Isobel détestait les soirées mondaines mais on ne lui avait pas demandé son avis. Elle devait être là pour être certaines qu’il n’y avait aucune faille. Point. Son contrat était très précis et elle commençait sévèrement à regretter de l’avoir pris. Elle ne conseillait rien du tout, elle surveillait.
Installée à un point stratégique de la salle, elle soupira en regardant les couples en plein batifolage, à exposer leur mariage ou leur liaison à la vue de tous comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Franchement, c’était niais. Ce qui la rebutait sans doute le plus, c’était de savoir que dans cette salle, il y avait des dégénérés. Une soirée pareille, évidemment qu’il y en avait. Elle espérait presque que l’un d’entre eux fassent un faux pas, qu’elle puisse le sortir et débarrasser le monde de sa souillure. En fait, tout aurait été mieux que de subir les sourires enjôleurs ou les tentatives de charmes de ces messieurs. La plupart se comportaient comme des lycéens en pleine extase devant le calendrier de playboy. C’était pathétique. Certaines femmes ne valaient guère mieux. Visiblement, ce genre de soirées était un milieu fertile pour la chasse mais, pas de celle qu’elle pratiquait.
Ce n’est que lorsqu’elle le vit lui qu’elle eut définitivement envie de soumettre la salle aux flammes. Elle pouvait supporter beaucoup de choses mais, pas Rafael, et surtout pas sur son lieu de travail actuel. Si les passions s’éveillaient de temps à autre entre deux gorgées de champagne, elle avait plutôt envie de l’étrangler. Trop de fois elle l’avait recroisé depuis cette partie de chasse où elle lui avait remis le nez et les idées en place et trop de fois elle avait eu envie de l’étriper avec une lenteur sadique et excessive. Le message qu’elle reçut alors qu’ils se toisaient comme deux animaux sauvages prêts à se jeter à la gorge de l’autre pour un territoire, elle l’accueillit avec joie. Un dégénéré venait de se manifester et elle ne demandait pas mieux. Ce contrat bancal, la soirée et Rafael, c’était trop pour ses nerfs. Cependant, elle finit par maudire l’imbécile qui l’avait contactée, elle n’avait pas prévu de chasser. Une robe n’était pas indiquée pour un tel exercice, au moins était-elle armée. Elle sortit donc, enfila son holster et enfila une veste par dessus pour finalement prendre la direction du bâtiment voisin. Quelle chance. Sa jambe s’arrêta pourtant net et elle jura. Fichue robe ! Elle la déchira en partie, facilitant ainsi ses mouvements, pas le tems d’aller se changer. Elle n’avait pas tout à fait un penchant pour la destruction de vêtements mais, elle n’avait aucun respect pour sa garde-robe non plus. Elle était une chasseuse, elle avait appris à jeter plutôt que nettoyer.
Sans plus se soucier de Rafael ou de la soirée, Isobel pénétra dans le bâtiment dont on lui avait fourni l’adresse et commença son inspection méthodique, en talons. Niveau discrétion, on avait vu mieux. C’est sur la pointe des pieds qu’elle se mit à progresser, aux aguets.

Rafael avait toujours su comment se fondre dans une foule de bourgeois transit d'amour pour les belles choses et surtout l'argent. Certains jalousaient le compte en banque du voisin, tandis que d'autres étaient pendus aux lèvres des plus influents, éperdus d'admiration. Il y avait quelque chose d'hypocrite et de profondément malsain dans cette société. On n'hésitait pas à chante une sérénade au premier venu dans l'espoir de s'attirer ses faveur, pour mieux le poignarder dans le dos par la suite. Quelle ironie... Rafael détestait cela et pourtant, il avait toujours l'air parfaitement dans son élément. Un élégant costume taillé sur mesure, des chaussures impeccables et une coupe de cheveux soignée, il avait tout d'un homme d'affaire respectable. Seulement, son arme de prédilection, ce n'était ni un stylo et un chéquier, ni la séduction. C'était plutôt le glock bien accroché à sa ceinture, sous sa veste. Une coupe de champagne à la main, il échangeait quelques mots avec un couple de riches investisseurs qui avaient fait fortune quelques années auparavant lors de la découverte d'une mine de charbon un peu plus loin dans l'ouest. Madame parlait avec tendresse de l'incroyable courage de son époux, lequel ne semblait avoir d'yeux que pour le généreux décolleté d'une jeune femme assise quelques mètres plus loin. C'était loin d'être l'extase entre eux, mais c'était bien le cadet des soucis de Rafael. Se désintéressant de la conversation, il tourna la tête... Et croisa son regard. Aussitôt, son visage se ferma et il perdit son aimable sourire. De toutes les garces que cette planète avait portée, il fallait qu'il tombe sur Isobel ! Il n'avait toujours pas digéré son impertinence, et entendait bien un jour gagner son respect, par la force s'il le fallait. La voir ainsi se promener dans une robe qui semblait plus la gêner qu'autre chose, c'était tout de même hilarant. Elle avait joué la carte de la séduction, mais tout ce qu'il voyait, c'était une grosse dinde emmerdée par tous ces morceaux de tissus. Non il n'irait pas reconnaître qu'il la trouvait particulièrement élégante malgré tout ! C'aurait été lui concéder quelque chose de positif. Il préféra détourner le regard, il s'excusa auprès des deux amoureux pour prendre connaissance du message qu'il venait de recevoir. Un mutant, ici, au milieu d'une réception. Pas très malin, le dégénéré ! Il rangea son téléphone dans sa poche et joua des coudes pour sortir de la foule, peinant particulièrement à faire comprendre à une bande d'idiots en admiration devant un Cupidon géant en guimauve qu'il voulait simplement sortir.

Il finit par trouver la sortie et soupira de soulagement. C'était si bruyant et étouffant à l'intérieur qu'il n'étonna presque de sentir un vent doux sur son visage. Un peu plus loin, il reconnu le drapé de la robe et la chevelure d'Isobel. Quelle idée stupide avait-elle encore eu ? Partir à la chasse dans cette tenue ! Qu'elle fasse dont ce que faisaient toutes les femmes pendant ces soirées, parler mariage et beau parti, et qu'elle laisse donc aux hommes les tâches qui leur revenaient ! Si elle se cassait la figure ou abîmait sa robe, il vaudrait mieux pour elle qu'elle ne se plaigne pas, car il n'irait pas la ramasser. Poussant un profond soupir, il tira son arme de sa ceinture et s'avança vers le bâtiment désaffecté dans lequel elle était entrée. Il en fit le tour, cherchant non seulement le dégénéré mais aussi la pauvre idiote qui s'était aventurée ici dans cette tenue. S'il y avait bien une chose qui brûlait entre eux, c'était bien la flamme du désaccord et de la tension. Lorsqu'il l'eut trouvé, il ne put s'empêcher de mettre son petit grain de sel.

