La haine. Tu n'as jamais connu que ça. Tu ne te souviens même pas avoir vécu une seule seconde de ton existence sans ce sentiment qui t'accompagne, qui te suit. Qui hante tes rêves. Qui alimente tes peurs. La haine est pour toi un moyen de survivre, d'avancer malgré tout. Toute cette haine a commencé à te hanter alors que tu n'étais qu'un simple enfant. On dit souvent que l'enfance est l'âge de l'innocence, mais ce n'est pas vrai. Pas toujours. Pas pour toi. Non. Tu te souviens les cris. La ceinture. La peur. Les pleurs de ta mère. La rage de ton père. Stanley Rosenbach était l'un de ces hommes qui avait raté sa vie et qui tentait de compenser en buvant. Mais la boisson le rendait monstrueux. Et puis, ensuite, les années passant, il s'est mis à vous battre sans même avoir bu. Pour une contrariété. Pour une simple querelle. Par envie, peut-être. Alors tu l'as haït. Chaque fois que ton regard se posait sur lui, cette rage, cette colère prenait presque possession de tout ton être. Tes poings se serraient. Ta mâchoire se crispait. Tu devenais une pure boule de haine. Tu n'avais pourtant que cinq ans. Puis six. Puis sept. Puis dix. Et chaque jour, tu le haïssais un peu plus, un peu plus fort. Et puis sont arrivés tes onze ans. Onze années de haine accumulée au fond de ce petit être, de ce petit corps. Et un jour, alors qu'il avait saisi sa fameuse ceinture et qu'il se dirigeait vers ta mère.. Alors qu'il levait le bras, la rage dans son regard.. Tu as enfin trouvé le courage de dire stop. De t'interposer. De lui attraper le bras à deux mains. Et, contre toute attente, il s'est figé. Tu le tenais bien. Tu le tenais fort. Mais tu savais très bien que s'il l'avait voulu, il aurait pu t'éjecter en un mouvement. En une seconde. Mais il ne le fit pas. Non. En quelques secondes, il était à genoux. Il semblait souffrir. Il semblait suffoquer. Il semblait aller mal. Et toi, enfin, tu étais celui qui l'avait stoppé. Celui qui était au-dessus de lui et qui le regardait avec cette rage. Et puis un cri t'avait fait lâcher. Le cri de ta mère, suppliant. Alarmé. Inquiet. Alors ton père a repris son souffle, comme fatigué. Las. En miettes. Tu étais devenu un monstre. Ce mot serait celui qui te suivrait durant les cinq années suivantes..

Et puis tu n'es plus jamais sorti de chez toi. Tes parents t'ont enfermé et tu étais d'accord. Tu ne devais pas sortir. Tu ne devais pas risquer de faire du mal aux autres. Ton père était certainement un monstre, mais tu étais pire que lui. Pire. Car tu n'avais rien d'humain. Comment une chose capable de tuer quelqu'un par un simple touché pouvait être considéré comme humain. Non. Tu étais cette chose, ce monstre. Alors, la haine s'est tournée contre toi-même. Contre ce "pouvoir". Contre cette malédiction. Contre ce que tu étais sans vraiment comprendre.

Et puis, après cinq années enfermé et des centaines d'expériences sur de petits animaux dans ton jardin, tu es parti. Tu t'es enfuis. Tu as quitté ce que tu appelais "maison" pour disparaitre. Tu avais apprit à ne plus trop pomper d'énergie au autres êtres vivants. Pas au point de les tuer. Mais surtout, tu ne supportais plus cette vie. Plus cette façon d'exister. Tu t'es démerdé, vivant de petits jobs et de vols. Survivant, mais te sentant plus vivant que jamais. Tu évitais les autres. Tu tentais d'avoir le moins de contact physique possible avec les autres, tout en essayant d'apprendre à canaliser ce pouvoir. Tu as vécu dans beaucoup d'endroits. Louisville. Cincinnati. Dayton. Colombus.. Et bien d'autres encore. Durant sept ans, tu as vagabondé de droite à gauche, évitant les gens, fuyant dès que quelqu'un tentait de te connaitre vraiment. Tu ne voulais pas d'attache. Tu ne voulais pas risquer de mettre la vie des autres en péril. Certes, tu savais beaucoup mieux contrôler ton pouvoir au fil des années, mais tu ne voulais pas prendre de risque.

A l'âge de vingt-trois ans, tu as enfin décidé de poser tes valises. Décidé que tu étais assez entrainé pour ne plus réellement être un danger. A l'âge de vingt-trois ans tu as emménagé à Cleveland. Tu as trouvé un poste en tant que gardien de nuit dans un musée afin de ne pas croiser trop de gens tout de même et tu as commencé à y construire ta vie. Tu as presque commencé à croire que tu n'étais pas un monstre. Presque commencé à croire que tu pouvais être comme les autres. Etre normal. Avoir une vie. Avoir des amis. Avoir une petite amie, peut-être même. Alors tu as commencé à sortir avec Amy. Amy était la gentillesse et la douceur incarnée. Amy était la tendresse à l'état pure. Elle avait le coeur sur la main. Elle était volontaire, gourmande, parfois un peu têtue, mais Amy était une personne qu'il était difficile de ne pas aimer. Vous êtes sorti ensemble deux ans. Et puis vous avez passé le cap. Vous avez emménagé ensemble. Deux mois. Pendant deux mois. Et puis elle t'a annoncé qu'elle était enceinte. Et alors tu as commencé à avoir peur. Tu as commencé à avoir des cauchemars. Tu as commencé à rêver que tu tuais ton enfant. Que tu ôtais la vie de ce petit corps chétif.. Et le lendemain matin, à ton réveil, elle était morte. Ta nuit de cauchemar avait réveillé ton don et tu avais tué Amy. Alors tu es rentré chez toi, ne sachant plus où aller. Comment te cacher. Comment faire pour ne plus être un monstre. Perdu, tu as décidé de retrouver le chemin de cette ville qui avait été tienne bien des années plus tôt.