Aspen sait bien que pour Noeh, le silence est assourdissant. Elle s’était déjà tue une première fois dans la cuisine, et il n’avait pas tenu plus de trois minutes à gamberger tout seul dans son coin. Ce qui était marrant avec Noeh, quand on le connaissait bien, c’était que ses pensées transparaissaient sur son visage comme une ombre, qui assombrissait son regard et ses traits quand il s’y plongeait trop profondément. Il fronçait les sourcils, se pinçait les lèvres, en réalité c’était tout son visage qui s’agitait de tics qu’Aspen trouvait à leur tour agaçants ou attendrissants. Peut être était ce pour ça qu’ils s’entendaient si bien, avant : sa propre volubilité servait d’épouvantail pour les pensées mélancoliques du garçon, elle l’infatigable bavarde, qui était capable de disserté sur la couleur d’une serviette en papier au restaurant comme sur son dernier dossier. Oh, elle savait se taire et écouter parfois, mais Noeh n’avait jamais été un grand bavard, mais dans ses meilleurs jours. Au mieux il était taquin, mais il ne s’étalait pas sur ses états d’âme, ses sentiments. A part si il voulait quelque chose bien sur, ou qu’elle le faisait plus ou moins gentiment chanter. D’ailleurs, c’était un petit peu ce qu’elle faisait en jouant le silence et la montre avec lui ce soir. Il savait peut être mieux que quiconque comment la sortir de ses gonds, mais elle était parmi les seules à savoir comment le faire sortir, lui de sa réserve. Elle savait qu’il commencerait pas tenter d’éluder la question d’une pirouette, avec un sarcasme ou un bon mot et un sourire tordu. Mais il ne la roulerait pas comme ça, et elle se contenta de le fixer d’un œil morne, presque torve, ‘ pas convainquant, garçon, essaye encore’, avant de retourner à son film. Après une bonne minute de lutte intérieure, l’aveu sortit enfin, sans tambour ni trompette : elle ne tourna pas la tête alors que Noeh s’approchait un peu plus d’elle, pesant le pour et le contre de cette confidence qui pourrait tout à fait être feinte : il en était capable le bougre, pour avoir ce qu’il voulait. Noeh était capricieux, et en enfant gâté il savait jouer sur les mots pour retourner la situation en sa faveur. Mais il était hors de question de fondre comme un cornet de glacé en plein soleil. C’était trop facile. Elle devinait à ses intonations quelle tête il faisait, avec ses yeux un peu humides, sa lippe tombante. Il devait être beau comme tout comme ça, alors elle ne devait pas le regarder. Ce serait Hugh Grant et personne d’autre.
- On est dans un pays libre, tu as bien le droit de vouloir tout ce que tu veux… En tout cas, elle a du t’en mettre plein les dents bien comme il faut Sam , pour que tu échoues ici comme ça …
Elle ne rajouta rien pendant un moment, probablement long, alors qu’elle cogitait sans un mot : peut être marmonnait elle un peu, mais rien d’intelligible en tout cas. Elle se demandait ce qui avait pu se passer avec Salomé pour mettre Noeh dans un tel état de perdition, et puis elle se revit seule, désorientée, totalement perdue le soir de son anniversaire, après la révélation de Lorcan. Ce soir là, elle aurait pu appeler Noah, aller chez lui, le voir, mais elle ne l’avait pas fait. Elle pouvait se targuer d’avoir eu la force de ne pas s’effondrer dans les bras de son ex petit ami, mais la raison était toute autre : il n’aurait suffi que d’une question de Noeh pour qu’elle lui crache toute l’histoire ce soir là, et elle ne se le serait jamais pardonnée. Alors elle était restée seule, désespérément seule, et elle s’était même enivrée jusqu’à l’épuisement pour être sure de n’être en mesure d’en parler à personne avant le lendemain. Et le lendemain, elle s’était tue. Tous les autres jours qui avaient suivi aussi. Elle avait réfréné son envie de l’appeler, de le serrer contre, lui, de respirer son odeur familière, à défaut de pouvoir en faire de même avec son jumeau. Mais le transfert aurait été dangereux, trop dangereux, et elle se connaissait à présent suffisamment pour savoir que cela lui aurait fait d’autant plus de mal que Noeh se serait montré cruel, par jeu, de la voir revenir vers lui sans pouvoir rien lui expliquer.
Maintenant, c’était lui qui s’était retrouvé dans une situation similaire, et de toute évidence, lui n’avait pas hésité bien longtemps : de deux choses l’une : soit il avait vraiment, vraiment besoin d’elle et s’était aviné pour ravaler sa fierté et venir la voir après tout ce temps, soit il se sentait suffisamment détaché pour se servir d’elle en doudou humain le temps de réconforter son égo blessé par sa frangine d’une quelconque manière , et repartir demain au petit matin avec son air de petit con satisfait aux lèvres. Avec l’autre Noeh, celui d’avant, elle aurait su faire la différence, deviner. Mais avec celui là … Elle ne savait pas à quoi s’en tenir. Sa propre fierté lui hurlait avec véhémence d’aller chougner ailleurs. Son bon cœur lui murmurait timidement que, Noeh ou pas, elle n’était pas du genre à laisser un ami dans l’abattement. Si c’était Marius ou Priam, elle n’aurait pas hésité un seul instant à les cajoler comme une maman ourse avec son petit, sans a priori, sans méfiance. Ce n’était pas digne d’elle que de s’imaginer la perfidie, même venant de l’instable grande perche au sourire insupportable. D’ailleurs, il ne souriait plus des masses, à cet instant. Elle soupira, un soupir profond qui fit tomber ses épaules, puis installa un des coussins sur ses genoux, avant de le tapoter sans jamais regarder Noeh :
- Allez, Couché.