« Qu'est ce que tu fous là dans cette tenue, Downer ? Ce n'est franchement pas le moment de jouer les princesses... Retourne donc faire des yeux de biche à un idiot qui voudra bien t'accorder une danse, plutôt que de fourrer son nez ici... »

Mais à peine avait-il dit cela que des bruits de pas précipités se firent entendre. Les fondations du bâtiments grincèrent, de la poussière s'échappa du plafond, et le chasseur sentit les battements de son coeur s'accélérer.

« Sortons... Maintenant... A moins que tu ne veuilles finir ensevelie sous des tonnes de gravats ? »

Il ne plaisantait plus. Ce n'étaient pas eux, les chasseurs, c'était le dégénéré qui les avait attiré là.

Oh ça, Isobel l’avait vu ce regard changeant chez Rafael dans la salle. Cet homme lui tapait sur les nerfs, il la rendait dingue. Ah ça oui, il déchaînait une certaine passion mais, elle avait clairement bien plus envie de lui en mettre une voire même de lui tirer dessus qu’autre chose. Du respect ? Eurk... Et puis quoi encore. Quelque chose de plus personnel ? Elle en avait des frissons de dégoût qui lui parcouraient la colonne vertébrale. Cet homme méritait qu’on lui écrase chaque orteil méthodiquement plutôt qu’on ne lui chante la sérénade. Misogyne imbu de lui-même et persuadé de sa valeur. Connard. Oh, elle était persuadée qu’il ne devait pas être mauvais en matière de séduction, faux comme il était capable de l’être. Ce type était vendeur d’armes après tout, il avait plutôt intérêt à gérer sa clientèle autrement qu’il ne traitait les gens autour de lui.
En attendant, elle avait autre chose à faire que de se préoccuper de cet emmerdeur avec une ferveur haineuse, elle avait un dégénéré à débusquer et tuer. Elle n’aimait pas devoir faire son devoir en robe mais, tant pis. Elle était chasseuse avant tout. Elle s’adaptait, c’était tout ce qui comptait.

Dans l’immeuble, elle était sur ses gardes, prenant garde à faire le moins de bruit possible bien que les lieux ne soient pas propice à une avancée silencieuse. C’était un vieux bâtiment qui avait eu son heure de gloire il y a longtemps. Il avait du avoir du charme mais, désormais, le parquet grinçait, la peinture s’écaillait et le papier et les boiseries avaient pris un sacré coup de vieux. Lorsqu’elle entendit du bruit, elle se retourna et pointa son arme sans même s’en faire un seul instant. Elle la baissa, avec une certaine réticence. Rafael. Décidemment, elle n’arriverait pas à s’en débarrasser.

- « Oh pitié, retourne donc te pavaner et faire une petite danse avec quelques bourgeoises qui apprécieront tes sarcasmes d’un autre âge. J’étais là pour la sécurité, par pour assister à cette mascarade. Maintenant boucle-la. Il y a plus important que nos chamailleries. »

Elle avait déclamé tout ça d’une voix basse mais, clairement agacée. Ils avaient d’autres chats à fouetter ce soir que leur agacement éternel l’un envers l’autre. Elle se stoppa net quand la poussière virevolta du plafond et serra les dents. Sérieusement ?

- « Tu peux pas la boucler cinq minutes Rafael ? Cours au lieu de parler ! »

Sauf qu’ils n’eurent pas vraiment le temps d’aller très loin, elle fut forcée de le tirer en arrière en lui saisissant la main et puis le bras avant qu’une partie du plafond et de l’étage du dessus ne lui tombe dessus. Elle le détestait de tout son cœur mais, ça n’était pas une raison pour le laisser mourir aussi bêtement qu’écraser sous des gravats.
Derrière elle, c’était carrément un pan de mur et une partie du plafond qui était ruiné. Coincés. Ils étaient coincés. Ou presque, elle tenta d’ouvrir la porte de l’appartement devant lequel ils se trouvaient presque. Il n’y avait pas eu de cri, l’immeuble devait être désaffecté.
Véritablement agacée, énervée et furieuse, elle se tourna vers Rafael.

- « Et si tu mettais tes muscles d’homme des cavernes à notre service pour forcer cette porte ? Peut-être que ça t’empêchera de parler avec un peu de chance. »

La seule chose chez Isobel qui soit capable de forcer l'admiration de Rafael, c'était bien ce talent tout particulier qu'elle avait pour le rendre dingue. Chaque fois qu'elle ouvrait la bouche, il avait envie de la faire taire, d'une manière ou d'une autre. Si seulement elle avait pu être mutante, elle aussi... Il se serait fait un plaisir de la traquer ! Elle ne pouvait donc pas retourner batifoler avec les idiots endimanchés qui discutaient avec ardeur de problèmes aussi futiles que le choix de la couleur d'une nappe pour un mariage ? C'était son terrain de chasse, son dégénéré, et il ne comptait pas la partager avec qui que ce soit... Surtout pas avec Isobel ! Pourtant, elle était arrivée sur les lieux avant lui, laissant au chasseur un désagréable sentiment d'échec. Il eut tôt fait de la rattraper, levant les yeux au ciel lorsqu'elle lui répondit avec la même acidité. Décidément, elle avait tout pour lui plaire. Le charme d'un pachyderme en fin de vie, la langue acérée et autant de respect pour ses interlocuteurs que si elle s'était adressée à un chien. On se demande parfois si la vie a un sens et puis on rencontre des êtres qui donnent un sens à la vie. Et bien une chose était certaine pour Rafael : Isobel ne donnait pas sens à grand d'autre que l'agacement et l'ennui.

Il voulu répliquer, l'envoyer vertement balader, mais déjà, le plafond menaçait de s'effondrer. Lorsque les poutres commencèrent à s'effondrer sur eux, elle le tira sans la moindre tendresse pour l'empêcher de finir enseveli sous des tonnes de gravats. Lorsqu'ils furent à l'abri – enfin abri... tout était relatif – il retira violemment sa main et leva les yeux au ciel.

