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 Sometimes I feel I'm betraying my memory... | Razen & Moira

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Moira Kovalainen
Moira Kovalainen

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MessageSujet: Sometimes I feel I'm betraying my memory... | Razen & Moira   Sometimes I feel I'm betraying my memory... | Razen & Moira Icon_minitimeDim 13 Déc 2015 - 22:44

Sometimes I feel I'm betraying my memory...
Moira & Razen



La vie est mal faite.
C'est toujours lorsque l'on sort de chez soi sans parapluie qu'il se met à pleuvoir, quand on aurait besoin d'écrire quelque chose que l'on se rend compte qu'on a pas de stylo... Et c'est toujours quand vous auriez le plus besoin de vos cinq sens qu'ils vous font défaut.

J'étais l'exemple type de la poisse incarnée, un genre d'aimant à emmerde ou de victime favorite du karma. Je commençais même à me dire que j'avais du être une sacrée connasse dans une autre vie, pour mériter ça... D'ailleurs, le taux d'emmerdes augmentait significativement depuis que j'étais à Radcliff. A croire que c'était cette ville qui me portait malheur...

Alors pourquoi un tel préambule gémissant et plaintif, me direz-vous ? Et bien tout simplement parce qu'à cet instant, j'emmerdais copieusement le destin et la fatalité ! J'étais depuis près de trois semaines aveugle et vaccinée. Par mon propre frère, histoire d'en rajouter une couche. S'il était aux petits soins avec moi et passait me voir tous les jours pour m'aider, je commençais à trouver cela lassant et presque vexant... Il me traitait comme une enfant ou une petite chose fragile dont il devait prendre soin et chouchouter pour se donner bonne conscience. Or, j'avais été habituée très jeune à faire les choses par moi-même et à ne jamais dépendre de qui que ce soit. Si j'appréciais l'aide d'Artur, j'aimais beaucoup moins l'impression de lui être redevable en plus de devoir me reposer sur lui. Je ne supportais tout simplement plus qu'il me traite comme une infirme, pas parce que son attitude m'énervait, mais bien parce que tout cela me donnait l'impression d'être handicapée, bonne à rien et d'être un fardeau.

J'étais donc une mutante privée de son don, aveugle, et une musicienne qui peinait non seulement à trouver des contrats en ville, mais qui en plus ne pouvait plus accepter la moindre commande puisque je ne pouvais plus lire de partitions. J'avais du refuser deux créations qui me tenaient à cœur pour la simple et bonne raison que les portées en braille, ça n'existait pas. Comment apprendre d'oreille une œuvre qui n'a encore jamais été jouée ? J'avais la chance d'avoir un agent artistique formidable et patient, mais je savais bien que je ne pourrais pas repousser éternellement l'échéance... J'allais devoir trouver une solution à tout ça et vite.

Mais ce n'était pas tout. Car oui, quand la fatalité vous poursuit, elle ne fait pas les choses à moitié, bien sûr ! Je ne m'étais toujours pas remise de la mort de mon fiancé, et en faisais même des cauchemars toutes les nuits... Et pourtant, je n'arrivais pas à le pleurer. J'étais dévorée par la tristesse et la culpabilité, mais je n'avais pas encore réussi à passer le stade du déni et de la colère, le déclic ne s'était pas encore fait en moi, à mon grand regret... J'avais pleuré ma mère, des jours durant après le retour de mon père, j'avais hurlé dans mon oreiller, souhaité ardemment la mort de son meurtrier, mais avais accepté sa mort. Car si elle était horrible et injuste, je savais que je n'aurais rien pu faire pour elle. Mais William... Tout en moi me hurlait que j'étais coupable, que j'aurais du être là, que j'aurais du le retrouver plus tôt... Qu'il aurait pu être encore en vie si j'avais vraiment tout fais... Et pour cela, je n'arrivais pas à accepter sa mort ni à le pleurer. La tristesse restait coincée dans ma gorge comme une boule de rancœur et de haine que rien ne semblait pouvoir faire descendre dans mon œsophage. J'avais pensé qu'Artur ou mon père, qui me connaissait mieux que personne parviendraient à faire bouger les choses, mais j'essayais toujours de garder le sourire en leur présence, de sourire ou de faire la conversation comme si tout allait bien... Je n'allais pas bien, et c'était bien là tout le problème. Je jouais la comédie, et je la jouais très mal, mais c'était le seul moyen que j'avais trouvé pour me protéger.

Je vous vois vous impatienter, au fond ! Bien sûr que je ne vous ai pas encore dis pourquoi la vie est une telle pourriture déterminée à vous en faire baver ! Mais patience, j'y viens !

Car si avec tout ça je commençais à franchement tout cumuler, ce n'était rien en comparaison de la catastrophe que je subissais à cet instant... Un fiasco. C'était un véritable fiasco ! Les restes d'un ouragan jonchaient le sol de ma cuisine, les débris d'un saladier étaient éparpillés sur le carrelage, la pâte à gâteau recouvrait aussi les murs que les étagères, et j'étais aussi échevelée et enfarinée qu'un bonhomme de pain d'épices. A peu de choses près. Un carnage, voilà ce que c'était. J'avais toujours été plutôt douée en cuisine, surtout en pâtisserie. Et habituellement, je ne ratais jamais mon bavarois citron framboise. Seulement d'habitude, j'y voyais très bien et j'étais plutôt bien portante. Avec les derniers événements, j'avais perdu pas loin de huit kilos et avait la force d'un moucheron. Alors, quand mon pied avait rencontré le coin du bar, j'avais juré avec l'élégance d'une demoiselle bien élevée et avait lâché mon saladier qui était allé s'écraser au sol. Et dire qu'Artur devait venir me voir dans... Dans combien de temps, déjà ? Je n'en avais aucune idée, je ne pouvais plus lire l'heure. J'attrapais mon téléphone qui me hurla l'heure dans les oreilles.

Parfait. Je n'avais pas de dessert, pas de plat, rien. Et je ne voulais pas imaginer la petite moue déçue qu'Artur savait si bien faire. Pas besoin de la voir pour le savoir ! Il me restait six heures pour aller faire des courses et m'activer à nouveau en cuisine. C'était faisable, mais je ne devais pas tarder. Je laissais alors tout en plan dans la cuisine et me jetais dans la salle de bain pour me refaire une beauté... Bon ok, pour engager une entreprise de travaux publics spécialisés dans les miracles. Hors de question que je sorte avec de la farine sur la tronche, j'avais des limites. Une fois prête, j'attrapais mes clés, mon sac à main et mon téléphone, avant de me rendre compte qu'il me manquait l'essentiel. Cette foutue canne blanche qui me suivait partout depuis des semaines. Saloperie...

Avec un soupir, j'attrapais la canne, m'assurais au mieux qu'aucune bestiole ne sorte de la maison, et verrouillais à double tour. Je branchais mon téléphone en mode GPS, un écouteur dans une oreille, et filait rapidement vers le supermarché. A force de faire le trajet, je commençais à le connaître et avais l'air plus naturelle quand je me déplaçais... Enfin c'était ce que m'avait assuré mon père... Après tout, il disait peut-être ça pour me faire plaisir.
Une fois arrivée au supermarché, je me faufilais rapidement dans les rayons, les connaissant par cœur au point de savoir qu'en tournant une fois à droite j'arrivais aux fruits et légumes, et à gauche aux produits frais. Je me précipitais vers les fruits et percutais alors quelqu'un de plein fouet au moment où j'attrapais un citron. Le fruit lui arriva en pleine figure, et je tombais à la renverse en glissant sur une feuille de salade.

Bien. Arrêtons-nous un moment ? Quelqu'un a-t-il déjà vu plus ridicule et honteux que ça ? Non ? Et bien ça me rassure. Enfin je crois... Se casser la figure comme une grand mère au milieu d'un supermarché, ce n'est pas ce qu'il y a de plus glamour ou discret.

J'avais fais un combo. La bousculade, le citron dans la figure, la chute. Et comme d'habitude, je démarrais au quart de tour en agressant le type ou la nana que j'avais bousculé.

« Vous pouvez pas regarder où vous allez ? »

C'est vrai, quoi ? N'importe qui aurait remarqué que je ne me promenais pas avec une canne pour faire jolie ! Mais je compris rapidement que dans l'histoire, j'étais la plus en tort, et me relevais tant bien que mal en pleurant mon pauvre fessier malmené.

« Désolée... C'est moi qui vous ai bousculé, je suis vraiment désolée... Enfin vous avez du remarquer que je n'y vois rien alors... Heu... Je pense que l'expression « je ne vous avais pas vu » trouve tout son sens, hin ? Je ne vous ai pas fais mal, au moins ? »

A vrai dire, je m'attendais un peu à n'avoir droit qu'à un reniflement dédaigneux au mieux, une tomate dans la figure au pire. Après tout, quel était le pourcentage de chance – ou de risque, au choix – pour que je tombe sur quelqu'un dans le même état que moi ? Que je vous disais que le karma avait décidé de s'acharner sur moi...
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Razen Townshend
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MessageSujet: Re: Sometimes I feel I'm betraying my memory... | Razen & Moira   Sometimes I feel I'm betraying my memory... | Razen & Moira Icon_minitimeLun 14 Déc 2015 - 18:44

Sometimes I feel I'm betraying my memory...
Moira & Razen



La vie est bien faite. On ne dirait pas, comme ça, mais quelque part… la vie est bien faite. Et Razen l’expérimente actuellement alors qu’un bras en écharpe et des lunettes sur le bout du nez, il fait sa sortie hebdomadaire avec la vitalité d’une puce hyperactive et l’énergie d’un adolescent surexcité. On pourrait d’ailleurs presque croire qu’il n’est pas aveugle, le bougre, lorsqu’on le regarde se déplacer avec aisance dans le magasin et siffloter en attrapant il ne sait trop quoi pour le balancer dans son caddy. Oh, il a bien une liste de course, écrite en braille même – avec l’efficacité qu’on lui connait et la patience qu’on lui connait – mais voyez vous, il a la flemme de la lire et plus encore la flemme de sortir son téléphone pour qu’il lui traduire les différentes étiquettes. La dernière fois qu’il a fait les courses, Alvin et lui ont mangé des salsifis pendant une semaine.

D’accord, jusque là, on pourrait croire que d’après Alvin, la vie est sacrément mal faite, ou que son frère aîné est sacrément stupide aussi mais attendez un peu avant de faire des conclusions hâtives. Razen, donc se retrouve à faire des courses. Tout seul. Un bras en écharpe et des lunettes teintées pour éviter aux personnes de croiser son regard étrangement vide. Les cheveux décoiffés, une moue faussement soucieuse aux lèvres. Il a l’air très intelligent le bougre. Il hésite, entre une boite de conserve et une boite de conserve. Ses doigts glissent, trouve la texture d’un pot en verre au contenu non-identifié. Pendant un instant, Razen envisage de faire une folie et de sortir sa liste de course. Un instant, un tout petit instant. Bon sang, pourquoi est-ce qu’ils ne peuvent pas traduire systématiquement en braille les étiquettes, hein ? Comme pour les médicaments, ils sont bien les médicaments pour ça… Ou alors, laisser le contenu accessible aux petites mains fureteuses comme pour les fruits et légumes. D’ailleurs, en parlant de fruits et légumes… Razen délaisse le rayon d’il ne sait quoi et pousse le caddy dans la direction approximative du potager du bâtiment. La vie est mal faite quand on est un aveugle, mais il persiste à penser que la vie est bien faite quand même.

Pourquoi ? Parce que lorsqu’on accumule les emmerdes, on ne s’attend pas à avoir un rayon de soleil brutal dans sa vie. Et parce que lorsqu’on apprend successivement que la personne en qui on a le plus confiance nous a caché des choses, qu’on va être tonton, qu’on entre dans liste noire d’une personne influente à cause du petit frère, qu’on se fait tabasser sans raison, qu’on se fait cramer l’épaule et battre sans raison non plus, à ce moment là, on ne s’attend pas vraiment à avoir une bonne nouvelle. L’arrivée d’Ailionora aurait pu être une emmerde supplémentaire dans cette liste si Razen n’avait pas été aussi… ému de savoir qu’il avait donné la vie à une gosse adorable. Alors oui, il est parfaitement conscient que c’est niais à en mourir de penser ça de cette manière, mais il lui faut bien regarder la réalité en face : Razen ne peut se résoudre à lâcher la gamine maintenant. Surtout qu’il ne lui faut rien de plus qu’un toucher succin pour avoir la confirmation que cette mioche est la sienne et qu’à chaque fois qu’elle lui fait un câlin, il se prend sa paternité dans la gueule avec une violence inouïe. C’est sa fille. A lui. Sa gamine. Et c’est donc pour ça que la vie est foutrement bien faite quand on y réfléchit un peu. Et c’est aussi pour ça, enfin, qu’il fait les courses tout seul.

Il veut lui offrir quelque chose. C’est affreusement stupide. Razen est incapable de cuisiner – de toute manière, même avec ses yeux fonctionnels, il en était déjà incapable – et il n’a strictement aucune idée de ce dont une gamine et surtout la sienne pourrait avoir envie. Elle a quel âge déjà ? Il ne s’en souvient déjà plus. Et il se désespère. Il veut lui offrir quelque chose et lorsqu’il arrive au rayon fruits-et-légumes dans l’idée d’acheter deux trois trucs de saison, il est plongé dans ses pensées et délaisse le caddy à quelques pas. Sans sa canne, il peut se fondre sans problème dans la masse mais surtout, il peut plus facilement se perdre. Et sans sa canne, aussi, il ne peut pas signifier aux autres qu’il n’y voit rien et il peut encore moins fracasser les genoux des crétins qui restent plantés devant lui. Aussi, tous ces éléments cumulés font qu’il n’a strictement aucune chance d’éviter le choc. Il ne comprend rien à sa vie, le pauvre Razen lorsqu’il se prend un citron – un peu trop mur – dans la tête et surtout une personne. « Bordel de merde ! » Une flopée de jurons et un cri de douleur, il tombe en arrière et percute l’étalage des fruits dans un bruit sonore, sans trop de casse heureusement. « Vous pouvez pas regarder où vous allez ? » Il est un peu sonné le Razen, et au départ, il pense juste avoir mal entendu. Puis son cerveau se réactive et les oreilles confirment l’envoi du fichier son. Il éclate de rire, adossé à l’étalage, en entendant la personne se relever. « Désolée... C'est moi qui vous ai bousculé, je suis vraiment désolée... Enfin vous avez du remarquer que je n'y vois rien alors... Heu... Je pense que l'expression « je ne vous avais pas vu » trouve tout son sens, hin ? Je ne vous ai pas fais mal, au moins ? » … un instant…

Vous avez du remarquez que je n’y vois rien. Il éclate de rire, à nouveau. Heureusement qu’il est de bonne humeur, d’ailleurs. Il tente de reprendre son calme lorsqu’il se rend compte ce que trahit l’ensemble des propos de la jeune femme. Déjà, elle est aveugle tout comme lui, ce qui est quand même assez marrant quand on y pense. Ensuite… elle est désolée. Et maladroite. Et inquiète. Il se relève, en maugréant lorsque son épaule se rappelle à son bon souvenir. Son rire cesse, il hésite pendant un instant entre la rassurer et s’amuser de la situation. De sa main libre, il tâtonne maladroitement dans sa direction jusqu’à trouver ce qu’il suppose être une main. « Je peux ? » Sa voix se fait douce et il étouffe un peu de cette moquerie qui pourrait la vexer. S’il en suit son instinct et sa mutation, elle n’est pas aveugle depuis très longtemps et ce serait réellement mal vu de sa part que de l’embêter avec ça. Après tout… il est en tort lui aussi. Un peu. « Ne vous en faites pas, je n’ai rien de plus que ce que je n’avais déjà niveau bobo et pansement. Et je n’ai rien remarqué du tout, vous êtes charmante dans tous les cas. Votre voix l’est, du moins. Vous n’avez rien ? » Il ne veut pas imposer le contact parce qu’il sait à quel point il est désagréable, lorsqu’on est aveugle, d’être touché sans s’y attendre. « Il n’y a personne pour vous accompagner ? La canne est peut être ta meilleure amie, elle ne remplace pas tout, hein ! » Le tutoiement débarque tout seul, sans même demander l’avis de Razen. Il est mignon, Razen, de s’inquiéter comme ça. Lui qui n’a ni sa canne dans les mains, ni accompagnateur non plus. Oui, mais lui ce n’est pas pareil prétexte-t-il aussitôt. Il veut faire un cadeau à sa fille et son frère n’est pas disponible.

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Moira Kovalainen
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MessageSujet: Re: Sometimes I feel I'm betraying my memory... | Razen & Moira   Sometimes I feel I'm betraying my memory... | Razen & Moira Icon_minitimeMar 15 Déc 2015 - 0:23

Sometimes I feel I'm betraying my memory...
Moira & Razen



Si le « bordel de merde » du type que je venais de bousculer ne m'étonnait pas, j'étais en revanche bien plus surprise par ce rire qui suivit mes excuses. Je rêve où il me prenait pour une conne ? Je n'avais ni la patience, ni l'humeur pour me joindre à lui, et me contentais donc de faire la moue. Encore un con qui devait trouver ça drôle de voir une nana aveugle qui ne sait pas où elle met les pieds ! Entre ça et ceux qui essayaient de me materner, je ne savais pas vraiment lesquels je méprisais le plus. C'est vrai, quoi ? On ne pouvait pas simplement me voir comme une personne normale et lambda, juste un peu plus gauche et concon que la moyenne à cause du vaccin ? Bon d'accord, le vaccin n'était pas le seul à être en cause, si je ne m'étais pas précipitée sur l'étal de fruits, je n'aurais pas percuté l'abruti qui se foutait maintenant de ma gueule.