Elle l’autorisait à s’approcher, à poser sa caboche lourde de trop de choses désagréables sur ses genoux, alors qu’elle enfonçait ses ongles arrondis par leur limage récent à la naissance de la chevelure de Noeh, dans sa nuque. Un geste qui lui paraissait aussi étrange que familier, alors qu’elle tâchait de calmer les battements désordonnées de son cœur : Noeh était un ami, malgré tout, et elle devait se comporter en amie avec lui, et le réconforter, puisqu’il était triste. C’était ça, une grande âme, lui avait dit sa mère une fois, d’être capable de mettre de côté ses propres tourments pour soulager ceux des autres. Et si il se foutait de sa gueule, tant pis. Ça lui donnerait une dernière et définitive raison de couper les ponts définitivement avec lui. Si ce n’était pas le cas … Elle aviserait.
- T’as gagné, tu es content hein ? Je suis sure que tu es ravi. Noeh Callahan obtient toujours tout ce qu’il veut.
Il n’y avait pas vraiment d’agressivité dans sa voix, plutôt quelque chose d'un peu las, alors que sa main caressait toujours les cheveux emmêlés du garçon sans qu’elle n’y fasse attention. Elle l’avait endormi des centaines de fois comme ça, alors pourquoi pas, si ça lui évitait de lui faire de la peine à nouveau ….
Noeh Callahan
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Sujet: Re: someday soon, our worlds collide. (warning) Sam 23 Jan 2016 - 0:18
Sincèrement, Noeh pensait pas que ça pouvait marcher. Même s'il a mis tous ses espoirs dans son espèce de regard de chien battu, il a cru à un moment donné que le refus aller faire mal. Très mal. D'ailleurs, ce fut un peu le cas. Lorsqu'Aspen évoqua Sam, tel un rappel douloureux de la raison de sa venue jusqu'ici, le cœur de Noeh a loupé un battement. Il a sauté volontairement par-dessus parce que le souvenir de sa discussion avec sa jumelle est encore bien trop récent. Et même s'il a tenté de le noyer sous de trop nombreux verres d'alcool, il est encore vachement vivant dans son esprit. Des bribes lui reviennent par moment. Du regard amusé de Sam sur le bracelet à son arrivé, ou encore ses mots murmurés pour lui avouer enfin la vérité. Le tout se balade dans les méandres de l'alcool ingurgité pour essayer de tout refouler dans un coin reculé de ses pensées, mais ça continue à le pousser vers une issue qu'il ne comprend pas. Est-ce qu'il doit partir ? Est-ce qu'il doit rester ? Est-ce qu'il doit retourner la voir ? Est-ce qu'il la reverra un jour ? Est-ce qu'elle peut lire dans ses pensées de là où elle est ? Si c'est le cas, salut Sam, j'suis avec Aspen. M'enfin, j'crois que tu le savais. Dis rien à Lorcan, il va encore me foutre son poing dans la gueule sinon. Noeh se dit qu'elle a déjà dû capter tout ça si elle peut deviner ce à quoi il songe de là où elle est. Il sait même pas où elle se trouve exactement en fait. Il suppose juste qu'elle est en ville. A son appartement, ou même au manoir pour le retrouver lui peut-être, il a pas vraiment d'idées précises, juste de brèves suppositions qu'il efface d'un battement de cils dès qu'elles deviennent trop envahissantes. L'étudiant préfère se perdre dans la contemplation du visage d'Aspen. Bien plus cool, bien plus intéressant, bien plus ravissant. Ou intriguant. Il essaye de deviner ce qu'elle peut bien penser à cet instant précis, mais il est pas aussi doué que sa jumelle. Ouais, parce que même s'il l'a jamais vue en action encore, il peut au moins lui accorder le mérite d'être en accord parfait avec sa mutation dégueulasse. L'ordre sec de la rousse lui arrache un petit rire satisfait. Il ne perd pas une seconde et s'avachit sur le coussin qu'elle vient d'installer sur ses genoux. Toujours aussi bienveillante, même après tout ce temps. Tel le grand gosse qu'il peut être, surtout lorsqu'il est dans cet état, l'ancien pianiste ne met pas longtemps à se sentir apaisé par la main experte d'Aspen dans ses cheveux. Comme quoi, lui comme elle n'ont pas perdu certaines habitudes. Sa remarque fait naître un sourire en coin sur les lèvres de l'étudiant. Il se débrouille pour croiser le regard de la jeune femme, se repositionne sur ses appuis, avant que son regard ne confronte le plafond, et par logique ensuite le visage de la maîtresse des lieux, sans souci. « « Noeh Callahan obtient toujours ce qu'il veut ». Heureux que ça sonne bien chez toi aussi. » Jetant un coup d'oeil au film qui continue plus loin, il égare en chemin un léger pouffement, sans même s'en rendre compte. « Tu me connais trop. » Après toutes ces années, heureusement. Mais surtout après ce qui s'est passé pour lui. Même s'il ne préfère pas s'étendre sur le sujet, une petite voix lui souffle que ce moment le raccroche sans détour au gars qu'il pouvait être avant son accident, avant qu'il ne se rende à la fac. Cette époque lui semble si lointaine. Noeh suppose qu'il y a des choses qui ne se perdent pas, un peu comme le vélo ou les tables de multiplication. Il y a des choses qu'on ne veut pas oublier aussi. Et les gestes rassurants d'Aspen envers lui, il veut jamais les faire enlever de sa mémoire. Même sous la torture il accepterait pas rien que l'idée que ça puisse arriver. « On se comprend plus avec Sam », qu'il lâche alors. « C'est tout. » C'est ce qui s'appelle aussi un aveu à la Noeh. Quelque chose de bref, de rapide, de bien dit et de très peu détaillé, mais peut être synonyme d'un pas de géant pour lui. Pour ne laisser aucune chance à Aspen de plus lui embrouiller l'esprit avec de possibles questions, l'ancien pianiste observe les acteurs se donner la réplique à l'écran. « Comment tu peux encore regarder ce truc ? Tu connais la fin par cœur. Pire : si j'enlève le son tu peux me faire les dialogues... A quoi ça sert de le regarder encore, tu m'expliques ? » Un haussement d'épaules accompagne sa petite