« Fais un peu marcher des deux ou trois neurones de greluche, Isobel... Si je force cette porte, c'est tout le reste de l'édifice qui nous tombe dessus. Alors sois gentille, boucle-la et cherche une autre issue. »

Il sorti son téléphone de sa poche, tenta d'établir une liaison avec l'extérieur, mais il fallait bien se rendre à l'évidence : Avec autant de béton au dessus de la tête, les ondes téléphoniques ne risquaient pas de se frayer un chemin jusqu'à eux. Agacé, en colère et loin d'être ravi de se retrouver en compagnie d'une garce, Rafael commença à faire le tour du vieil appartement dans lequel ils étaient tombés. La peinture aux murs s'écaillait, quelques morceaux de papier peint subsistaient difficilement, et une désagréable odeur de moisi et de poussière imprégnait l'air. Il pénétra dans la pièce suivante, apparemment un salon. Un vieux canapé défoncé avait résisté aux années, là où la table à manger ne tenait plus que par miracle sur trois pieds. Sur un mur trônait un hideux tableau couvert de poussière et de suie. On pouvait y voir une enfant, jetant à ses parents un regard empli de dévotion tandis que brûlait dans les yeux du père la flamme évidente du mépris. Famille unie, famille heureuse, disait-on ? Qu'importe. Le chasseur poursuivi des recherches, s'approchant d'une cheminée noircie de fumée. Il s'accroupit devant, sentant un appel d'air lui caresser le visage. Il y avait peut-être une sortie possible par ici, mais s'ils commençaient à grimper dans les étages et de retrouvaient coincés au milieu, ils n'auraient plus qu'à faire leur testament et se retenir de ne pas s'étriper. Autant chercher autre chose. Il était en train d'inspecter la cuisine, quand un grand bruit du côté de la salle à manger l'interpella. Aussitôt, Rafael fit demi-tour pour rejoindre Isobel.

« Pour l'amour du ciel, mais qu'est ce que tu fous ? Tu as oublié qu'un dégénéré se promenait toujours librement dans l'immeuble et... Qu'est ce que tu as ? »

Passé l'instant d'agacement, il avait remarqué que quelque chose n'allait pas dans le comportement d'Isobel... Elle semblait bien trop nerveuse pour que ce soit normal.

Bien entendu que Rafael ne serait pas ravi de s’être fait secourir par une vile femelle. Cet homme était la pire immondice qui soit, à se demander comment son mariage pouvait encore tenir et en toute franchise, Isobel se demandait s’il y avait un jour eu de l’amour entre sa femme et lui. Insupportable comme il était... À sa place, elle lui aurait déjà fait manger sa bague de fiançailles et son alliance, le tout accompagné d’une dose d’arsenic, peut-être. Elle aurait sans doute trouvé quelque chose de bien plus créatif. Les préméditations de meurtres, c’était très récréatifs mais, ça ne l’aiderait pas pour l’instant. En plus, tuer un collègue hunter ne serait probablement pas très bien vu.
Lorsqu’il dégagea sa main, elle leva les yeux au ciel. Ce type serait capable de s’étouffer s’il devait se montrer reconnaissant. Elle était loin la discussion civile qu’ils avaient eue il y a quelques temps. Depuis, l’animosité avait eu le temps de reprendre sa place. C’était une constante avec laquelle elle pouvait vivre. Rafael pouvait bien avoir tout le charme du monde, dès qu’il ouvrait la bouche, c’en était fini, les sentiments exécrables qu’il lui inspirait revenaient à la surface. Rien que le trouver agréable à regarder la rendait malade...

Face à la remarque de Rafael, Isobel crut un moment que ses élucubrations meurtrières allaient voir le jour. Sa main l’avait démangé plus que d’habitude et la gifle avait bien failli partir. Elle avait serré son arme au point d’en faire blanchir ses phalanges. Même la gâchette l’avait démangée bon sang ! Cet homme avait l’art de pousser sa haine si haut que c’en était presque dévorant et surtout, c’était mauvais pour les nerfs.
Rageuse et sans un mot sous peine de définitivement vouloir lui coller le canon de son arme sur le cœur et tirer, elle la boucla. Si l’envie lui en prenait, aucun ange gardien ne pourrait sauver la misérable vie de Rafael. Pas la peine de lui faire remarquer qu’elle commençait lentement mais sûrement à paniquer. Depuis toujours, Isobel s’arrangeait pour ne pas se retrouver dans des espaces confinés dont elle ne pouvait sortir avec facilité. Là, elle était coincée. Pas d’issue s’il ne défonçait pas cette fichue porte.
Des issues, elle en chercha. Malheureusement, les fenêtres possédaient des barreaux et étaient coincées depuis longtemps et les portes ne menaient qu’à d’autres pièces. De rage, elle shoota dans un des pieds de la table qui jusque là tenait par miracle.

- « Pour l’amour du ciel... Comme tu dis... La ferme ! Je me fous de ce foutu dégénéré, il doit être loin à l’heure qu’il est et crois-moi bien que je vais le retrouver et le descendre ! Je vais même prendre mon temps avec celui-là, il ne paie rien pour attendre, quelle que soit sa tare génétique ! »

Elle était presque hystérique et respirait difficilement. Elle faisait tout bêtement une crise de panique et elle détestait ça. En arriver là devant cet abruti mettait ses capacités de rétablissement et de contrôle à mal. Lui et son penchant quasiment pathologique à chercher n’importe quel moyen de la rabaisser, en voilà un qui lui était servi sur un plateau.

Rafael cherchait depuis quelques minutes déjà le meilleur adjectif pour définir l'immonde garce frustrée qui arpentait la pièce d'à côté. Un nombre incalculable de noms d'oiseaux lui venait, au sens propre du terme. Pintade, grosse dinde, volatile décérébré, voire la moitié d'un potager, à commencer par une courge... Décidément, il ne manquait pas de vocabulaire pour la définir. Mais un adjectif, suffisamment précis et cinglant... Il se dégageait d'elle un certain charme, il fallait bien l'avouer, une sorte d'attirance pour l'interdit, quelque part. Entre la flamme de ses convictions qui brillait dans ses yeux sombres et sa verve passionnée, elle forçait le respect. Seulement, l'agacement que suscitait son comportement chez Rafael était tel qu'il transcendait largement tout le reste. A croire qu'il avait un penchant pour les femmes à la langue un peu trop pendue, car Isabela ne se privait jamais de lui faire une remarque. Malgré tout ce qu'il pouvait dire ou penser, Isobel était ravissante dans sa robe de soirée, il aurait été bien malhonnête de le nier...

Mais rien de tout ça ne justifiait qu'ils se retrouvent tous les deux coincés dans un appartement en ruine, empestant la moisissure et à la décoration douteuse. Il n'y avait franchement pas de quoi s'éprendre pour l'immonde papier peint décoloré, et encore moins de tomber en pâmoison devant cette toile hideuse qui donnait à Rafael l'envie d'y mettre le feu. Lorsqu'il revint précipitamment vers le salon où Isobel s'amusait à shooter dans les pieds de table, il comprit immédiatement que quelque chose n'allait pas. Elle qui était d'habitude si sereine, posée, assénant ses remarques acides avec un calme olympien, semblait totalement perdre ses moyens. Était-ce le fait de s'être fait avoir par un mutant ? Ça ne devait pourtant pas être la première fois. Rafael se mordit la joue pour contenir la remarque cinglante qui lui brûlait la langue et se contenta de plisser les yeux en l'observant.

