoisonner. Léda, elle avait aidé sa sœur avec son pouvoir, elle avait fait pareil avec elle, mais elle se sentait trop imprévisible. Ça faisait des années qu’elle faisait de son mieux pour éviter les contacts physiques et pourtant là, elle avait peur de faire du mal à quelqu’un, de faire di mal à Andy. Mais elle n’arrivait pas à bouger, son cœur tambourinant avec force contre sa poitrine. Elle voulait lui dire qu’elle l’aimait aussi, mais après quoi ? S’ils ne pouvaient pas se toucher ce n’était pas une vie. Alors elle ne disait rien. Il avait levé la main vers elle et sans qu’elle n’ait eu le temps de reculer pour s’enfuir, il avait posé la main contre sa joue et y avait rien qui passait. Pas de poison, pas de pouvoir, juste une caresse tellement douce, tellement agréable. Elle n’avait pas ressenti la chaleur d’une main contre sa joue depuis tellement longtemps. Trois ans, pendant lesquelles elle s’était isolée au possible pour ne blesser personne et finalement ce n’était peut-être pas nécessaire. Sans rien ajouter, il s’était baissé vers elle pour l’embrasser. Le premier baiser de toute sa vie, celui qui resterait graver dans sa mémoire à jamais. Elle n’avait peut-être que quinze ans et y en aurait beaucoup qui diraient qu’à cet âge-là, on ne connaissait rien de l’amour, pourtant, elle sentait quelque chose d’enivrant dans chacune de ses cellules et elle pouvait le dire que c’était de l’amour. Elle l’aimait, elle l’aimait vraiment et maintenant qu’elle avait senti ses lèvres contre les siennes, sa peau contre la sienne, c’était impossible de s’en défaire, plus jamais elle ne pourrait s’isoler pour ne plus toucher personne. Parce qu’elle était libre, elle maitrisait son don, elle pouvait empoisonner quelqu’un si elle le voulait – et elle ne le voulait pas – mais elle pouvait également ne pas le faire. Elle était libre et amoureuse, et y avait pas de sensation plus agréable que celle-là sur cette planète.

« Reyna, qu’est-ce que tu fais ? » Alors qu’elle balançait avec rage des fringues dans une valise, elle releva un regard plein de haine vers sa mère. « Un tennis ! » Elle leva les yeux au ciel pour appuyer l’ironie de sa réponse, avant de continuer à remplir sa valise. Elle partait loin d’ici. Parce que cette baraque c’était l’enfer. Ça l’était depuis six longues années, depuis que Sacha et elle étaient devenus des transmutants. « Tu crois aller où comme ça ? Sans argent, sans  avoir fait d’études ? » Elle n’en savait rien, mais, partir le plus loin d’ici, c’était tout ce qu’elle voulait. Ils ne l’étaient promis depuis longtemps avec Andy, de quitter cette ville dès qu’ils auraient fini le lycée, de voyager. Partir loin de ses parents, c’était ce qu’elle demandait depuis longtemps. Parce qu’ils la détestaient et qu’elle ne pouvait plus le supporter. Elle s’était déjà excusée auprès de Sacha. Elle n’avait pas envie de l’abandonner ici avec eux, mais elle ne pouvait pas rester. De l’argent, elle en avait, ça faisait déjà deux ans qu’elle travaillait dans un café pour se faire de l’argent et Andy aussi, il s’était trouvé un job pour faire des économies, alors, ils s’en sortiraient. « Est-ce que ça t’inquiète vraiment ? Papa et toi, ça fait six ans qu’vous en avez plus un à cirer de nos tronches ! Parce qu’on est pas normaux hein ? » Nan, ils n’étaient pas normaux, ils avaient même dit qu’ils étaient malades, qu’il fallait les soigner. Elle, elle s’en sortait très bien et peut-être que ce n’était pas le cas de Sacha, mais ça ne faisait pas de lui un monstre ou quelqu’un de menaçant, il faisait ce qu’il pouvait, mais ça, les parents Pendleton, ils n’avaient jamais voulu le voir. « Tu es ma fille, évidemment que ça m’inquiète ! » L’hypocrisie, si ça devait être un don, ça ferait probablement d’elle une transmutante aussi. Une nouvelle fois, la jeune femme leva les yeux au ciel. « Je suis ta fille quand ça t’arrange, le reste du temps, je suis juste un problème. Tu sais qu’Sacha partira aussi. Peut-être qu’à ce moment vous réaliserez qui sont les monstres dans l’histoire ! » Ce n’était pas les enfants aux dons effrayants les monstres, il semblait aux yeux de Reyna, que c’était plutôt les parents qui n’avaient jamais trouvé le courage de soutenir leurs enfants, de les aimer envers et contre tout, comme ça semblait être normal de le faire. Elle referma la valise avec force. Qu’elle lui foute la paix, elle le faisait sans soucis d’habitude, alors ce n’était pas le moment de l’emmerder. « Si tu veux bien m’excuser, on m’attends. » Et sans un mot, sa valise en main, un sac sur les épaules et un autre en bandoulière, elle quitta sa chambre, sans adresser un dernier regard à sa mère. Elle ne tarda pas à rejoindre Andy qui l’attendait à côté de sa voiture. Ils ne savaient pas encore où ils iraient, mais loin de cette famille, elle savait déjà qu’elle serait mieux.

