« Racontez-moi votre enfance madame McAllister. » Fit la voix dénuée d’émotion du psychologue.
« Il n’y a pas grand-chose à dire », répondis-je, la voix cassante.
« Si vous voulez que je vous aide, il va falloir me répondre » Argua l’homme, faisant mine de se lever.

Je me levai avec la grâce d’un félin, lui attrapant le bras. Je le fis s’asseoir, mon regard glacial le dévisageant. Mon regard accrocha après un bracelet à mon poignet avant de se reposer sur l’homme. Je capitulai, je lui laissai donc sa première victoire. Je me rallongeai sur le divan de cuir, mes mains se posant sur les accoudoirs. J’inspirai profondément, l’odeur du polissant pour cuir et du désinfectant me faisant grimacer. Je fermai les yeux, tentant de me replonger dans l’univers de mon enfance. Cela semblait si loin et si proche à la fois.

« Commençons par l’endroit où vous êtes née », lança l’homme comme s’il avait lu dans mes pensées.

À cette pensée, je me figeai et mon regard se fit dur sur l’homme qui me fixait au-dessus de ses petites lunettes noires. Il ne devait pas être un transmutant, il devait simplement avoir eu une impression ou il avait simplement deviné que je ne savais par où commencer comme surement la plupart de ses patients.

« Je suis née à Aberdeen, en Écosse, le 23 décembre 1985. Ma mère était Ava McAllister et mon père est parti avant ma naissance donc je ne sais pas son nom ni où il est. Ma mère est six pieds sous terre, assassinée par un dégénéré. » Débitai-je rapidement, mes mains se resserrant sur les accoudoirs.
« Parlez-moi de votre enfance Isla. Comment était votre mère? Comment cela se passait à l’école? Qu’aspiriez-vous dans la vie lorsque vous étiez encore toute jeune? »
« Lorsque j’étais petite, ma mère était alcoolique. Du moins, elle l’est devenue lorsque j’étais âgée de huit ans. Nous vivions à l’époque proche d’une église alors je m’y rendais souvent. Le pasteur était presque comme un père pour moi. Il m’a élevée comme il l’aurait fait avec sa propre fille ce qui fait qu’encore aujourd’hui, je suis croyante. Je me rends encore aujourd’hui tous les dimanches ou presque à l’Église. J’aimais beaucoup, enfant, jouer sous la pluie, faire du dessin ou courir après les insectes. J’étais juste une enfant après tout, j’étais encore naïve. Je croyais que le monde m’appartenait. J’espérais voir ma mère arrêter de boire tous ces litres d’alcool, j’espérais qu’elle arrête de boire pour oublier jusqu’à oublier son propre prénom. J’avais douze ans et entre nous deux, c’était moi qui avait tout à charge. L’Église nous a souvent aidées financièrement. Je m’occupais de ma mère comme on s’occupe d’un bébé. Je ne savais pas si je serais capable d’aller plus loin que le lycée, car je devais travailler pour réussir à ramener de l’argent à la maison et je travaillais énormément pour mon âge. J’essayais de ne pas trop espérer, peut-être que j’allais réussir à être infirmière, serveuse ou femme de chambre, je n’aspirais pas à davantage. »
« Vous êtes pourtant avocate, une avocate des plus reconnues et même celle du maire. Expliquez-moi comment vous vous êtes rendu jusque-là », enchaîna le psychologue.
« J’ai travaillé. Voilà ce que j’ai fait. Je n’avais pas d’amis et je n’y tenais pas. Certes, j’en ai eu au lycée, j’ai eu des petits copains et tout le lot des problèmes d’adolescente habituels. J’aimais plaire et c’est encore le cas aujourd’hui. J’ai décidé finalement de mettre ma mère en centre de désintox’ quand je suis sortie du lycée pour que je puisse avancer dans mes études. Elle en est ressortie deux ans plus tard, l’établissement jugeait que c’était assez, qu’elle allait s’en sortir, mais à peine sortie, je l’ai retrouvée le lendemain dans un bar, complètement saoul. J’ai finalement réussit à faire mes études en droit. J’étais la première de classe. Au début de mes études, j’avais rencontré Ciaràn… »

Je me tus, n’arrivant pas à continuer. Mon fiancé ou plutôt, ex-fiancé… Le seul que j’aie aimé et le seul qui avait su faire battre mon cœur. Je me rappelais de la première fois que je l’avais vu comme si c’était hier. Mon doigt se mit à faire des ronds sur l’accoudoir de cuir bourgogne. Tout semblait si lointain désormais, comme si tous ces souvenirs appartenaient à une autre personne.

« Continuez je vous prie. »
« Ciaràn et moi avons commencé à se fréquenter que quelques années plus tard. Ciaràn est un dégénéré tout comme son frère et anciennement, sa sœur… »

De nouveau le silence alors que mes poings se referment au point où mes jointures en blanchissent. Anciennement... Lyanna était morte dû à ma naïveté. J’avais tué des transmutants, mais Lyanna était la seule qui revenait me hanter chaque nuit. La seule qui me faisait vraiment sentir coupable d’être ce que je suis. Elle était si jeune, si pure… Je me mordis la lèvre, ma respiration devenant tremblotante. J’inspirai profondément, reprenant tranquillement mon sang-froid.

