We'll be raising our hands, shining up to the sky   

La plus jeune des Wolstenholme avait accepté la proposition de Sacha alors qu’elle sortait tout juste de l’avion. Une soirée feu de camp, pourquoi pas ? C’était exactement le genre de choses qu’elle aimait faire, et surtout, ça lui éviterait la sinistrose du retour au bercail, à cogiter dans sa chambre comme un dimanche en solitaire. Au lendemain des attentats ou presque, Aspen avait décidé de se faire la malle. Enfin, la malle, c’était vite dis, plutôt elle s’était octroyé quelques jours de vacances : le cabinet tournait au ralenti pendant les mois de l’été, et elle avait quelques congés à poser. Par chance, une de ses anciennes amies de fac l’avait contacté quelques semaines avant pour qu’elle vienne la voir en Californie, et plus précisément à San Diego, et la rouquine n’avait pas hésité plus d’une demi minute : elle avait l’argent pour, et surtout, un besoin impérieux de se barre de Radcliff quelques jours. Elle avait prévenu Calista, Lorcan et Rhaena, pour la forme, et s’était envolée pour cinq jours de mojito, de surf et de roller entre anciennes voisines de palier. Ruth était une magnifique métisse afro indienne diplômée elle aussi d’architecture, qui avait trouvé sa place dans un cabinet dont les locaux donnaient sur l’océan. Aspen et elle s’étaient liées rapidement d’amitié, notamment parce que les filles se comptaient sur les doigts de la main dans cette filière, et qu’elles devaient se serrer les coudes pour en faire baver aux garçons, plutôt que de se tirer dans les pattes. Leur complicité était restée intacte malgré le temps et la distance, et Ruth avait tout fait pour remettre la rouquine sur pieds, et surtout lui changer les idées. D’ailleurs, cette dernière avait mis son portable en silencieux, aussi, n’activant le son qu’en cas d’appel de son frère ou de sa sœur. Pour tous les autres, c’était silence radio. Ils pouvaient bien survivre cinq jours et cinq nuits sans elle.

La rouquine accusait le coup du jet lag, somnolant dans son taxi, quand elle avait reçu la proposition de Sacha : Sacha, c’était un de ces garçons qu’elle avait rencontré pendant que Sam, Lorcan et Noeh avaient décidé de l’effacer de leur vie respective. Leur premier contact s’était fait un peu par hasard, alors qu’elle profitait de sa pause déjeuner pour se dégourdir les jambes dans le parc : Elle avait vu un jeune homme prendre la moitié des arbres et des quelques fleurs encore robustes en photo, tentant de s’approcher tant bien que mal des cygnes qui barbotait dans le petit étang, et ça l’avait fait sourire. Plus tard, elle l’avait surpris en train de la prendre, elle, en photo, et lui avait demandé des comptes. A sa grande surprise, Sacha n’avait pas essayé de nier : il lui avait simplement dit que sa chevelure rendait magnifiquement bien dans le timide soleil de l’hiver, et qu’il aurait été dommage qu’il loupe ça. Aspen avait été flattée, la conversation avait été entamée, et plusieurs fois par la suite ils s’étaient retrouvés pour passer la pause déjeuner ensemble. Sacha était le genre de personnes qu’Aspen aimait fréquenter, joviale, volubile, et presque plus bavard qu’elle. En quelques semaines seulement, elle savait presque tout de lui. Pour le peu qu’il lui restait à découvrir, elle l’avait fait un soir peu après le nouvel an, mais ça, c’était une autre histoire …

Finalement, elle avait largué rapidement son sac de voyage dans sa chambre, pris une douche rapide, enfilé un short et une veste et était allée rejoindre Sacha qui l’attendait devant l’un de leurs bars favoris : il ne lui avait pas dit où il l’emmenait, mais elle était confiante : ce clown là avait toujours des idées géniales en matière de sortie, et elle ne doutait pas qu’il ait trouvé un super coin pour faire fondre des chamalows et leurs bonnes résolutions en matière de diététique. Une fois arrivés aux abords de la ferme abandonnée, Aspen sourit. Elle était déjà venue plusieurs fois, plus jeune, avec ses cousins ou avec les Callahan, à l’age où on aime s’amuser à se faire peur. Les lieux étaient soit disant hantés, et les gosses adoraient s’effrayer entre eux en tapant contre la taule rouillée ou en hululant comme des fantômes. La Aspen adulte ne craignait plus vraiment les esprits. Elle avait déjà suffisamment à faire avec les vivants.

- Hmmmmm Pas mal Pendleton, t’as amené ton aspirateur à fantôme façon Ghostbuster aussi ?