Elle paniquait, voilà ce qu'il se passait. Elle gesticulait et faisait les cent pas, à tel point qu'on aurait presque pu la croire en train d'exécuter une danse pour un culte sans queue ni tête. Alors Rafael soupira et s'approcha doucement, chassant tout animosité dans son attitude. Quitte à devoir avoir la chasseuse sur le dos, il préférait encore qu'elle soit calme. Il lui saisit doucement la main et tourna son visage vers lui. Pas de moquerie ni de pitié mièvre et sirupeuse dans le regard, rien que du sérieux.

« Calme-toi... On va sortir d'ici, attraper le dégénéré et lui faire la peau... Avec un peu de chance il s'est pris la moitié du plafond sur la tête et nous aura facilité la tâche... Je ne sais pas pourquoi tu paniques autant, mais si tu continues à hyperventiler comme ça, tu vas tourner de l’œil. »

Sous ses doigts, il sentait le pouls rapide et irrégulier de la jeune femme. Et il commençait à faire le lien entre tous ces événements. Qui donc paniquerait en se retrouvant ainsi enfermé dans une petite pièce sans issue apparente ? Un claustrophobe. Et s'il voulu lui demander confirmation, il s'abstint au dernier moment, préférant éviter de se prendre une claque ou un coup de genou dans les parties intimes. C'était bien sa veine, tiens... Tomber sur une phobique des espaces clos...

« J'ai inspecté la salle à manger et la cuisine, il n'y a pas d'issue. Et de ton côté ? »

Ça lui coûtait, à cet immonde misogyne sans pitié, d'être aussi courtois... Mais s'il commençait à trop l'emmerder, elle s'énerverait encore plus... Et ils en viendraient aux mains. Pas que ça le dérange, le Rafael, au fond.

« Et par pitié, baisse d'un ton. Ou égosille-toi encore plus, ça fera peut-être venir quelqu'un...»

Raté. Il lui lâcha la main et repartit inspecter l'appartement avant de cracher les quelques mots acides qui le démangeaient.

Une crise de claustrophobie maintenant n’était pas tout à fait la chose que laquelle comptait Isobel. Ses faiblesses, elle les cachait précieusement, tout comme ses sentiments. Tout ça n’avait rien à faire exposé aux yeux de tous et surtout pas face à ceux d’un homme qui à une époque aurait volontiers pratiqué la chasse aux sorcières juste pour offrir une femme aux flammes. Sa misogynie lui sautait à chaque fois au visage tant elle était frappante. C’était vraiment à se demander comment son épouse avait pu supporter tout acte charnel quels qu’il soit. Sans respect, pas d’amour. Quoi que... on pouvait s’étonner de tout. Admettre qu’elle le trouvait sensuel en pleine chasse ? Et puis quoi encore... Elle préférait encore demander une danse à la Mort elle-même.

Passer ses nerfs sur une pauvre table n’étai pas très professionnel mais, elle emmerdait le professionnalisme pour le moment. Tout ce qu’elle voulait, c’était sortir de là au plus vite. Tout, même regarder les couples se former à une fête ridicule plutôt qu’être là, avec cet homme qui aurait vouait un véritable culte à sa masculinité mal placée.
Lorsqu’il s’approcha et lui saisit les mains, elle fut presque tentée de lui en retourner une mais, elle se força à respirer un moment. Il était presque agréable, gentil, voilà qui changeait. Il cachait quelque chose, c’était une certitude. Rafael n’était pas aimable sans raison. Il avait presque du charme comme ça, presque. Seigneur qu’elle avait envie de le gifler juste pour éviter d’avoir des pensées pareilles.

- « J’espère qu’il est vivant que je puisse lui exprimer toute mon affection. »

Les dents serrées, elle essayait tant bien que mal de reprendre le contrôle, elle n’en était pas plus gentille, pas plus douce ou agréable, loin de là. Cependant, elle n’avait aucune envie de tourner de l’œil comme le disait Rafael. En tout cas, ce dégénéré, elle lui ferait la peau avec un certain plaisir. La mettre dans une position pareille... sérieusement.

- « Rien non plus. Il y a des barreaux aux fenêtres et pas de fenêtre dans la salle de bain. »

Elle n’avait pas encore inspecté ce qui avait pu être une chambre ou un bureau mais, elle n’espérait rien de ce côté-là. Pour s’occuper l’esprit, elle se mit à jouer avec sa bague, une simple bague en argent. Elle y avait fait graver la date où elle s’était débarrassée de son dégénéré de mari pour ne jamais être tentée d’oublier. Ce mariage avait été un mensonge, une trahison de bout-en-bout. Plus jamais.
Soudain, elle vit rouge quand il prononça la phrase de trop. Ça faisait déjà bien longtemps qu’elle avait envie de lui remettre les idées en place et c’était pile le moment. Pour ne rien gâcher, ça lui permettrait très certainement de se calmer. Un bonus non négligeable.

- « Rafael... »

Sans se ménager, elle le gifla avec force. Ah ça, ça allait laisser une marque quelques minutes, sans aucun doute. Elle avait bien tendu la main pour lui faire passer l’envie.

- « Vas donc te faire foutre. »

Ne pas frapper Isobel, ne pas frapper Isobel... Bon sang qu'il avait envie de lui sauter à la gorge pour lui arracher les cordes vocales et la faire taire ! Quelle immonde garce ! Et pourquoi se mettre à ce point dans cet état pour une femme qu'il méprisait ? Peut-être qu'au fond elle ne le laissait pas si indifférent que ça... L'idée le fit frissonner de dégoût. Rafael n'était pas un ange, c'était le moins que l'on puisse dire, et il ne comptait pas épargner Isobel. Ce n'est pas parce qu'ils se retrouvaient coincés dans un vieil immeuble qu'il avait faire preuve de calme et de respect. Il avait presque de l'admiration pour la capacité d'Isobel à survivre au ridicule... Car elle était franchement pitoyable, à paniquer ainsi pour quelques gravats et de la poussière. Paniquait-il, lui ? Non. Il était simplement d'une humeur de chien et n'attendait qu'une chose : Qu'ils puissent sortir d'ici pour fausser compagnie à la chasseuse. Il se pinça l'arrête du nez en soupirant, murmurant avec ferveur quelques paroles susceptibles de le calmer.

« Pour le moment, on s'en fiche qu'il soit vivant ou non... Bouge-moi tes miches et continues à chercher, tu veux ? »

Il allait retourner fouiller ce qui semblait être une chambre à coucher quand elle l'interpella. Il se retourne, et son « quoi encore » se perdit en un grognement lorsqu'elle lui asséna une gifle monumentale. Stupéfait, il porta la main à sa joue brûlante et mis quelques secondes à réaliser... Elle venait de le gifler. Sans sommation, sans rien. La tendresse et la sensualité d'Isobel à l'état pur ! Le chasseur vit rouge et saisit la jeune femme à la gorge pour la plaquer contre le mur le plus proche. La flamme de la haine brillait dans ses yeux, tandis que son cœur s'emballait sous l'effet de la colère.