moquerie, avant qu'un sourire n'illumine à nouveau ses traits. « Avoue que ça te manque de plus toucher ces cheveux. » C'est vrai, après tout : elle a pas arrêté depuis qu'il s'est installé. Elle aurait très bien pu faire ça deux secondes et l'envoyer balader plus loin. Bien que ce premier comportement sympathique ne lui déplaît pas du tout, Noeh reconnaît que le second ne l'aurait pas étonné non plus. Sa jolie Aspen peut se montrer des plus imprévisibles quand elle le veut. La preuve avec ses fraises dans la cuisine un peu plus tôt. De là où il est, l'étudiant essaye de capter toute l'attention de la jeune femme. Il garde le regard rivé sur ses traits, chose bien plus intéressante que le film qui semble tant la passionner à elle, et son refus de lui accorder ce qu'il souhaite le frustre autant qu'il l'amuse. « Aspen, souris. » Son murmure se veut complice et évocateur. Elle fait pas forcément la tête, c'est pas vrai, mais de cette façon, si elle a envie de rétorquer quelque chose, elle sera obligée de le regarder. « Tu veux savoir ce qui me manque moi ? », qu'il poursuit sans la lâcher des yeux. Sa main gauche vient se saisir de la sienne, l'éloigne de ses cheveux qui ne réclament que son contact salvateur, avant de l'approcher de ses lèvres. Il dépose un bref baiser dessus. Ça l'électrise. Il la teste. Il joue les provocateurs pour voir jusqu'au il peut aller. Selon ses impressions alcoolisées, il peut faire ce qu'il veut. Du coup, il se permet de jouer avec le feu sans vraiment s'en rendre compte. Et il a peut-être besoin de plus d'affection aussi, que sa main dans les cheveux. Il veut toute son attention, c'est idiot de continuer à regarder ce film débile. Noeh n'a juste pas la même façon d'attirer l'attention que tout le monde. Alors, sans prévenir et par il ne sait quel miracle, l'étudiant se met à rouler sur le côté en embarquant Aspen à sa suite : il se ramasse dans le maigre espace qui se trouve entre le canapé et la table basse qui était encore devant eux une seconde auparavant, et il laisse un rire ponctuer cette mésaventure qu'il a (possiblement, rien n'est vraiment certain, qui a bien pu le voir faire ? Personne) provoquée. Il relève son regard amusé dans celui d'Aspen juste au-dessus de lui et ne peut s'empêcher de souffler un : « Bein voilà, c'est vachement mieux comme ça... », alors qu'il réalise qu'il a dû se cogner à un ou deux endroits et que, demain, les preuves évidentes de sa soirée passée ici seront imprimées à même sa peau.
Ses doigts n’avaient pas eu à tâtonner longtemps pour reprendre une routine presque automatique entre les meches de cheveux fines et tièdes de Noeh, avec un rythme juste assez lent pour ne pas ressembler à des gratouilles à un animal de compagnie, juste assez rapide pour ne pas avoir l’air non plus de poser sa main sur sa tête comme sur un accoudoir. De là où elle était, elle profitait du parfum du garçon sans les effluves de l’alcool : il avait du changer d’après shampoing, ou de fragrance, parce qu’elle ne reconnaissait pas les tons capiteux qui se mêlaient à son odeur naturel. Qu’importe cela dit, il sentait relativement bon, bien qu’une petite douche et un bain de bouche n’aurait pas été du luxe apparemment. En tout cas, elle n’avait apparemment pas perdu la main, parce que ça lui permis de voir bien cinq minutes de film sans la moindre réflexion de la part du jeune homme. Etait ce l’alcool qui redescendait lentement, ou finissait il pas s’endormir à moitié ? Elle le sentait remuer un petit peu, mais le regard rivé sur l’écran, elle ne remarqua pas qu’il la fixait sans rien dire, alors que l’un des acteurs du film chorale courrait après son amoureuse à travers l’aéroport pour l’empêcher de partir sans lui. On ne lui avait jamais couru après pour la retenir, elle. C’était dommage, elle aurait probablement trouvé ça touchant, que cela change sa décision ou non. Bref.
- Hmmm hmmmm.
Pas très constructif comme réponse à ses gloussements et ses petites provocations, trop concentrée sur le dénouement de l’histoire du petit garçon aux grands yeux bleus. Et puis bon, que vouliez vous qu’elle puisse répondre à un « tu me connais trop » ? Elle était surement la nana qui avait été le plus sur son dos dans sa vie, en dehors de Salomé. En réalité, elle aurait voulu corriger qu’elle le connaissait trop. Au passé. Aujourd’hui, elle n’en était pas tout à fait sure, depuis ce fameux accident et cet espèce de revirement de personnalité totalement incompréhensible. Cependant, vu l’état du garçon, elle préféra garder ça pour elle. Elle avait réussi à le calmer un minimum, si c’était pour repartir dans elle ne savait quelle joute verbale, elle n’en avait pas spécialement envie. La rouquine, toute à ses massages de cuir chevelu et à son film, baissa néanmoins les yeux vers Noeh quand il mentionna, lapidairement, sa relation avec sa jumelle. Son pouce s’égara sur l’oreille découverte du garçon, dessinant le contour de cette dernière jusqu’au lobe et la naissance de la mâchoire acérée de Noeh, alors que son esprit lui tâchait de recoller toutes les pièces du puzzle : ses mots qu’elle sentait amers faisait écho à ce qu’elle avait vécu avec Lorcan quelques mois auparavant. Ne plus se comprendre, c’était un drame dans la vie d’une paire de jumeaux, qui n’avaient jamais eu besoin de faire le moindre effort pour ça. Bien sur, les raisons pour lesquelles ils s’étaient éloignés, Lorcan et elle, ne pouvaient pas être celles qui avaient séparé Sam et Noeh, mais malgré tout, elle ne pouvait que compatir. Elle savait la relation qu’entretenaient les Callahan, leur solidarité face à une famille à peine moins chaotique que les Wolstenholme. Perdre Sam devait être aussi douloureux pour Noeh que cela avait été pour elle de voir Lorcan prendre sa voie, sans elle.
