Ahhh, la fac, ça faisait un bail qu’Aspen n’y avait pas mis les pieds. Elle n’était même pas allée à la fac de Louisville,  puisqu’elle avait fui dans le Massachussetts après sa rupture avec Noeh. Il fallait dire qu’être prise au MIT en architecture, elle était surement la première fille à réussir cet exploit dans la petite ville de Radcliff. Après, elle avait appris à connaitre la fac de Louisville pour y avoir révisé souvent, pendant ses vacances notamment, quand Lorcan était occupé. Elle avait apprécié la petite taille de la bibliothèque, l’université à taille humaine, là où la MIT était une véritable usine à cerveaux… Mais si elle était là aujourd’hui, c’était qu’elle avait un objectif bien précis : trouver et établir un premier contact avec Daniel Grifin, un jeune mutant aux capacités d’auto guérison, une sorte d’antidote humain. C’était le premier sur sa longue liste de mutants à approcher, et elle l’avait choisi lui en premier pour des tas de raisons : ils avaient fréquenté le même lycée, à l’époque. Bien sur, ils ne faisaient pas partie du même groupe d’amis, ni de la même promotion, aussi elle ne lui avait jamais accordé un regard. Mais au moins, elle lui serait familière, d’une certaine façon, et ça pouvait être déterminant. Ensuite, elle avait fouillé dans toutes les archives qu’elle avait pu trouver sur lui dans les banques de données accessibles à tout le monde : nom de famille, adresse, numero de sécu, famille … Famille d’accueil. Elle avait découvert qu’il était un des gamins dont s’était occupée la famille Blackwood, la famille d’Ezekiel, qui était un peu le grand frère qu’elle n’avait jamais eu. Le voilà , son angle d’attaque : elle l’amadouerait avec ses grands yeux de faon et son inquiétude bien réel pour Ezekiel. Parfait, elle ferait ça. Et depuis, elle l’avait épier, avant de partir et dès qu’elle sortait du boulot, essayant d’imprimer sa routine dans sa mémoire, là où il avait ses habitudes, ce qu’il aimait faire, l’heure à laquelle il déjeunait… Aspen était du genre obsessionnelle, et comme elle avait un besoin viscérale de ne pas penser à Noeh en ce moment, la recherche d’un traitement pour Calista était devenu son obsession quotidienne, et L’ADN de Daniel était peut être une pièce de ce puzzle.

Alors elle était revenue à la fac, empruntant des documents d’urbanisme pour le boulot, excellent prétexte pour justifier sa présence dans les archives de la bibliothèque. Elle avait observé le jeune homme travailler de loin, le laissant disparaitre pour sa pause café en mettant son compte à rebours en marche : elle devait s’y rendre environ 2 minutes après lui, pour ne pas avoir l’air de le suivre, et pour qu’il ait son café en main, et ne puisse pas rentrer dans la salle d’étude – boisson et nourriture interdite – avant de l’avoir terminé. Elle aurait donc bien cinq bonnes minutes pour entamer la conversation. Facile. Ses rouleaux de cartes sous le bras, elle avançait avec une assurance toute maitrisée en direction de la machine à café. Elle ne devait pas avoir l’air de se jeter dans la bataille, plutôt de tomber sur lui par hasard. Ce qu’elle faisait. Presque. Elle glissa une pièce dans la machine à café, commandant un ersatz de  cappucino, avant de faire mine de reconnaitre vaguement le jeune homme, un sourcil haussé :

- … On se connait non ? Vous avez une tête qui ne m’est pas inconnu …

Un sourire, presque contrit, et surtout, une voix douce. Elle devait avoir l’air inoffensive, loin de la peste qu’elle avait été, il y a des années. C’était important …

Aspen tordit un peu du nez devant l’air rogue de Daniel, gardant bien serrée entre ses dents la remarque acerbe qu’elle rêvait de lui balancer à la figure pour son impertinence : en effet, elle avait l’habitude de ne fréquenter que le haut du panier à l’école, et pas le bas de la chaine alimentaire, elle n’avait pas le temps pour les boutonneux pas assez informés sur l’hygiène pour utiliser de l’anti acné. L’intelligence, ce n’était pas que les notes à l’école, c’était aussi être capable de s’adapter à son environnement et aux codes de la société, et Aspen maitrisait tout le package d’une main de maitre. Tellement bien d’ailleurs que personne n’imaginait qu’elle faisait partie des meilleurs de sa promotion à l’époque du lycée, devenant même major de promo une fois à l’université. Car oui, on peut aimer faire matcher son vernis et ses vêtements et être une tête en mathématiques, comme quoi …

- Le lycée… ça me parait remonter à des siècles… Pas vraiment nos années les plus glorieuses en général, hein ?

