“ Only the dead have seen the end of war. ”

Se fermer à la douleur, ne pas la laisser l'envahir. Peut-être bien qu'être entrée dans l'armée n'avait pas été une si bonne idée que cela. Blake, elle les sentait à la frontière de ses pensées, les douleurs d'autrui qui hurlaient à l'envie d'envahir son propre corps. Des blessures invisibles sur sa peau basanée mais qui venaient amputer les blessés sur le sol. La confusion, sa vision embrouillée et les cris qu'elle percevait à peine avec ce cillement aigu qui faisait saigner ses oreilles. C'était pas trop clair dans son esprit c'qui se passait. Une embuscade, elle ne l'savait pas trop. Elle devait se concentrer, chasser la douleur qui voulait s'emparer de son corps. Sauf que bientôt, elle se rendit compte que c'était sa propre douleur qui affligeait ses muscles, jusque dans son dos. Et son propre sang qui tâchait le sable battu à ses pieds. Elle perdit pied la métisse, et manqua de s'effondrer tête la première sur le sol aride mais des bras puissants l'enveloppèrent pour l'empêcher de perdre conscience au milieu des balles. Un moment, c'était l'abysse, le néant, puis l'instant d'après, elle ouvrait les yeux faiblement tout en entendant le chaos autour d'elle. Des cheveux blonds, une voix qu'elle reconnaissait. Adrian ? Son co-équipier à ses côtés semblait combattre un ennemi qu'elle n'arrivait pas à voir au milieu de toute cette merde. De toute façon, l'incroyable pincement qui brûlait ses hanches et son dos était sa principale priorité. Elle entendait à peine les autres soldats qui approchaient au milieu des explosions et des coups de feu. Tout ce qu'elle distinguait c'était la douleur et quelques mots échangés. Éclat d'obus. Son propre prénom prononcé par le Blackwood. Perdu beaucoup de sang. Ranimée. Être évacuée au plus vite. Puis de nouveau, c'était le noir le plus total, jusqu'à ce qu'elle ouvre les yeux dans une chambre d'un silence de mort et aux murs plus blancs qu'une feuille de papier. Ouais, le blanc venu remplacé le vermeille de l'hémoglobine, la dernière couleur qu'elle avait distingué avant de perdre conscience. Elle avait ouvert les yeux dans cette chambre d'hôpital et ses proches se jetaient déjà sur elle pour l'accueillir de nouveau parmi les vivants. Vivante... mais à quel prix ? Parce que ses jambes, elle les sentait à peine...

“ how did we ever came to be ? without you I'm incomplete ”

Je t'aime. Je t'aime. Je t'aime. Peu importe le nombre de fois qu'elle répétait ses quelques mots dans sa tête, elle n'arrivait pas à croire qu'elle était debout devant cette petite audience et vêtue d'une ample robe crème. Le voile dans les cheveux et le sourire épanoui qui flottait inlassablement sur ses lèvres. Elle le sentait ce coeur, battre aussi vite que le sien, dans la poitrine de Russell. Russell. C'est qu'elle peinait encore à croire qu'ils en soient rendus là, sur l'autel à s'unir ainsi alors qu'en reculant deux années plus tôt, ils avaient passé le plus clair de leur temps à s'envoyer des piques. Mais d'une certaine manière, elle était reconnaissante que leurs chemins se soient croisés, peu importe les circonstances plutôt tendues. Maintenant, elle ne s'voyait pas vivre sans lui. Ils se complétaient mais surtout, elle le ressentait à quel point il vibrait pour elle. Avec elle. Pas une seule fois elle n'avait sentit ce coeur s'arrêter un instant pour prendre le temps de lui mentir. Et quand la cérémonie arrivait à sa fin, elle pouvait percevoir ses battements aussi erratiques que les siens jusqu'au moment de dire ces fameux "oui je le veux" à l'unisson. Oui, à ce moment, ils s'arrêtèrent de battre au même instant pour venir sceller leurs lèvres et du même coup cette union qu'elle n'aurait jamais cru possible. Ses parents, son frère et ses amis dans la salle qui souriaient aux nouveaux mariés et les applaudissaient avec entrain. Rien n'pouvait noircir le tableau. Absolument rien, pas même l'état d'ébriété de l'oncle Ashcroft qui aurait pu lui faire honte ou bien le petit frère qui faillit faire tomber le gâteau. C'était ses petits détails qui marquèrent l'esprit de la métisse au fer rouge. Un souvenir si ancré que même des années plus tard, elle n'en oubliait aucun détail. Des sourires en coin de Russell aux danses endiablées qui durèrent jusqu'à ce que la nuit les ait tous recouverts.

