Si Ivory avait trouvé Radcliff encore relativement vivable jusqu’à maintenant, ça commençait clairement à changer. Elle n’était pas prête d’oublier sa dernière sortie au musée, ça non. Elle s’en voulait d’ailleurs, parce que malgré elle, elle avait rompu la promesse qu’elle avait faite au père d’Aili qu’il n’y aurait pas de problème. Des problèmes, il y en avait eu. Ou plutôt, il y avait eu un gros problème. Tomber sur un hunter fou furieux n’était pas prévu du tout. A présent, elle essayait de faire profil bas et celui-là, si elle le pouvait, elle l’éviterait dès que quoi que ce soit pourrait ne fut-ce que lui faire croire qu’il était dans les parages. Elle avait un nouveau nom sur sa liste de tarés. Elle aurait préféré rester à un, sincèrement. Elle aurait aimé en parler avec Seth mais, vu la façon dont il avait réagi la dernière fois à la simple mention d’un hunter, elle avait jugé bon de ne rien lui dire et en fait, au final, elle n’en avait parlé à personne. Elle avait gardé ça pour elle. Sauf que voilà, elle avait franchement besoin d’en parler. Ivy avait besoin d’extérioriser un bon coup.
Longtemps, elle avait hésité à appeler Seth, elle avait tourné en rond chez elle pendant un temps, reposant mille fois le téléphone avant de se décider pour de bon. Sauf que voilà... Pas de Seth. Ses numéros sonnaient dans le vide, il ne répondait même pas au sms, ne parlons pas des mails. Silence radio. Au début, elle s’était simplement dit qu’il était occupé et avait réessayé. Puis les jours s’étaient transformés en une semaine. Ils n’étaient certes pas toujours sur le dos de l’autre mais, il répondait toujours au moins une fois pour dire qu’il n’était pas là ou pas dispo. Bref, il répondait un truc, même à la bourre et jamais plus d’une journée plus tard. Pour elle, c’était d’autant plus inquiétant qu’elle avait appris qu’il avait perdu une amie. Cette ville finirait par prendre quelqu’un à tout le monde. Connaissant Seth, cette nouvelle n’était pas passé crème du tout et elle avait fatalement peur qu’il se soit foutu dans les emmerdes jusqu’au cou. Inquiète, elle avait commencé à le chercher chez lui, puis les endroits qu’il fréquentait. En vain. Du moins, c’était ce qu’elle croyait.

- « Puisque t’as l’air de vouloir le voir, je vais t’emmener ! »

Un des hommes de Seth l’avait remarquée et c’est précisément pour ça qu’elle en était là... Traînée par le dit type, par le bras, sans aucune douceur, en plein milieu d’une ruelle paumée au milieu d’autres ruelles paumées, le tout mal éclairé bien sûr. Foutu cliché. Elle n’avait même pas réaliser de qui il avait parlé. Un peu trop perturbée par sa façon de faire.
Elle se figea presque lorsqu’elle entendit plusieurs coups de feu mais, au lieu de ralentir, l’homme l’entraîna avec lui, plus vite, alors qu’elle tentait de tirer en arrière pour lui échapper. Rien à faire pourtant, elle était là, devant des gens qu’elle ne connaissait pas à l’exception d’une personne. Seth. Seth avec un flingue à la main, de dos. Elle aurait presque pu être contente de le voir là, visiblement entier, si il n’y avait pas un truc qui clochait franchement. Genre certaines personnes au sol dans des positions improbables. Dérangée par ce qu’elle voyait sans encore vraiment comprendre pourquoi, Ivory se dégagea d’un coup sec.

- « Putain mais lâche-moi bordel de merde ! »

Il la lâcha enfin pour elle ne savait quelle obscure raison mais, en attendant, elle avait la paix un peu, en profitant pour se masser le bras tandis que Seth se retournait. Elle ne capta pas tout de suite le regard différent, ne se rendit pas plus compte du malaise des hommes autours d’elle. Bref, pour le moment, elle était juste larguée.

- « Seth ? »

Légère hésitation tout de même, il n’avait pas l’air tout à fait là et c’était franchement perturbant. Du moins, il n’était pas tout à fait là comme elle en avait l’habitude. Elle s’était déjà retrouvée face à des hommes de Seth, après tout, ils se connaissaient trop bien pour qu’elle n’en ait jamais vu mais, il avait toujours soigneusement éviter de la mêler à ses oignons. Là, elle avait l’impression qu’on venait de la balancer dans le terrier du lapin blanc et d’être vraiment Alice. Connerie !