Faux, faux, triplement faux. Aspen avait adoré ses années lycée. Elle avait sa bande d’amis, un petit ami génial, une famille unie, aucun problème en dehors de celui de garder sa relation amoureuse secrète. C’était le bon temps. Maintenant, c’était une autre histoire. Chasser le mutant pour prélever de leur ADN pour essayer d’aider sa sœur ainée, c’était déjà une autre paire de manche. Mais c’était Calista, Cali qui ne méritait absolument pas ce qui lui arrivait, alors elle était prête à battre des cils devant ce crétin de mutant vaguement prétentieux juste pour le coincer dans un coin et lui enfoncer une seringue dans la fesse et prendre un peu de son sang. Patience, elle n’en était pas encore à là, loin s’en fallait. Elle sourit à la remarque du jeune homme, avant d’agiter ses rouleaux de plan, avalant une gorgée de son café écoeurant :

- Ça pourrait être une idée, mais non. Mon cabinet a été retenu pour dessiner les plans du nouveau parc de jeux pour enfants dans le sud de la ville, dans le square près de la bibliothèque, sauf que personne n’a été fichu de me trouver le plan d’urbanisme communal à la mairie … Et je savais qu’ils l’avaient ici, alors autant faire les recherches moi-même, je perdais moins de temps !

Elle ouvrit l’une des cartes pour lui montrer l’emplacement du futur parc, avant de lever les yeux vers lui, un peu en dessus, comme si quelque chose venait de tilter dans son esprit :

- Daniel … Daniel Griffin, c’est ça ton nom. Une classe en dessous, c’est ça ? ça commence à me revenir … tu es de la famille d’Ezekiel, non ?

Lentement, la petite chasseuse tissait sa toile autour du mutant comme une araignée guettant un insecte juteux. Elle n’était pas naive, elle savait qu’il faudrait plus que deux battements de cils et un air innocent pour faire baisser la garde au jeune homme, connu pour être vaguement paranoïaque, mais elle était tellement déterminée qu’elle ne doutait pas de sa future réussite : elle lui extorquerait du sang, de gré ou de force. Mais si il pouvait le faire de gré, par pitié ou de bonne volonté, ça l’arrangeait bien.

Si seulement elle avait su en réalité qu’il suffisait de raconter la vérité sur Calista à Daniel pour que ce dernier accepte de l’aider …

Aspen sentit qu’elle avait marqué des points avec le coup du prénom, et elle s’en félicita. Elle savait que c’était les petites choses, ce genre d’attentions qui lui permettaient d’être aussi plaisante aux yeux de ses interlocuteurs. Ce n’était même pas une stratégie de sa part, elle avait simplement été élevée comme ça. Elle répondit à son sourire par le sien, avant de remballer ses cartes et de tout remettre dans l’immense cabas qu’elle tenait dans sa main gauche. C’était un bon début, mais elle savait qu’elle devait faire plus. Bien plus.

- Bon, comme quoi, il me reste un peu de mémoire de cette période, c’est rassurant.

Elle marqua une pause, alors qu’il lui demandait des nouvelles de Calista : cela ne l’étonna pas, elle avait en effet repérer les activités en ligne de Daniel, notamment sur des jeux de coopération sur lesquels sa sœur passait également un temps fou. Elle était incapable de les nommer, mais elle en avait conclu qu’il était donc possible qu’ils se connaissent. Aussi, elle préféra mentir le moins possible au jeune homme, histoire que sa version corrobore au plus près avec celle de son ainée, si elle venait à s’épancher auprès de ce dernier :

- Ce serait mentir qu’elle va « bien », sinon elle ne serait pas à l’hôpital… Elle a fait une très, très mauvaise rencontre, et elle a du être hospitalisée à cause de ça … On cherche encore qui a pu lui faire ça, et surtout pourquoi… Cali est la fille la plus gentille de monde, ça me parait juste invraisemblable …