Calista l’avait traumatisé avec ce film étant petite, elle avait flippé pendant des mois dès que leur mère faisait le ménage dans la maison, persuadée que des esprits verdâtres viendraient lui vomir dessus. Elle posa son propre sac –bières, chocolat et bonbons gélatineux en stock-, puis repéra une sorte de rondin de bois qui serait parfait pour s’installer autour du feu. Il n’était certainement pas arrivé là par hasard : ils n’étaient pas les premiers à venir passer une soirée ici :

- Tu sais faire du feu, toi ? Tu m’avais caché cette étonnante capacité, pour quelqu’un qui n’a pas mis le nez dehors pendant des années…

Si elle se permettait de le taquiner comme ça, c’était parce que cette période là était largement révolue pour le jeune homme : à présent il était libre, libre de pouvoir aller là où il voulait, quand il le voulait, et elle était bien contente pour lui.

- Oh. Mon. Dieu oui, des hots dogs, plein de gras de saucissse, d’oignon et de moutarde. Ça fait une semaine que je mange soit cru, soit végétalien, soit organique. Les californiens sont des nazis de la nourriture, il me FAUT du gras …



   

acidbrain

   

We'll be raising our hands, shining up to the sky   

Ah, un briquet, elle se disait bien aussi que l’ancien petit garçon bulle ne pouvait pas avoir déjà appris à faire du feu avec deux cailloux et de la paille sèche. En même temps, le briquet c’était très bien, quand on en avait un, ça aurait été dommage de s’en priver juste pour se la péter un peu. Elle roula des yeux en entendant Sacha se moquer de son envie de malbouffe : Certes, elle faisait attention à ce qu’elle mangeait en général, mais avec un jumeau cuistot et une sœur adepte des plats à emporter, elle avait appris à tolérer un peu de gras et de sucre dans sa vie quand l’occasion s’y prêtait, ce qui était exactement le cas à l’instant même. Elle sortit toutes les affaires de leurs sacs pour tout étaler sur le keffieh pour aider le jeune homme, contemplant l’abondance de bouffe avec un sourire : à défaut, ils auraient de quoi éponger l’alcool qu’ils ingurgiteraient joyeusement. Parce qu’elle avait plus ou moins compris que c’était l’objectif de la soirée, et ça lui allait très bien.

- Vodka, quelle bonne idée. Par contre, interdit de conduire ce soir. Si on rentre, c’est à pied. Et d’abord, Bières. C’est de la brassée bio je sais pas quoi de Palo Alto. C’est très surfait, mais c’est bon quand même, santé !

Elle décapsula deux bières et en tendit une à son ami, buvant les premières gorgées avec un plaisir non feint : il fallait dire que ça la changeait quand même des smoothie citron concombre. Elle se lécha les commissures de lèvres pour ne pas en perdre une goutte, surveillant le feu du coin de l’œil pour ne pas prendre le risque qu’il s’éteigne, avant de répondre à la question de Sacha avec un sourire :

- Tu te doutes bien qu’j’suis déjà venue là, c’était un peu la tradition pendant l’automne de venir ici. Le bois de la ferme devient hyper humide en octobre du coup il a une odeur abominable de champignons et de moisissure, du coup les gosses disent que c’est l’antre d’un monstre, et que l’odeur vient des cadavres en décomposition de ses victimes. Le but du jeu à l’époque était d’entrée dans la ferme, d’attraper un truc à l’intérieur et d’en ressortir sans se faire manger.

Elle rebut une gorgée de bière en souriant à l’énoncé de ces souvenirs : à l’époque elle était une petite fille bravache, et elle était allée chercher un trophée dans la ferme abandonnée accompagnée de son frère. Ils s’étaient faits une sacrée frousse à l’époque, et en avaient parlé pendant des semaines, fiers comme des paons.

- Et puis après tu grandis et tu te rends compte que le seul monstre qu’il y a pu avoir dans cette ferme c’est un gros blaireau mâle qui vient hiberner à l’intérieur l’hiver et qui n’aime pas trop être dérangé. Et tu te rends compte que cette vieille baraque est vachement sympa, avec des potes, un feu, des bières et une guitare … T’as emmené ta guitare, j’espère ?

La question était plus rhétorique que sérieuse, elle imaginait mal Sacha sans un quelconque instrument pour faire de la musique. Ça tombait bien, parce qu’elle avait appris deux ou trois chansons en espagnol pendant ses petites vacances, et elle avait hate de les faire découvrir au grand brun. Elle attrapa les piques à brochette et les saucisses à hot dog pour faire chauffer les premiers sandwiches. C’était qu’il faisait faim, quand même :

- Et toi alors, t’as pas fait trop de bêtise pendant mon absence j’espère, tu t’es bien tenu ?