Quand on avait pris l’habitude de voir certaines personnes, de passer du temps avec elle, d’échanger des messages idiots voire un peu moins qu’idiots, c’était compliqué de faire comme si tout allait bien quand on avait pas de nouvelles. Surtout si on s’appelait Ivory Weston et qu’on avait développé des angoisses liées à l’abandon. Elle s’était promis, juré de ne pas faire n’importe quoi mais, elle en avait eu marre d’attendre qu’il émerge, marre de ne pas savoir ce qui lui arrivait. Elle était vraiment désolée de ce qui était arrivé autour de lui et comprenait qu’il puisse aller mal mais, si elle ne pouvait pas le trouver, elle ne pouvait pas l’aider, si ? Elle avait donc enfreint ses propres règles de ne plus sortir après le couvre feu et s’était mise à le chercher un peu partout. Tous les endroits étaient bons, surtout qu’elle ne le trouvait, nulle part. Elle faisait très attention, le chercher lui ne voulait pas dire pour autant s’attirer des emmerdes à elle. Le but de la manœuvre, c’était de le trouver pas de crever.
C’était pour cette raison qu’elle avait commencé à avoir peur mais, pas au point de vraiment essayer de prendre la fuite. S’il l’amenait vraiment à Set, et bien elle aurait au moins gagné ça dans la manœuvre. Elle espérait juste qu’elle n’avait pas tort d’espérer tomber sur lui. Traînée vers la source des coups de feu, elle était moins pressée d’arriver sur place, nettement moins même. Pourtant, c’était bien Seth qui était là, debout sur ses pieds, l’air songeur et une arme à la main devant trois... cadavres. Si elle n’était pas du tout à son aise et totalement décalée dans cet endroit ? Bien sûr que si. Elle ne fut qu’un rien rassurée par le fait qu’il range son arme. Elle savait que son meilleur ami n’était pas un enfant de cœur et qu’il avait probablement déjà tué des gens. Sauf que voilà, comme pour beaucoup de choses, on préfère ne pas en avoir les preuves sous le nez.

Ça faisait un bail hein ? Elle allait lui en parler de ça justement. Un bail... elle s’était inquiétée pour lui sauf que visiblement, elle avait eu tort. Il avait l’air d’aller bien ou presque. Elle n’aurait su dire ce qui la dérangeait. Les regards que les hommes autour d’eux portaient sur la situation ou bien le regard que Seth avait en la regardant, sa posture, tout le reste. Ivory était observatrice de par ce qu’elle aimait faire et les changements, quoi qu’infimes, étaient bien là. C’était pourtant bien Seth qui était en face d’elle maintenant alors qu’est-ce qui pouvait bien la gêner tant que ça ?

- « Des jours, des semaines même quand on fait le calcul. T’as perdu ton téléphone ? »

C’était plus fort qu’elle, il fallait qu’elle le lui demande et il y avait une certaine amertume dans sa voix. C’était délicat parce qu’elle n’aimait pas être comme ça, c’était juste plus fort qu’elle. Il y avait des choses avec lesquelles elle avait du mal. Et son silence radio en était une. Elle aurait aimé ne pas s’inquiéter mais si.

- « On s’en fout du couvre-feu. J’te cherchais. J’avais pas de nouvelles, personne en avait ou alors personne voulait me répondre, j’en sais rien. Mais t’as l’air en forme, c’est génial. J’adore m’inquiéter pour rien, c’est une passion dans la vie. »

Crispation dans les rangs. Qu’est-ce qu’ils avaient tous à tirer des tronches pareilles dès qu’elle ouvrait la bouche ? C’était à croire qu’ils avaient tous peur de quelques choses, comme s’ils avaient vu le croque-mitaine en personne.

- « T’étais passé où Seth ? Je sais que c’est pas une super période mais... merde, on arrête pas de donner des nouvelles aux gens dans une ville où n’importe qui peut disparaître n’importe quand ! »

Elle aurait largement préféré avoir cette conversation ailleurs que dans cet endroit, pas loin de cadavres, tués par... elle ne voulait pas savoir qui et après le couvre feu. Tout ce qu’elle voulait, c’était s’assurer qu’elle n’allait pas devoir aller à un enterrement, surtout pas le sien. Seth était l’une des personnes les plus importantes de sa vie à ce jour et elle n’aurait pas supporté le perdre. Ça pouvait bien être un abruti, c’était aussi un de ses seuls repères dans cette foutue ville de cinglés.