« Il va falloir m'expliquer ce qu'il y a de drôle, car j'ai un peu de mal à vous suivre... Si c'est ma tête qui a quelque chose de comique, j'en suis ravie... »

Quoi que non. Je n'en était pas ravie, j'avais envie de jeter à la figure de l'autre tout un assortiment de courgettes, poivrons et clémentines. Peut-être même que s'il persistait à me prendre le chou, je serais tentée de lui enfoncer un concombre dans le fondement ! Si tant est que je trouve un concombre... Finalement, l'autre sembla se calmer et s'approcha, me tendant la main. Comment je le savais ? J'avais sentie ses doigts effleurer les miens, et je devais bien reconnaître qu'il marquait un point : J'étais tellement sur les nerfs depuis ma vaccination, que je ne supportais pas que qui que ce soit me touche sans m'en avoir avertie. S'il m'avait pris la main sans me prévenir, l'inconnu se serait retrouvé avec la marque de mes doigts imprimée sur la joue, c'était aussi simple que ça. Mais au fait... Pourquoi voulait-il me prendre la main ? Si c'était pour m'aider, Il pouvait... Et bien non, il ne pouvait pas aller se faire foutre, car si je pouvais monopoliser un instant l'attention de quelqu'un pour m'aider à faire mes courses, je n'allais pas me priver. Je lui tendis la main avec un demi sourire, pensant qu'il interpréterait ça comme un signe d'acception, puis ajoutais.

« Heu... Oui... Ca vous ennuierait de m'aider ? J'ai besoin de cinq citrons et j'ai toujours l'impression d'avoir l'air d'une perverse fétichiste quand je tâte les fruits un par un... »

… Non mais faites-moi taire ! S'il n'avait pas encore fuit, là je l'avais probablement achevé ! D'un autre côté, il fallait avouer qu'être aveugle vous rendait tactile... Du moins encore plus que d'habitude. D'ailleurs, Artur n'avait pas trop apprécié que je lui mette un doigt dans le nez quand j'avais essayé de le reconnaître au toucher. Depuis j'avais arrêté, même si c'était tentant de recommencer juste pour l'entendre soupirer d'agacement. Il l'avait bien cherché, c'était de sa faute si je me retrouvais dans la peau de Ray Charles, maintenant ! Mais inutile de m'énerver sur Artur pour le moment, après tout il n'était pas là. L'autre avait l'air de prendre toute cette histoire à la rigolade, et je devais avouer que ça avait quelque chose de rafraîchissant. Enfin quelqu'un qui ne se mettait pas à pleurer en disant « oh mon dieu j'ai bousculé une aveugle, je vais aller en enfer si je ne sacrifie pas une chèvre sur l'autel de la honte maintenant ! » Bande de cons...

« Oh rien qu'un coccyx douloureux et un coup dur pour mon orgueil, je m'en remettrai ! Comment ça rien de plus niveau bobos ? Vous êtes blessé ? »

En revanche, je ne savais pas trop comment je devais interpréter la suite de sa phrase... Autant le « vous êtes charmante » c'était un refrain éculé et je me serais contentée de sourire en le traitant intérieurement de couillon, autant... Ma voix était charmante ? Bah dis tout de suite que le reste ne l'est pas, non mais ! Des cheveux roux flamboyant, de superbes yeux bleus et une bouche qu'on rêverait d'embrasser, ça te suffit pas ? Ok, reste calme, Moira. Après tout, j'avais peut-être encore de la farine sur le nez et l'air hébété d'un poisson hors de l'eau.

« Comment dire... Je ne sais pas trop comment je dois le prendre... Il n'y a que ma voix qui est charmante ou bien j'ai raté un épisode ? »

Et merde. J'avais posé ma question à voix haute. Bien, Moira, très bien !
L'inconnu poursuivi, me demandant s'il n'y avait pas quelqu'un pour m'accompagner. Je haussais les épaules en secouant la tête. Habituellement, Artur venait m'aider à faire les courses, mais nous étions en pleine journée, il était au travail et je ne voulais pas le solliciter une fois de plus alors que je voulais lui faire une surprise. Quant à mon père, j'avais tellement honte de ne plus être qu'une moitié de mutante que je refusais de lui demander quoi que ce soit. Il souffrait bien assez depuis la mort de ma mère pour ne pas en plus avoir un boulet comme moi accroché à son pied. J'aurais pu demander à Marius, c'est vrai... Ou à Seth... Voire aux deux... Sauf qu'au final, mon chariot aurait été rempli de cochonneries et de trucs inutiles – j'entendais déjà ces deux idiots chouiner pour acheter une babiole inutile sous prétexte qu'elle était marrante – et au final l'après midi se serait terminé dans mon salon, avec nous trois torchés et entourés de cadavres de paquets de chips et de bouteilles d'alcools divers et variés. Donc non. Pour le bien être de cette soirée à venir, il fallait que je me tienne loin de Marius et Seth !

« D'habitude mon frère m'aide à faire les courses... Lui au moins il voit les étiquettes ! Ahaha ! Mais je veux lui faire une surprise, alors je suis venue toute seule et... Voilà le résultat ! Vous n'avez pas idée à quel point c'est fatiguant de devoir tout faire sans une paire d'yeux ! J'ai l'impression d'être dépendante de mon téléphone qui me hurle les prix dans l'oreille et me donne des ordres... Je vais finir par acheter le premier truc qui me tombe sous la main ! »

Et surtout j'aurais pu me taire, au lieu de raconter mes malheurs à un inconnu ! Non mais vraiment, Moira...

« Désolée... Je vous bouscule, je vous bassine avec mes problèmes... Promis je ne mords pas ! En principe... Je m'appelle Moira. Et vous ? »

Bah oui, quoi ? Quitte à demander de l'aide à un inconnu, autant savoir comment il s'appelle ! D'autant qu'une chose m'intriguait : Il avait l'air de vachement bien comprendre les tourments que pouvaient traverser une personne aveugle... Peut-être en connaissait-il un ou une ?
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Razen Townshend
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MessageSujet: Re: Sometimes I feel I'm betraying my memory... | Razen & Moira   Sometimes I feel I'm betraying my memory... | Razen & Moira Icon_minitimeMar 15 Déc 2015 - 1:22

Sometimes I feel I'm betraying my memory...
Moira & Razen



Dans le fond, Razen est quelqu’un de plutôt sociable, il faut bien l’avouer. Il a la conversation facile, de nombreuses anecdotes à raconter – la plupart totalement inventées, certes, mais passons – et il a aussi toujours des remarques à faire, pertinentes ou intelligentes, sur ce qu’on raconte. Passer son après-midi dans un bar à taper la causette avec ses voisins et le barman est pour lui le meilleur moyen de passer son temps, lorsqu’il sent qu’une personne est mal à l’aise, il va toujours faire pour la dérider. Et enfin, Razen aime bien, il faut se le dire, rencontrer de nouvelles personnes. Seulement, il y a rencontre, et rencontre, et entre les deux termes, et surtout la manière de les dire, et bien… il faut noter une différence. Et la différence, dans le cas présent, c’est l’étalage de fruits qu’il se prend dans le dos et la douleur qui percute son épaule un peu trop malmenée ces temps-ci. Il jure, par automatisme. Et il rit. Les réactions de Razen sont à l’image de son caractère : profondément lunatiques et conditionnées par d’infimes détails. Et là… bon sang, les probabilités pour qu’une aveugle lui tombe dessus, comme ça, avouez qu’elles sont minimes. Il rit, l’ahuri, parce qu’il préfère ça à pleurer et que la situation se prête désespérément trop bien à une certaine moquerie. « Il va falloir m'expliquer ce qu'il y a de drôle, car j'ai un peu de mal à vous suivre... Si c'est ma tête qui a quelque chose de comique, j'en suis ravie... » Et ça le fait rire, davantage encore. Il éclate de rire, Razen, parce que cette situation est tellement incongrue qu’elle lui semble surréaliste. Mais il ne suffit que de quelques mots pour que l’anglais cesse de rire et se force à retrouver son calme. Déjà parce que la jeune fille ne semble pas à l’aise avec sa cécité, ensuite… parce que ce n’est pas très sympathique de l’attaquer sur ce terrain là. Il ne sait que trop bien les réactions habituelles des gens face à un aveugle, et il sait encore plus l’exaspération que ça peut faire naître. Avec une douceur née de la pratique et de l’habitude, il quête un contact, effleure sa main avec douceur, demandant la permission de s’en saisir. Tactile, définitivement tactile lorsque c’est lui qui impose le contact, Razen fait partie de ces personnes qui ne peuvent parler sans poser la main sur l’épaule ou le bras de l’autre. Ses doigts s’entremêlent dans ceux de la jeune fille, comme un fil conducteur le maintenant à flots. Tactile depuis toujours cette tendance s’est largement intensifiée avec la perte de sa vue et l’éclosion de sa mutation. En une fraction de seconde, il confirme ce que son intuition lui hurlait : elle n’est dans le noir que depuis peu de temps. Trop d’indices le lui chuchotent, bercés par cette compréhension innée qu’il a des gens. Il ne s’enfonce pas très loin, il se contente de gratter la surface. Et ça lui suffit pour savoir le principal.

Malheureusement, ça lui suffit aussi pour manquer de se déconnecter de la réalité et ce n’est que de justesse qu’il se rend compte qu’elle lui parle à nouveau. « Heu... Oui... Ca vous ennuierait de m'aider ? J'ai besoin de cinq citrons et j'ai toujours l'impression d'avoir l'air d'une perverse fétichiste quand je tâte les fruits un par un... » Il a un sourire aux lèvres. Les fruits, au moins, ils ne sont pas enfermés dans une boite de métal qui les tient à distance de sa compréhension. Les fruits, au moins, il peut les choisir avec une précision hors du commun, un simple effleurement lui permettant de tout savoir d’eux, jusqu’à leur degré de maturité. Avec un soupçon d’amusement dans la voix, il s’entend rire du bout des lèvres. « Tant que vous ne vous hasardez pas à tâter autre chose, personne ne peut vous en vouloir. D’autant plus que vu comme celui que vous m’avez envoyé à la figure était un peu trop mûr,… » Il s’amuse, le bougre, de pouvoir être utile à quelqu’un. C’est agréable en même temps lorsqu’on est désespérément voué à être dépendant à vie d’une personne, que de pouvoir venir en aide à une personne sur un sujet aussi ridicule que le choix de… qu’a-t-elle demandé ? Citrons. Mais pour le moment, il préfère ne pas perdre le contact et avec une seule main de pleinement valide… une chose en son temps. S’il va bien ? Tout à fait bien, si on oublie ce que la petite garce dont s’est entiché son frère lui a infligé. Pas de bobos en plus à mettre à son palmarès, c’est le principal. Il se fait taquin, le Razen, confessant à demi-mots qu’il n’y voit goutte lui non plus et finissant par s’inquiéter à son tour de la santé de la jeune fille. « Oh rien qu'un coccyx douloureux et un coup dur pour mon orgueil, je m'en remettrai ! Comment ça rien de plus niveau bobos ? Vous êtes blessé ? Comment dire... Je ne sais pas trop comment je dois le prendre... Il n'y a que ma voix qui est charmante ou bien j'ai raté un épisode ? » Le visage de Razen, heureusement hors de portée de la jeune fille, se trouble un instant. S’il balaye d’un mouvement fantomatique de la main la question concernant ses blessures, il craint de l’avoir vexé ou de ne pas avoir été très clair. Mais en même temps… qu’est ce qu’il y peut, s’il ne peut jauger de la beauté d’une personne qu’à la voix et au toucher ? En effleurant la main de la jeune fille, s’il s’hasarde à y penser, il a immédiatement conscience de toute sa physionomie juste dans son intimité et bien que ça lui permette de faire des remarques tout à fait tordantes quant à certains mecs ayant quelque chose à compenser, c’est relativement gênant le reste du temps.

Et il préfère largement brider son don dans ce genre de situation. Et donc… « Oh… mais ne soyez pas si susceptible, si votre voix est charmante, c’est bien sûr que tout le reste l’est… enfin, je présume. » Et puisqu’il y pense, il retire un peu trop tard sa main pour mieux rompre le contact de leurs épidermes. Elle est plutôt bien foutue, bon sang. Razen s’empresse de reculer à la recherche de citrons mûrs, pour mieux changer de conversation. Lorsqu’on est aveugle, en général, on ne fait pas vraiment les courses seuls, sauf lorsqu’on est un guerrier suffisamment aguerri pour supporter les plaintes de son frère face à une sombre histoire de salsifis. Lorsqu’on est aveugle, donc, on a au mieux un larbin pour faire les courses avec soi, au pire un frère – même si ça revient au même selon Razen, et dans la majorité des cas, on ne fait pas les courses tout court. « D'habitude mon frère m'aide à faire les courses... Lui au moins il voit les étiquettes ! Ahaha ! Mais je veux lui faire une surprise, alors je suis venue toute seule et... Voilà le résultat ! Vous n'avez pas idée à quel point c'est fatiguant de devoir tout faire sans une paire d'yeux ! J'ai l'impression d'être dépendante de mon téléphone qui me hurle les prix dans l'oreille et me donne des ordres... Je vais finir par acheter le premier truc qui me tombe sous la main ! Désolée... Je vous bouscule, je vous bassine avec mes problèmes... Promis je ne mords pas ! En principe... Je m'appelle Moira. Et vous ? » Razen sourit, s’adosse à l’étalage où il a déjà sélectionné deux citrons pendant qu’elle parlait. Ses doigts en effleurent un troisième et le rejettent sans arrière pensée, pas assez mûr à son goût. Elle donne l’impression de ne pas avoir compris que lui aussi ne voit rien, mais il hésite entre la mettre au goût du jour et la laisser se répandre en lamentations quant à son état, comme si lui ne pouvait pas comprendre. Moira. Moira ? C’est un joli prénom. Un peu trop irlandais, un peu trop gaélique ne peut il s’empêcher de tiquer, rendu sensible aux consonances irlandaises grâce à sa mioche tout juste débarquée de Dublin. « Moi c’est Razen. Et ne vous en faites pas, vos problèmes ont un petit côté touchant de naïveté. » Son sourire s’accentue encore un peu lorsqu’il revient d’un pas faussement assuré en direction de Moira. Pitié, faites qu’elle n’ait pas bougé. « Tiens », le retour du tutoiement, « En voilà deux, ne les faites pas tomber, ils sont juste mûrs. » Il pose sa main valide sur l’épaule de la jeune femme dans un effleurement poli, histoire qu’elle puisse ranger ses citrons dans son sac ou autre sans qu’il ne perde le contact. « Et crois moi, si tu as un frère, évite de prendre les premières conserves qui te tombent sous la main. Pour peu que tu tombes sur des conserves de salsifis,… ces petites choses ne payent pas de mine, mais elles ont de quoi déclencher une guerre nucléaire. » Et il parle en connaissance de cause. « C’est très certainement indiscret mais… Moira… depuis quand es-tu aveugle ? Tu ne sembles pas vraiment à l’aise avec… » Avec ? « Tout ça. » Tout ça. Bien. Sois plus clair, Razen. Tout ça quoi ? Tout ça, le braille, les étiquettes illisibles, les téléphones qui hurlent aux oreilles d’une voix robotique à laquelle Razen n’arrive définitivement pas à se faire malgré les années et leur perfectionnement. Il a même essayé une voix de téléphone rose, ça ne change rien au fait que ça l’irrite d’être obligé de brandir son téléphone comme une lampe torche. « Ils sont chiants, hein, avec leurs conserves qui se ressemblent, leurs étiquettes pas adaptées et tout le touintouin. C’est à t’écœurer de vouloir faire des surprises. Tiens, la dernière fois, j’ai voulu offrir de nouveaux caleçons à mon frère, apparemment je lui ai pris des trucs avec des petits cœurs roses qui, d’après lui, réduise à néant sa crédibilité et sa virilité. Je lui ai dit, pourtant, Hé ! Mec ! C’est pas de ma faute si quand je t’ai décrit, la vendeuse a cru que ça t’irait à merveille. C’est totalement ingrat les frères… et tu vois, moi aussi je sais raconter ma vie. » Il finit enfin par se taire, Razen. Lui aussi sait raconter sa vie et surtout, il sait raconter n’importe quoi juste pour noyer le poisson et mettre la personne à l’aise. Il ne l’a pas lâchée une seule seconde, la Moira, ses doigts délicatement posés sur son épaule. Il se mord la lèvre, incertain quant à la réaction qu’elle va avoir. Ce qu’il veut, c’est qu’elle sache qu’elle a un allié. Certes, aussi taupe qu’elle, mais un allié, c’est déjà pas mal, même lorsqu’il est à demi-fonctionnel, non ?