« Refais ça une fois... Ose encore lever la main sur moi et je te jure que ta petite crise de claustrophobie sera le cadet de tes soucis... Si je t'enterre sous les gravats, tu continueras à pleurer, peut-être ? »

Elle le mettait hors de lui... Il avait envie d'encastrer son visage dans le mur... Et puis cette façon qu'elle avait de le regarder avec haine, de soutenir son regard sans ciller, cette ride au coin de ses lèvres trahissant son amusement... Le charme d'Isobel opérait sur Rafael alors qu'il aurait préféré cent fois s'enticher de n'importe quelle autre greluche. Elle le rendait vraiment dingue ! Chaque fois qu'il la croisait, il était partagé entre l'envie de lui faire la peau et celle de tenter d'être courtois pour une fois. Avec Isabela, il n'avait jamais eu besoin de se comporter ainsi. Leur mariage avait été arrangé, et s'il y avait eu, les premières années, une confiance et une affection mutuelles, elles n'avaient pas duré longtemps. Isabela en avait toujours aimé un autre, et Rafael... N'avait jamais aimé personne, ce qui était probablement la base du problème. Rongé par la haine et la rancoeur, c'était difficile d'imaginer de l'amour ou de la dévotion chez cet homme. Pétri d'orgueil, de colère et de violence, il ne laissait finalement aucune place pour le reste. Et Isobel venait malmener ses sentiments bien rangés, réveillant chez lui un agacement et une frustration tous particuliers, et lui donnant à la fois... L'envie de la claquer et de l'embrasser.

Seulement ça, il n'avait pas fait que le penser. Dans un élan de folie, sa main se glissa derrière la nuque de la jeune femme, et ses lèvres se lièrent aux siennes dans un ballet aussi violent que sensuel. Lorsqu'il recula précipitamment, il était à bout de souffle, se demandant s'il avait rêvé ou s'il avait... Réellement embrassé Isobel. Et si par dessus le marché il avait apprécié cela.

« O... Ok... Continuons à chercher une sortie. »

Détourner le regard pour ne pas recommencer, aller voir ailleurs pour ne pas affronter les réflexions cinglantes d'Isobel... En venant se mêler aux gros portefeuilles de Radcliff ce soir-là, il n'avait pas prévenu de se retrouver enfermé avec elle... Et encore moins de l'embrasser.

Isobel rêvait d’une chose, une seule pour le moment, sortir de là et pouvoir se débarrasser de la présence pesante de Rafael. Sa phobie était irrationnelle, elle n’y pouvait rien et ça n’était certainement pas en tournant en rond à la recherche d’une sortie inexistante que ça allait s’arranger. Elle avait le sentiment qu’elle allait finir coincée dans ce trou à rat poussiéreux avec pour seul compagnie cet imbécile rétrograde, quelle chance. Elle ne pouvait pas ne pas le gifler, ne pas lui remettre les idées en place. Pas de respect entre eux mais, il allait quand même apprendre qu’il y avait des limites à ce qu’elle admettait ou non. Si c’était une partenaire de chasse qui tombait en admiration devant lui, c’était raté, il n’aurait jamais cette satisfaction.
Même coincée contre le mur avec sa main sur la gorge, elle ne pouvait s’empêcher de sourire et de se payer ouvertement sa tête. On était loin, très loin des conversations polies et guindées de Kingsley, aucun doute. Lui au moins avait du charme et savait s’y prendre. Il avait été le seul capable de l’entraîner dans une danse depuis des années. C’était largement significatif. Rafael était tout juste bon à servir de défouloir.

- « Je recommencerai, tu peux en être certain. Ne te plains pas, j’aurais pu te taser et crois-moi, ce n’est pas l’envie qui m’en manque. Surveille tes charmants arrières. »

Mince, elle n’avait eu aucune envie de dire une chose pareille mais, c’était trop tard. Reconnaître qu’elle avait fini par avoir le béguin pour un abruti pareil ? Hors de question. Ce n’était même pas ça d’ailleurs, au mieux une attirance malsaine pour un défouloir potentiel. Rafael était le genre d’homme que l’on préférait pour sa plastique, pas pour sa conversation et puisque tout ce qui pouvait s’apparenter à une relation physique était banni de sa vie, elle pouvait savourer avec les yeux tout en passant ses nerfs. Isobel n’était pas un ange non plus, tout comme lui mais, souiller -même un connard pareil- n’était pas ce qu’elle souhaitait à son pire ennemi. Lui comme elle avait certainement oublié depuis longtemps ce qu’était l’amour, ils n’avaient pas le profil. De plus, la haine se maîtrisait beaucoup mieux.
L’espace d’un court instant pourtant, elle fut prise au dépourvu par la caresse violente des lèvres de Rafael sur les siennes, par ce baiser inattendu mais agréable. Aucune tendresse mais beaucoup de passion. Seigneur qu’elle détestait cet homme alors que ses mains glissaient dans son dos avant de le repousser alors qu’il s’éloignait. Rageuse qu’il ait le dernier mot, une nouvelle gifle s’abattit sur sa joue alors qu’elle le ramenait à elle pour un autre baiser. Il ne s’en tirerait pas comme ça. Elle ne le laisserait pas... vainqueur. Ce ne fut qu’en réalisant ce qu’elle venait réellement de faire et de penser qu’elle recula encore.

- « Une sortie. Oui. Bien. »

Bon sang, qu’est-ce qu’il lui prenait ? Elle lui ferait un câlin bientôt ? Il ne manquait plus que ça... une attirance attractive pour l’homme qu’elle détestait le plus dans cette ville, marié qui plus est, et misogyne notoire. Quelque chose ne tournait vraiment pas rond chez elle.

Rafael n'était pas le genre d'homme à s'embarrasser avec des discours sur l'amour, les sentiments, la sublimation de la séduction et autres conneries dans le genre. A ses yeux, le romantisme c'était fait pour les fillettes ou les imbéciles. Qu'est ce qu'il en avait à foutre que sa femme n'ait pas un joli bouquet de roses le vendredi soir ? Est ce que ça le gênait de ne pas l'emmener en week end romantique ou de passer l'après midi en cuisine pour la satisfaire ? Non. Absolument pas. Il avait bien mieux à faire, et sa haine le rongeait trop pour qu'il puisse un seul instant faire parler son cœur. S'il avait été amoureux d'Isabela, peut-être aurait-il agit autrement... Peut-être aussi été un époux convenable à défaut d'être parfait. Mais avec des si et des peut-être, Rafael aurait été quelqu'un de poli et convenable, ce qui n'était pas le cas.