   

acidbrain

   

We'll be raising our hands, shining up to the sky   

Aspen prit une gorgée de bière, avant de tirer la langue devant la question moqueuse de Sacha. Evidemment qu’il devait avoir sa guitare, Sacha sans sa gratte, c’était … Pas vraiment Sacha ? Et puis il faisait tellement bon ce soir, il n’y aurait probablement pas un nuage pour gacher le ciel qui se remplirait d’étoiles dans quelques heures. En plus, elle savait d’expérience qu’ils étaient suffisamment loin de la civilisation pour que les lumières de la ville ne polluent pas la carte céleste. Avec un tout petit peu de chance, ils pourraient même voir quelques étoiles filantes, plutôt communes à cette période de l’année. Alors clairement, c’était une soirée à chanter autour du feu, ou alors aucune soirée ne l’était. Elle pouffa en entendant le jeune homme détailler sa dernière semaine de truand : une banque et des enfants, ben voyons. Elle était à peu près sure qu’il tournerait de l’œil dans une situation stressante, alors un hold up, c’était tout sauf crédible pour ce grand brun aux yeux de chaton. Elle attrapa un fruit pour le machonner avec un air goguenard avant de reprendre :

- Waaaaah je savais pas que je venais camper avec la réincarnation d’Al Capone… J’sais pas si je suis terrorisée ou excitée du coup.

Elle gloussa en lui donnant un coup de coude, puis posa la première brochette sur le brasier délicatement : les flammes étaient encore un peu hautes pour que tout cela cuise correctement, mais en même temps, ce n’était pas bien grave, ils ne faisaient pas le concours top chef des barbecues en forêt. Elle se passa la main sur sa nuque encore un peu raide de ses dernières heures passées dans son long courrier, reprit un peu de bière, puis haussa les épaules avec un sourire :

- T’as bien raison pour le mode none, faut profiter tant que tu es beau et jeune et plein de cheveux. Et à Radcliff, il n’y a pas eu trop de drames ça va ? Pas de meurtres ou de disparitions inquiétantes, ou horreurs du genre ?

Elle avait beau prendre un air détendu en posant la question, elle n’avait pas eu de réponse de Lorcan à la descente de l’avion. Bien sur, il était tard, et ça tombait pile pendant ses horaires de boulot au restaurant, mais bon… C’était jamais totalement rassurant quoi. Elle ne pouvait pas s’empêcher d’imaginer qu’il aurait pu lui arriver quelque chose, n’importe quoi, pendant son absence. Elle l’avait certes eu la veille au téléphone, mais bon … Elle était comme ça, Aspen, toujours à s’inquiéter pour tout le monde. C’était plus fort qu’elle, d’une certaine manière. Elle retira la première brochette du feu pour en mettre une autre – un peu tiède, mais pas grave, elle avait trop faim ! – croquant dedans de ses grandes dents blanches dans un *chomp* réjouissant :

- Humpf, la Californie c’est assez dingue. J’avais déjà voyagé pas mal pendant mes études et tous, mais ça fait tellement … .Bling bling là bas ! Genre, tu as l’impression qu’ils ont casté les habitants pour qu’ils aient tous l’air beaux dans la rue, c’est affolant ! D’habitude, je passe pour une fashonista à la pointe de la mode ici, hyper sophistiquée, ben je peux te dire que là bas, limite j’avais l’impression d’être une paysanne avec mon teint pâle et mon absence de faux ongles ! Hum, et aussi, ils sont tous à fond dans des trips un peu new age de yoga, de méditation, d’ouverture de chakras et de pleine conscience … Tout en bossant dans le ciné ou dans la finance, le truc totalement schizo ! enfin bref, c’est dépaysant d’ici, ça, c’est sur … J’ai passé pas mal de temps à la plage j’avoue, même si bon, le bronzage c’est pas encore ça …. J’ai fait de l’escalade dans les rocheuses aussi toute une journée, on est allé dans des clubs tenus par d’anciens acteurs de série, c’était trop marrant. Un vieux mec libidineux m’a demandé si je voulais qu’il m’aide à percer dans le cinéma … le truc trop glauque, mais c’était juste trop marrant de l’entendre essayer de me convaincre que j’avais un « potentiel pour devenir une star » …

Elle ricana rien qu’à s’imaginer essayer de jouer la comédie devant une caméra et une foule de gens. Elle était plus du genre livre ouvert que grande comédienne, quand on la connaissait bien, alors ce genre d’idées était franchement farfelue ….



   

acidbrain