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Moira Kovalainen
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MessageSujet: Re: Sometimes I feel I'm betraying my memory... | Razen & Moira   Sometimes I feel I'm betraying my memory... | Razen & Moira Icon_minitimeMar 15 Déc 2015 - 16:44

Sometimes I feel I'm betraying my memory...
Moira & Razen



J'étais venue pour quoi, à la base ? Ah oui. Des citrons, des framboises, des œufs... Bref, tout ce qui aurait dû me permettre de refaire ce foutu bavarois pour faire plaisir à Artur. Franchement... Qu'est ce que je n'aurais pas fait pour mon frère ? Ah oui. Rien. J'étais aussi bien prête à donner ma vie pour lui que de me lancer dans la confection d'une pâtisserie difficile à réaliser en étant aveugle. Et après il osait me dire que j'étais odieuse... Oui, j'avais du mal à m'en remettre. Moi ? Odieuse ? Bien sûr que je l'étais ! Il lui en avait fallu du temps pour s'en rendre compte ! Bref. Arrête de t'énerver toute seule, Moira ! Pense à ton gâteau, pense à tout ce sucre dont tu vas te gaver et pense aux cinq kilos que tu vas enfin reprendre en en mangeant la moitié !

Et l'autre gugus qui riait... C'était bête, mais son rire avait quelque chose de communicatif, et je ne pouvais m'empêcher de sourire à mon tour. Il fallait avouer que la situation avait quelque chose de coquasse et passablement ridicule. Lorsqu'il me saisi la main, je me demandais un instant à quoi rimait toute cette histoire... Ses doigts jouaient avec les miens alors que je m'attendais simplement à ce qu'il m'aide à trouver un appui sur l'étal de fruit, pas qu'il commence à me tripoter la main ! Pourtant, je ne retirais pas ma main, car ce contact humain, tangible, avait quelque chose de rassurant. Lorsque l'on est en pleine possession de ses cinq sens, on ne se rend pas compte de l'importance de la vue dans la prise de conscience de notre environnement. Fermez les yeux et vous vous rendrez vite compte que l'ouïe et le toucher arrivent juste derrière ! Par ce simple contact avec mon interlocuteur, je prenais conscience de sa présence de manière bien plus physique. Et surtout, il ne me prenait ni pour une empotée, ni pour une infirme... La situation avait même plutôt l'air de l'amuser ! J'éclatais de rire à mon tour lorsqu'il accepta de m'aider à trouver des citrons.

« Si ça peut vous rassurer, je ne vais pas aller vous tripoter, ça serait déplacé... Pas sans y être invitée ! »

Bah oui... Fallait pas non plus me demander d'être totalement sérieuse ! J'attendais donc gentiment qu'il me trouve les cinq précieux citrons qui me manquaient, mais il ne lâchait pas ma main. Allons bon... Il avait peur que je m'enfuie, ou quoi ? Et pour aller où ? Je fronçais légèrement les sourcils en me demandant ce qui lui arrivait... Sa main se crispa contre la mienne et il la retira vivement, comme s'il s'était brûlé au contact de ma peau. J'avais dit quelque chose de mal ? Et sa remarque me rendit encore plus sceptique. Comment ça il présumait ? Il entendait parfaitement ma voix, mais c'était comme s'il ne me voyait pas... Oh... Minute... Dites-moi que c'est une blague... Je gardais un moment mes hésitations pour moi cependant.

« Non non je ne suis pas vexée, c'est juste que vos remarques sont... Bizarres... Enfin je veux dire... A vous entendre on dirait que vous êtes aussi bigleux que moi ! »

Sauf que c'était impossible ! Sinon comment aurait-il pu trouver ma main pour y poser la sienne sans risquer de mettre une baffe au passage ? Je n'y comprenais plus rien et en oubliais presque que j'étais pressée, à l'origine. Pressée, citron, décidément c’était la journée de l’humour… Tout en me cherchant les quelques fruits qui me manquaient, l’inconnu que j’avais bousculé se présenta à moi. Razen… Ce n’était pas courant, comme prénom ! Etrange, car je reconnaissais bien dans sa voix cette préciosité typiquement londonienne… Rien à voir avec mon accent irlandais que même d’autres anglophones ne comprenaient pas, parfois. Je m’étais attendue à un John, un Edward ou un Charles, mais pas à… Razen ! Je me retenais même de lui demander d’où ça venait, des fois que ça serait mal interprété… Et j’aurais pu être vexée par la fin de sa phrase, car après tout il était un peu en train de se foutre de moi… Seulement, quelque chose me disait que mes soupçons étaient en train de se confirmer. C’était comme si j’expliquais des faits évidents à quelqu’un qui ne les connaitrait que trop bien. Comme si c’était évident pour lui que la vie d’un aveugle était compliquée… Finalement, il s’approcha à nouveau de moi et posa une main sur mon épaule, me faisant sursauter. Il me fourra deux citrons dans les mains, et j’en parcourais la surface ronde et lisse comme pour m’assurer qu’il s’agissait bien d’agrumes et non de tomates. Je les rangeais dans mon cabas en me disant que finalement, je m’étais sûrement fait des idées. Comment un autre aveugle aurait pu trouver sans problème ce que je cherchais alors qu’il n’avait pas plus de repères que moi ? Je me rendais soudain compte que j’étais presque déçue… Comme si, quelque part, j’aurais voulu pouvoir parler à quelqu’un comme moi, quelqu’un ayant perdu la vue… Quelqu’un qui aurait pu vivre dans le noir et m’expliquer comment il faisait sans devenir fou… Alors je préférais me concentrer sur ce qu’il disait, même si je devais avouer que j’avais du mal à voir le rapport entre des citrons et des salsifis… Et Razen avait l’air tellement enflammé dans son discours que je ne pus m’empêcher de rire. Pour le coup, j’aurais aimé avoir mes deux yeux pour voir la tête qu’il faisait. D’ailleurs, à quoi ressemblait-il ? Petit, grand, brun, blond, roux, les yeux de quelle couleur ? J’aimais mettre un visage sur une voix, et ne plus en être capable me perturbait toujours beaucoup.

« Et bien je vais retenir ça ! Qui mange des salsifis, de toute manière ? Ça doit être pour ça que mon frère m’accompagne pour faire les courses, il ne doit pas avoir envie de faire une indigestion de salsifis… », je me retenais de rire à nouveau pour retrouver un semblant de sérieux. « Ca fait trois semaines aujourd’hui que j’ai perdu la vue… Les médecins ne savent pas pourquoi ni comment, et ils savent encore moins si c’est permanent ou provisoire… Et ça a passé des années sur les bancs de l’université, tiens… Pff… Tu as vu juste, je suis complètement perdue avec… Tout ça, comme tu dis. Je ne sais pas lire le braille, je me prends les murs, et tout le monde me prend pour une empotée et une infirme, c’est insupportable ! »

Pourquoi je racontais ça à un inconnu ? Pourquoi j’avais l’impression d’être chiante comme la pluie, à me plaindre comme ça ? Peut-être parce qu’au fond j’avais besoin d’un regard neuf sur tout ça, pas de celui d’une connaissance ou d’un ami qui n’aurait pas su comment se comporter avec moi. Et de toute manière, Razen avait l’air ravi de me rendre service, puisqu’il continuait à piailler en farfouillant au milieu des citrons. Décidément, ce type était aussi étrange qu’amusant… Seulement, si je souriais au début, celui-ci se fana rapidement et je fronçais les sourcils. Voilà que mes doutes revenaient… Bon en soi, il pouvait bien offrir ce qu’il voulait à son frère, mais de là à devoir le décrire à la vendeuse pour qu’elle choisisse à sa place… Ce n’est pas possible, il était aussi miro que moi !

« A… Attends une minute, là… Des étiquettes qui se ressemblent, des caleçons avec des petits cœurs… Ok ça n’a aucun rapport, mais on dirait vraiment que connais la situation, que… Je rêve où je suis en train de te demander de l’aide alors que tu y vois aussi bien que moi ? Blague à part, il a été écrit qu’un frère serait toujours ingrat… »

En fait, j’étais totalement perdue. Il se payait ma tête ou bien je venais de croiser le seul aveugle à des kilomètres à la ronde ? Et si la plupart des gens se seraient répandu en excuse, chercher à le couver, à le materner et à lui dire de se ménager… J’étais bien trop consciente de l’absurdité de la chose pour réagir de la sorte. Au contraire, j’étais impressionnée. Parce qu’à l’odeur et au toucher, c’était bien des citrons qu’il m’avait tendu, et il ne lui avait pas fallu plus de deux minutes pour les trouver.

« Mais c’est dingue ! Comment tu fais pour trouver aussi facilement les choses ? Je t’avoues que je suis impressionnée, je n’arrive déjà pas à retrouver mon téléphone quand je le perds, alors m’y retrouver au milieu d’un rayon fruits et légumes…  »

Mais je restais tout de même perplexe… Pourquoi n’avait-il rien dit ? Pour entretenir le mystère, ou parce que ça le soulait d’imaginer qu’on puisse le voir lui aussi comme un infirme ?

« Pourquoi ne l’as-tu pas dis plus tôt ? Tu voulais me le faire deviner ou… ? »

Je laissais ma phrase en suspens, elle était bien assez explicite comme ça.

« Ça fait longtemps, dans ton cas ? Je… C’est con mais je ne suis pas foutue capable de m’y faire au bout de presque un mois, alors j’ai du mal à imaginer comment on se sent quand ça fait des années, par exemple… Voire quand on est né comme ça… »

Me rendant alors compte qu’il avait toujours sa main sur mon épaule, je tâtonnais pour la trouver et remontais le long de son bras jusqu’à son épaule. Je devais probablement avoir l’air d’une andouille finie, mais c’était le seul moyen que je connaissais pour évaluer la taille d’une personne. Et même si apparemment il n’y voyait rien, je préférais donner l’impression que je le regardais dans les yeux et pas trois kilomètres au-dessus ou en-dessous. Ok… Il devait faire une demi tête de plus que moi. Je relevais les yeux et hésitais un instant… J’étais curieuse, je voulais me faire une idée de son apparence, de son âge, pourquoi pas… Alors je relevais légèrement la main.

« Je peux ? Que je puisse mettre un peu plus qu’une voix sur ton prénom… »

A vrai dire, c’était le seul moyen que je connaissais pour me faire une grossière idée de son apparence. A condition que je ne lui fourre pas un doigt dans le nez comme avec Artur, ça ferait tâche… Finalement, l’avantage qu’il y avait à être aveugle, c’est que je n’avais pas à subir les regards probablement étranges des gens qui passaient autour de nous. Je m’en foutais bien, à vrai dire… J’étais juste terriblement curieuse et je commençais à le trouver sympathique, ce gugus étrange.



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Razen Townshend
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MessageSujet: Re: Sometimes I feel I'm betraying my memory... | Razen & Moira   Sometimes I feel I'm betraying my memory... | Razen & Moira Icon_minitimeMar 22 Déc 2015 - 19:42

Sometimes I feel I'm betraying my memory...
Moira & Razen



Razen sait être sérieux, là n'est pas le problème. Il sait être sérieux, il sait quand il faut l'être. Mais Razen sait aussi lorsqu'il a le droit de se détendre, de cesser de réfléchir et de se laisser aller à quelques taquineries et moqueries légères. Et c'est actuellement le cas. Venir dans un commerce en pleine journée était stupide sa part, se mettre en quête d'un cadeau pour Aily l'était davantage encore, il n'avait plus qu'à profiter des conséquences de sa bêtise désormais et profiter de cette rencontre incongrue pour mieux dédramatiser la situation. Et pour dédramatiser… il ne se prive pas pour le faire. Il rit de la situation, refuse de s'offusquer, refuse même de se préoccuper de son bras immobilisé. Il s'amuse de la situation, ne précise même pas à haute voix que la jeune fille n'est pas la seule aveugle dans le magasin, bien au contraire. Il préfère la laisser se dépêtrer et sourire de ce qu'elle évoque, lui aussi étant passé par là. Tâter les objets un à un pour les comprendre ou, plus logiquement, pour les reconnaître ? Il connaît, il connaît même très bien cette sensation de ridicule et de redécouverte du toucher. « Si ça peut vous rassurer, je ne vais pas aller vous tripoter, ça serait déplacé... Pas sans y être invitée ! » Le voilà qui éclate de rire à nouveau, de bonne humeur pour une fois. De bonne humeur, et son sourire est explicite même si ni l'un ni l'autre ne peut le contempler. Il ne leur faut pas longtemps pour nouer contact, il ne lui en faut encore moins pour qu'une crispation et une perte de contrôle répande sa mutation dans l'ensemble du corps de la jeune femme. Razen sait qu'il rougit, il sait aussi qu'il enlève sa main et rompt le contact d'un mouvement vif qui doit le trahir. Il se sent intrusif, il se sent mal à l'aise à l'idée d'en savoir plus sur elle qu'elle sur lui, surtout de cette manière. Trop tard. Il a gravé dans sa mémoire sensorielle les formes et la silhouette de la jeune femme qui se révèle avoir une voix à la hauteur de son corps. Et Razen se giflerait bien pour avoir pensé ça. D'ailleurs… il a beau présumer de ce fait à haute voix, il a la mauvaise impression de mentir par omission. Pour se changer les idées, Razen part à la recherche des citrons qu'elle lui a demandé. Et même si elle s'étonne de ses propos dans un « Non non je ne suis pas vexée, c'est juste que vos remarques sont... Bizarres... Enfin je veux dire... A vous entendre on dirait que vous êtes aussi bigleux que moi ! » éloquent, il préfère ne pas surenchérir pour le moment et se concentrer au contraire sur ce que lui apprend son épiderme si particulier pour reprendre le contrôle de sa mutation. Hors de question d'en savoir plus au prochain contact, hors de question de s'immiscer un peu plus dans la nature de la jeune femme. Contrôle toi, Razen, bon sang, se répète-t-il avec un certain sérieux. Et donc, s'entend-il questionner, elle n'a pas de frère ou de larbin pour faire les courses avec elle ? La discussion relancée, il ne tarde pas à sourire à nouveau en l'entendant se plaindre et se lamenter de l'hostilité évidente du lieu pour des personnes comme elle et lui.

Le braille, les étiquettes illisibles, la dépendance et l'absence presque complète d'autonomie… elle parle à un connaisseur, sans le savoir visiblement puisqu'il a décidé de laisser planer l'ambiguïté jusque là. Finalement elle se tait, s'excuse pour l'ensemble et Razen se surprend à sourire davantage encore. Oh, qu'elle ne s'excuse pas, il ne lui en veut pas bien au contraire. Au moins, pour une fois qu'il croise quelqu'un qui puisse réellement le comprendre, ça a quelque chose de naïf et de rafraîchissant à la fois, c'est plutôt agréable. Armé des deux citrons mûrs à point, Razen se dirige vers la jeune femme, compte ses pas et la trouve sans le moindre souci. Une main sur l'épaule, il dissèque l'histoire du vêtement à défaut d'en savoir plus sur Moira, lui met les fruits dans les mains et continue de parler, pour ne rien dire bien évidemment. Il ne dit pas vraiment de choses intelligentes ou particulièrement personnelles, il s'amuse plutôt à lui répondre sur le même ton, armé d'anecdotes à double emploi : déjà la rassurer sur le fait qu'elle peut continuer à lui raconter sa vie, il ne lui en voudra pas, ensuite… et bien ensuite, il dissémine ça et là quelques indices pouvant lui faire comprendre qu'il n'y voit rien lui non plus. Oui, il s'amuse, oui, il est joueur le Razen. Mais c'est tellement drôle à ses yeux non fonctionnels de croiser une autre aveugle qu'il ne peut pas s'en empêcher. Et qu'il ne peut pas s'empêcher non plus de compatir, de lui apporter son soutien et de lui faire comprendre qu'il la comprends, justement. « Et bien je vais retenir ça ! Qui mange des salsifis, de toute manière ? Ça doit être pour ça que mon frère m’accompagne pour faire les courses, il ne doit pas avoir envie de faire une indigestion de salsifis… » « Et bien, c'est sûr que c'est une excellente menace pour ne pas se retrouver une nouvelle fois seul pour les courses ! » Complète-t-il. Salsifis et compagnie… tout y passe donc. Qui en mange ? « Croyez moi, quand on ne fait pas attention, on se retrouve à en manger pendant un certain temps sans trop savoir comment on en est arrivé là ! » Il en rit maintenant mais pour être honnête, cette histoire ne l'a pas fait vraiment se marrer à l'époque. Et les remarques d'Alvin non plus. Mais cette histoire de salsifis n'était là que pour préparer le terrain d'une question un peu plus épineuse. Depuis quand es-tu aveugle? La question est indiscrète, il le sait, mais il juge ça suffisamment important pour la poser quand même en croisant les doigts pour qu'elle ne se braque ni ne s'enfuit. « Ca fait trois semaines aujourd’hui que j’ai perdu la vue… Les médecins ne savent pas pourquoi ni comment, et ils savent encore moins si c’est permanent ou provisoire… Et ça a passé des années sur les bancs de l’université, tiens… Pff… Tu as vu juste, je suis complètement perdue avec… Tout ça, comme tu dis. Je ne sais pas lire le braille, je me prends les murs, et tout le monde me prend pour une empotée et une infirme, c’est insupportable ! » Razen se mord la lèvre.