Au lieu de cela, il se retrouvait coincé dans un appartement avec la reine des garces et l'envie irrésistible d'assouvir sur elle sa passion pour le plombage de cervelle. Seulement, il n'avait pas prévu de l'embrasser. Et encore moins d'aimer cela au point de vouloir recommencer. Ils n'avaient pas besoin de sensualité ou de douceur entre eux, c'était la passion et la violence qui parlaient. Définitivement, même leurs baisers avaient quelque chose de sauvage, aux antipodes de la sensualité que l'on pouvait trouver chez bien d'autres couples. Il ne fut finalement pas étonné de recevoir une seconde gifle, concédant presque à Isobel que celle-ci était méritée. Elle aurait pu lui remettre les idées en place si la jeune femme ne l'avait pas attiré à elle pour l'embrasser. Loin de la repousser, Rafael posa instinctivement ses mains sur les hanches de la chasseuse en répondant avec la même dévotion à ce baiser. Qu'est ce qu'il foutait, bon sang ? Comment pouvait-il avoir à ce point envie de faire de sa cervelle un tas de lambeaux tout en résistant à la tentation furieuse de... Non. Ne pas songer à cela.

Isobel semblait tout aussi perturbée que lui, se rabattant sur l'idée salvatrice d'une sortie qui pourrait leur permettre de briser définitivement le malaise qui s'était installé entre eux. Dans un silence religieux et presque gênant, tous deux continuèrent de chercher une sortie, fouillant la dernière pièce qu'il leur restait... La chambre à coucher. C'était une blague. Un vaste gag ou simplement un mauvais rêve. Si Cupidon pensait pouvoir œuvrer avec eux et en faire un couple heureux et équilibré, il s'était trompé d'endroit. Une chose était certaine : Ces baisers échangés avaient au moins eu le mérite de les calmer... Mais pour combien de temps ? Mécaniquement, Rafael inspecta la chambre, les conduits d'aération, la fenêtre condamnée...

« Et puis merde... »

Quitte à finir asphyxiés et enterrés sous des tonnes de gravas, autant ne rien regretter. Il pris la main d'Isobel, joignant ses doigts aux siens, et l'attira à lui pour l'embrasser à nouveau. Sans précipitation, cette fois, presque avec tendresse. Il la poussa doucement contre la commode derrière elle, tentant de chasser cette petite voix dans sa tête qui lui répétait qu'il était en train de faire une grosse boulette. Rompant le charme qui les unissait, il fixa un moment Isobel.

« On est bien d'accord que tu ne t'attends pas à ce que je te dise « je t'aime » et t'offre des roses ? »

Il était très sérieux. Il ne s'attendait pas à ça de la part d'Isobel mais préférait en avoir le cœur net. Ce qu'ils étaient en train de faire n'avait aucun sens. Ce qu'ils en concluraient non plus.

Pourquoi avait-il fallu que Rafael l’embrasse ? Pourquoi avait-il fallu qu’elle veuille encore avoir le dernier mot ou plutôt, le dessus encore une fois ? Il pouvait très bien se passer de tout ça, de lui aussi d’ailleurs. Elle avait tout intérêt à calmer ses ardeurs sinon tout ça allait mal finir. Certes, il n’y avait plus eu personne dans sa vie depuis qu’elle avait mis fin elle-même à son mariage. Pas de liaison, pas de sexe, rien. Elle avait préféré se laisser ronger par la haine et surtout choisi de ne plus se laisser approcher ni toucher par personne. Voilà que cet abruti venait foutre le bordel dans sa vie si bien organisée et rangée. Heureusement, qu’il n’y avait aucun sentiment positif entre eux, pas même de la tendresse ou elle aurait probablement plus mal réagi que ça. L’idée de trouver une sortie devenait soudain vitale et urgente, il fallait qu’elle sorte de là avant de faire une autre connerie plus grosse qu’elle.
De voir que la dernière pièce avait été ne chambre à coucher l’avait fait jurer intérieurement. Quelqu’un là-haut se foutait vraiment d’elle. Dieu en personne avait-il décidé de la punir pour cet écart atroce et sans importance ? Il semblerait. Elle eut à peine le temps de réagir et de comprendre quand à nouveau, les lèvres de Rafael s’écrasèrent sur les siennes, plus doucement. Pendant combien de temps allaient-ils encore se comporter comme des adolescents, à échanger des baisers empressés ? S’il se lançait dans une parade de séduction, elle lui collerait une balle dans le crâne et repeindrait les murs avec. Tant pis pour les problèmes qui en résulteraient. Elle prétendrait qu’un dégénéré avait fait ça et on en parlait plus.

Très inconfortablement collée à la commode avec une poignée dans le dos, Isobel le regarda se détacher, des éclairs dans les yeux. Le tout était de savoir si elle voulait le tuer ou bien... ou bien lui sauter dessus. Mais bon sang ! Ce n’était pas possible une chose pareille. Elle ne supportait plus ça depuis. Pourquoi lui ? Elle ricana, moqueuse, presque acide. Elle le détestait pour la ramener sur ces chemins-là, pour rallumer une flamme qu’elle pensait avoir éteinte pour de bon.

- « Si tu me crois sincèrement capable de t’aimer, c’est que tu as un grave problème et que tu ferais mieux de consulter. Les déclarations ridicules et mielleuses des numéros payants qu’affectionnent les adolescents du style : « Ton père est un voleur, il a pris toutes les étoiles du ciel pour les mettre dans tes yeux. », tu peux t’asseoir dessus. Offre-moi des roses et j’te les fais manger. Je ne te respecte pas, je ne t’aime pas, je ne t’apprécie même pas un peu. Je n’ai aucune affection pour toi. C’est assez clair pour toi comme deal ? »

Elle attrapa les pans de sa chemise, glissa ses mains entre les boutons et tira d’un coup sec en souriant. S’il croyait s’en sortir avec une tenue digne de ce nom, il se trompait. Autant en profiter pour les mettre à égalité. Les boutons de la chemise finirent au sol. Elle pouvait éventuellement accepter qu’ils deviennent des amants d’un soir mais uniquement parce que ça ne pouvait jamais devenir plus qu’un moyen d’assouvir une envie passagère.

Dire que Rafael et Isobel ne s'entendaient pas était un doux euphémisme. Ils ne manquaient pas une occasion de rabaisser l'autre avec des termes aussi affectueux que garce ou connard. Ils étaient finalement faire pour tout, sauf pour s'enticher l'un de l'autre. Et pourtant... C'était à croire qu'un vent de passion leur avait ébouriffé la tête, pour qu'ils en viennent à s'embrasser. Chercher une sortie aurait été plus urgent, joindre l'extérieur aussi... Trouver un moyen de survivre et d'économiser l'oxygène qui finirait tôt ou tard par le manquer, également. Rafael avait le sentiment qu'ils auraient dû s'arrêter, que deux baisers échangés étaient largement suffisants pour eux... En effet, il aurait dû. Il n'était pas du genre à aller chanter une sérénade à sa belle pour la séduire, seulement c'était là tout le paradoxe de la chose : Ni lui, ni Isobel n'avait cherché à attirer l'autre, ça s'était simplement fait comme ça, entre deux brimades... Rien de tout ceci n'était logique.