- … Vous trouverez une solution, j’en suis persuadée. Il y a toujours une solution, à chaque problème.
Elle avait répondu à voix basse, d’un ton qui se voulait sur et rassurant. En réalité, elle tentait probablement de se convaincre autant que de convaincre la grande perche allongée sur ses genoux. Sa réplique suivante lui tira un petit sourire, alors qu’elle donnait une pichenette sur le bout de l’oreille du garçon :
- T’as tenu quoi, 8 minutes non ? T’avais dit aucun commentaire, muet comme une carpe. T’es un poisson en carton toi. Je l’aime bien ce film. Et puis Hugh Grant et Colin Firt étaient suuuper sexys, à l’époque. A croquer.
Elle savait qu’à l’époque, il n’aimait pas son appétence pour les acteurs anglais un peu dandy. Et elle ne s’était jamais gênée pour le souligner à chaque fois qu’ils allaient voir un film ensemble : une petite jalousie inoffensive qui la faisait jubiler proportionnellement à l’agacement du Noeh :
- Figure-toi que je cherche à adopter un chat en ce moment. Dès que j’en trouve un avec des poils ressemblant vaguement à tes cheveux, tu me verras plus de toute la vie. Enfin, de la vie du chat en tout cas.
Elle redressa le menton pour se remettre dans son film, de toute façon il ne restait qu’une dizaine de minutes avant le final, l’apothéose, puis le générique de fin. Tristesse. Elle haussa un sourcil à la remarque sur son sourire : si il y avait bien un truc qui ne lui tirerait pas la moindre risette, c’était bien ce genre de truc débile. Elle ne réagit qu’à peine à sa question, ne jetant qu’un bref regard à Noeh : de toute façon, il lui dirait, il avait ce petit regard brillant et vachement aguicheur qui lui signifiait clairement que, réponse ou pas de sa part, elle en aurait forcément une de lui. Elle le vit lever sa main libre d’un air mal assuré pour chercher la sienne, celle qui lui caressait les cheveux. Elle le laissa faire, plissant le nez alors qu’il posait ses lèvres tièdes et un peu moites sur sa peau. Ne vous y méprenez pas, ce n’était pas une moue de dégout : s’embrasser les mains, c’était bien un truc de musicien tiens. Ses longues paluches de pianiste, ses mains délicates de violoniste : leurs mains pouvaient en dire plus long sur leurs sentiments, sur leurs états d’âme que tous les mots de leurs vocabulaires. Ils avaient des mains qui savaient caresser, glisser sur les touches comme sur les peaux, s’agripper, tordre, pincer, aimer bien plus que leurs deux égos sur gonflés ne laissaient leur bouche l’exprimer. Simplement, elle n’arrivait pas à savoir où il voulait en venir avec ses allusions à la con, son passage de la moquerie à la douceur la plus exquise. Elle avait été familière à ce genre de jeux, fut un temps, mais … Merde, on ne joue pas à ça avec n’importe qui, et il le savait très bien. A nouveau, il tentait des choses, et ça lui faisait presque de la peine, à elle : il avait du essuyer, d’une manière ou d’une autre, un refus ou un rejet de la part de sa sœur plus tôt dans la journée, et ce soit, il voulait se rassurer de ses capacités de séduction et de persuasion sur le sujet le plus sensible à ses petites manières et à ses yeux d’allumeur patentés, votre obligée ici présente. C’était pas juste, vraiment pas juste, et en même temps … Elle ne pouvait pas dire objectivement que ça lui était désagréable. Simplement, tout cela ne revêtait probablement pas la même importance pour lui et pour elle. Elle ne se laissait pas bisouiller les doigts pas n’importe qui.
- Si c’est le vernis qui te fait cet effet je t’enverrai un échantillon pour que tu puisses en avoaaaaaah …
Le couinement lui avait échappé alors que Noeh avait attrapé la manche de son Tshirt pour l’entrainer avec elle dans sa chute. Il fallait dire que, prise par surprise, son gabarit de poche ne pouvait rien faire contre la force d’attraction du jeune homme frôlant le mètre quatre-vingt-douze. Sa tête passa à quelques centimètres à peine de l’angle de la table basse, avant de rebondir sur le torse de Noeh dans un souffle court. Elle mit bien cinq secondes à se rendre compte de ce que Noeh venait de faire, alors que la musique du générique de fin commençait tout juste par l’instrumentale, en fond : Déjà, elle aurait pu se faire super mal, et maintenant elle se retrouvait toute débraillée à califourchon sur lui, les cheveux à moitié devant les yeux, le jean qui lui tombait à moitié sur les fesses laissant découvrir sa lingerie et les bretelles de soutien gorge dépassant du tshirt. De quoi elle aurait eu l’air hein, si quelqu’un entrait dans la pièce à ce moment précis ? Bon, personne n’avait de raison d’avoir les clés de son appartement et de venir la voir maintenant, mais quand même, sur le principe ! Et il avait l’audace de rire comme un imbécile, en plus ? Elle le fusilla du regard, menaçante, alors qu’elle serrait les dents en se redressant, appuyant les mains sur les épaules de Noeh pour éviter de perdre l’équilibre, passant la main dans ses cheveux pour les refaire passer à l’arrière de son crâne.