Trois semaines. Dans quel état était il, lui, trois semaines après sa perte complète de vue ? Il ne s'en souvient plus. Il fait encore des cauchemars des quatre petits mois qui ont précédé tout ça, de sa perte de vue progressive, angoissante, de cette cécité qui venait à petit pas comme une promesse, une menace, un sentiment d'inéluctabilité. Razen se mord la lèvre mais ne peut s'empêcher d'admirer Moira, aussi, et sa force de caractère. Trois semaines après le constat définitif des ophtalmos, il ne se souvient peut être plus exactement de son état mais il ne devait pas être capable de se déplacer aussi bien de manière autonome. Il était plus jeune, aussi mais ce n'est pas qu'une excuse. Se laissant le temps de penser, Razen s'entend poursuivre sur le même ton anecdotique. Elles sont chiantes, les conserves. Ils sont ingrats, les frères. Un refrain bateau, un monologue rieur. Et une réflexion aussi sérieuse que grave. Il se demande dans quel état elle peut être. Il finit de raconter ses derniers déboires sans perdre un seul instant le contact de son épaule pour mieux la localiser, pour mieux la voir. Et lorsqu'il se tait, il doit bien s'avouer une chose, l'anglais : c'est qu'il s'est un peu perdu dans ses conneries et qu'il ne sait même plus ce qu'il voulait dire à la base. Peut être voulait-il juste continuer à faire la conversation et… « A… Attends une minute, là… Des étiquettes qui se ressemblent, des caleçons avec des petits cœurs… Ok ça n’a aucun rapport, mais on dirait vraiment que connais la situation, que… Je rêve où je suis en train de te demander de l’aide alors que tu y vois aussi bien que moi ? Blague à part, il a été écrit qu’un frère serait toujours ingrat… » Blague à part. Un sourire se dessine sur ses lèvres, un sourire coupable, un sourire rieur mais avec l'ombre d'un sourire fatigué. « Je plaide coupable, moi aussi, je récolte des zéros pointés chez l'opticien ! » C'est dit, c'est avoué, c'est confessé. Et il est plutôt fier de lui d'avoir tenu autant de temps son petit subterfuge. Le coup des citrons et son assurance de vieux briscard ont du jouer, aussi. « Mais c’est dingue ! Comment tu fais pour trouver aussi facilement les choses ? Je t’avoue que je suis impressionnée, je n’arrive déjà pas à retrouver mon téléphone quand je le perds, alors m’y retrouver au milieu d’un rayon fruits et légumes… Pourquoi ne l’as-tu pas dis plus tôt ? Tu voulais me le faire deviner ou… ? » Toujours aussi joueur, Razen décide de garder le silence pour le moment. Autant la laisser parler jusqu'à ce qu'elle ait la gorge sèche et qu'il puisse prendre le relais. « Ça fait longtemps, dans ton cas ? Je… C’est con mais je ne suis pas foutue capable de m’y faire au bout de presque un mois, alors j’ai du mal à imaginer comment on se sent quand ça fait des années, par exemple… Voire quand on est né comme ça… »

La… il faut dire qu'elle fait fort. Et qu'il est bien obligé de sortir de son mutisme. Elle le force à parler, la bougresse ! Razen sourit d'un air taquin avant de concéder quelques répliques. « Je ne suis pas né comme ça. Je suis comme toi, un mystère de la science, une preuve supplémentaire que les médecins sont des escrocs ! » Il est injuste avec les médecins, il le sait. Mais bon… en dehors de sa mutation, ce sont les seuls coupables, non ? « Ca va faire vingt ans que la canne blanche est ma meilleure amie. A la base… c'était juste une myopie puis en quatre mois de temps, c'était fait, rideau. » Il hausse les épaules dans un mouvement qui doit se répercuter jusque dans sa main toujours posée sur l'épaule de Moira. Il est mignon à faire la vague, tiens… Un sourire débile se fraye un chemin sur ses lèvres pour chasser ces idées noires. « Quant à pourquoi je ne te l'ai pas dit… J'avoue, c'était trop marrant de te voir pester comme une incomprise. » Oui, il se moque. Pas méchamment… mais il se moque. « Mais t'inquiète, on prend rapidement le pli, après… tout n'est qu'une question d'habitude. Regarde Daredevil ! Je suis sûr qu'au début, il devait attacher ses deux chaussures ensemble en pensant faire ses lacets. »

Il sent la main de Moira se poser subitement sur la sienne, épiderme contre épiderme, et il lui faut la force de l'habitude pour maintenir bridée sa compréhension de la jeune femme. En revanche, il ne réagit pas suffisamment vite pour ne pas percevoir intuitivement ses intentions et lorsqu'elle remonte son bras jusqu'à son épaule – l'indemne, heureusement – il ne l'en empêche pas. Sa main glisse vers sa nuque, Razen n'est pas inquiet. Pas habitué non plus. « Je peux ? Que je puisse mettre un peu plus qu’une voix sur ton prénom… » La question est maladroite, presque timide, presqu'incongrue. Mais le contact qu'elle lui impose et qu'il accepte est si présent que Razen ne peut s'empêcher de capter des informations. Il ne lui faut pas longtemps pour savoir comment réagir, il se mord la lèvre. « Vas-y, fais toi plaisir. Mais tu vois qu'au final, tu en viens à tripoter autre chose que des fruits, et sans invitation qui plus est ! La cécité n'est pas une excuse pour mâter à ce point les abdos de tous les beaux gosses que tu croises, Moira, tu sais ? » Il plaisante, bien évidemment. S'il n'est pas totalement engoncé dans des abdos dignes du meilleur houblon, Razen n'est pas non plus un sportif de haut niveau et il accuse malgré tout le coup d'une activité irrégulière, d'une tendance à grignoter quand ça lui chante et d'un petit ventre de oisif. En clair, s'il a des tablettes de chocolat, elles ont plutôt l'apparence de tablettes ayant fait un petit séjour au soleil que celles bien dessinées que l'on pourrait admirer dans un congélateur. Plus sérieusement, il reprend pour la rassurer, attrapant sa main et l'enserrant doucement dans la sienne. « Plus sérieusement… au milieu du magasin, ça ne fait pas très… ça risque de faire étrange ceux qui ne font pas partie de notre club. Si tes citrons peuvent attendre, je peux en revanche te proposer d'aller boire un café dans un bar très sympa à deux rues de là. Assis, on sera mieux, non ? D'autant plus que... » Razen n'est pas nécessairement connu du grand public pour sa délicatesse et sa tendance à ne pas dire ce qu'il pense. Et d'ailleurs, il n'est pas connu du grand public du tout mais ça, ce n'est qu'un détail. « … pour être franc, tu m'as l'air un peu paumée donc si je peux te faire profiter de mon expérience dans le domaine de la survie d'un aveugle en milieu hostile... » Oui, il est extrêmement à l'aise pour proposer ça à une complète inconnue, et il est aussi extrêmement sûr de lui pour penser qu'elle va accepter, mais Razen est ainsi et surtout… Razen fonctionne aussi bien à l'instinct qu'à la réflexion. Elle va accepter. Elle va accepter, non ?

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Moira Kovalainen
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MessageSujet: Re: Sometimes I feel I'm betraying my memory... | Razen & Moira   Sometimes I feel I'm betraying my memory... | Razen & Moira Icon_minitimeMar 22 Déc 2015 - 19:45

Sometimes I feel I'm betraying my memory...
Moira & Razen



Étrangement, je me sentais étrangement à l'aise avec Razen. Pas seulement parce qu'il m'aidait à trouver ces foutus citrons qui me manquaient pour mon gâteau, mais surtout parce qu'il ne s'offusquait pas des bêtises que je pouvais lui sortir. Ca avait même l'air de le faire rire, c'était plutôt bon signe... En règle général, il n'y avait que Marius et Seth pour comprendre mon humour relativement déplorable, alors j'étais plus qu'étonnée de voir un inconnu se marrer en entendant mes conneries. Pourtant, en sentant sa main se crisper sur la mienne, je ne pu m'empêcher de froncer les sourcils. Qu'est ce que j'étais en train de faire... N'étais-je pas en train de sympathiser avec quelqu'un alors que je m'étais jurée de me fermer à toute nouvelle rencontre pour ne pas risquer de transmettre ma poisse à qui que ce soit ? C'était une mauvaise idée de continuer à lui parler ainsi... Et si nous nous entendions vraiment bien et nous revoyions ? C'était courir le risque de le voir se faire embarquer par le mauvais karma qui me poursuivait.

Et pourtant, je continuais à parler, à l'écouter, je récupérais même les citrons qu'il me tendait... Le tout en ayant cette alarme stridente dans le crâne qui me hurlait de stopper net ce que je faisais, de le remercier simplement et de regagner la caisse en vitesse. Ce serait impoli, malvenu... C'était le mieux à faire... Mais je n'en avais pas envie. C'est qu'il m'étais sympathique, ce type un peu bizarre ! Et il me faisait rire, avec son histoire de salsifis... Je devais avouer que j'aurais abandonné l'idée de me nourrir, si je n'avais eu que ça à ma disposition ! Bon certes, j'avais un peu abandonné cette idée depuis l'annonce de la mort de William... Artur me réprimandait à chaque fois qu'il venait et constatait que je n'avais rien avalé depuis sa dernière visite. Seulement, je n'arrivais pas à lui expliquer que l'idée même d'ouvrir une boîte de bonbons, dont je me gavais à longueur de journée auparavant, m'écoeurait et me donnait juste envie de vomir. Tout avait un goût amer, aucune saveur et aucun intérêt... Au final, j'avais beau tenter de garder le sourire, je n'avais pas vraiment conscience de ce qui se passait... Je ne me rendais pas encore compte que je sombrais petit à petit dans la dépression. Franchement... Moi ? Déprimer ? Et puis quoi encore ? La chose me semblait tellement absurde que je niais jusqu'à l'existence de cette douleur psychologique qui me retournais les entrailles du matin au soir.

« Ah ça, je veux bien vous croire ! Une fois je suis ressortie d'un magasin avec trois kilos de navet au lieu de patates... Et pourtant j'y voyais très bien ! Je peux vous assurer que le navet à tous les repas pendant des semaines, c'est à vous dégoûter de manger quoi que ce soit après ! »

J'en riais, mais mon estomac beaucoup moins. Allez donc manger un truc aussi insipide que le navet pendant des semaines et on en reparle ! La discussion dériva, jusqu'à ce que j'en vienne à me demander si Razen n'était pas en train de se moquer de moi... S'il n'était pas aussi aveugle que je l'étais et si je n'étais pas en train de profiter de l'aide d'un type que je pensais parfaitement voyant.

« Je plaide coupable, moi aussi, je récolte des zéros pointés chez l'opticien ! »

… Et bien au moins, c'était clair. J'avais affaire moi aussi à un bigleux, et écarquillais mes propres yeux dans une expression qui se voulait étonnée. Le monde était définitivement trop petit pour toutes ces coïncidences... Il se prêta au jeu des questions réponses et me raconta à son tour son histoire. Je m'en mordis la lèvre de compassion, me retenant de justesse le « je suis désolée » horripilant qui me chatouillait la langue. Ces derniers temps, je ne supportais plus cette remarque pleine de pitié malvenue, comme si qui que ce soit pouvait être désolé de l'effet secondaire d'un vaccin ou d'une quelconque maladie... 20 ans... Ca faisait 20 ans qu'il n'y voyait plus et vivait dans le noir. Je n'osais imaginer l'angoisse que ça devait être au quotidien, et plus encore, j'étais effarée par la façon dont il avait perdu la vue. J'avais vécu la même chose en accéléré... Cette sensation étrange que tout se floute, que la lumière décroit et finit par disparaître... Je n'avais pas eu le temps de véritablement m'angoisser ni de craindre quoi que ce soit, puisqu'en quelques minutes, je ne voyais plus rien. Mais Razen... Ses yeux lui avaient joué un tour sadique pendant plusieurs mois, jusqu'à ce qu'il n'y voit plus. Et ce haussement d'épaule que je sentis lorsque sa main se souleva légèrement de mon épaule me fit grimacer. Comment pouvait-il être aussi détendu face à tout ça ? J'enviais un peu son détachement, moi qui étais si révoltée et si haineuse ces derniers temps.

« Qu'est ce que tu en sais, tu me vois pas ! » lâchais-je d'une voix moqueuse qui se voulait pourtant boudeuse. « J'avoue, je dois avoir l'air d'une andouille finie à me plaindre... Tu sais déjà tout ça, et moi je me plains comme si j'étais la plus malheureuse au monde... Désolée, je crois que j'ai besoin d'extérioriser tout ça... Mais j'avoue que voir Daredevil se casser la gueule ça serait assez comique ! Tu crois qu'il fait comment pour enfiler sa tenue de super héros ? »

Voilà. Détourner le sujet de ma propre connerie, c'était une stratégie comme une autre. Mais déjà, je me retrouvais avec ma propre main glissant sur le bras de Razen, ayant totalement oublié la petite alarme qui continuait de hurler dans ma tête. Mauvaise idééééée ! Très mauvaise idée... Tout le monde devait nous regarder, et si c'était le cadet de mes soucis, je commençais gentiment à me dire que j'avais peut-être un peu abusé en allant si loin et aussi vite. Si sa remarque était teintée d'humour, je retirais immédiatement ma main, me sentant rosir tout en bafouillant des excuses.

« Heu... Je... Désolée, je... J'aurais pas du... Je ne veux pas que tu t'imagines que je suis une espèce de cinglée, hin ! Désolée, vraiment, j'aurais pas du... »

Ah ça non, j'aurais pas du ! J'avais laissé ma curiosité prendre le dessus sur ma raison, et ça me frustrait toujours autant de ne pas savoir à quoi il ressemblait. J'étais bien trop habituée à me servir de mes yeux pour simplement faire marcher mon imagination. Je m'attendais d'ailleurs à ce qu'il me laisse en plan comme ça en me cataloguant de grande malade... Mais il me pris une fois de plus au dépourvu. Aller... Boire un café ? Décidément, il n'avait peur de rien, celui-là ! J'avais beau avoir l'air d'une carpe hors de l'eau... J'étais rassurée qu'il ne m'envoie pas bouler comme une pestiférée. Seulement, j'avais du mal à trouver mes mots et à passer outre cette envie que j'avais de me planquer dans un trou de souris tant j'avais honte. Je penchais alors la tête sur le côté avec une moue peu convaincue, sursautant à nouveau en sentant sa main prendre la mienne.

Il avait raison... Au milieu d'une foule de gens en train de faire leurs, courses, ça serait plus qu'étrange de lui tripoter le nez. Et sa proposition était tentante. Vraiment. C'était peut-être encore un inconnu, mais il comprenait mieux que personne ce que je traversais et ne me prenais ni pour une folle ni pour une infirme... Du moins en apparence. Alors oui, j'étais très tentée, mais j'avais ce repas à préparer pour Artur, l'heure filait et... Et ce n'était pas raisonnable.

« Je... Ca aurait été avec plaisir, vraiment... Il y a pas mal de choses qui font que j'ai sûrement l'air d'une paumée, ouais... Et ton aide serait la bienvenue, mais je dois rentrer... Mon frère sera là ce soir et je dois rentrer préparer le repas... »

Je retirais ma main presque sèchement, regrettant de ne pouvoir faire durer cette rencontre incongrue plus longtemps. C'était idiot, mais c'était presque plaisant de discuter avec quelqu'un qui ne savait rien de mon histoire et dont je ne savais presque rien non plus. Mais la petite moue déçue d'Artur s'imposa à moi, et je tournais les talons non sans dire au revoir à Razen.

« Une prochaine fois, peut-être... ? »

Que t'es con, mais que t'es con, Moira... J'essayais de me repérer et de me diriger vers la caisse, tout en me donnant mentalement des claques. Et puis, finalement, je n'avais pas fais trois pas que mon esprit vira à grands coups de pied dans le derrière le peu de conscience qu'il me restait. Je me retournais à nouveau, espérant qu'il n'ait pas bougé, sans quoi j'aurais l'air d'une tarée en train de parler au vide.

« Tu sais quoi ? Au diable les frangins, il n'aura qu'à manger des salsifis s'il n'est pas content. Je vais payer ça et on y va ? »

Aller hop. Je pouvais bien commander chinois pour le repas du soir et repousser la confection du gâteau à plus tard... J'en subirais la culpabilité, mais d'un autre côté, je profitais aussi de celle d'Artur, qui l'obligeais presque à être au petits soins avec moi depuis quelques semaines.

« Désolée, je suis une nana alors forcément je ne sais pas c'que j'veux, hin ! Tu as quelque chose à acheter avant de partir ? »

J'avais l'air bizarrement plus enjoué, tentant de cacher mon malaise qui me faisait passer pour une ado de quinze ans. Je trouvais la caisse au prix de maints efforts et après de longues minutes à tâtonner, et payais mes citrons avant d'attendre Razen à la sortie. Après, je l'avais lui aussi interrompu dans ses courses.

« Alors ? C'est de quel côté ? Je connaissais bien le quartier, avant, mais là je t'avoue que je suis aussi perdue qu'une touriste et... Ok. Je me tais. »

C'est ça, oui... Tais-toi donc. Je dépliais ma canne blanche en poussant un soupir et remettais mes lunettes noires sur mon nez et mon sac sur l'épaule. Dans quoi je m'aventurais ? Aucune idée ! Mais si je pouvais profiter de l'aide de quelqu'un qui s'y connaissait mieux que moi au sujet de la vie des aveugles, je n'allais pas dire non, loin de là !