Ivory l’avait enfin trouvé. Elle avait enfin trouver son imbécile de meilleur ami, de presque frère qu’elle chérissait tant et pourtant, elle avait l’impression d’avoir un étranger en face d’elle. Ce n’était pas Seth. Enfin, pas comme elle le connaissait depuis près de cinq ans ou plus. Elle ne savait même plus depuis quand elle le connaissait tant elle avait tendance à vouloir croire qu’il avait toujours été là. Elle avait chéri leur amitié dès le début tant tout avait eu lieu naturellement mais là... là, elle ne savait pas si c’était bien son meilleur ami qu’elle avait en face des yeux alors qu’elle refusait avec obstination de regarder les corps.
Toute la scène était surréaliste, toute. De la façon inhabituelle dont se tenait Seth jusqu’à son expression, elle avait véritablement l’impression qu’il était un autre et ça ne lui plaisait pas parce que c’était ridicule. Elle devait se faire des idées. Mais, elle connaissait trop bien Seth et ses manies, Seth et ses expressions, Seth et sa façon de se tenir et de marcher. Alors, quand il lui parla finalement, elle ne broncha pas, presque pas étonnée par le ton qu’il avait employé, ni la façon dont il lui avait parlé. Elle garda obstinément les yeux rivés sur son ami quand les hommes se mirent à déplacer les corps. Elle faisait tout pour ne rien voir, elle n’était pas bâtie pour ça, ou juste pas prête, elle n’en savait fichtrement rien.

- « Occupé... » Elle s’agaça mais tenta de se retenir. « Occupé à ça ? » Pas tant que ça finalement. « C’était ça ton délire, buter des gens ? »

C’était sûrement des hunters, elle ne voyait que ça à moins qu’il ait définitivement péter les plombs mais, quand il se gratta encore le cou, une habitude qu’il n’avait jamais eu, Elle se posa des questions, beaucoup. Elle inspira alors qu’elle s’apprêtait à le rejoindre, du moins, jusqu’à ce qu’un de ses hommes le rejoigne pour lui demander quoi faire. Elle resta muette, campée sur sa position écoutant et regardant la scène malgré elle. Elle ne pouvait pas détourner les yeux plus longtemps. Ce n’est que quand il mentionna la décharge qu’elle fut définitivement convaincue que quelque chose clochait. Seth n’était pas comme ça. Ils avaient déjà discuté de la mort et il avait toujours semblé respectueux, même des gens qu’il haïssait et qu’il aurait pourtant bien voulu tuer. Comme ce Roman. Un mort est mort, il ne fait plus de mal. C’était un peu la base du bordel.
Elle parcourut la distance entre eux sans réfléchir plus longtemps, saisi sa main et regarda ce qu’il grattait avec tant d’obstination. Sans plus faire un mouvement, elle fronça les sourcils et réfléchit à toute allure. Des piqûres de vaccin, elle en avait déjà vues et Seth en avait une, juste là, sur cette zone qu’il avait grattée par deux fois depuis qu’elle était là. Elle mit les pièces ensemble, recula en le lâchant, comme brûlée par lui. Elle commençait à comprendre son attitude mais, bordel, elle n’avait jamais entendu que le vaccin rendait complètement dingue. Cela dit, la liste des effets secondaires ne cessait de s’allonger depuis qu’elle rencontrait des gens qui avaient vécus ça alors... Elle ne pouvait pas l’exclure.

- « Qui t’as fait ça ? C’est ça qui te rend comme ça ? Bordel Seth... pourquoi tu m’as rien dit ? Pourquoi tu m’as pas prévenu putain ? J’aurais pu... j’en sais rien moi, t’aider ! »

Elle était en colère pour plusieurs raisons mais, c’était bien le fait qu’il n’avait rien dit qui l’énervait le plus. Elle aurait peut-être pu faire quelque chose, n’importe quoi. N’avait-il pas eu assez confiance ? Que lui était-il arrivé pour qu’il ne dise rien ? Il n’avait pourtant pas tendance à la protéger au point de ne rien dire voire de lui mentir, c’était pas le genre. Il lui avait dit pour son père en ville, pour son père hunter, pour Roman le psychopathe qu’il avait au cul... Mais de ça rien. Elle ne comprenait pas.