- T’es hyper marrant ce soir dis donc, qu’est ce qu’on se marre … Jvais t’en donner moi des raisons de rigoler un coup …
Avec la fulgurance d’un oiseau de proie et un sourire redoutable, elle fondit sur les côtes du Callahan, directement sous le tshirt, lui enfonçant les doigts contre la peau dans une attaque de chatouilles particulièrement virulente. Elle savait que Noeh ne craignait pas les chatouilles ni sous les bras, ni sous les pieds, contrairement à elle qui avait la voute plantaire sensible. D’ailleurs, quand ils dormaient ensemble, il s’amusait à glisser ses orteils sous ses talons pour la faire faire des bonds improbables en pleine nuit. Mais les côtes, il ne pouvait pas résister, et il allait à présente vite regretter d’avoir faire le malin avec elle. Encore une fois, au jeu du plus terrible, ils avaient chacun plus d’une carte dans leur manche, alors qu’elle s’accrochait avec lui avec les jambes pour ne pas être éjecter par les ruades du garçon qu’elle martyrisait avec détemrination…
Noeh continue à rigoler comme un idiot. Il se marre pour la phrase inachevée d'Aspen, il se bidonne pour ce petit cri qu'elle a laissé échapper, il se moque de ce regard furibond qu'elle lui adresse en se relevant. Il a dans l'idée de l'empêcher de réajuster ses vêtements, mais il se contente juste de souffler quelque chose, toujours en ponctuant son intervention d'un petit sourire narquois. « Non, reste comme t'es, la vue est magnifique... » Il ne tarde pas à se remettre à ricaner face à la réaction de la jolie jumelle de Lorcan, avant de se passer une main détendue sur le visage pour tenter de décoincer un peu les traits de son visage qui le tirent à cause d'un soudain trop-plein de sourires. « Bein ouais qu'est-ce tu cro- », qu'il commence à répliquer, avant de sentir les doigts malins d'Aspen sous son t-shirt et de retomber en enfance la seconde d'après. Il se souvient des journées passées avec leurs jumeaux à s'inventer des histoires au beau milieu de la forêt. Il se remémore aussi les après-midi goûters se déroulant souvent au manoir. Il passe ensuite à des souvenirs anciens mais pourtant plus récents, entre les parties de jeux vidéos avec Lorcan et les interminables journées shopping qu'ils ont tous les deux dû endurer pour le bonheur de leurs jumelles respectives. Y'a des petits souvenirs comme ça qui le font rire ; ça fait longtemps qu'il a pas eu l'occasion de se les repasser. Peut-être surtout parce qu'il a pas osé. « Arrête ! » Son rire continue à s'évader de ses cordes vocales tandis que l'étudiant tente de parer les attaques de la jeune femme. Il oublie sa main abîmée le temps de la manœuvre, et il se rendra sans doute compte plus tard que ça fait un bien fou de ne pas songer au regard qu'il peut poser sur sa propre personne pour la première fois depuis un bon moment. La seule solution qui saute aux yeux de Noeh pour la faire s'arrêter, c'est de se rehausser. S'exécutant comme il peut, prenant d'abord appui sur ses coudes pour repoussant le sol de ses mains, l'ancien pianiste se retrouve presque nez à nez avec une Aspen toujours installée sur lui, ce qui n'est pas pour le déranger. Au contraire ; c'est pas comme s'ils avaient jamais passé de longs après-midi ensemble, aussi proches, si intimes. Son regard tacheté d'une émeraude plus brillante que d'habitude à cause de l'alcool s'ancre dans le sien. Il la regarde vraiment, sans artifice, pour la première fois depuis qu'il est arrivé devant sa porte. Noeh sait pas combien de temps il perdure comme ça, il sent juste sa tête devenir trop lourde au bout d'un moment et il cède à la tentation de venir la caler dans le cou de la jeune femme, où se perdent déjà ses longs et beaux cheveux roux. « Putain Aspen... » Sam est une mutante. J'suis parti sans me retourner. J'ai peur de l'avoir perdue. J'ai peur d'elle tout court. J'suis paumé, j'ai mal au crâne. J'ai l'impression d'avoir délaissé la moitié de mon être. Je me sens vide. Je pensais qu'elle serait la dernière que je perdrais. J'arrive pas à y croire. J'ai envie de rire, et de chialer aussi. J'ai envie de vomir encore, et de m'énerver. Le truc c'est que je suis tellement faible que je peux rien faire de tout ça. Je suis désolé, Aspen, d'être parti. Le souffle chaud de Noeh se perd contre la peau d'Aspen. Il respire son odeur, ce mélange fruité et apaisant, cette petite touche sucrée qui, dans tous les instants, est capable de protéger son coeur de tous les maux. Il a besoin de cette proximité, il a besoin d'elle. Il