« Ah et... Heu... Merci, pour le coup de main... »
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Razen Townshend
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MessageSujet: Re: Sometimes I feel I'm betraying my memory... | Razen & Moira   Sometimes I feel I'm betraying my memory... | Razen & Moira Icon_minitimeDim 3 Jan 2016 - 17:34

Sometimes I feel I'm betraying my memory...
Moira & Razen



« Ah ça, je veux bien vous croire ! Une fois je suis ressortie d'un magasin avec trois kilos de navet au lieu de patates... Et pourtant j'y voyais très bien ! Je peux vous assurer que le navet à tous les repas pendant des semaines, c'est à vous dégoûter de manger quoi que ce soit après ! » Il n’en faut pas plus à Razen pour qu’il éclate de rire, s’imaginant sans difficulté devoir troquer sa mésaventure salsifienne contre des navets au goût tout aussi douceâtre et rapidement insupportable. Il rit donc, et la conversation se teinte de bonne humeur, comme si ce n’était pas déjà le cas. Elle se poursuit, dérive sur des sujets plus ou moins sérieux, et s’il plaide coupable niveau questions sensibles, Razen ne le regrette en rien, curieux comme il sait l’être. Trois semaines, voilà la réponse à son indiscrète interrogation, voilà un soupçon de compassion qui se fraye un chemin dans ses veines. Lui, trois semaines après le constat définitif, où en était-il ? Pas très avancé si ses souvenirs sont bons : chaque contact était une torture, l’obscurité résonnait en écho avec ses terreurs d’enfant et ses sens qui tentaient douloureusement de compenser sa cécité se perdaient constamment dans des détails aussi futiles qu’effrayant. Plus encore… à cette époque, Razen devait aussi apprendre le plus vite possible à contrôler sa mutation pour ne pas perdre définitivement toute prétention concernant la garde de son petit frère. Un challenge, suffisamment complexe pour occuper son esprit et avec suffisamment d’enjeu pour qu’il ne voie pas passer le temps. Le temps, voilà qu’il s’écoule autour de Moira et de Razen sans qu’il s’en aperçoive, glissant petit à petit dans des anecdotes à la hauteur des salsifis dans lesquels il se perd. Où voulait-il en venir ? Il serait bien en peine d’y répondre si on lui posait la question mais le constat ne tarde pas.

Elle comprend. Enfin pourrait-il railler s’il n’avait pas conscience d’avoir égrené les indices, joueur comme il l’est. Une phrase, amusée, il lui concède cette découverte de bonne grâce. De toute manière, quelle utilité y aurait-il à poursuivre dans le mystère alors même qu’elle vient de découvrir le pot aux roses ? Après tout… le jeu n’a que suffisamment duré, il est temps de se faire pardonner de s’être moqué d’elle et d’avoir profité, goujat qu’il est, de son infirmité récente. D’un haussement d’épaule, il se prête à son tour au jeu des questions réponses, résume en quelques mots sa propre aventure, si on peut la nommer ainsi. Vingt ans, vingt ans de cécité. Il est un expert dans le domaine, certainement, et lui aussi fait partie de ces cas que la science n’a pas su expliquer à son époque. Est-ce sa mutation qui a entraîné sa cécité ou sa cécité qui a déclenché sa mutation, c’est une question aussi épineuse que la poule et l’œuf et il n’a toujours pas de réponse. Mais là n’est pas l’important. L’important, c’est Moira, finalement. Et le fait qu’il soit sûrement l’une des rares personnes capables de l’aider à s’adapter à son nouvel environnement et à comprendre ce qu’elle traverse. Un peu d’humour, une bêtise aux lèvres, il s’entend parler des hypothétiques déboires du héros préféré de sa fille. « Qu'est ce que tu en sais, tu me vois pas ! J'avoue, je dois avoir l'air d'une andouille finie à me plaindre... Tu sais déjà tout ça, et moi je me plains comme si j'étais la plus malheureuse au monde... Désolée, je crois que j'ai besoin d'extérioriser tout ça... Mais j'avoue que voir Daredevil se casser la gueule ça serait assez comique ! Tu crois qu'il fait comment pour enfiler sa tenue de super héros ? » Il est contente de la voir entre dans son jeu et, plus encore, il est soulagé de ne pas l’entendre compatir à son propre malheur. S’il doit être l’un des seuls à véritablement comprendre ce qu’elle vit, la réciproque est certainement en partie vraie. Son sourire chasse son éventuellement morosité à la mention de sa propre cécité, Razen rebondit sur le sujet, sans attendre. « Ah… ça… aucune idée. A dire vrai, je dois te concéder que je n’ai jamais essayé de combinaison en cuir bien moulant donc… » Même s’il sait qu’elle ne peut pas le voir, il s’amuse à lui offrir un sourire faussement désolé, teinté d’humour. « Mais à l’occasion, si je me retrouve dans cette situation, je penserai à toi et je te raconterai… » Une nouvelle fois, il argumente d’un clin d’œil qui restera voué à l’échec. Mais soit. Ce n’est pas un problème.

Un soupir, Razen se ramène brutalement à la réalité de leur environnement, guidé par une annonce grinçante comme quoi Monsieur Machin est attendu aux niveaux des caisses. Attiré par le bruit comme par un papillon, Razen est forcé de se reconcentrer sur la discussion lorsque la main de Moira glisse soudain sur son bras en effleurant au préalable sa main dénudée. D’un battement de cœur, il prélève un peu de ses intentions, fronce les sourcils lorsqu’elle atteint sa nuque sans pour autant se montrer inquiet. Elle ne lui veut pas de mal, il se sent comme il sent les battements de son cœur au bout de ses doigts, perdu ce contact éphémère. Et il sent aussi que à quel point ça peut sembler important pour la jeune femme d’établir un contact : lorsqu’il s’imagine sans sa mutation, il est si perdu qu’il ne peut que concevoir qu’elle veuille ainsi savoir à quoi il ressemble. Mais… il y a une différence entre comprendre les intentions de la jeune femme et se retenir de l’asticoter. Razen n’a qu’à se mordre la lèvre pour se punir de ses taquineries avant de lui rappeler qu’un peu plus tôt, ils avaient parlé de tripoter fruits et légumes et qu’elle avait promis d’attendre une invitation avant de laisser balader ses mains ailleurs. Oh, oui, il sait qu’il est injuste, il le sait très bien, mais… mais c’est Razen. En revanche… il s’aperçoit lorsqu’elle retire brutalement sa main qu’il aurait peut être du se taire, pour une fois. « Heu... Je... Désolée, je... J'aurais pas du... Je ne veux pas que tu t'imagines que je suis une espèce de cinglée, hin ! Désolée, vraiment, j'aurais pas du... » Il n’a pas besoin de gènes particuliers pour sentir son malaise, il s’en veut brutalement pour sa tendance à ne pas savoir se taire et c’est en voulant s’excuser qu’il tente de se rattraper.

Dans la vie, il y a les personnes timides qui bégayent à la seule pensée de frapper à une porte et de déranger les occupants de la pièce, et il y a celles qui, lorsqu’on leur dit bonjour, se sentent inviter à déjeuner, à dormir et à piocher dans le frigidaire du malheureux comme sur un buffet de service à volonté. Il y avait aussi une troisième catégorie remplie de personnes tout à fait normale mais cela n’était pas trop d’actualité. Et donc, sans trop de surprise, Razen fait partie de la deuxième catégorie de personnes qui loin d’être timides, ont tendance à s’octroyer des droits qui ne lui appartiennent pas. Comme, par exemple, celui d’inviter une presque parfaite inconnue à boire le thé pour qu’elle lui tripote discrètement le visage et se fasse une idée de la forme de son nez, de sa barbe qui commençait à être aussi fournie que mal taillée et de ses lèvres goguenardes. Il est bien téméraire, le Razen, et surtout bien sûr de lui. Elle va accepter, non ? Elle va forcément accepter puisqu’après tout, c’est elle qui a commencé. « Je... Ca aurait été avec plaisir, vraiment... Il y a pas mal de choses qui font que j'ai sûrement l'air d'une paumée, ouais... Et ton aide serait la bienvenue, mais je dois rentrer... Mon frère sera là ce soir et je dois rentrer préparer le repas... »

Heureusement qu’elle retire sa main sèchement sinon Razen sait qu’il n’aurait pas pu résister à raffermir le contact pour creuser sans scrupule dans l’être de Moira afin de comprendre ça. Elle n’a pas accepté, forcément. Et il se sent stupide autant d’y avoir cru que d’être déçu. Il serre les dents, accuse le coup avec une certaine dignité en entendant dans ses pensées le ricanement moqueur de son petit frère. « Ah. Bien. Oui, j’imagine, il risquerait de s’inquiéter. » Bien sûr, son frère. L’atmosphère jusque là détendue se teinte d’amertume et de malaise, voilà que Razen se retrouve à rester là, les bras ballants, comme un imbécile. Ce n’est plus seulement Alvin qui se moque de lui, c’est au tour d’Ailionora de le traiter de crétin de sa petite voix chantante. « Une prochaine fois, peut-être... ? » La voix de Moira parvient à peine à ses lèvres, vexé comme un pou pour une raison qui lui échappe, Razen ne prend même pas la peine de répondre et se détourne de Moira pour mieux s’intéresser aux légumes. Aux légumes. Oui, bien sûr, c’est pour les légumes qu’il est venu ici à la base, il va offrir trois kilos de navet à Ailionora et elle sera ravie. Un soupir, voilà que l’aveugle se passe une main sur le visage en tentant de faire le point sur ses pensées et de se concentrer sur sa pseudo mission, afin de mieux chasser Moira de ses pen… « Tu sais quoi ? Au diable les frangins, il n'aura qu'à manger des salsifis s'il n'est pas content. Je vais payer ça et on y va ? »

Et voilà. Razen en est convaincu maintenant : il a l’air con. Pourquoi ? Parce qu’il sourit bêtement en entendant la voix de Moira, parce qu’il est tout content qu’elle accepte finalement son offre, parce que… parce que. Ca lui fera quelque chose à raconter à Aily, ce soir, ce sera autre chose que son habituel résumé des derniers épisodes de sa série stupide et de la grand-mère qui n’a pas voulu le laisser passer à la caisse. « Au diable les frangins, j’aime cet état d’esprit ! » Il s’enthousiasme. « Va donc payer, je… je vais reposer les deux articles que j’avais inutilement pris et je t’attends à l’entrée alors. » Il va surtout laisser son caddy en plan quelque part, ou le mettre dans les bras du premier malchanceux venu. Oui, Razen abuse un peu parfois mais déjà qu’il ne sait pas ce qu’il a pu jeter comme boites de conserve dans le caddy, alors si en plus il doit se souvenir des rayons qu’il a parcouru… il n’est pas sorti de l’auberge ou plutôt du commerce. « Désolée, je suis une nana alors forcément je ne sais pas c'que j'veux, hin ! Tu as quelque chose à acheter avant de partir ? » Il secoue la tête, un sourire aux lèvres. « Nope, je voulais trouver un cadeau pour ma fille mais comme je n’ai aucune idée, j’envisageais vaguement les salsifis mais après réflexion, on va éviter. Mais tiens, comme t’es une fille toi aussi, peut être que tu pourras me renseigner autour de ce café de ce qui peut plaire à une gamine de seize… » Il a un doute d’un coup sur l’âge de sa fille, que c’est ridicule. Rapidement il calcule, remonte à Manchester, retrouve Gillian et refait à nouveau le chemin en sens inverse. « seize ans. » Un énième sourire et il l’entend partir en direction de la caisse.

Pendant une fraction de seconde, il est si concentré sur la démarche de la jeune femme qu’il en est tout désorienté mais il ne lui faut guère davantage de temps pour trouver quelqu’un à qui confier son caddy, totalement inintéressant, discuter avec l’employé du commerce et lui confier et sa liste de course, et son adresse. Il sait qu’il y a droit et il sait aussi que la structure lui en offre la possibilité. Une demi-douzaine de minutes plus tard, Razen trépigne à l’entrée du magasin où on l’a gentiment raccompagné et enfonce son unique main valide dans la poche de sa veste pour la réchauffer. Il entend in extremis le pas caractéristique de Moira, ce qui lui évite de sursauter. « Alors ? C'est de quel côté ? Je connaissais bien le quartier, avant, mais là je t'avoue que je suis aussi perdue qu'une touriste et... Ok. Je me tais. » Un nouveau petit rire, il se sent de bonne humeur. Un chuintement lui apprend qu’elle vient de déplier sa canne blanche, certainement identique à celle qu’il a laissée chez lui. « A droite normalement. Première leçon, jeune apprentie. » Il a l’impression d’être un maître jedi, c’est vraiment génial. « Un aveugle n’est pas timide et surtout il a le droit d’emmerder les gens. Donc quand tu sais pas un truc, faut pas que t’hésites à aborder le premier pécore lambda, par exemple… » Il entend un pas passer devant la porte, Razen lance une main à l’aveuglette pour attirer le malheureux passant. Une question, une minute, une réponse. « Et voilà, c’est à droite, sur le même trottoir, on va devoir traverser un premier passage piéton. T’as vu, c’est génial, t’as quasiment tous les droits ! » Ah ça… pour avoir tous les droits, il a tendance à en profiter Razen. Sa main gauche tente de frôler le mur qui est du mauvais côté pour mieux se repérer. « Ah et... Heu... Merci, pour le coup de main... » Il s’arrête dans son mouvement. « Il n’y a pas d’quoi, Moira, c’est tout à fait normal. Ca me fait plaisir d’ailleurs, ça change de mon quotidien monotone. » Et il est sincère. Bougrement sincère. En règle générale, les journées de Razen ne sont pas vraiment ponctuées de surprises constantes, loin de là.

Il ne leur faut pas longtemps pour rejoindre le café et s’y poser, Razen se laisse tomber sur la chaise avec toute l’élégance du balourd qu’il sait si bien être. Un serveur les récupère rapidement, il commande un café et de quoi grignoter, du saucisson et du pain si possible histoire d’avoir véritablement l’impression de se mettre quelque chose sous la dent. Ce n’est que lorsque l’autre part et qu’il se réinstalle confortablement qu’il tente de reprendre la conversation là où ils s’étaient interrompus. « Alors Moira… est ce que tu as des questions ? Déjà… » Il remonte son genou, pose son pied sur le rebord de la chaise pour caler sa jambe repliée entre la table et son torse, finit par poser sa main valide sur l’ensemble. « Si c’est pas indiscret, qui est Moira ? Rousse, blonde, brune, infirmière, ingénieur dans le nucléaire, professeur ? »

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Moira Kovalainen
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MessageSujet: Re: Sometimes I feel I'm betraying my memory... | Razen & Moira   Sometimes I feel I'm betraying my memory... | Razen & Moira Icon_minitimeLun 11 Jan 2016 - 17:31

Sometimes I feel I'm betraying my memory...
Moira & Razen



« Ah… ça… aucune idée. A dire vrai, je dois te concéder que je n’ai jamais essayé de combinaison en cuir bien moulant donc… Mais à l’occasion, si je me retrouve dans cette situation, je penserai à toi et je te raconterai… »

Je ne pouvais m'empêcher de rire en entendant ça. C'est qu'il me faisait bien marrer, ce con ! C'était la première fois depuis que j'avais perdu la vue qu'on ne me parlait pas avec cette écœurante nuance de pitié dans la voix ou alors pour traiter mon frère de tous les noms et le maudire sur cinquante générations. La plupart de mes amis s'étaient sentit pousser une âme de révolutionnaire, là où je les avais gentiment temporisés en leur disant que ça ne servait à rien. C'était notre problème, à Artur et à moi, et à personne d'autre. Je ne voulais pas que qui que ce soit aille lui chercher des noises, pas plus que je ne voulais que mon frère rencontre mes amis. J'avais à présent la preuve qu'il était non seulement manipulé par un cinglé, mais aussi et surtout qu'il était capable du pire. Et puis au fond... J'étais un peu fatiguée de tout ça. Ma cécité je ne l'acceptais pas mais je tentais de m'en convaincre, car si je devais vivre avec pour le restant de mes jours, autant que je m'y fasse au lieu de me lamenter sur mon sort.

Avec Razen, au moins, j'avais l'impression d'être quelqu'un de normal et pas une petite chose fragile et délicate. J'en oubliais presque la raison de ma venue et le repas que je devais préparer pour Artur... Si ma conscience ne me l'avait pas rappelé, je n'aurais pas eu à faire ma mijaurée et à décliner l'invitation si gentille de mon interlocuteur bigleux. Et son ton déçu me conforta dans l'idée que j'avais eu tort. Je préférais retourner voir quelqu'un qui m'avait blessée, détruite, plutôt que de rester avec un homme, certes inconnu, mais qui ne semblait pas avoir la moindre intention mauvaise à mon égard. Instinct de survie, vous dites ? Connais pas. Pourtant, il sembla se réveiller juste à temps pour me dire que j'étais en train de faire la connerie du siècle. Franchement. Mettre fin si vite à une rencontre si incongrue ? Alors même qu'il s'était proposé pour m'aider ? Je devais vraiment être bête à manger du foin, pour décliner son invitation !

Si j'avais pu voir son sourire, je me serais sûrement moqué de lui, parce qu'il devait sacrément avoir l'air con à sourire d'un air niais ! D'un autre côté, lui non plus ne devait pas croiser des aveugles tous les jours, alors entre gens qui se comprennent... J'acquiesçais lorsqu'il me répondit qu'il m'attendrait à l'entrée du magasin, mais me figeais un instant. Une fille ? Alors il était père ? Je restais muette un instant, incapable de prononcer le moindre mot. Il avait une fille, une fille de seize ans, même. Une ado, quoi. Après Marius, c'était le deuxième que je rencontrais à connaître les joies, et les difficultés, de la paternité. Et quelque part, ça refroidit mon enthousiasme. Oh je savais bien que c'était idiot, hin ! J'avais souvent plus l'air moi-même d'une ado en pleine crise que d'une adulte de presque trente ans, mais... Si tout s'était passé comme prévu, six ans plus tôt, j'aurais du être moi aussi mariée et mère. Et quelque part, ça me manquait. Je n'avais que trente ans, encore largement le temps de songer à tout cela, mais parce que j'étais passée à côté une fois, j'avais le sentiment de l'avoir définitivement raté. Je secouais la tête pour remettre mes idées en ordre et lui répondre avant de me diriger vers la caisse.