- « Depuis quand t’es comme ça ? Vacciné... Complètement cinglé... »

Elle ne mâchait pas ses mots. Elle ne l’avait jamais fait et elle n’allait pas commencer maintenant, surtout pas devant lui, fêlé ou pas. Elle ne mesurait juste pas le danger qu’il y avait à agir comme ça devant lui dans les circonstances actuelles.

L’avoir cherché et s’être inquiétée pour lui et finalement tomber sur lui, dans un état de total pétage de câble, ça n’était pas précisément ce qu’Ivory avait espéré. Elle savait que le vaccin faisait des ravages, elle en avait entendu parler mais à ce point, elle ne savait pas vraiment. Ou alors, elle partait du principe que ça n’arrivait qu’aux autres. Sauf que là, c’était tombé sur Seth, une des personnes qui comptait le plus pour elle. Tout le monde pouvait bien être sur le point de disjoncter autour, elle n’en avait rien à foutre. Elle ne connaissait pas ses hommes, n’en avait vu certains que de vue sans savoir qu’il bossait avec lui, elle ne s’était jamais mêlée de ça. Là, elle n’avait pas trop le choix ou du moins, elle était au milieu du bordel, ce qui ne lui plaisait pas spécialement, un peu comme ce que venait de dire Seth.

- « T’empêcher de commettre des meurtres ? Tout hunter qu’ils étaient, ils étaient peut-être pas tous des meurtriers ? Mais vu que t’as l’air d’en avoir royalement rien à cirer, j’ai tendance à me dire que ça te pèse pas spécialement sur la conscience. »

Sauf que ça finirait par le peser si sa mutation lui revenait un jour et elle le savait. Il était souvent sur le fil du rasoir, elle n’était pas dupe mais, il était toujours correct. Là, il était loin de l’être, loin du Seth qu’elle connaissait mais, elle n’avait toujours pas peur, pas vraiment en tout cas. Elle haussa un sourcil et le fixa, à seulement quelques pas de lui. Si ça changeait de d’habitude ? Certainement oui.

- « Oui, ça change de d’habitude. T’es un adorable crétin en temps normal, là, t’es juste un gros con qui n’hésite même pas à mettre la vie des autres en danger dans son petit délire mégalo s’assainissement de la ville. »

C’était pas très malin de sa part mais, Ivo avait une grande gueule et l’habitude de s’en servir. Ça lui apportait une assurance qu’elle n’avait pas forcément et ça l’aidait à surmonter ses craintes ou ses angoisses. Et, même si sa mutation n’était pas la chose la plus plaisante du monde et pas franchement vraiment maîtrisée, elle comptait dessus malgré elle, ce qui pouvait être dangereux. Chose qu’elle commençait seulement à comprendre à force de se faire remonter les bretelles par ses proches et parfois juste par le biais de simples discussions.
Voir Seth se comporter comme ça faisait partie des choses qui la faisaient réagir de travers. Il avait peut-être déjà tué, sûrement même mais, elle ne l’avait jamais entendu manquer de respects aux morts. Les morts étaient morts. Au bout du compte, tout le monde finissait pareil au fond du trou au feu.

- « Tu t’occupes de lui ? Tu te rappelles à lui avec des petits cadeaux ? Dis-moi que j’ai tort de m’inquiéter avec ce que tu lui envoies... »

Elle était certaine qu’elle n’avait pas tort du tout de s’en inquiéter, elle en était persuadée. Plus la conversation avançait, plus elle se rendait compte de l’ampleur des dégâts qu’avait causé le vaccin. Seulement voilà, c’était Ivory et elle ne pouvait pas laisser tomber son meilleur ami comme ça. C’était pas comme ça qu’elle fonctionnait, quand elle s’attachait aux gens, elle était capable de chuter de très haut avec eux si nécessaire.
Quand il la regarda dans les yeux, elle se rendit compte à quel point leur éclat était différent, pourtant, elle ne les baissa pas et soutint son regard.

- « Non et tu peux te mettre ton conseil d’ami et ton petit sourire de merde bien profond. Tu comptes faire quoi Seth ? Me faire peur ? J’te connais, fêlé ou pas, tu tiens aux gens bordel. T’as rien dans la tête à quoi t’accrocher ? Fais un effort ! C’est pas toi ça ! Le monde tourne peut-être pas rond mais, il est pas en train de s’écrouler pour autant. J’suis pas spécialement optimiste mais, même si tout part en couille. T’es pas tout seul et pense un peu à Bob. Tu feras quoi ? En face de lui aussi tu vas faire ton grand méchant en mettant ta main sur ton flingue ? »

Parce qu’elle l’avait vu faire mais, elle restait persuadée qu’il ne ferait rien, qu’il ne le sortirait pas et surtout, qu’il ne tirerait pas.