Et maintenant qu'il la regardait, elle le dos contre la commode, il lui trouvait un charme qu'il n'aurait jamais soupçonné auparavant. Loin de lui l'idée de lui faire une déclaration d'amour enflammée, mais il pouvait bien reconnaître qu'elle n'était peut-être pas la sorcière qu'il avait en tête dès qu'on lui demandait de la décrire. Ce qui tombait plutôt bien, car on ne le lui demandait jamais. Un sourire moqueur se dessina sur ses lèvres.

« En réalité, je ne te crois pas capable d'aimer qui que ce soit... Il ne manquerait plus que je sois le seul privilégié à bénéficier de ton mépris... Puisque nous n'avons aucun respect l'un pour l'autre, autant faire ça dans l'irrespect le plus total, qu'est ce que tu en dis ? »

Il ne lui offrirait pas de roses, alors... Déjà parce que ce n'était pas son genre de faire ça – à moins de vouloir lui crever les yeux avec les épines – mais surtout parce qu'il n'avait pas du tout envie qu'elle les lui fasse bouffer. Lorsqu'elle attrapa sa chemise, il ne broncha pas, soutenant son regard avec une certaine désinvolture. Il l'aimait bien, cette chemise... Mais il ne grimaça pas pour autant lorsque les boutons tombèrent un à un au sol.

« C'est assez clair... Tu n'as même pas la patience d'enlever les boutons un à un... »

Alors, d'un geste tout aussi sec, il fit glisser la fermeture de la robe d'Isobel dans son dos. Puis, d'une geste étrangement plus doux, il fit remonter ses doigts le long des bras de la jeune femme, jusqu'à les glisser sous les bretelles de sa robe. Faire durer l'attente, alimenter une certaine forme de sensualité sauvage entre eux, pour mieux retarder le moment où ils ne pourraient plus reculer... Le point de non retour. Tout en faisant glisser la robe d'Isobel sur ses épaules avec une lenteur exagérée, il se pencha à nouveau pour l'embrasser, ne résistant pas une seconde de plus à ce fruit défendu qui passait plus de temps à cracher des horreurs qu'à susurrer des mots d'amour. Quelque part, il y avait quelque chose de rassurant dans le fait qu'aucun sentiment amoureux ne naîtrait de cette liaison... Pour faire fondre un cœur de glace comme le leur, il fallait plus qu'une nuit de batifolage, de toute manière.

Restait à savoir qui mènerait la danse, maintenant... Faisant glisser ses mains sur les hanches d'Isobel, Rafael l'attira vers les vestiges de ce qui semblait avoir été un lit autrefois. Ça ferait bien l'affaire, on pouvait difficilement imaginer quelque chose de moins romantique que leur histoire. Sans plus de cérémonie, le chasseur poussa son amante sur le lit, se fichant bien de savoir si le fait de se retrouver en dessous la gênait ou pas...

Le besoin impérieux de mettre une énorme paire de claques à Rafael était tentant, atrocement tentant. Presqu’autant que de l’insulter de tout un tas de noms d’oiseaux -très affectueusement. Pauvres bêtes, elles ne méritaient pas d’être comparées à ça. Isobel avait plus de respect pour un rat volant -oui, les pigeons- que cet homme-là, c’était significatif de leur niveau d’entente mais aussi, de leur niveau d’aveuglement et d’imbécillité actuel.
Ils pouvaient bien prétendre qu’il n’y avait pas de sentiments, s’acharner à dire que l’autre n’avait aucun charme, la passion leur dévorait quand même les entrailles au point de les réduire à agir comme ils le faisaient. Il était clair qu’Isobel serait mortifiée plus tard mais, en attendant... il arrivait ce qui arrivait.

- « Au moins, nous sommes d’accord là-dessus puisque je suis persuadée que tu n’as pas plus de cœur que de cervelle. »

Quand à son irrespect, il pouvait se le mettre où elle pensait. Il pouvait d’ailleurs rejoindre les boutons de sa chemise sur le plancher. Aussi poussiéreux que sa vision des femmes. Au moins Rafael était-il dans son élément au milieu des antiquités ravagées pas le temps qui traînaient dans ce taudis.

- « Tu ne pensais tout de même pas que j’allais t’accorder le luxe d’un déshabillage en règle ? Tu deviens ridicule. Ça, c’est ce qui se passe au sein d’un couple normal et nous n’avons et n’aurons jamais ce genre de liaison. Merci bien. »

Un petit recadrage n’était visiblement pas inutile et elle était ravie de lui remettre les idées en place. Encore une fois. Elle aurait pu le faire de façon bien plus musclée mais, pour l’instant, elle était bien forcée d’admettre qu’il était capable de trouver l’ouverture d’une robe sans un plan ou des coordonnées GPS, surprenant. Perdue, elle l’était mais, plus dans ses pensées acerbes, malheureusement. Qui aurait cru qu’un immonde misogyne dans son genre était capable de ça... de cette forme de douceur, de gestion de l’attente. C’est un regard où brûlait une autre flamme que la rage qui se posa sur lui, pour l’instant du moins. Un regard qui s’égara dans les ténèbres alors que ses mains s’étaient égarées, se promenant, prodiguant des caresses aux grès de leurs explorations. D’humeur participative sans être conciliante, elle s’autorisa à lui mâcher un peu le travail en enroulant ses jambes autour de sa taille, semant ses chaussures en chemin mais pas leur holster. Garder une arme à portée de main n’était peut-être pas tout à fait une mauvaise idée. Cependant, de sa ceinture, il n’avait plus besoin, pas plus que de garder un pantalon fermé.
Si l’amour s’était considérablement planté en faisant des plans pour les deux chasseurs, il fallait au moins leur reconnaître une chose, ils étaient passés maîtres dans l’art de se frustrer eux-mêmes pour en arriver à un point où leur agacement, leur colère, les avaient poussé à se lancer dans une danse érotique pour se découvrir bibliquement. Ridicule et risible. Aucun doute n’était plus permis, ils avaient craqués.

Il était toujours partagé entre l'envie de la laisser se débrouiller avec cette peur panique qui l'avait saisie un peu plus tôt et celle... Bien plus censurable sur laquelle il préférait se pencher. C'était tout de même paradoxal de voir un tel couple à l'oeuvre, quand on connaissait l'animosité qui les animait la plupart du temps. Des sentiments à son égard, il n'en avait finalement que des mauvais... Et pourtant, Rafael avait autant cédé à la tentation qu'elle. Quelque part, une petite voix dans sa tête avait tiré la sonnette d'alarme, lui rappelant que ce qu'il faisait était ridicule et qu'il le regretterait le lendemain... Tout cela était purement impulsif, guidé par une passion presque ridicule... Rien de tout ceci ne serait arrivé s'ils ne s'étaient pas retrouvés coincés dans cet appartement insalubre.