Elle secoua la tête, agitant ses boucles rousses : En l’occurrence, elle était vraiment sincère dans son désarroi, et c’était ça qui l’avait poussé à chercher Daniel et tous les autres mutants susceptibles de pouvoir l’aider, de gré ou de force, à soigner sa sœur. Elle préférerait ne pas avoir à intimider ou forcer qui que ce soit, tout simplement parce que sa sœur ne cautionnerait pas ce genre de comportement, mais… C’était Cali, elle méritait tout le bonheur du monde, et Aspen irait chercher tout ce bonheur au fin fond des entrailles fumantes d’un mutant, si c’était là qu’il se trouvait.  Elle releva ses prunelles couleur chocolat dans celles du jeune homme, prenant une gorgée de sa boisson infecte avant de se rapprocher de lui, effaçant un peu plus la distance qui les séparait :

- Tu travailles dans quoi maintenant du coup, pour être obligé de passer du temps à la bibliothèque alors qu’il fait tellement beau dehors ? Professeur ? Chercheur ?

Des compliments déguisés, pour sur, alors qu’elle attendait patiemment sa réponse. Elle ne voulait pas l’agonir de questions, paraitre plus intéressée qu’une personne que l’on rencontre au hasard d’un couloir de l’université. Alors elle attendit patiemment que le jeune homme vide son sac, son gobelet toujours à la main, espérant que ce dernier n’avait rien de très très urgent à faire ces trente prochaines minutes : elle ne comptait pas lacher le grappin qu’elle avait mis sur lui de si tôt, parole de Wolstenholme …

Aspen jouait avec ses cheveux, Aspen souriait, Aspen se montrait avenante et attentive. Aspen se faisait irrésistible parce qu’elle était dans l’urgence : Elle n’avait pas le temps de faire copain copine avec Daniel pendant des heures, non, ce dont elle avait besoin, c’était d’un peu de son sang, sur n’importe quoi, dans n’importe quoi, tant qu’il était frais et transportable jusqu’aux laboratoires d’Hippolyte Caesar. En temps normal, elle n’aurait pas autant fait dans la dentelle : elle aurait traqué Dan un soir, l’aurait suivi entre la bibliothèque et son appart, et l’aurait égorgé proprement dans une ruelle sombre avec l’une de ses lames préférées, et elle serait repartie avec un demi litre de son sang dans une bouteille de boisson énergisante. Sauf que, de deux choses l’une : D’abord, elle avait bien compris que Daniel connaissait Calista, et cette dernière ne cautionnerait pas. Et puis… Et puis depuis qu’elle savait pour Lorcan, elle avait un peu de mal à occire du mutant joyeusement, comme avant. Enfin, non, si elle savait qu’ils étaient dangereux, ou agressifs, elle n’hésitait pas une seconde. Mais Dan avait plus l’air d’un gentil fan de Star war fantasmant sur princesse Leïa que d’un psychopathe avide de contrôle et de domination. Du coup, elle se faisait violence, l’écoutant parler de biologie, de son cursus, de son début de doctorat. Blablabla, passionnant, ou pas. En temps normal, elle aurait surement lancé un petit pic sur le cliché du biologiste geek et puceau, mais bon, elle n’était pas assez intime avec Dan pour être sur que ça lui plairait. Subtilité Aspen, subtilité.

- Hmmm hmmm, moi qui voulais mettre de la cigue et de l’aconit … Je suis démasquée . Tant pis, on laissera les marguerites et les tulipes. Quel manque d’originalité.

Un sourire, un nouveau, alors qu’elle terminait son gobelet de café insipide. Trouver. Un. Moyen. De. Le. Couper. Il y avait bien ses ongles, mais pour les enfoncer dans son bras jusqu’au sang, il fallait qu’elle y mette du cœur. Il y avait bien le papier de ses plans, mais de la à réussir à l’entailler à la fois suffisamment et accidentellement… Non, elle avait mieux. Bien mieux. D’un geste précis

- Bon… et bien, j’étais contente de te revoir Daniel, mais j’ai à faire, et je suppose que tes petits organismes vivants doivent t’attendre… Du coup je at…. At…. ATCHAAAA !