Rendre service... Seth ne rendait à personne, ni à lui ni aux autres, surtout pas aux autres. On ne ramenait pas les morts, mieux que n’importe qui, il devrait le savoir mais, quelque chose disait à Ivory de ne surtout pas dire une chose pareille. En face d’elle, ce n’était pas Seth, c’était quelqu’un d’autre, quelqu’un qui lui ressemblait mais qui n’avait rien en commun avec son ami, son frère, la tête de nœud qui la fournissait en herbe ou en alcool et qui était capable de débarquer n’importe quand, même après un de ses cours ou pendant une pause. Le mec qui l’avait même surprise en pleine de séance de galipette dans la réserve de la bibliothèque. Ce mec n’était pas celui qu’elle avait en face du nez. Le Seth qu’elle connaissait n’envoyait pas de petits cadeaux méga glauques, dignes des profilers de compétition dont on bourrait les séries télé. Elle doutait même presqu’ à peine qu’il soit vraiment capable de lui faire un coup pareil. En fait, dans son esprit, c’était déjà très clair, elle ferait très attention d’où viendrait ses colis à l’avenir. C’était inconscient mais, la décision était prise.
Quand il sortit l’arme, elle ne réalisa même pas tout de suite qu’il allait vraiment tirer. Elle n’y croyait pas une seule seconde et pourtant. Instinctivement, elle ferma les yeux, mobilisant toute sa peur et même sa colère envers Seth pour se protéger, agir, faire quelque chose, n’importe quoi. Protégée par sa mutation, couverte d’acier grâce à une babiole de ses poches alors qu’elle entendait la détonation sans être convaincu qu’elle avait réussi à muter, elle ouvrit les yeux. Si, elle avait réussi. Pas très posée, pas réfléchie du tout, elle ne se soucia même pas qu’on ait pu la voir ou qu’il ait toujours son arme en main. Elle combla l’espace qui les séparait pour lui en coller une, de toutes ses forces, sans ménager ses efforts ou même avoir peur de faire mal. Elle voulait lui faire mal, l’assommer même pour ce qu’elle en savait si elle en était capable.

- « Connard ! »

Sa voix, rendue métallique par sa mutation sonnait comme la pire distorsion dont était capable un appareil quelconque. Grinçant, strident, ça n’avait rien d’agréable à l’oreille et elle vit quelques hommes grimacer. Elle n’en avait franchement rien à foutre, elle les voyait à peine. Son meilleur ami venait de lui tirer dessus, c’était tout ce qu’elle parvenait à retenir de ce qui venait d’arriver. Elle le frappa une seconde fois dans la foulée, pour la forme. Elle tremblait de rage, de peur aussi. Elle en aurait pleuré si elle en avait été capable sur le moment.
Persuadée d’avoir frappé assez fort, elle recula, toujours mutée, plus du tout en confiance en face d’un des hommes les plus importants à ses yeux. Le fixant avec stupeur et tristesse, elle n’arrivait pas à se décider à courir. Elle ne voulait pas, elle savait pourtant qu’elle aurait dû, rien qu’à voir les visages des hommes de Seth, juste en voyant la lueur dans ses yeux à lui.

- « J’pensais pas que tu serais celui qui m’aurait braqué avec un flingue. »

Shaun, ça avait été plus que probable. Lui, elle y aurait cru, il en aurait été parfaitement capable mais, il n’avait pas encore reparu depuis le parc. Elle ne s’en plaignait d’ailleurs pas, pas avec Seth qui disjonctait plein tube.

- « J’courrai pas Seth, pas devant toi. J’ai fui un peu trop souvent ces derniers temps alors certainement pas en face de toi. Ouvre les yeux bordel de merde ! T’as vu ce que tu fais ? »

Elle ne pouvait pas lâcher comme ça, elle devait au moins essayer un peu, faire quelque chose et si vraiment il n’y avait rien à faire, elle se tirerait mais, elle devait au moins tenter son coup. Peut-être même qu’un mot, une phrase bien placée... Non, Ivo ne pouvait pas s’empêcher de croire qu’il restait quelque chose de son ami quelque part dans le taré qu’elle avait en face d’elle. Après tout, elle ne l’avait jamais vraiment frappé, jamais vraiment été en colère contre lui au point d’en arriver à des extrêmes pareils.