« C'est ça... Traite-moi donc de sans coeur et d'idiot... En attentant, ça n'a pas l'air de te déplaire... »

Oh bien sûr, Rafael aurait voulu pouvoir dire qu'il était insensible au charme d'Isobel, qu'elle le laissait profondément indifférent et qu'il aurait été capable de la laisser en plan comme ça... Seulement, se mentir à lui-même c'était peut-être un peu trop. Les doigts courant sur l'épiderme nu de la jeune femme, il faisait preuve d'une douceur qu'il pensait disparue depuis des années. Il haussa les sourcils lorsqu'elle appuya le fait qu'ils n'avaient rien d'un couple normal... Ca, c'était une certitude, une assurance, ils n'auraient jamais rien d'un couple ordinaire... Tout au plus seraient-ils amants d'un soir ou entretiendraient-ils une liaison purement charnelle...

« Tu parles trop, Isobel... »

Il avait résisté à la tentation de l'appeler par son nom, comme il le faisait d'habitude, peut-être pour marquer la teneur exceptionnelle de ce qu'ils étaient en train de faire... Ou peut-être parce que c'était étrange d'appeler par son nom la femme qu'il venait d'embrasser. Une chose était certaine, c'était un Cupidon alcoolisé et probablement aveugle, qui avait jeté son dévolu sur eux. Les jambes d'Isobel autour de la taille, il retira sa chemise avant de faire totalement glisser la robe de la jeune femme dans une caresse aussi brève qu'intense. Repoussant Isobel sur le lit sans cesser ses baisers et ses caresses, il entreprit de retirer ce qu'il leur restait de vêtements. Inutile de se voiler la fasse, ils n'en avaient plus besoin. Malgré la fraîcheur ambiante, l'atmosphère semblait s'être considérablement réchauffée et électrisée au contact des deux amants. C'était à croire que le froideur naturelle s'était sublimée en une flamme dévorante, et Rafael cessa pour de bon de réfléchir à ce qu'il était en train de faire. Isobel le rendait fou, il voyait ses humeurs partager entre la haine et l'envie, le dégoût et la sensualité... Il y avait quelque chose chez cette femme qu'il n'avait jamais vu chez les autres, et il aurait été bien incapable de nommer cela. Le peu de respect qu'il avait pour elle, il l'exprimait par des gestes enflammé empreint d'une tendresse plus que relative. Il avait depuis longtemps dépassé le stade des amourettes adolescentes et autres mièvreries, et il ne demandait pas son avis à Isobel quant à la marche à suivre. De toute manière, elle avait plutôt l'air de le suivre.

Le temps n'avait finalement plus d'emprise sur eux, et les choses s'accélérèrent dès lorsqu'ils ne furent plus que deux corps nus, unis l'un à l'autre dans la pénombre, oubliant leurs différents et leur haine mutuelle pour savourer pleinement le ballet érotique dans lequel ils s'étaient lancés. Qu'on le trouve ici, qu'on les sorte de cet appartement enseveli, pour l'heure ça n'avait plus la moindre importance. Tout ce que Rafael savait, c'est que jamais Isabela ne l'avait mis dans cet état, mais qu'il regretterait bien plus d'avoir cédé à la tentation quelques heures plus tard.

Si Isobel traitait Rafael de sans cœur ? Mais bien entendu qu’elle le faisait. Et surtout, elle le traitait à plus forte raison d’imbécile, voire pire encore. Elle avait été relativement gentille, ce qui voulait en dire assez long sur sa personne. Ça n’était pas parce qu’ils étaient en train de se laisser dévorer par cette chaleur ridicule qu’elle allait devenir plus aimable avec lui. Toute la douceur dont il pouvait faire preuve, toute l’attention ne changeait rien à leur relation. Et pourtant... pourtant Isobel frissonnait. Non, tout ça était loin de lui déplaire, très loin et elle s’en voudrait infiniment pour ça pour plusieurs raisons. Pour l’heure, elle était d’accord avec lui, c’était le moment de se taire et elle n’allait certainement pas le reconnaître.
Débarrassés de tout vêtement après que l’un et l’autre se soit occupé de ce problème, Isobel ne recula pas mais frissonna plus d’une fois. Elle avait oublié le plaisir d’être touchée et de toucher, celui de découvrir le corps de l’autre. C’était peut-être Rafael mais, ça ne l’empêchait pas de prendre beaucoup trop de plaisir. Elle n’aurait pourtant pas dû, habituellement dégoûtée de façon presque maladive par une telle proximité. Quelque chose ne tournait définitivement pas rond mais, elle ne s’en souciait pas, trop occupée à découvrir son amant improbable.
L’appétit qui était le leur à présent avait dépassé de loin leur haine respective alors que leur deux corps se mouvaient ensemble dans une symbiose presque trop parfaite. Tantôt doux, tantôt plus agressif quand l’un des deux ne pouvait s’empêcher de vouloir s’imposer, ils restaient eux-mêmes malgré tout. C’était presque rassurant les connaissant.

Malheureusement, ou heureusement, tout avait une fin, y compris ce moment qui n’aurait pas dû en avoir. Peau contre peau, son corps contre celui de Rafael, La respiration d’Isobel redevenait régulière, la chaleur qui l’avait consumée avait été emportée par ce moment et il ne restait désormais plus rien que le froid de cet appartement abandonné. Si froid était bien le mot qui convenait...
Comme brûlée soudainement par leur contact, elle se décala, se releva et se rhabilla. Elle rattacha ses cheveux avec une rapidité déconcertante avant de récupérer son arme. Pendant quelques secondes, elle resta immobile avant d’aller récupérer ses chaussures près de la commode, commode sur laquelle elle prit appui. Elle ricana.

- « Dire que je viens de te donner la parfaite raison de me détester... quelle ironie. » Elle s’alluma une cigarette et serra les dents avant de parler à nouveau. « Je suis désolée pour ce qui vient de se passer. Ça n’aurait jamais dû arriver. »

Pas d’ironie, pas de colère, si ce n’était envers elle-même. Elle avait céder, rompu une promesse qu’elle s’était faite quand elle avait découvert que son mari était un dégénéré. Aucun homme n’aurait à souffrir de pareilles souillures de sa part et pourtant, elle venait de le faire. Nom de Dieu, comment avait-il pu la toucher elle ?

- « Il faut qu’on sorte de là. »

Elle avait dit ça comme si c’était une absolue nécessité. Pas de panique cette fois, juste de la détermination. Que le dégénéré aille se faire voir, elle voulait juste rentrer chez elle, oublier ses multiples erreurs et cette soirée. Elle se haïssait d’avoir donné à Rafael de quoi la haïr véritablement, une vrai bonne raison... à ses yeux à elle du moins et ça n’était certainement pas le sexe.