« Ah tu... Tu as une fille ? Mais pourquoi tu ne demandes pas à sa mère ? Elle doit mieux connaître ses goûts que moi... Enfin si je peux te donner un conseil, évite les salsifis. C'est vraiment pas une bonne idée, personne n'aime les salsifis, et ce peu importe l'âge ! C'est mignon de vouloir lui offrir un cadeau comme ça... C'est son anniversaire ? »

Je lui fis un clin d’œil, oubliant un instant qu'il ne pouvait pas le voir, et me dirigeais vers la caisse. C'est vrai, quoi... Il demandait son avis à une inconnue plutôt qu'à sa... Quoi ? Copine ? Femme ? Ex, peut-être ? Dans le dernier cas, le fait qu'il ne lui demande pas directement s'expliquait un peu mieux. Je payais mes citrons et retrouvais Razen à l'entrée du magasin, où je revenais alors ma première leçon. Sérieusement ? Un aveugle avait le droit d'être chiant et d'utiliser son handicap pour obtenir ce qu'il voulait des gens ?

C'était...

C'était...

Mais c'était génial ! J'avais donc officiellement le droit d'être super chiante, quel bonheur ! Je souriais avec amusement tandis que je l'entendais demander au premier venu où se trouvait le café le plus proche.

« Ok donc si j'ai bien compris, être aveugle t'autorise à te faire passer pour un assisté... C'est génial, ça ! J'adore ! T'as le droit d'être aussi chiant qu'une petite vieille ! »

Parce que avouons-le, je n'avais jamais rien vu de plus emmerdant qu'une grand-mère qui vient vous filer des cannes pour passer plus vite à la caisse !

« J'imagine, ouais... Tu dois pas mal t'ennuyer, des fois... »

Je n'ajoutais rien de plus, essayant simplement d'imaginer à quoi devait ressembler le quotidien de quelqu'un ayant passé plus de temps sans voir que l'inverse. Non vraiment, je ne voulais pas passer le reste de ma vie aveugle... Ca m'angoissait à un point inimaginable, j'en avais quotidiennement une boule dans la gorge. Viendrait un moment où la situation me rendrait tellement amère que j'en fuirais la présence de mon frère, je le savais... Ma confiance en lui s'était tarie à l'instant où il avait enfoncé cette aiguille dans mon cou, et il n'était pas prêt de la retrouver. Pour cela, il faudrait qu'il fasse amende honorable et accepte de revenir du bon côté de la force. C'n'est pas parce que Dark Moren lui avait dit que le côté obscur c'est rigolo et qu'on se tapait des bonnes barres que forcément c'était vrai.

Une fois arrivés devant le café, je m'asseyais à mon tour et commandais mon péché mignon : Un grand chocolat chaud recouvert de chantilly, avec des petits morceaux de guimauve fondus dans le cacao. Du sucre, du sucre, et encore du sucre. Toujours plus de sucre. Et parce que j'étais gourmande et n'avais aucune limite, je commandais deux cookies au caramel. Je n'étais pas certaine de réussir à les avaler, étant donné la difficulté que j'avais à avaler quoi que ce soit ces derniers temps, mais au moins j'aurais essayé. Peut-être en bavardant et plaisantant avec Razen, ça passerait mieux qu'en sentant peser sur moi le regard faussement peiné d'Artur. J'avalais une cuillerée de chantilly avec un soupir de satisfaction tandis que Razen me demandait si j'avais des questions.

« Hum... A vrai dire, des questions j'en ai des milliers ! Pourquoi la Terre tourne autour du soleil, pourquoi je fais une addiction chronique aux bonbons, pourquoi ? Oui, juste pourquoi, c'est une sacrée question... M'enfin j'imagine que tu ne parles pas de ça... »

Maiiiis c'est que tu es con, Moira ! Tu le sais que t'es con, hin ? Brave bête, tiens...

« Déjà... Comment fais-tu pour si bien reconnaître les choses rien qu'en les touchant ? L'habitude ? Je n'arrive pas à faire la différence entre une orange et un citron au toucher, je ne sais pas ce que j'aurais pu ramener sans toi... »

Et à son tour, il me demanda qui j'étais... Ou plutôt à quoi je ressemblais, ce que je faisais dans la vie... Vaste question, tiens. Certainement pas prof et encore moins infirmière ! Brr... Rien qu'à l'idée de tenir une seringue, j'en avais des frissons.

« Et après c'est moi qui suis trop curieuse ? » fis-je avec amusement. « Aux dernières nouvelles, j'étais rousse. Crinière de feu, poil de carotte, imagine ça comme tu veux ! Pas d'ingénieur dans le nucléaire, j'en ai bien peur, je suis violoniste et concertiste. En gros, c'est moi qui fais le clown à l'avant de la scène pendant les concerts. Heureusement qu'un soliste joue toujours par cœur, d'ailleurs, j'aurais été bien embêtée, sinon... »

Ah ça... Je n'osais pas imaginer mon amertume si j'avais du faire une croix sur ma carrière. Après tout, la musique passait avant tout par l'ouïe, c'était ça de gagné. Si je m'étais retrouvée atteinte de surdité, je n'aurais certainement pas été capable de me faire passer pour une Beethoven bis. Déjà parce qu'il était pianiste et moi violoniste.

« C'est compliqué mais très chouette, comme métier... Je ne l'échangerais pour rien au monde ! Et toi dis-moi... A quoi ressemble Razen et que fait-il dans la vie, à part s'occuper de sa fille de seize ans ? Oh d'ailleurs il faut que je t'aide à lui trouver un cadeau... Qu'est ce qu'elle aime ? »

Je lui aurais bien dis « offre-lui un chiot ou un chaton, elle sera forcément ravie ! » mais ça c'était la Brigitte Bardot en moi qui parlait...
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Razen Townshend
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MessageSujet: Re: Sometimes I feel I'm betraying my memory... | Razen & Moira   Sometimes I feel I'm betraying my memory... | Razen & Moira Icon_minitimeDim 24 Jan 2016 - 16:25

Sometimes I feel I'm betraying my memory...
Moira & Razen




Alors oui, autant le dire tout de suite: Razen sait qu’il doit avoir l’air d’un foutu cretin à cet instant et que s’il regardait dans un miroir à cet instant, il aurait autant envie de se foutre de sa tronche que de s’exploser la tête contre le mur. Seulement voilà: Razen ne peut pas se voir. Et pour le coup, il ne va pas s’en plaindre. Razen, donc, a un sourire niais aux lèvres à l’instant même où il entend la voix de la jeune femme. Pourquoi ? Il n’en sait rien, mais il est tout simplement heureux qu’elle soit de retour. Vraiment. Parce que… et bien parce que ça fait plaisir et il ne voit rien de plus à ajouter. Au diable les frangins, il aime cette philosophie ! Et sa bonne humeur retrouvée, il ne lui en faut guère plus pour délaisser son caddy à moitié plein et rassurer Moira. Non, non, il n’a rien à payer, il n’avait même pas d’idée de cadeau pour Ailionora – son but premier rappelons le – et puis, elle pourra d’ailleurs lui donner des idées ce qui l’aidera bien plus que de tourner en rond entre trois salsifis et deux rouleaux de papier bristol. Oui, Razen n’est pas très doué lorsqu’il s’agit d’offrir un cadeau sensé à quelqu’un et plus encore à une enfant. Et il est encore moins doué lorsqu’il doit offrir quelque chose à sa fille, voilà qui est certain. Un cadeau pour sa fille, donc. Il ne peut sentir le malaise de Moira mais étrangement… il l’imagine. En même temps… lui-même n’est pas encore totalement habitué à l’idée d’avoir une gosse, et une gosse dont il n’a déjà plus besoin de changer les couches… Il sent, il pressent, il s’attend à ce silence et il cherche encore une bêtise à sortir lorsque la voix de Moira souffle un « Ah tu... Tu as une fille ? Mais pourquoi tu ne demandes pas à sa mère ? Elle doit mieux connaître ses goûts que moi... Enfin si je peux te donner un conseil, évite les salsifis. C'est vraiment pas une bonne idée, personne n'aime les salsifis, et ce peu importe l'âge ! C'est mignon de vouloir lui offrir un cadeau comme ça... C'est son anniversaire ? » qu’il décide de considérer comme enthousiaste. Son anniversaire ? Razen s’aperçoit soudain qu’il n’a aucune idée de la date d’anniversaire d’Aily. Bravo, Raz, tu es vraiment le père de l’année. « Non, non, pas du tout », du moins, il l’espère, « c’était juste… comme ça, pour lui faire plaisir… ce qui rend d’ailleurs la tâche encore plus ardue, tu t’en doutes. M’enfin bon, allons à la caisse, on sera mieux dans un bar pour discuter, tu verras, c’est palpitant. » Il lui fait un clin d’œil, comme un débile puisqu’elle ne le verra pas, mais pour le principe. Parce que c’est bien d’avoir des principes dans la vie. Et que c’est bien aussi d’esquiver les questions délicates comme par exemple la mère d’Ailionora.

Quoiqu’il en soit… quelques pas, un caddy laissé dans les bras d’un employé, une liste de courses confiée et une livraison programmée plus tard, il la retrouve à l’entrée du magasin. Que quel côté ? Razen ne retient pas un petit rire malicieux. Il l’a bien entendue déplier sa canne blanche, il se souvient qu’il n’a pas pris la sienne. Et qu’en théorie, il devrait s’en sortir sans. Première leçon, Razen délaisse ses courses, délaisse sa fille, délaisse Gillian pour se fondre dans la peau d’un maître yoda des temps modernes. Elle a le droit d’emmerder les gens, tant qu’elle reste polie. Alors oui, il le sait bien, le Razen, que donner ce genre de conseils à des apprentis aveugles, ce n’est pas non plus l’idée du siècle. Il le sait bien mais vous savez quoi ? Il n’en a strictement rien à carrer, le bougre. Déjà parce qu’en soi, les gens qui trouvent quelque chose à reprocher à ses techniques, ils n’ont qu’à le lui dire droit dans les yeux – pour ce que ça changera – et ensuite, parce qu’étant aveugle, et bien… il a bien le droit à quelques compensations. Et s’il en abuse un peu ? Bordel, au bout de vingt ans, il en a accumulés, des points de fidélité au club des taupes donc bon, il a le droit de les dépenser comme il le souhaite et basta. Une question au premier clampin qui a la malchance de passer devant le magasin et hop, l’affaire roule, ils ont un itinéraire. « Ok donc si j'ai bien compris, être aveugle t'autorise à te faire passer pour un assisté... C'est génial, ça ! J'adore ! T'as le droit d'être aussi chiant qu'une petite vieille ! » Il étouffe, mal, un rire amusé. « Ahah, attention jeune padawan ! N’essaye pas non plus de commencer à donner des coups de canne, en général les gens commencent à oublier que tu es aveugle dans ces cas là. Mais c’est l’idée ! Tu as le droit d’être chiant, t’as des circonstances atténuantes… en revanche, conseil d’ami, évite de trop saper la patience de ceux que tu croises souvent, t’as un capital d’abus assez limité avec eux… » Et il parle d’expérience : il a appris depuis le temps quelles limites sont à ne pas franchir avec Alvin. Parce qu’il n’est pas un assisté, loin de là, mais qu’il ne pourrait pas vivre sans assistance non plus. Elle le remercie, Razen qui tâtonne encore de la main gauche à la recherche du mur fronce les sourcils. Il n’y a pas de quoi, vraiment. C’est un plaisir de l’aider, c’est un plaisir de se sentir utile, c’est un plaisir de rompre la monotonie de son quotidien. « J'imagine, ouais... Tu dois pas mal t'ennuyer, des fois... » Il hausse les épaules, avant de se souvenir que ce n’est toujours pas une bonne idée avec son épaule malmenée. « Bouarf, on s’occupe comme on peut tu sais, j’suis pas à plaindre » Loin de là, même. Même s’il se plaint beaucoup. Razen aime être un paradoxe à lui tout seul, parfois.

Quelques minutes plus tard, ils s’assoient enfin au café. Pendant une fraction de seconde, Razen se demande quand même ce qu’il fout là, avant de se dire que de toute manière… et bien… ils sont là donc autant en profiter. Il l’entend commander, se contente d’un café et de quoi grignoter. Du salé pour lui, du sucré pour elle, il n’arrive pourtant pas à savoir lequel des deux est le plus gourmand… Bordel, son sourire n’est pas prêt de disparaître à ce rythme… Il finit par se réinstaller et comme c’est un grand bavard qui n’a aucune gêne, il ne tarde pas à relancer la conversation le plus naturellement du monde. « Hum... A vrai dire, des questions j'en ai des milliers ! Pourquoi la Terre tourne autour du soleil, pourquoi je fais une addiction chronique aux bonbons, pourquoi ? Oui, juste pourquoi, c'est une sacrée question... M'enfin j'imagine que tu ne parles pas de ça... » Et elle aussi, de toute évidence, elle est curieuse. Et elle a vraiment le même genre d’humour que lui, ce qui n’est pas pour lui déplaire. Surtout que… tiens, il pourrait répondre à la première question. La deuxième aussi, en cherchant bien dans son humour désespérant, mais il serait moins confiant quant à la véracité de ce qu’il se retrouverait à déblatérer… « Oh, tu sais, j’ai pas restreint le champ des questions donc… en plus, en soi, c’est assez pertinent comme questions, même si honnêtement, je serais plus curieux de savoir pourquoi est-ce que les pigeons sont aussi cons ou ce que le monde a contre les salsifis mais… » Il s’arrête là pour ne pas aller plus loin dans ses conneries. Il ne faut pas le lancer, le Razen, quand il est de bonne humeur.

« Déjà... Comment fais-tu pour si bien reconnaître les choses rien qu'en les touchant ? L'habitude ? Je n'arrive pas à faire la différence entre une orange et un citron au toucher, je ne sais pas ce que j'aurais pu ramener sans toi... » Un claquement de langue, Razen redevient sérieux, attentif à ce qu’elle lui demande. Il ne peut pas vraiment lui dire tout de go qu’il est un mutant au pouvoir aussi compliqué qu’indispensable. C’est une brave bête, le Razen, mais il n’est tout de même pas con à ce point là. Du moins, pas aux dernières nouvelles. Une seconde, c’est le temps qu’il lui faut. « Aaaah… ça, jeune padawan, c’est l’expérience. C’est un mélange de tout, la texture, l’odeur, la forme… l’habitude en somme. Tu verras, tu prendras vite le pli, il faut juste s’entraîner et s’entraîner encore. C’est pour ça que je me préfère les fruits et légumes aux conserves… » Mais ça… elle doit l’avoir compris. Salsifis un jour, salsifis toujours… Mais soit, c’est à son tour maintenant de poser des questions. Alors alors… qui est elle ? Il est curieux, le Razen, parce qu’il a envie d’en savoir plus sur elle, sur les circonstances de sa cécité, sur la manière dont elle la vit et sur sa vie en général. Il est curieux, et il l’assume. « Et après c'est moi qui suis trop curieuse ? » « Touché » concède-t-il dans le seul mot qu’il connaît en français. « Aux dernières nouvelles, j'étais rousse. Crinière de feu, poil de carotte, imagine ça comme tu veux ! Pas d'ingénieur dans le nucléaire, j'en ai bien peur, je suis violoniste et concertiste. En gros, c'est moi qui fais le clown à l'avant de la scène pendant les concerts. Heureusement qu'un soliste joue toujours par cœur, d'ailleurs, j'aurais été bien embêtée, sinon... » Un sifflement admiratif perce ses lèvres, Razen hésite entre être impressionné et être encore plus curieux. Violoniste, concertiste, niveau badassitude ça se pose là quand même. Lui, avec son bac et puis c’est tout, il fait bien pâle figure en comparaison… « C'est compliqué mais très chouette, comme métier... Je ne l'échangerais pour rien au monde ! Et toi dis-moi... A quoi ressemble Razen et que fait-il dans la vie, à part s'occuper de sa fille de seize ans ? Oh d'ailleurs il faut que je t'aide à lui trouver un cadeau... Qu'est ce qu'elle aime ? » Il éclate de rire . A quoi ressemble Razen ? Il se passe la main dans les cheveux, sentant ses doigts s’entremêler dans les mèches qu’il imagine vaguement brunes, puisqu’elles l’étaient aux dernières nouvelles. «  C’est sûr que c’est un métier qui doit être intéressant, c’est une passion à ce niveau là, je doute qu’on puisse devenir concertiste par dépit parce qu’on a pas été embauché comme secrétaire… » Il y a de l’amusement dans sa voix, oui, mais aussi toujours une touche d’admiration. Il ne s’y connait absolument pas en musique, même s’il sait avoir l’oreille absolue. Il n’a d’ailleurs jamais touché d’instrument de toute sa vie, sauf vaguement une fois la guitare d’un des enfants d’une famille d’accueil mais… son expérience en la matière s’arrête là. « A quoi ressemble Razen ? C’est une bonne question… aux dernières nouvelles, j’étais brun. Je sais que j’ai du poil au menton depuis vu que je me coupe tous les quatre matins en tentant de me raser convenablement… » Il se passe une main sur le menton, en réfléchissant. Alors, qui va être Razen cette fois ? « Sinon, Razen a fait des études de littérature… c’est con, hein, pour un aveugle, mais bon… » C’est un mensonge, bien sûr, comme tout ce que raconte Razen en général parce qu’il ne peut pas vraiment dire qu’il est un mercenaire, qu’il participe à l’élimination des personnes et qu’il livre des mutants aux Hunters et inversement. Non, ça ne se dit pas trop, entre un café et un bout de macaron. Surtout pas à une personne qu’il ne connait pas. « Mais honnêtement… je ne fais pas grand-chose de mes journées. Je suis homme au foyer, homme assisté au foyer. » Voilà… Lalala, chantonne-t-il en pensées avant de vouloir changer de sujet de conversation. Sa fille. Sa fifille. Ce qu’elle aime ? « Sinon, pour ma fille, parce que c’est quand même bien plus intéressant que les occupations d’un aveugle qui s’emmerde, elle aime les films. Les BDs, les trucs de superhéros, tout ça… Tu vois le problème… » Il rit un peu. Un peu. Parce qu’il vient de mettre le doigt sur un problème qu’il n’a toujours pas résolu : il ne verra jamais sa fille. Ni les films qu’elle regarde. Pas comme elle les voit elle, du moins. Sa cuillère tourne dans le café servi, ses doigts tâtonnent à la recherche d’une rondelle de saucisson. M’enfin… il soupire, insuffle un peu de vitalité pour ne pas se laisser aller à l’affliction qui l’affligerait bien plus que tout le reste. « Alors, chère violoniste, concertiste à la crinière de feu et au poil de carotte, que conseillerais-tu comme idée de cadeau pour une gamine de seize fan de comics, à son vieux père aveugle ? » Sa voix part dans le mélodrame surjoué et amusé lorsqu’il rajoute. « Je t’échange toute idée contre deux conseils d’un vétéran Colonel Taupe. Tiens, pour te prouver ma bonne foi, je vais même te donner un conseil en guise d’acompte : habitue toi dès à présent à avoir en tête où se trouve le mur le plus proche. » Un peu de sérieux se glisse dans ses bêtises, entremêlé au reste mais nettement discernable par son ton posé et sentencieux. « Je sais que lorsque je cesse de me concentrer, parfois, j’oublie où je suis et… je suis quelqu’un que les chutes terrifient. Retrouver le contact stable et rassurant d’un mur est un moyen certain pour ne pas commencer à paniquer. »