peut pas lui balancer tout ce qui vient de lui passer par la tête, il veut juste profiter de l'instant. Il a le cœur au bord des lèvres de toute façon. S'il avait la force de rouvrir la bouche, il l'aurait déjà fait. Il s'imprègne de ce silence qui les berce. Noeh sait pas s'il entend ses propres battements de cœur ou s'il a la chance de pouvoir sentir ceux d'Aspen. Il comprend juste que ça tambourine jusqu'à ses tympans parce que ça fait un bon moment qu'ils n'ont pas été aussi proches. Il en oublie son rire qui a envahi la pièce juste avant, il zappe le nez plissé de la jolie Wolstenholme qui s'agaçait il y a à peine quelques secondes de sa bêtise. Il reste planté là, le visage enfoui au creux de son cou, et il laisse ses bras venir l'enlacer sans demander son consentement. Le cadet Callahan n'a plus la capacité de réfléchir. Il se fait mener par le bout du nez par cet instinct un brin à côté de la plaque qui l'habite lorsqu'il atteint le verre de trop. Comme ce soir. Comme après les révélations éprouvantes de Sam plus tôt. Un instant, le corps se déconnecte de tout le reste, il perd logique et raison, pour ne plus obéir qu'à une envie de sentir proche de lui la personne qui lui manque le plus depuis qu'il a quitté Radcliff pour se casser à la fac. Il a eu beau nier ce sentiment casse-pied d'attachement, il a fait comme s'il pouvait poursuivre sans elle, et c'est ce qu'il a fait. Sauf qu'il a continué à penser à elle. Même après les conneries qu'il lui a balancées en pleine figure, leur rupture, la rancoeur, l'éloignement, Aspen a toujours gardé chez lui cette place que personne n'a réussi à occuper un jour. Mais elle sait que les déclarations c'est pas son truc. Elle doit aussi deviner qu'il est pas vraiment lui ce soir, et qu'en théorie son seul désir est de la maintenir éloignée pour ne pas la faire souffrir. Rouvrant les yeux, un sourire amusé vient se percher sur les lèvres de l'étudiant. Au loin, il remarque l'horloge au mur qui indique une heure toujours plus tardive. Il pouffe, sans pour autant se reculer ou la libérer. « C'est trop tard, je peux plus partir... », qu'il murmure, les mots trop proches de sa peau. Il frémit presque lui-même de ce contact qui ne s'établit pas totalement. Noeh sait pas s'il pourra la relâcher un jour, en fait. Il est bien comme ça. Il aimerait que les secondes arrêtent de couler sur leurs vies et qu'ils ne se quittent plus. Les rêves du cadet Callahan sont beaux quand il réussit à mettre de côté tous les cauchemars, les peurs, les interrogations. Tout devient bien plus simple. « Je squatterai ta chambre. » Il sort ça sans y incruster la moindre marque de doute. Ça n'est pas une question, ça tient presque de l'ordre. Et ça laisse surtout sous-entendre que, quoi qu'elle puisse en dire, où qu'elle choisisse de se reposer ce soir, il sera forcément près d'elle. Même si elle choisit ce canapé près d'eux, et qu'il se retrouve à dormir par terre, il en sera ainsi.
Plus il ricane comme un abruti, plus elle se déchaine sans aucune retenue, attaquant les zones les plus fines de sa peau, sur les cotes qu’il a vaguement saillantes, descendant sur sa taille en lui plantant les ongles dans les chairs alors qu’il se cabre comme un cheval de rodéo pour essayer de la renverser. C’est peine perdue parce qu’en rodéo, elle est super forte Aspen, et surtout, les vieux réflexes ne se perdent pas : combien de fois c’était elle retrouvée agrippée à lui juste pour le plaisir de le torturer ainsi, de le déconcentrer de ce qu’il était en train de faire ou juste pour attirer son attention. Cela n’avait jamais rien eu de sensuel, en tout cas, pas à leur début : la petite peste de pré ado qu’elle avait été n’avait fait qu’exploiter l’une des faiblesses d’un de ses adversaires les plus mordants, et avec le temps, c’était devenu presque une habitude de se faufiler derrière lui pour venir lui agresser la peau pour le faire sursauter, partout, en entrainement, au collège puis au lycée, aux bars dans lesquels ils trainaient avec Lorcan et Sam. C’était presque devenu une façon de lui dire bonjour, de lui pincer les côtes entre le pouce et l’index juste pour l’entendre couiner puis l’insulter avec véhémence. Cela faisait tellement longtemps qu’elle ne l’avait pas emmerdé comme ça que de l’entendre lui ordonner d’arrêter lui provoqua une décharge d’adrénaline telle que les poils dans sa nuque se dressèrent. Comme si elle allait obéir tiens !
- C’est ça, faut y croire très fort et peut être que ça arrivera !
