Le chaos. Partout autour de lui ; résonnant de hurlements en échos, stimulé sans relâche par la panique qui s’était répandue comme une traînée de poudre, alimenté par la peur qui faisait battre la chamade à tous les cœurs en présence. Le chaos. Il le regardait évoluer, sonné par ce qui était en train de se passer. Reprenant à peine conscience d’avoir perçu la première explosion, alors qu’il prenait la direction de chez lui après quelques courses rapides. Il avait perdu son paquet dans la pagaille, et n’avait même pas cherché à le retrouver. Il s’était tassé sur lui-même, plus surpris qu’autre chose par la déflagration. Néanmoins, le choc était là. À peine redressé, les esprits commençant à peine à se rassembler, la seconde explosion avait retenti. Suivant de trop peu la première — et surtout, visiblement située bien trop près d’ici.

La seconde détonation l’avait sonné. Ses oreilles s’étaient mises à siffler, et il retrouvait progressivement autour de lui, commençant à peine à retrouver l’ouïe. Il jetait des regards autour de lui, alerte. À ses côtés, les parents cherchaient leurs enfants, les gens se rassemblaient et tentaient de s’enfuir le plus loin d’ici. Les gravats roulaient jusqu’à ses pieds, et il ne pouvait s’empêcher de regarder en direction de la fumée noire qui s’élevait. S’éloigner. Courir, comme tout le monde. Partir loin d’ici, rentrer se mettre à l’abri. Il avait fini par se laisser embarquer par le flot ; les yeux passant d’un rescapé à l’autre, prêt à assister ceux qui en auraient eu besoin, le cœur battant la chamade et l’esprit divaguant. Ses pensées allaient vers Rhaena, Eremon, et tous ceux qu’il connaissait — et à qui il tenait. Où étaient-ils ? Que faisaient-ils ? Une part de lui ne pouvait s’empêcher de penser à eux, tandis que l’autre tentait de garder pied au milieu de la panique et du chaos.

Maintenant qu’il était à nouveau en pleine possession de son ouïe, il pouvait percevoir avec plus de netteté encore les cris qui retentissaient autour de lui. Et ça lui glaçait le sang dans les veines, alors que l’adrénaline bouillante semblait rivaliser avec la peur qui l’agitait autant que n’importe qui d’autre. Pourtant, il ne perdait pas pied. Et lorsque son regard calme glissa sur une jeune brune figée au milieu de la cohue, beaucoup trop près des dégâts, il n’hésita pas. Faut pas rester là. L’idée faisait battre la chamade à son myocarde, se répercutait dans les moindres recoins de son esprit. Aussitôt, son énergie se déploya à s’approcher de cette fille, visiblement bien trop sonnée par la situation pour réagir. Il fallait qu’elle bouge. Ils n’étaient pas à l’abri d’une troisième déflagration. Pas à l’abri de quelques coups de poignards dans le dos, pendant que tout le monde hurlait à en perdre haleine. Aussi se faufila-t-il tant bien que mal jusqu’à elle, l’attrapant brièvement par les épaules, cherchant à capter son regard. « Hey. Hey ! » Elle avait l’air ailleurs. Égarée. Arrachée à la réalité par le choc, et laissée à demi catatonique. « Est-ce que tout va bien ? T’es blessée ? Faut pas rester là. » Sûrement n’était-ce qu’une question de temps avant qu’elle ne reprenne ses esprits. Néanmoins, il ne pouvait s’empêcher de laisser sa bienveillance envelopper cette fille, et l’inquiétude naturellement l’animer.

Sarah était encore étourdie. La détonation, assourdissante, l’avait momentanément privée de son ouïe. Elle ouvrit les yeux avec peine. Autour d’elle, le chaos. Assise au milieu des décombres, elle tentait de se remémorer avec peine les dernières minutes.

Elle marchait, perdue dans ses pensées. Elle repensait à sa conversation avec Léda, sa prise de conscience, son dégoût vis-à-vis d’elle-même et de sa lâcheté. Les airs des quatre saisons de Vivaldi, qui habituellement l’apaisaient si facilement, ne parvenait que difficilement à la détendre un tant soit peu…Ses doigts tremblaient encore de la colère qui l’habitait et ne la quittait plus…
Et, soudain, l’explosion.

Sa tête était douloureuse. Sous le choc, elle avait perdue l’équilibre. Elle se souvenait vaguement de son crâne, heurtant violemment le sol carrelé de la galerie. Sous l’onde de douleur déferlante, elle s’était recroquevillée sur elle-même, recouvrant sa tête de ses bras, priant pour que cette douleur insoutenable, qui martelait son crâne, cesse. Chaque battement de cœur qui résonnait en elle était un supplice et lui arrachait un gémissement.

Quand, enfin, la douleur se calma un peu, lui permettant de recouvrer légèrement ses esprits, elle avait l’impression qu’elle était restée tétanisée, dans cette position fœtale protectrice, des heures durant. Elle avait perdue toute notion du temps.

Etait-elle restée là quelques minutes ? Plusieurs heures ?

Autour d’elle le chaos régnait. Des gens, qui semblaient hurlaient, bien qu’aucun son ne parvienne à ses oreilles…Dans les décombres, bien que privée de l’ouïe, elle ressentait, pesante, la peur. Non, la terreur, l’angoisse. Le sang. La mort.

Un sifflement, perçant. Et, soudain, des murmures. D'abord, lointain, comme à des lieux de là, puis, plus forts, plus distincts. Alors qu’elle reprenait peu à peu l’usage de son ouïe, un murmure, plus prononcé que les autres, l’interpella.
Encore étourdie par le choc, elle tournait la tête dans toutes les directions, perdue. Incapable de déterminer d’où provenait cette voix.

« Hey, Hey ».

Le simple le fait de bouger la tête était une torture. Sous le coup de la douleur, de la pression, son regard s’embua. A travers les larmes qui commençaient à couler le long de ses joues, elle vit une forme approchait vers elle. La silhouette semblait être celle d’un homme.

« Hey, hey. »

Elle n’avait aucune raison de pleurer, certes elle avait mal, mais au moins était-elle en vie. Dans un élan de détermination, elle rassembla ses forces et tenta de se lever. Des gens avaient sûrement besoin d’aide, au milieu de ses décombres. Elle, était simplement sonnée. Elle n’avait pas besoin d’aide.

« Est-ce que tout va bien ? T’es blessée ? Faut pas rester là. »

Alors qu’elle parvenait tant bien que mal à se hisser sur ses jambes, elle leva les yeux sur l’homme qui l’avait rejointe et lui faisait désormais face. A travers son regard embué, elle le fixa dans les yeux. Elle parvint à grand peine à se calmer, et dans un triste sourire, elle parvint à articuler quelques mots « Ça va. Ça va. Merci. Je pense que des gens ont besoin d’aide, je vais voir si je peux donner un coup de main ».

Maintenant qu’elle recouvrait ses forces, elle se sentait animait d’un soudain besoin de faire quelque chose. Rester immobile face à ce désastre lui était désormais impensable. Elle avait décidé de ne plus être lâche. C’était le moment de prouver qu’elle pouvait le faire. Elle avait toujours était de nature méfiante, mais malgré ce sentiment qui habituellement ne la quittait jamais, le regard de cet homme lui inspirait confiance. Le vertige qui s’empara subitement d’elle ne lui laissa que quelques secondes avant qu’elle ne perde connaissance, répétant, semi-inconsciente « Ça va, ça va. Faut aider les autres. » avant de sombrer définitivement dans les ténèbres.