Edith appréhende toujours un peu les visites à l'hôpital. Elle a toujours l'impression qu'une mauvaise nouvelle va lui tomber sur le coin de la figure, qu'un nouvel effet secondaire va se déclarer suite à sa prise du vaccin en octobre dernier. La trouille au ventre se déclenche dès lors qu'elle passe les grandes portes vitrées de l'entrée. A chaque fois. Quelques pas avant de l'atteindre, elle maîtrise encore la légère tension qui envahit son cerveau à sa descente de sa petite voiture sur le parking. Une fois que la jeune femme se trouve entre les quatre murs de l'hôpital, c'est une autre histoire. A force de venir ici de façon régulière, la serveuse n'a plus besoin de demander son chemin. Elle file à travers les longs couloirs, elle croise un ou deux visages qu'elle pense reconnaître, elle évite plusieurs collisions avec des brancards ou du personnel hospitalier. C'est qu'elle trace sa route pour ne pas apercevoir de choses trop difficiles à supporter. A cause d'effets secondaires particuliers suite à sa vaccination au NH25, Edith a le sentiment de voir en chaque personne malade ou mal en point une autre victime d'un quelconque effet indésirable. Une falsification de la réalité par son cerveau qui l'empêche de se détendre tant qu'elle n'est pas auprès d'Emma. Le petit ange qui l'a sauvée lorsqu'elle a atterri dans les parages, lorsque le premier effet secondaire s'est déclaré – la fameuse crise d'asthme. La blonde a encore l'impression que ce n'était qu'hier. La perte de repères, le manque d'air, l'absence de vie. Ses membres se souviennent à merveille du contact brutal qui s'est opéré entre eux et le sol. L'arrière de sa tête, surtout. Ensuite, Edith se remémore sans mal la douleur diffuse par-delà son crâne, et le souffle de plus en plus court qu'elle a tenté de réguler – sans succès. Anton n'a eu d'autre choix que de la conduire aux urgences, livré à lui-même, et la jeune Holloway a eu de la chance de tomber sur Emma. Sa gentillesse et sa patience ont aidé la serveuse à développer un lien quasi-indéfinissable dès le premier instant, une fois que ses yeux se sont rouverts à la suite d'un long sommeil réparateur. Elle possède ce sourire qui a suffi à la rassurer la première fois, et qui continue de le faire depuis. Car Edith ne veut personne d'autre pour s'occuper de son cas. La jolie interne connaît son cas sur le bout des doigts depuis le temps, elle sait quels sont les bons mots à prononcer ou non en sa présence, elle a été la première à comprendre que cette crise d'asthme ne serait pas le seul effet secondaire qui viendrait perturber la vaccination d'Edith, mais que les indications de cette dernière au sujet de douleurs au niveau des jambes n'étaient pas anodines. La confiance est une chose qui tient à Holloway ; même si elle a tendance à mentir à beaucoup de personnes pour se protéger, elle est incapable de le faire avec Emma. Et elle fait partie des rares exceptions. Arrivée au bon étage et devant la bonne salle, Edith part déclarer son arrivée à la secrétaire et prend son mal en patience en prenant place sur l'une des chaises de la salle d'attente. Elle sait qu'elle n'aura pas longtemps à attendre, Emma est du genre ponctuelle, mais elle angoisse de devoir engager la conversation avec une personne possiblement dans le même état qu'elle. Stressée par sa présence ici, et perturbée par un problème auquel il ne semble pas y avoir de solution. Edith préfère aider les autres plutôt que d'être aidée, encore plus dans un endroit comme celui-ci. Se saisissant d'un des livres disposés sur la table devant elle, la jeune femme commence à en feuilleter quelques pages, avant que son nom ne résonne et ne l'engage à se lever d'un bond. Le magazine retombe sur la table à son passage, tandis qu'elle se dirige vers une petite salle annexe où on lui indique que l'interne Kayle va bientôt arriver. Prenant place sur la table d'observation, Edith place une main à côté de chaque cuisse et laisse ses pieds se balancer dans le vide. Elle garde la tête baissée sur ce geste qui paraît d'un naturel évident, mais qu'elle ne peut parfois plus exercer à sa guise. Une privation de ses capacités que la blonde n'arrive pas encore à digérer. Ce n'est pas juste. Après avoir passé plusieurs années à devoir maîtriser la moindre de ses émotions, à être obligée de rester loin de toute provocation ou ennui, la voilà condamnée à vivre au rythme d'un effet secondaire perturbant qui la prive de spontanéité ou de liberté. Même conduire ici comme elle l'a fait plus tôt n'est pas autorisé en temps normal. Et si, au détour d'un carrefour, ses jambes ne répondaient plus ? Et si une douleur fulgurante la faisait tourner de l'oeil, alors qu'elle serait bien installée derrière son volant ? Toutes ces questions sont déjà venues à l'esprit d'Edith, mais elle refuse de se considérer encore inapte à la vie en société. Elle l'a déjà fait durant beaucoup trop de temps, Anton l'a aidée à s'en sortir, pourquoi est-ce qu'elle devrait se plier encore aux moindres désirs d'un destin qui ne fait rien pour l'aider à s'en sortir ? La porte de la pièce s'ouvre, ce qui fait relever le nez à Edith. Un sourire doux inonde ses traits. Elle laisse son regard balayer les traits de la petite interne, avare de découvrir si, depuis la dernière fois qu'elles se sont vues, quelque chose a changé chez elle. « Bonjour Emma. » Un murmure posé, calme, bien plus que lorsqu'elle a passé la porte seule juste avant. La présence d'Emma est si bénéfique à l'apaisement des battements de son cœur qu'être en contact avec son aura bienveillante facilite à faire taire l'appréhension qui guette Edith à chaque instant.