Elle manqua de tomber à la renverse alors qu’il se redressait sur ses bras, contractant le ventre pour éviter de se retrouver les jambes en l’air – il aurait beaucoup trop aimé ça- attrapant le col du Tshirt de l’énergumène juste le temps de s’ajuster et de retrouver l’équilibre. Mince, c’était vrai qu’ils étaient vachement proches, comme ça, essoufflées comme s’ils venaient de courir un marathon, alors qu’il continue de rire, sans réussir à s’arrêter. C’est l’une des choses qu’elle préfère chez lui, son rire, pas ses ricanements moqueurs, non, ses éclats de rire, qui donnent l’impression qu’il vous éclabousse avec son bonheur. Elle ne l’avait pas entendu se marrer comme ça, sincèrement, ouvertement, depuis des années, et ça lui fit chaud dans le ventre. Noeh ne riait pas beaucoup, peut être parce qu’il trouvait plus souvent les choses tragiques que vraiment drôle, mais quand il le faisait, c’était tout son visage qui s’illuminait, se barrant d’un sourire d’ogre qui aurait pu la dévorer tout entière, et qu’elle aurait surement laissé faire. Elle le contempla dans son hilarité un moment, avant qu’il ne baisse ses yeux dans les siens, lui coupant la respiration au passage : elle n’était plus aussi impressionnable qu’avant pourtant, mais elle avait l’impression de voir quelque chose dans ses billes de jade qui avait … disparu, depuis le passage d’Adriel. Alors elle cherche, elle cherche vainement à savoir ce que c’est, mais déjà il rompt le contact pour en créer un autre, tout aussi perturbant : Elle sent le visage de Noeh s’échouer dans son cou comme un bateau à la dérive, se perdant dans ses boucles échevelées par leur séance de lutte. Là, il n’avait plus l’air de lutter du tout, et elle n’osa pas bouger, bien que ce nouveau rapprochement ne faisait qu’affoler un peu plus son palpitant : C’était bien Noeh ça, à la faire jouer aux montagnes russes, à débarquer dans sa vie pour tout retourner puis repartir en sifflotant. Elle devait être masochiste en réalité, de le laisser faire comme ça. Mais quand il était là, comme ça, si fragile, son géant de papier, elle ne pouvait pas faire autrement, elle ne pouvait pas. Elle avait essayé pourtant, plus d’une fois, quand ils étaient devenus juste des amis, quand elle avait trouvé d’autres amants pour réchauffer ses bras et son cœur, il n’y avait rien à faire : quand il était dans les parages, plus rien n’avait le même sens, et elle devait plus ou moins faire avec. Alors quand il leva les deux lianes qui lui servaient de bras pour l’engloutir toute entière contre lui, elle se laissa faire dans un soupir vaincu : elle décida que tout ça n’était pas réel, que dès le lendemain, cela n’aurait pas existé ailleurs que dans son esprit fatigué par le travail et ses problèmes, une sorte de distorsion mentale lui permettant de fuir le quotidien en s’inventant une vie. C’était probablement ce qu’il voulait, lui, de toute façon. Alors elle se blottit un peu plus contre lui, passant ses bras autour de son cou pâle de cygne pour caresser les cheveux à la base de sa nuque, sans rien dire. Qu’avait-il pu se passer pour le mettre dans un état pareil ce soir ? Elle doutât sérieusement de le savoir un jour, de sa bouche en tout cas. Devrait-elle se mettre à la poursuite de Sam, cette chère Sam qui l’évitait elle aussi depuis des mois, pour avoir le fin mot de l’histoire ? Elle balaya l’idée pour la remettre au lendemain, alors qu’il murmure en braille sur la peau de son épaule qu’il est passé l’heure du couvre feu, qu’il est coincé ici. Pauvre petit, c’est vrai qu’il est tard. Son infirmière l’a surement couché depuis un moment, en temps normal. Elle soupire à nouveau, dénouant ses bras d’autour de son cou, gigotant un peu pour se reculer, un peu à contre cœur : c’est qu’il lui tenait chaud, là.
- Oui, je vois ça … Tu dois être fatigué, d’ailleurs.
C’était plus une affirmation qu’une question, alors qu’elle se redressait pour épousseter son jean et remettre son Tshirt en place en jaugeant le jeune homme : dans son état de toute façon, il ne pourrait rien tenter d’autre que de la coller dans son sommeil. Un bon coup de pied et il irait valser de l’autre coté du king size sans moufter. Et puis ce qu’Aspen ne s’avouait pas, c’était que bon, c’était Noeh quand même : ils avaient partagé le même sac de couchage, petits, avant que les sous vêtements ne deviennent superflus quand ils dormaient ensemble. Sa présence dans son sommeil n’était même plus familière, elle était … normale, malgré le fait qu’ils n’avaient plus dormi seuls dans la même chambre depuis des années. En général, il y avait Sam et Lorcan dans la même pièce, en train de ronfler, parce qu’ils avaient tous abusés du martini ou du champagne volé dans la cave du père. Elle lui tendit la main pour l’aider à se redresser, puis sans la lâcher, elle le tira en direction du couloir, pour pousser une nouvelle porte de l’appartement : sa chambre à elle, toujours si bien rangée, toujours pleine à craquer de vêtements et de photos. D’eux quatre, surtout, avec par ci par là des photos d’elle et Calista, d’elle et Alistair, d’elle à sa remise de diplôme, avec ses amis de fac, avec un garçon random avec qui elle avait fait de l’escalade ou du chiens de traineaux. Elle ne s’appesantit sur la présentation des lieux, le poussant vers la petite pièce qui jouxtait la chambre : sa sacro sainte - bien que minuscule- salle de bain :
- Il est hors de question que tu contamines mes draps avec ton odeur de chien qui pue. Ya des serviettes sur le chauffe serviette, comme son nom l’indique, et du rince bouche sur la tablette à coté du miroir, je suis à peu près sure que j’t’ai appris à t’en servir, à un moment donné. J’t’attend dehors. Me mettre en pyjama tout ça.
Sans attendre la moindre protestation de sa part – il n’y en aurait pas, il la connaissait trop pour savoir que ce n’était pas quelque chose de négociable-, elle referma la porte derrière lui pour se tourner vers son dressing, se frottant le visage pour reprendre un peu de contenance : elle allait dormir avec Noeh, ouais, normal quoi. Elle entendait déjà Lorcan vociférer dans sa tête. Fin bon, d’ici à ce qu’il l’apprenne, elle aurait le temps d’inventer un truc. Ou de faire mine d’avoir oublié. Elle attrapa un débardeur bleu simple et un pantalon de pyjama en éponge du même coloris, et les enfila plus rapidement que d’ordinaire, au cas où. Elle s’assit sur le bord du lit, mettant son téléphone en charge tout en programmant son réveil, puis prit place sous la couette épaisse : il faisait froid, l’hiver, et l’appartement n’était pas super bien isolé. Elle respira un grand coup, se répétant que ce n’était que donner un coup de main à un copain en galère, et qu’elle aurait fait ça avec n’importe qui. C’était totalement faux.