“ here your dreams are sweet and tomorrow brings them true. ”

Elle peinait à croire que soudain, elle avait entre les bras un bambin. Une minuscule boule de vie. Sa fille. Leur fille. Blake releva les yeux sur Russell, son regard cherchant sans cesse le sien, peu importe où elle allait, ce qu'ils faisaient. Un repère au milieu des horreurs qu'ils pouvaient voir au poste. Le couple cotoyait si souvent la mort mais cette nuit, c'était la vie qu'ils étaient venus célébrer. Celle de leur fille, née à peine un an après leur mariage. Lydia. L'infirmière les avaient félicités. Quel joli prénom. Blake se faisait alors la promesse. Elle allait la protéger cette enfant du monde entier. Au prix de sa vie s'il le fallait. Elle s'était presque de ne jamais avoir voulu être mère. Plutôt portée sur le travail, elle avait pratiquement l'impression de rêver. De ne pas être réellement dans ce lit d'hôpital à câliner tendrement cette enfant qu'elle venait de faire naître. Pourtant, elle ne voyait déjà plus sa vie autrement. Russell s'installait contre le lit avec elle et elle lui tendit la petite. À peine séparée, elle lui manquait déjà, ça la rendait folle mais elle savait bien qu'avec Russell, il n'y avait pas de meilleur endroit pour la mettre en sécurité. Puis bon, elle ne pouvait pas la garder pour elle toute seule. Elle les regardait tendrement, les deux êtres les plus importants dans sa vie. Un moment à ne jamais oublier. Ne jamais laisser filer. La métisse commençait à ressentir la fatigue la gagner et finit par s'assoupir contre son époux. Déjà, elle rêvait à une vie de famille. Le chien, la maison, les voisins embêtants. Cette vie qu'on ne voyait dans les films. Et pour un instant, tout était parfait.

“ Hard time forgiving Even harder forgetting. ”

C'était fini. Les quelques moments de bonheur s'effritaient, du putain de sable qui glissait entre ses doigts. Qu'elle avait été conne de croire que ce sentiment de félicité allait durer pour la vie. Pas de ce monde-là. Pas quand on était policiers. Pas quand on était mutants. Lydia, elle n'était plus là. C'était à cause de ce même sang qui coulait dans ses veines. Peut-être. La petite fille s'était volatilisée, ne laissant même pas un corps à pleurer, ni aucun indice sur le sort qu'elle avait connu. Était-ce les chasseurs qui avaient osé s'en prendre à une gamine ? Irrémédiablement, la métisse maudissait ce sang qui avait peut-être marqué la fin de sa fille. Peut-être. Elle ignorait ce qui lui était vraiment arrivé et elle ne pouvait que s'blâmer. Blâmer Russel. Blâmer le monde entier de ne pas être paillettes et licornes. Pendant qu'il suivait ses propres pistes sur la disparition de leur fille, Blake, elle se lançait dans une autre. Leurs chemins qui se séparaient lentement jusqu'à s'effondrer complètement quand il a fini par se perdre dans les bras d'une autre, et pas seulement dans le travail. Il avait eut au moins la décence d'avouer. Décence de lui briser le coeur. Quelque chose s'était brisé chez la Ashcroft quand elle avait retiré cet anneau qui lui semblait soudain si glacé. Morsure du froid de ce métal autrefois si chaud au simple fait d'apercevoir son reflet. Comment avait-elle pu monter si haut, et maintenant se retrouver si bas. Coeur en lambeaux, l'âme déchirée, torturée. Comment avait-il pu la trahir ainsi, l'obligeant à l'éloigner d'elle alors qu'elle avait besoin d'lui plus que jamais. Car pardonner, c'était hors de question. Pas pour la vindicative flic toujours portée sur les règles. Portée par l'orgueil. Le blâmer, c'était plus facile que pardonner. Un moyen d'oublier la douleur de l'absence de sa fille. Le blâmer pour ne pas que son absence à lui ne la blesse également.

Et à ce moment, elle aurait préféré avoir le don de tout oublier...
Pour ne pas souffrir.

“ the martyrs... the saints, the saviors...
they all end up the same way. Bloody and alone. ”

Verre de vin dans une main, et le regard vide perdu sur le mur au papier peint beaucoup trop vieux. Rideaux tirés et porte verrouillée à clé. Son portable éteint sur la table basse, la mutante essayait de s'couper du reste du monde. Elle se sentait vide sans son badge. Vide sans Russell. Le souvenir de la veille lui était encore trop vif à la mémoire. Elle avait remis sa démission parce que c'était trop. Travailler dans un nid de vipères remplis d'ces hunters prêts à tout pour anéantir des gens comme elle. Mutante. Des semaines qu'elle continuait de s'présenter au travail après l'aiguille plantée dans l'cou comme un couteau dans l'dos. Mais finalement, fallait croire qu'ils s'étaient trompés. Mauvaise seringue et les pouvoirs de la belle refaisaient surface. Violent, comme les douleurs qu'elle se mettait à ressentir autour d'elle. Le pauvre cambrioleur de banque qu'ils avaient enfin coffré, il s'était battu, recevant une bonne décharge de taser pour l'calmer. Et elle, de l'autre côté de l'arme paralysante, elle avait dû retenir le cri qui avait manqué de l'étranger. Puis, encore, quelques heures plus tard, un pauvre type qui échappait un café sur sa compagne, trop maladroit pour regarder où il allait... La morsure de la brûlure invisible sur sa peau à elle mais bien à vif pourtant. Elle serrait les dents face au tourbillon des sensations qui l'envahissait alors... et bientôt, ça devenait évident. Elle n'pouvait pas continuer. Je démissionne. Le badge abandonné sur le coin du bureau d'son patron et sans explications, elle s'enfermait enfin chez elle. Loin du monde. Loin de tout. Seule. Elle n'est même plus foutue de contrôler son pouvoir. Elle n'est plus lieutenant de police, incapable de retrouver sa propre fille. Elle n'est plus mariée, ni même mère. Encore moins une fille ou une soeur qui mérite la patience dont on lui fait preuve. Elle n'est plus rien, livrée à endurer la douleur des autres en plus de la sienne. Martyr.