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Moira Kovalainen
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MessageSujet: Re: Sometimes I feel I'm betraying my memory... | Razen & Moira   Sometimes I feel I'm betraying my memory... | Razen & Moira Icon_minitimeDim 7 Fév 2016 - 18:07

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Il me faisait rire, ce type aussi étrange que sympathique. Il était aussi bavard que moi sinon plus, et tellement à l'aise avec les inconnus que je me demandais un instant s'il n'était pas comédien ou un truc du genre. J'étais chanceuse d'être tombée sur lui... Il m'avait tiré de la monotonie de mes journées depuis que j'étais aveugle. Et il comprenait ce que je traversais. Quelque part, j'avais envie de me raccrocher à lui pour ne plus me sentir seule, désespérément seule dans le noir. J'avais beau ne jamais avoir eu peur du noir étant gamine, cette fois c'était différent. Allumer une veilleuse ne suffirait pas à me rassurer, j'étais dans le noir complet, total,, une obscurité épaisse et oppressante. A cet instant, l'inconnu aux citrons était en quelque sorte la bouée qui me maintenait hors de l'eau milieu de cette mer déchaînée qu'était mon existence. Enfin inconnu, non... Non puisqu'il s'appelait Razen... Sérieusement, quel nom bizarre ! Alors oui, peut-être qu'aux states Moira ça faisait aussi exotique, mais quand même ! Razen... Il aurait pu s'appeler râpe à fromage que je n'aurais pas trouvé ça plus bizarre ! Mais passons... Car ce n'était finalement pas son prénom qui m'intéressait mais plutôt sa compagnie et tous les conseils qu'il pouvait me donner. Après tout, j'étais une aveugle débutante pas très douée, et j'avais bien besoin qu'on me guide.

Lorsqu'il me parla de sa fille... Allez savoir pourquoi, je peinais à dissimuler la pointe de déception dans ma voix. Chaque fois que je croisais quelqu'un ayant réussi à fonder une famille heureuse, je ne pouvais m'empêcher de le jalousie. Ma famille à moi partait en vrille, j'avais un frère meurtrier doublé d'un menteur, ma mère avait été tuée par un cinglé et mon père m'avait mentit pendant trente ans. A vrai dire, je ne m'étais jamais sentie aussi seule, et j'avais horreur de ça. Je fuyais la solitude comme la peste, car elle me forçait à me regarder dans une glace et à observer tout ce que je haïssais le plus en moi. Je la fuyais parce qu'elle était synonyme de mort et d'absence pour moi... Parce que je l'avais subie trop longtemps à la mort de William. Je m'étais retrouvée dans un appartement bien trop grand, frigorifiée par son absence et la terreur, par l'angoisse inhérente au fait de ne pas savoir... Et maintenant que j'y pensais, je ne m'étais pas encore autorisée un deuil en bonne et due forme. Pas plus que je ne me l'étais véritablement accordée pour ma mère. Je vivais dans le déni pour l'un comme pour l'autre, et repoussais sans cesse l'échéance : Tôt ou tard, leurs fantômes me rattraperaient, et je n'osais imaginer dans quel état on me ramasserait. Si tant est que qui que ce soit parvienne à m'approcher à ce moment-là.

Chassant mes sombres pensées, je gratifiais Razen d'un sourire qu'il ne pourrait de toute manière pas voir.

« C'est plutôt gentil, comme attention... Au moins elle ne s'y attendra pas ! Je te suis ! »

Je reçus ma première leçon de survie pour aveugle en terrain hostile dès la sortie du magasin et riait de bon cœur en l'entendant. Vraiment, il y avait quelque chose d'amusant et de totalement incongru chez ce type, qui me changeait grandement de la morosité actuelle d'Artur ou de mon père.

« Bien, maître Yoda, j'essayerai de me souvenir de tout ça ! Et puis j'ai une argument que tu n'as pas pour m'assurer que les gens seront plus patient avec moi ! Je suis une femme ! »

Raccourci ? Facilité ? Oui et alors ? Qu'on ose me dire qu'une demoiselle en détresse vous regardant avec un regard humide et triste n'inspire pas plus la pitié qu'un vieux barbu étrange ? J'avais donc le droit d'être chiante... Message reçu, mon général ! De toute manière, j'avais des circonstances atténuantes, comme il disait, et si j'avais l'air enjouée, ce n'était qu'une façade. Je craignais la suite, l'avenir, tout... Je ne voulais pas passer le reste de mes jours aveugle, et je savais que je ne pouvais pas me permettre de dire ça à voix haute à quelqu'un qui vivait sans le secours de ses yeux depuis des années.

« Tu t'occupes comment, en général ? » Demandais-je poliment.

C'était bien une question importante, ça... Comment s'occupait un aveugle au quotidien ? De mon côté c'était simple : Des gammes, des traits d'orchestre, des exercices de virtuosité et ma journée était bien remplie. Mais cette journée-là, elle était différente, moins prévisible, plus originale... Plus attrayante que mon quotidien, finalement. Maintenant que nous étions assit à la table d'un café, je repêchais un morceau de guimauve à moitié fondu dans mon chocolat et suçotais le bout de ma cuillère avec la moue d'une enfant de quatre ans. J'aurais vendu mon âme au plus offrant pour une maison un pain d'épices ! J'étais de rire, à nouveau. Ses questions avaient aussi peu de sens que les miennes !

« Les voies de l'ornithologie et des salsifis sont impénétrables, il faut croire ! »

Et puis il me confia que finalement... Ça n'avait rien de magique ou d'extraordinaire, cette capacité à reconnaître les choses au toucher. C'était de l'entraînement, encore et toujours de l'entraînement. Et pour quelqu'un qui avait aussi peu de patience que moi, autant dire que la chose me barbait d'avance !

« Wouaw... Tu dois être sacrément doué de tes deux mains pour tout reconnaître au toucher ! », c'est tendancieux, Moira, hyper tendancieux, c'que tu dis là, « 'Fin je veux dire... Ça a dû te prendre du temps de réussir à t'en sortir aussi bien... J'avoue que je n'ai pas encore eu le courage de me poser devant mon bac à légumes pour apprendre à faire la différence entre une orange et un citron... »

J'arrivais à mettre un pied devant l'autre, c'était déjà pas mal ! Je me prêtais de bon cœur au jeu des questions/réponses, car après tout je ne risquais rien à lui dire que j'étais rousse et musicienne. Et en effet, je n'avais pas choisi mon métier par défaut mais bien par passion et par ambition. Je ne donnais pas plus de détail que cela sur l'importance que mon violon avait dans ma vie, déjà pour ne pas bassiner Razen, mais aussi parce que cette histoire était bien trop personnelle pour que j'en dise plus. Et alors qu'il me parlait de lui à son tour, je tentais de me le représenter. Brun, du poil au menton, oui logique, pour un homme. J'essayais de l'imaginer en train d'essayer de se raser sans se mettre une lame de l'oeil, et même si la chose devait être handicapante, je dû me morde la joue pour ne pas rire.

« Des études de littérature ? La claaaasse ! Tu as eu l'air impressionné par ce que je t'ai dis, mais je le suis tout autant, là ! Je n'aurais jamais eu la patience de poireauter sur les bancs d'une fac en désespérant face à une liste interminable de bouquins à lire... Tu as étudié quoi comme littérature ? S'il y a du théâtre ou de la poésie, je veux une démonstration ! » Dis-je avec amusement en tentant de porter à mes lèvres une cuillère couverte de chantilly.

Et raté. J'avais de la crème plein le nez. Instinctivement, je jurais en finnois tout en cherchant ma serviette pour tenter de camoufler ma connerie. Décidément, ne rien voir c'était bien plus emmerdant que je ne l'aurais cru ! Tout en me nettoyant le bout du nez, j'écoutais Razen, qui ne semblait pas avoir envie de s'étendre davantage sur ce qu'il faisait dans la vie. A des années lumière de me douter qu'il me mentait, je songeais davantage à quelqu'un qui n'avait pas envie de parler plus que cela de journées emmerdantes qui se ressemblaient toutes. Oui, là je le comprenais. Ça devait être usant, à la longue... Et puis nous avions des choses plus importantes à évoquer ! Le cadeau de sa fille, par exemple ! J'avalais une gorgée de chocolat sans m'en mettre partout, cette fois, et écoutait attentivement mon nouvel ami bigleux. Une amatrice de comics, de films et de super héros... Original, pour le coup ! Moi qui m'attendais à une gamine préoccupée par le prix de sa paires de bottines ou tartinée de maquillage, je commençais à me dire qu'à père farfelu, fille originale !

« Hum... Je ne suis pas une grand spécialiste de l'univers des super héros, mais il n'y a pas un héros aveugle qui pète la classe ? Comment il s'appelle, déjà... Il doit bien y avoir une série de comics à son sujet, non ? Tu lui offres le premier tome, en plus ça lui fera de la lecture ! Si c'est une amatrice de films, elle aura sûrement déjà tous les dvd, et de toute manière tout le monde télécharge tout sur internet, aujourd'hui... Ou alors tu lui offres une chouette figurine ! Bon c'est vrai que pour le coup, je ne t'aide pas beaucoup... Si on entrait tous les deux dans un magasin pour lui trouver une figurine, elle se retrouverait sûrement avec un truc hideux, moche et difforme, vu qu'on y voit rien ! »

Je riais à ma propre bêtise, cherchant une autre idée susceptible d'intéresser ce papa désemparé.

« Les gamins adorent les parcs d'attraction, tiens... Enfin pas que les gamins, je vais avoir trente ans et si je pouvais passer ma vie dans des montagnes russes, je le ferais ! Enfin bref, il n'y a pas un parc genre Disneyland mais avec des super héros, dans le coin ? Ça vous ferait un chouette souvenir, à tous les deux, non ? »

Je n'avais pas l'impression de beaucoup l'aider, mais je ne connaissais pas sa fille et peinais un peu à trouver quelque chose de plus convaincant que ça. Déjà, Razen enchaînait avec un petit conseil d'aveugle, et je hochais la tête en sirotant ma boisson. Avoir toujours une idée de la distance à laquelle se trouve le mur le plus proche, c'était noté. Se prendre une façade dans la figure, ce n'était en effet pas très agréable, en règle générale ! Et j'écarquillais lorsqu'il me confia avoir peur des chutes. Ca devait être d'autant plus terrifiant qu'en étant aveugle, il devait avoir parfois du mal à se rendre compte des distances.

« Oh... Je vois... Enfin si on veut. Ca ne doit pas être toujours évident, j'imagine ? Et tu... Tu sais d'où elle te vient, cette peur ? »

Une peur avait toujours une origine, il y avait toujours un malaise à l'origine d'une angoisse. S'il ne voulait pas en parler, je ne m'en vexerais pas, mais si je pouvait d'une façon ou l'autre l'aider comme lui m'aidait depuis le début de l'après midi... Ce serait une belle manière de le remercier. Le meilleur moyen de vaincre une peur, c'était encore de l'affronter ! Je me demandais alors s'il avait déjà essayé le saut en parachute... D'un autre côté, j'étais mal placée pour dire quoi que ce soit, étant donné que je me liquéfiais de terreur à la vie d'une aiguille.

« Ça doit être épuisant, d'être concentré en permanence... Je sais que je suis mal placée pour te dire ça, mais tu n'a jamais... Essayé de combattre ta peur de front ? Peut-être que ça t'aiderais à te détendre un peu ? »

Je disais ça mais il avant qu'il ne me confie son angoisse, il avait l'air détendu. Sauf que j'avais l'ouïe fine et entraînée, ce léger tressautement que j'avais entendu dans sa voix, c'était de la peur. Le genre de peur que l'on ne cache pas aisément.

« Oh tiens j'ai une question... Est ce que tu as un conseil de Colonel Taupe pour ne pas avoir envie d'étrangler ceux qui te prennent pour un handicapé et une petite chose fragile dès qu'il apprennent que tu n'y vois rien ? »

Ça c'était une question cruciale. Car pour ma part, je me retenais constamment de ne pas éviscérer sur place les abrutis qui prenaient un ton bienveillant et dégoulinant de pitié en me demandant si je n'avais pas besoin d'aide pour respirer.
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MessageSujet: Re: Sometimes I feel I'm betraying my memory... | Razen & Moira   Sometimes I feel I'm betraying my memory... | Razen & Moira Icon_minitimeSam 5 Mar 2016 - 15:18

Sometimes I feel I'm betraying my memory...
Moira & Razen




En plus de vingt-ans, Razen avait tout de même eu l’occasion à de rencontrer d’autres aveugles et ce à plusieurs reprises. D’ailleurs, il avait passé ses premières semaines angoissantes de cécité à réapprendre à vivre, à exécrer l’assistance qu’il était obligé d’accepter et à redécouvrir tous les gens du quotidien aux côtés d’autres jeunes plus ou moins de son âge. Moira, donc, n’est pas la première aveugle qu’il a le loisir de rencontrer. Mais ce n’est pas pour autant qu’il a l’habitude d’échanger de la sorte nombre d’anecdotes sur ce qu’il vit au quotidien avec quelqu’un pouvant le comprendre. Ce n’est même pas tous les jours qu’il a l’occasion de rire et de sourire de la sorte en évoquant ses déboires. C’est encore moins fréquent qu’il puisse écoutant une jeune aveugle parler de ce qu’il a pu vivre il y a plusieurs années maintenant. Peut-être qu’on pourrait lui reprocher les conseils qu’il lui donne, dans une absence complète de gêne et de scrupule, sur les meilleurs moyens d’user et d’abuser de leur handicap pour se simplifier la vie. Fier et autonome, Razen n’est pas du genre à réellement se plaindre de son sort. S’il peut ouvertement râler auprès d’Alvin, c’est plus par jeu et principe que par réellement détresse ou autre. Il peut parler de sa cécité sans problème, il peut même en jouer, s’amuser du malaise de ses interlocuteurs et l’utiliser à son avantage pour obtenir ce qu’il veut. En fin de compte, selon lui, s’accepter aveugle est un premier pas vers l’indépendance. Ne pas hésiter à demander, ne surtout pas se brider avec une timidité et une honte malvenues : il le sait que ses conseils sont un encouragement à imposer son handicap aux autres et à l’assumer pleinement. Conseils de survie en terrain hostile : le sourire de Razen ne doit rien laisser présager de bon aux passants, à mi-chemin entre le rire et le défi, teinté d’insolence et d’assurance. C’est un bon vivant, le Razen, lorsqu’il se lève de bonne humeur. C’est un bon vivant, c’est même pas un mauvais bougre. « Bien, maître Yoda, j'essayerai de me souvenir de tout ça ! Et puis j'ai un argument que tu n'as pas pour m'assurer que les gens seront plus patients avec moi ! Je suis une femme ! » Instantanément, parce qu’au final, il ne demande que ça, l’aveugle, il explose de rire. Un rire franc et honnête comme il en offre souvent, un rire spontané et irréfléchi. C’est un bon vivant, le Razen, il préfère de loin rire de son handicap qu’en pleurer. Et, quelque part, il n’a qu’une envie présentement : qu’il en soit de même pour Moira. « Tu es géniale, jeune apprentie, je vois que tu as déjà compris le principe de base ! Tu n’as plus qu’à t’entraîner… » Comme il peut, il plaque une main sur le mur dans un frôlement qui peut sembler étrange mais qui lui est indispensable. Ces grains de crépis, cette surface lisse qui défile sous ses doigts… c’est ce qui remplace sa canne blanche, c’est ce qui lui évite de se perdre. C’est aussi, ce qui lui permet de comprendre avec une acuité déroutante tout ce qui l’entoure.