« Ciaràn et moi étions ensemble. Je n’avais rien contre les transmutants à l’époque. Et puis, il y a quatre ans, ma mère a été assassinée. J’étais harcelée par un homme que j’ignorais être un dégénéré. Je refusais toutes ses avances et devinez ce qu’il s’est passé? » Sifflai-je.
« Je ne le sais pas. »
« Le dégénéré était pas très content. Pauvre enfant. Alors, il a tué ma mère. Bam. Ava McAllister appartenait au passé. C’était fini. Les policiers ont dit qu’elle était morte suite à une chute dû à l’alcool, mais je n’y croyais pas vraiment. Je croyais que tout allait en s’arrangeant. Je me fiançais à l’homme que j’aimais, bref, rien pour me plaindre. Un soir, un homme est cependant venu me poser des questions sur la mort de ma mère. C’est grâce à lui que j’ai su pour l’harceleur, que j’ai su que c’était un dégénéré qui avait enlevé la vie à ma mère. Et puis… Je lui ai parlé de Ciaràn et de sa famille… Quelques jours après, j’ai su pour Lyanna… Je… J’ai tenté de prévenir mon fiancé et son frère. J’avais beau détesté les dégénérés, je savais qu’ils ne méritaient pas ça… Ciaràn s’est mis à me haïr… Son frère tout autant. Je me suis retournée alors vers le même qui avait assassiné Lyanna. »
« Pourquoi donc? »
« Je ne lui en voulais pas pour avoir tué un transmutant, il ne savait pas après tout ce que la petite représentait. C’est plutôt à moi que j’en veux, car j’aurais dû tenir ma langue, j’aurais dû me douter que c’était dangereux de lui en parler. »
« Que s’est-il passé ensuite? »
« Des heures d’entraînements intensifs. Des heures à étudier les documents que cet homme avait sur des meurtres douteux qui ne pouvaient avoir été commis que par des dégénérés. J’ai fini par partir de l’Écosse. Il y avait trop de souvenirs douloureux dans ce pays. C’est ainsi que je rencontrai Tobias. Américain, célibataire, je suis devenue sa femme dans le temps de le dire. J’eus ma nationalité américaine ainsi et voilà. Vous connaissez surement les événements récents avec Thaddeus. J’ai su choisir mon camp et rester loyale, voilà pourquoi je suis rendue ici, avocate attitrée du respecté et craint Thaddeus. »
« Pourquoi vous êtes entraînés de la sorte? »
« Pour tuer des dégénérés évidemment. Je suis une Hunter. J’ai tué trois transmutants et ce, sans aucun regret. »
« Une hunter..? Je vois. » Marmonna le psychologue en se levant.

J’eus un petit sourire en coin en lui lançant mon bracelet. Ce dernier le rattrapa par réflexe avant de le fixer, déconcentré par le bruit que le bijou émit. Je levai les yeux au ciel en sortant d’un geste fluide une arme à feu de ma botte.

« Vous lisez les pensées ou un truc du genre je suppose? Je comprends maintenant pourquoi vous êtes un psy aussi ''efficace''! » Dis-je en levant les yeux au ciel.

Ce dernier hocha la tête avant d’attraper des livres et de me les lancer. Je soupirai d’agacement en voyant qu’il avait réussi à sortir de la pièce. Je m’élançai derrière lui, le bruit de mes talons résonnant dans le couloir. Je tirai quelques coups de feu vers le dégénéré, l’atteignant finalement à la cuisse. Il s’effondra au sol et y resta assez longtemps pour que je le rattrape. Il m’assena un coup au visage. Je grognai de rage, lui faisant un croche-pied et le plaquant par la même occasion solidement au sol. Je vis la tête de ce dernier se fracasser violemment contre le plancher de céramique. Je collai le canon de mon arme sur le front, essuyant le sang sur mon visage de mon autre main.

« Vous n’êtes pas obligé de faire cela… » Balbutia le transmutant.
« Vous êtes des meurtriers et les meurtriers ne méritent pas de vivre », crachai-je en appuyant sur la gachette.

Je me redressai, rigide. Un cadre de plus sur notre mur.
C’était une sorte de tradition entre moi et Tobias. Chaque transmutant méritait un cadre dans notre sous-sol, à côté des autres. Faut dire que notre sous-sol n’avait rien de traditionnel. Une cage métallique dans un coin contenant une multitude d’armes en tout genre, une cage à l’autre extrémité de la pièce pour un dégénéré rapporté, le bureau où s’accumulait divers dossiers sur divers transmutants et finalement le mur du fond où s’alignaient plusieurs cadres photos. Les cadres argentés étant ceux que j’avais tués et les cadres dorés pour ceux que Tobias avait tués. Au-dessus de tous ces morts se dressaient trois cadres, un peu plus grand et d’une couleur cramoisie. Ma mère et les deux sœurs de Tobias, toutes trois tuées par des dégénérés.  Cela était destiné à nous motiver et à nous rappeler pourquoi nous faisions tout cela.
Je trainai le corps mou du psychologue jusqu’à ma voiture avant de le jetai dans le coffre, prévoyant aller le dissimuler plus tard. Je jetai de l’eau de javel sur les endroits tâchés de sang et repartit, en sifflotant joyeusement.