Dès qu'Emma entre dans la petite pièce, Edith sent un léger soulagement l'envahir. L'interne semble entourée d'une aura faite de bienveillance et de tendresse à ses yeux, ce qui aide à exacerber cette confiance qu'elle a en elle. Aujourd'hui, pas de mauvaise nouvelle. Aucune. Le corps d'Edith est capable de ne pas développer la moindre complication supplémentaire, juste se débarrasser de l'actuelle, plus préoccupante que tout le reste. Si on avait dit à la blonde que la vaccination avait ce petit souci imprévisible et répressible, elle... Non, même pas, elle n'y aurait pas réfléchi à deux fois. Car cette vaccination est pour elle une bénédiction, un signe du destin. Où en serait-elle si elle n'avait pas eu recours à ce soutien précieux ? Probablement six pieds sous terre. Elle ne se répétera jamais assez qu'elle était dangereuse, pour elle comme pour les autres, car trop instable pour réussir à maîtriser une mutation qui ne lui convenait pas. Le sourire qu'Emma lui adresse engage Edith à être un peu plus détendue encore. « Ce matin ça va. » C'est vrai, aucun problème. Ni sur le chemin pour venir, ni au réveil, ni même la veille. C'est presque une première, sachant que les crises surviennent la plupart du temps lorsqu'elle s'y attend le moins, ou bien qu'elle est sujette à une certaine nervosité. Elle ne préfère pas préciser toutes les autres fois où les choses ont été foncièrement différentes. Edith cherche à mettre en évidence le positif par rapport au trop-plein de négatif qui semble la poursuivre. Pour une journée, peut-être deux ou trois grand maximum, de tranquillité, elle souffre en général d'une crise prolongée, plus ou moins douloureuse, mais avant tout contraignante. Condamnée à l'immobilité, la jeune femme subit le revers de la médaille sans parvenir à trouver comment l'endiguer. Pourtant, elle est certaine que c'est possible. Pourquoi est-ce que cela ne le serait pas ? Si certains sortent de la vaccination, au NH24 ou NH25 (encore méconnu de beaucoup, elle doit s'en souvenir), sans plus de séquelles que ça, pourquoi devrait-elle endurer les siennes à vie ? Edith n'est pas prête à le faire. Elle veut pouvoir oublier, faire table rase du passé, jeter à la mer toute cette partie de son existence passée qui continue à lui son présent. « Je continue à prendre... » Glissant sa main droite dans la poche de sa veste grise, la serveuse en sort un petit récipient orange, légèrement transparent, qu'elle oriente en direction d'Emma. « ça, comme tu me l'as dit, mais ça commence à me donner des maux de tête je crois. » C'est la seule explication que la blonde a pu trouver à ce sujet. Depuis qu'elle prend ce médicament, supposé l'aider à gérer l'arrivée de ses crises, elle a remarqué ce léger inconvénient. Toutefois, si l'interne pense que les maux de tête vont cesser au fil du temps, mais surtout que la prise de ce médicament ne peut être évitée pour l'aider à aller mieux, alors elle supportera sans plus rechigner. Edith est prête à passer par beaucoup de choses pour guérir et tirer un trait définitif sur sa mutation, car elle a déjà vécu bien pire que tout ce qu'elle peut expérimenter aujourd'hui à cause de cette dernière. La serveuse remarque soudain les yeux d'Emma qui se ferment, puis se plissent, dans un geste rapide, avant qu'elle ne lui accorde un nouveau sourire rassurant. « Tout va bien ? », qu'elle ose demander. Elle sait reconnaître lorsque quelque chose cloche. Du moins l'espère-t-elle. Cette sensation étrange l'a étreinte lorsqu'elle a trouvé Camille étendu à même le trottoir en pleine rue, alors elle suppose que sa première impression est une fois de plus la bonne. Observant l'interne d'un air suspicieux, Edith continue toutefois sur sa lancée. Bien qu'elle n'ait pas envie d'exprimer un nouvel échec à voix haute, elle est obligée de le faire. Pour favoriser ses progrès à elle, pour aider Emma au diagnostique ensuite. Une pierre deux coups, en quelques sortes, même si la blonde aimerait ne plus avoir à l'embêter avec ses effets secondaires toujours plus difficiles à vivre. « J'ai fait deux crises depuis la dernière fois. » Soudain, ses paroles sonnent comme un aveu. « Pour les symptômes, la routine : mes jambes deviennent lourdes, elles ne supportent plus le reste de mon corps, puis je ne les sens plus. » Un sourire triste vient ponctuer la fin de son explication. Ses épaules se haussent quelque peu, tandis que ses mains viennent se saisir du rebord de la table d'observation. « Mais rien de plus alarmant. » Edith s'empresse de reprendre la parole, pour prouver que, malgré ce qu'elle sous-entend avec sa mine déconfite, elle va bien. Elle mime même des guillemets avec ses index et majeurs de chaque main, histoire de détendre l'atmosphère plus pesante qu'elle vient de façonner sans le vouloir. Elle a beau essayer de prendre tout ça avec du recul, plus de légèreté, le poids qui pèse sur ses épaules à cause de cet effet secondaire imprévisible et inquiétant commence à devenir bien trop lourd.