D’un geste extrêmement contrôlé mais magnifiquement simulé, sa tête bascula en avant, son front atteignant pile la bouche de Dan’. Elle aurait préféré viser le nez, mais l’énergumène était trop grand, elle aurait du lui sauter littéralement au visage, et ce n’était pas vraiment le but de la manœuvre. Dans cet éternuement surprise, elle percuta magnifiquement la lèvre inférieure du mutant, et elle avait bon espoir de la voir légèrement ouverte. Bingo. Elle mit la main devant la bouche, l’air horrifé :

- Oh … Oh lala, je suis désolée, je pensais pas être aussi près et … Mais, mais tu saignes ?!

Ni une ni deux, elle brandit un mouchoir pour le plaquer sur la lèvre de Dan, se mordant les siennes en lui offrant un regard humide de honte et d’horreur. Elle avait l’air vraiment, vraiment désolée, et elle avait cet air tellement adorable qui ne permettait pas de lui en vouloir plus d’une demi seconde…. Du grand Aspen.

Aspen gloussa nerveusement, alors qu’elle tenait toujours le mouchoir appuyé contre le visage de Dan. En effet, elle y avait peut être mis un peu trop d’enthousiasme dans cet éternuement, et elle ne s’attendait pas à ce que la lèvre de Dan s’ouvre comme ça. Pour peu, elle s’en voudrait presque tiens :

- Si ça peut sauver ton égo, Tu peux dire que tu m’as sauvé d’une bande de malfaiteurs. Je ne nierai pas si on me demande confirmation ! je suis vraiment, vraiment désolée, j’avais pas calculé qu’on était si proche…

Elle sourit à sa plaisanterie, se mordant à son tour les lèvres alors qu’il lui proposait de partir, si elle avait mieux à faire. Bien sur qu’elle avait mieux à faire que de faire la causette à un mutant geek à moitié parano, simplement elle se Devait de le faire, pour Calista. Aussi, elle ne comptait pas le lâcher si facilement, tout de suite. Elle lâcha sa main pour le laisser s’éponger, consciente d’une chose : vu le sang sur son mouchoir, elle en aurait forcément sous ses ongles. Elle le récupèrerait proprement au repousse cuticule pour le mettre sur du coton, a priori ça devrait suffire. Autant continuer de travailler la confiance de Daniel, au cas où elle aurait à lui subtiliser du sang une autre fois :

- Il y a une infirmerie dans le coin ? Parce qu’il faudrait peut être mettre, je sais pas, un peu de gel antiseptique ou du coagulant… Parce que si ça gonfle, tu vas être embêté pour manger et tout …

Elle grimaça à nouveau, attrapa le jeune homme par le bras, et s’éloigna de la machine à café à la recherche d’un point secours et autre infirmerie. A défaut, Dan verrait toute la bonne volonté qu’elle mettait à réparer sa bourde, et ce serait toujours ça de pris. Parfois, il fallait investir dans de petits gestes et attentions anodins, qui laisseraient une bonne impression au jeune homme sur le long terme.

- Du coup ta thèse, tu l’as fait sur quoi ? Tu comptes devenir professeur de fac après ça, ou plutôt chercheur ?

Elle trouva un plan sur l’un des murs de l’endroit, et accompagna Daniel jusqu’à l’infirmerie en trottinant. Elle ne manqua pas de s’excuser encore une demi douzaine de fois auprès du jeune homme, insistant pour rester auprès de lui pendant que l’infirmière l’examinait. Elle attendit que cette dernière ait terminé, avant de secouer la tête, l’air toujours aussi gêné :

- Bon… Je vais peut être te laisser maintenant que je t’ai cassé en deux, je vais peut être arrêter le massacre … Ce fut un plaisir de te croiser à nouveau en tout cas Dan’, et puis qui sait, on se croisera peut être une autre fois dans le coin, si tu vas voir ma sœur ou si tu viens à l’inauguration du parc…

Un sourire, puis la chasseuse s’eclipsa, ses cartes sous le bras et le sang de Dan sous les ongles. Elle était plutôt fiere d’avoir pu lui en subtiliser sans trop de violence : elle n’avait pas eu à menacer Dan des pires souffrances, et c’était déjà une victoire pour la jeune chasseuse …

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