« Tu t'occupes comment, en général ? » Comment occupe-t-il ses journées ? Il ne sait pas trop, vraiment. « Je lis, je regarde la télé, je me tiens au courant de ce qu’il se passe. J’essaye, aussi, de sortir un peu. » Accessoirement, aussi, il se renseigne, prospecte dans les bars, laisse traîner ses oreilles. Il n’y a pas que l’absence complète de gêne qui soit l’un des avantages de sa cécité : bien souvent les gens pensent que s’il ne les voit pas, alors il ne les entend pas. Bien souvent, aussi, lorsqu’ils lui prennent la main pour le conduire vers une rue précise ou l’aider à se repérer, ils ne se doutent pas un seul instant qu’ils viennent de vendre leur âme et de confier leurs plus sombres désirs et espérances à l’Anglais. Et pour peu qu’ils aient sur le tête un contrat juteux… « Je dois donner l’impression de ne rien faire… » souffle-t-il d’une voix faussement gênée. Manipulateur, le Razen. Il a surtout conscience de ce qu’il peut se permettre de confier à une inconnue et de ce qu’il a tout intérêt à garder pour lui. Comment s’occupe-t-il ? « Je fais un peu de sport, aussi… » Le ton de sa voix parle pour lui. Il enveloppe sa réponse d’un nuage de fumée, agite la vase pour troubler et distraire. Du sport, oui, mais quel genre de sport ? Le Razen ne le dit pas, sa voix coquine le sous-entend. Et les voilà surtout arrivés au bar : l’odeur de café, le nombre de passage piétons traversés et le verre qui glace l’épiderme de ses doigts sont éloquents.

Quelques minutes, les questions commencent, la curiosité de Razen s’étale et se mélange complètement avec celle de la jeune femme. Des milliers de questions ? Les sourcils de Razen s’arquent dans un réflexe de pur voyant qu’il n’a pas réussi à perdre. De toute évidence, ils partagent non seulement un bavardage incessant mais aussi leur humour et leur curiosité. La bonne humeur de Razen fait scandale, il s’arrête juste à temps pour ne pas se lancer dans une longue diatribe de défense des salsifis et des navets contre l’oppression des humains qui ne parlerait peut-être pas à Moira. Il lit, le Razen. Et pour le plus grand malheur de son frère et à présent de sa fille, non seulement il lit mais il retient ce qu’il lit. Et il l’analyse, le segmente, le complète, le croise avec ses autres lectures pour former un agrégat soit brillant, soit affligeant, de connaissances qui lui permettent le plus souvent d’être qui il veut. « Les voies de l'ornithologie et des salsifis sont impénétrables, il faut croire ! » Un nouveau rire, l’anglais se réinstalle confortablement sur sa chaise, agite sa cuillère dans la tasse de café commandée.

Comment fait-il pour distinguer les différents fruits et légumes. Une seule seconde, la force de l’habitude, et le voilà qui répond en esquivant savamment le problème. L’habitude. C’est ce qui est au cœur de sa réponse, comme une excuse bien choisie, renouvelable et entendue. L’habitude. Comment s’occupe-t-il ? L’habitude. Comment devine-t-il ? L’habitude. Il pourrait se retrouver rapidement acculé contre sa réponse systématique sans son interlocutrice et toutes ces perches qu’elle lui tend. « Wouaw... Tu dois être sacrément doué de tes deux mains pour tout reconnaître au toucher ! » Un petit rire, il murmure dans sa barbe un « Tu n’as pas idée… » aussi explicite que véridique. « 'Fin je veux dire... Ça a dû te prendre du temps de réussir à t'en sortir aussi bien... J'avoue que je n'ai pas encore eu le courage de me poser devant mon bac à légumes pour apprendre à faire la différence entre une orange et un citron... » Se calmant, et avec une certaine pitié de Moira il faut bien l’avouer, Razen décide de ne pas trop s’attarder là-dessus et de ne pas, surtout, l’enfoncer davantage. Si ça lui a pris du temps ? Oui, en quelque sorte. Il savait tout, au début. Tout sur tout. Ce qu’il touchait s’imprégnait en lui, saturait ses sens, saturait ses méninges. Il ne compte plus les maux de tête qu’il a accumulé jusqu’à parvenir à filtrer de plus en plus inconsciemment. Si ça lui a pris du temps ? « Moira… ça fait vingt ans que je suis aveugle. J’ai de l’expérience, heureusement. Tu t’imagines, dans vingt ans, à être toujours terrifiée devant un bac à légumes en te demander si tu tiens une courgette ou un concombre ? » Inconsciemment, il a mis son humour et sa désinvolture de côté pour devenir bien plus sérieux. Presque sentencieux. Il peut étonner, Razen, dans ces moments là, tant son ton, sa voix, ses propos contrastent avec le presque quadragénaire qui regarde des feuilletons à l’eau de rose pour passer le temps. « J’espère pour toi, du moins. Mais honnêtement, je n’ai pas l’impression que tu sois du genre à baisser les bras là-dessus. Ça va venir progressivement. Presque inconsciemment tu vas accepter de faire confiance à tes autres sens. » Il n’en a même pas que l’impression : il le sait. Et il le sait même peut être mieux qu’elle. Parce que sa main, quand il parlait, est allée à la rencontre de celle de Moira pour établir un contact qui lui est presque vital, dans un effleurement poli de prime abord, puis plus présent.

Mais ce qu’il ne sait pas, c’est qui elle est. Rapatriant sa main, il récupère au passage sa tasse de café pour en boire une gorgée en l’écoutant répondre. Et rapidement, il siffle son admiration devant la carrière qu’elle lui décrit. Violoniste, concertiste, ça force l’admiration. Vraiment. Il fait bien pâle figure à côté… Brun, barbe, cheveux presque frisés à ce qu’il en sait… Il peut tout connaître d’elle mais il ne sait rien de ce à quoi il ressemble. C’est lamentable. Quant à ce qu’il fait dans la vie, les études qu’il a faites… ses nuits d’insomnie, ses jours d’inactivité… littérature. Voilà ce qu’il décide d’avoir fait. De la littérature. Qu’y-a-t-il de plus éloigné, au final, du violon que la littérature ? De plus éloigné et de plus proche en même temps ? Deux formes d’art, deux formes d’expression qui peuvent établir un dialogue mais qui ne peuvent s’intercepter de sorte qu’il ne soit pas pris en défaut. « Des études de littérature ? La claaaasse ! Tu as eu l'air impressionné par ce que je t'ai dit, mais je le suis tout autant, là ! Je n'aurais jamais eu la patience de poireauter sur les bancs d'une fac en désespérant face à une liste interminable de bouquins à lire... Tu as étudié quoi comme littérature ? S'il y a du théâtre ou de la poésie, je veux une démonstration ! » Un sourire, encore, qu’elle ne peut pas voir. Heureusement.

Un sourire, et il l’entend jurer dans une langue complètement inconnue. Un sourire, qui pour une fois n’a pas envie de s’inventer une vie, n’a pas envie de s’inventer une passion, n’a pas envie de jouer mais juste… il change de sujet de conversation. Pas de théâtre, pas de poésie, la littérature qu’il lit c’est celle qu’il trouve en braille. Et celle qu’il écoute, parfois, lorsqu’il n’est pas trop épuisé pour se concentrer sur des voix qui rendent vivant un texte qu’il ne peut pas voir. Non, vraiment, autant ne pas s’attarder sur le sujet et ramener plutôt Ailionora sur le tapis. Qu’aime-t-elle ? Il n’en sait trop rien. Des livres, des films, en somme : elle aime ce qui lui est presque inaccessible mais ce qu’il lui a transmis, aussi, sans le savoir. « Hum... Je ne suis pas une grand spécialiste de l'univers des super héros, mais il n'y a pas un héros aveugle qui pète la classe ? Comment il s'appelle, déjà... Il doit bien y avoir une série de comics à son sujet, non ? Tu lui offres le premier tome, en plus ça lui fera de la lecture ! Si c'est une amatrice de films, elle aura sûrement déjà tous les dvd, et de toute manière tout le monde télécharge tout sur internet, aujourd'hui... Ou alors tu lui offres une chouette figurine ! Bon c'est vrai que pour le coup, je ne t'aide pas beaucoup... Si on entrait tous les deux dans un magasin pour lui trouver une figurine, elle se retrouverait sûrement avec un truc hideux, moche et difforme, vu qu'on y voit rien ! » Même s’il est conscient qu’elle ne le verra pas, il secoue la tête, sans vouloir l’interrompre. Du nerf, Razen, ne te laisse pas abattre par cette prise de conscience qui te torture. Il ne verra jamais sa fille, il ne lira jamais ses comics, il ne verra jamais les films dont elle lui vante les mérites. Et même s’il vit bien sa cécité, même s’il n’a clairement pas à se plaindre grâce à sa mutation… « Les gamins adorent les parcs d'attraction, tiens... Enfin pas que les gamins, je vais avoir trente ans et si je pouvais passer ma vie dans des montagnes russes, je le ferais ! Enfin bref, il n'y a pas un parc genre Disneyland mais avec des super héros, dans le coin ? Ça vous ferait un chouette souvenir, à tous les deux, non ? » Un frisson dégringole ses tripes à la moindre mention d’un parc d’attraction.

La ville à elle seule est un parc d’attraction. Et l’idée seule d’être suspendu dans du vide, sans savoir où se trouve le haut, où se trouve le bas, sans point de repère, sans même de support stable… Elle n’est pas aveugle depuis longtemps et il est bien obligé de s’en souvenir tant l’évidence s’écrase sur sa face. Et étrangement, la discussion devient bien moins amusante et légère. Se rend-elle compte de ce qu’elle dit, de ce qu’elle va devoir laisser de côté ? Un conseil, voilà ce qu’il trouve comme point de départ pour lui souffler quelque chose. Un conseil, en écho redoutable avec ses propres terreurs. Toute personne a ses angoisses, toute personne a ses phobies. Lui, elles se découpent en deux choses : les clowns et les chutes. Aucun rapport entre les deux mais elles se rejoignent sur un point : elles l’angoissent. Et les chutes, c’est bien de ça dont il parle à cet instant. « Oh... Je vois... Enfin si on veut. Ca ne doit pas être toujours évident, j'imagine ? Et tu... Tu sais d'où elle te vient, cette peur ? » Une petite moue, il termine son café. « Aucune idée. Mais elle était déjà là bien avant ma cécité, elle s’est juste renforcée à partir du moment où j’ai commencé à m’imagine dégringoler des escaliers sans le moindre point de repère visuel auquel me raccrocher. C’est d’ailleurs pour cette raison que les parcs d’attraction… » Il lui offre une grimace invisible. « Oh, ça plairait à Aily, oui, mais… brrr… tu t’imagines, accrochée dans un siège et ballotée dans tous les sens sans rien voir ? Non merci. J’ai bien plus de sensations fortes devant un film d’horreur, avec la musique creepy et les glapissements de ma fille. » Il exagère un peu, mais l’idée est là.

« Ça doit être épuisant, d'être concentré en permanence... Je sais que je suis mal placée pour te dire ça, mais tu n'as jamais... Essayé de combattre ta peur de front ? Peut-être que ça t'aiderais à te détendre un peu ? » Alors, autant il n’aimait pas trop parler de lui et de sa passion cachée pour la littérature – si cachée qu’il vient d’ailleurs juste de l’inventer – mais… parler de sa peur irrationnelle des chutes… c’est encore moins sa tasse de thé. Combattre sa peur ? « Non, je vis avec des vestes rembourrées depuis mon enfance pour justement endiguer ma terreur et me permettre de faire un pas dehors… » Un sarcasme qui lui échappe, voilà ce que c’est. Un sarcasme légèrement vexé, alors qu’il se ferme et qu’il se braque. Elle pense sincèrement que c’est si facile que cela ? Avoir peur des chutes, de base ce n’est pas très glorieux. Mais lorsqu’en plus tu es aveugle… Il s’en veut un peu, le Razen, d’être aussi sec et sarcastique, mais c’est plus fort que lui. « On a même essayé, à une époque, de me mettre dans un lit et de m’y attacher pour être sûr que je ne tombe pas. Mais c’était un peu compliqué pour aller à l’école. » Un soupir, il commence à jouer avec sa cuillère dans un cliquetis qui va certainement devenir très rapidement exaspérant.

Un silence. Gênant. « Oh tiens j'ai une question... Est ce que tu as un conseil de Colonel Taupe pour ne pas avoir envie d'étrangler ceux qui te prennent pour un handicapé et une petite chose fragile dès qu'ils apprennent que tu n'y vois rien ? » Razen relève la tête, songeur. La question est pertinente, tout de même. Plus que pertinente. Même si elle ne couvre que la moitié du problème : à savoir ceux qui pensent nécessaire d’envelopper leur proche aveugle dans du papier-bulle. L’autre moitié, Moira risque de le découvrir suffisamment vite, en même temps : ceux qui ne comprennent pas que lorsqu’on est aveugle, on est aveugle. Et que donc, accorder ses chaussettes, c’est galère. Admirer des peintures, c’est galère aussi. Mais bon, c’est un autre problème, donc. « Très honnêtement ? Je vois deux solutions. » Loin de ses pensées moroses, loin du sarcasme et de son exaspération, Razen redevient sérieux et légèrement souriant. Après tout… ils ne sont pas là pour se raconter leur vie, ils sont là pour qu’il lui donne des conseils, non ? Bon, certes, à la base, ils n’étaient là que pour papoter donc ça englobe aussi leur vie respective mais… « Tu peux suivre les conseils qu’on te donne dans les centres de rééducation, tu sais, là où t’envoies l’hôpital lorsqu’il s’avère que tu es vraiment aveugle et que tu vas devoir tout réapprendre. Autrement dit, tu fais preuve de patience, d’écoute et tu te projettes à leur place en tentant de leur expliquer que tu es autonome et que même si tu comprends et reçois avec joie leur inquiétude, tu peux te débrouiller toute seule et blablabla et blablabla… » Il les a entendus, ces discours. A de multiples reprises, même. Via l’assistante sociale, aussi, et tous ces experts chargés de l’aider dans sa transition, et de le dissuader de récupérer la garde d’Alvin. « Et sinon tu as la méthode Razen. Tu fais un gentil sourire au débile profond. Et là… coup de boule dans sa gueule. Bon, il ne faut pas trop que tu espères son aide par la suite, mais je t’assure que ça détend. Ou alors, tu chantonnes dans ta tête une chanson à boire, c’est aussi une solution assez efficace avec ce genre de cons. »

Il se passe une main dans les cheveux en se rendant compte que ses conseils… en soi, ce sont plus le genre de conseils que l’on ne peut mettre en pratique que lorsqu’on est comme lui : avec un aplomb sans limite, et une parfaite assurance. Des conseils, aussi, lorsqu’on n’est pas totalement dans le noir, lorsque grâce à un épiderme muté, on trouve ses repères, on se positionne dans l’espace, on n’est pas seul, en somme. Un soupir, une douleur dans l’épaule : une fatigue, aussi. Brutale. Assis tranquillement dans un café, il commence à se rendre compte que… que les nuits presque blanches qu’il traîne derrière lui l’assomment et menacent de venir le cueillir. Un bâillement, sans gêne. De toute manière, elle ne peut pas le voir, donc… et une sonnerie. Aussi. Surprenante, sifflante. Sa sonnerie, c’est une personne qui explose de rire. De quoi se fondre dans la foule, de quoi donner le sourire. Son portable vibre, il le cherche de sa main valide dans une phrase d’excuse. « Ah merde, c’est moi. Tu permets ? » Façon de parler : ses doigts ont déjà trouvé la touche correspondante et décroché. « Oui ? Alvin ? Quoi… » Il se redresse sur sa chaise dans un grincement. « Il est quelle heure ? Je suis dans un café, avec… quoi ? Aily ? » Razen fronce les sourcils. Et jure. En ouzbek, parce qu’il sait dire couille de mammouth dans cette langue et que ça le fait rire. Il coupe court, aussi, à la conversation dans un grommellement gêné. « Désolé, c’était mon frère. Il ne pourra pas aller chercher ma fille et comme je préfère qu’elle ne rentre pas seule… Il va falloir que je m’y colle. » Il se lève maladroitement, pour mieux fouiller ses poches et faire un signe au serveur. Un billet, deux, il s’imprègne de la dimension du morceau de papier pour en reconnaître le montant. « Puisque je suis obligé de partir comme un voleur, j’offre ! Et ce n’est même pas négociable. » Sa main trouve celle du serveur, il récupère quelques piécettes et laisse le reste en pourboire. « Et bien Moira, c’est un plaisir d’avoir pu te croiser. Si tu veux, je te laisse mon numéro de téléphone pour qu’on se recontacte si jamais tu as le moindre problème. Avoir un vétéran colonel Taupe dans la poche, c’est toujours pratique. Et puis… j’ai un nombre incalculable de recettes impliquant des salsifis… »

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