« Non, non, non. Je voulais pas. Andy, tiens bon. » On devrait bien pouvoir le soigner à l’hôpital, mais dès qu’elle posait les mains sur lui, c’était pire. On l’avait vaccinée sans rien qu’elle ne demande à personne. Maudit hunter qui n’avait trouvé de mieux à faire de sa vie que de lui injecter du nh24 dans les veines et depuis que son don était revenu, elle ne maitrisait plus rien. En un baiser et quelques caresses, le poison s’était répandu dans les veines d’Andy, trop rapidement, tellement rapidement qu’elle sentait déjà au fond de ses tripes qu’elle l’avait perdu. Radcliff ne leur avait apporté que des malheurs. Ils étaient là depuis quelques mois, ils étaient venus pour retrouver la sœur d’Andy, mais ça avait été la pire erreur de leurs vies. Ils avaient été bien avant Radcliff, pendant des années, ils avaient navigué, de ville en ville sans jamais rester quelque part bien longtemps. Ils avaient vu plein de choses, plein d’endroits différents et peut-être qu’ils avaient surtout vécus dans des chambres de motel plus ou moins bien, dans des petits appartements pas terribles et enchainés des job qui n’avaient rien de bien génial, mais au moins, ils avaient été heureux. Puis ils étaient venus à Radcliff, ils s’étaient retrouvés coincés à Radcliff. Et maintenant y avait ce truc dans ses veines qui avait simplement déréglé son pouvoir. Elle allait le tuer. Et l’imbécile, il ne trouvait rien de mieux à faire que de passer ses doigts sur ses joues, dans une tentative vaine de sécher les larmes qui s’y étaient échouées. « C’est pas grave. » Sa voix était faible déjà presque éteinte. Elle ne savait pas quoi faire. Le temps d’aller à l’hôpital ce serait trop tard. Il était condamné. Ce n’était plus qu’une question de secondes. « Je t’aime. » Elle le pensait, sincèrement. Elle le pensait de tout son cœur. Ils avaient été amis dès l’école primaire, en couple depuis qu’ils avaient quinze ans, emportés par les routes quand ils en avaient eu dix-huit. Sans lui, elle n’était rien, elle ne s’en sortirait jamais. « Moi aussi … » Et sa main était retombée contre le sol, lâchant sa joue. C’était fini et elle l’avait tué. Elle et ce type qui avait décidé de la vacciner. Un hunter qui avait tout foutu en l’air. Lui, elle le tuerait, même si fallait que ce soit la dernière chose qu’elle ferait de sa vie, elle le tuerait.

« Tire-toi Sacha ! » Qu’est-ce qu’il foutait là lui ? Son frère, il l’avait retrouvée et si les circonstances avaient été différentes, elle se serait jetée dans ses bras, heureuse de le revoir, contente de retrouver quelqu’un qu’elle aimait alors qu’elle avait perdu son petit-ami. Mais là, elle risquait de le tuer lui aussi et l’idée n’était pas acceptable. « Ça fait des années que je m’en sors sans toi ! J’ai pas besoin de toi. » Elle en avait besoin, elle voulait qu’il reste, elle voulait qu’il l’aide, parce qu’à part lui, elle n’avait personne. Mais non, elle ne pouvait pas prendre ce risque. « T’as passé une bonne partie de ta vie à m’fuir, enfermé dans ta chambre, c’est trop tard pour revenir maintenant ! » Et elle ne l’avait jamais blâmé pour ses choix, elle avait toujours compris, elle avait toujours essayé de la soutenir du mieux qu’elle pouvait, mais là elle avait besoin de tous les reproches possibles et imaginables, que ça puisse le blesser, le pousser à partir, parce que ce serait mieux que si elle devait le tuer, tout comme elle avait tué Andy. « J’en ai fini, avec toute la famille. » Elle lui lança le regard le plus noir qu’elle avait en stock avant de faire volte-face, commençant à s’éloigner, le plus rapidement possible. Loin, très loin de Sacha avant de s’effondrer en larme. Il était pourtant le seul qui aurait pu la comprendre, parce que jamais elle n’avait été vraiment dangereuse elle. Son pouvoir, quand il n’avait pas été maitrisé, il avait marché à l’impulsion, au quotidien de ses sentiments, alors que lui, y avait jamais eu aucune maitrise à avoir. Il pouvait tuer tout ce qu’il touchait. Tout comme elle aujourd’hui, alors qu’à chaque touché, c’était un poison mortel qu’elle envoyait dans les veines de l’autre. Il pouvait la comprendre mieux que personne, mais elle ne voulait pas le tuer. Alors c’était mieux comme ça. Qu’elle reste seule, ce n’était pas un problème, au contraire, au moins, ça sauverait des vies.