Noeh aimerait rester là pour le reste de sa vie. Il aimerait garder cette sensation de bien-être au fond du cœur, qui s'installe dès lors que les bras d'Aspen se resserrent autour de son cou, pour ne jamais pouvoir l'oublier. Parce qu'il se dit que c'est ce qu'il a fait, une fois qu'il est parti à l'université, qu'il a coupé les ponts. Il a prétendu être capable de mettre derrière cette présence si réconfortante et si spéciale qu'elle peut avoir, ce pouvoir indéniable qu'elle a sur son cœur et ses tourments. Même s'il ne cesse de lui faire du mal, de la blesser pour toujours mieux lui permettre de vivre sa vie à elle, celle où elle ne sera pas contrainte de perdurer auprès d'un Noeh incapable de revivre après son accident, il peut pas s'empêcher de revenir perturber sa vie. Il revient avec fracas, toujours dans ce besoin de compréhension et de tendresse qu'elle seule est capable de lui apporter. Il veut pas de celle des autres, de ses parents, de Sam (même s'il y a encore quelques heures, elle se plaçait en deuxième position sans mal), ou encore de son psy, qui prétend pouvoir le comprendre et deviner ce qu'il a dans le crâne. Y'a peut-être Pietra qui tend à prendre cette place particulière dans ses pensées, mais qui ne réussit pas à rivaliser avec Aspen longtemps. Dès qu'ils sont proches, elle parvient à lui vider la tête comme personne, parce que Noeh se remémore sans difficulté l'époque où il n'arrivait pas à se la sortir de l'esprit. Malgré leurs jumeaux respectifs non-informés de ce qui se tramait, leurs secrets à répétition, leurs mensonges à longueur de temps, il n'y avait pas une minute où Noeh était capable de percevoir ses journées sans voir, parler, croiser Aspen. Alors, quand comme ce soir il a besoin de retrouver sa plus belle distraction, la seule qui soit apte à l'embarquer dans un ailleurs qu'il ne demande qu'à revisiter pour ne pas souffrir du présent, il vient jusqu'à elle. Il fait ce qu'il meurt d'envie de faire depuis un bon bout de temps mais dont il se prive lorsqu'il est sobre. Lorsque l'alcool s'en mêle, l'étudiant répond plus de grand chose. Et c'est peut-être mieux comme ça. Ses bras refusent de la laisser s'éloigner au début, avant qu'un soupir ne s'échappe de ses lèvres. Cet instant hors du temps a été trop court. C'est un regard un peu triste que Noeh dépose sur les traits de la jeune femme, avant qu'il ne l'observe se relever et l'engager à la suivre, sa main se glissant dans la sienne. L'ancien pianiste se débrouille pour récupérer sa béquille dans le lapse de temps que cela lui laisse pour se remettre sur ses jambes à son tour, et il fait de son mieux pour enchaîner des pas cohérents et pour ne pas se rétamer maintenant. Il a réussi à tenir depuis qu'il est arrivé, pourquoi le karma s'amuserait-il à lui faire perdre son peu de crédibilité ? La chambre d'Aspen n'est pas loin, sauf qu'une fois à l'intérieur, Noeh a à peine le temps de la contempler que déjà il est poussé vers une autre pièce annexe. « Mais attends c'est qu- », qu'il tente de l'arrêter en désignant d'une main lasse une photo plus loin, où il croit la voir sourire près d'un gars qu'il ne connaît pas. La seconde suivante, le jumeau Callahan s'élève au milieu de la salle de bain de la rousse, auquel il accorde un regard peiné. « T'es vraiment pas sympa... », qu'il souffle d'un petit ton boudeur. Cependant, il n'a même pas le temps de commencer à se plaindre plus de son comportement qu'elle disparaît en claquant la porte, après avoir donné quelques indications piquantes. « Okay. J'vois. » Durant plusieurs minutes, l'étudiant rumine dans sa barbe. Il s'active à se défaire de ses vêtements, il se glisse sous le jet d'eau chaude (enfin, il se dit que c'est de l'eau chaude, parce qu'il arrive pas à tourner efficacement le bouton pour que c'en devienne ; du coup l'expression « prendre une douche froide » n'a jamais été aussi équivoque pour lui), il cherche une serviette du regard après avoir terminé et est obligé de fouiller dans les placards pour ce faire, histoire de mettre des gouttes d'eau un peu partout tel un petit Poucet pas très futé. Une fois sec, il se remet sur le dos son caleçon et son t-shirt, et ouvre les yeux en grand. Finalement, cette douche a pas été si inutile. Se débrouillant pour étendre la serviette sur le bord de la baignoire, l'ancien pianiste s'avance ensuite devant le miroir et cherche au niveau du lavabo ce dont a parlé Aspen un peu plus tôt. Une fois avoir mis la main sur le rince-bouche, Noeh s'active à l'ouvrir. Il se débrouille pour immobiliser de sa main droite la bouteille, avant de l'ouvrir de sa main gauche bien plus serviable que l'autre. Drake et les infirmiers en charge de son cas ne font que lui répéter que c'est dans ces moments-là qu'il peut accepter l'état de sa main droite et travailler à la rendre aussi autonome qu'avant. L'odeur du produit vient inonder ses voies respiratoires. « Putain c'est ce truc qui pue », que Noeh râle avec une mine dégoûtée. Ça lui pique presque les yeux, mais il est prêt à faire un effort pour ne plus entendre Aspen le traiter de chien galeux ou un truc dans le genre. Après avoir versé un peu de contenu dans le bouchon, le cadet Callahan se dépêche de se le fourrer en bouche et de tout faire pour que l'odeur apparemment désagréable de son haleine disparaisse aux yeux de la propriétaire des lieux. Malheureusement, c'est ça, de découvrir que sa propre jumelle est une mutante. Et qu'elle peut lire dans vos pensées. Et qu'elle vous ment depuis plus longtemps que vous ne le croyez. Après avoir refermé la bouteille, Noeh arque un sourcil. Un sourire se glisse sur ses lèvres. C'est tout con, comme résonnement, et tout bête comme idée (vraiment très bête), sauf qu'il en a marre de chercher partout dans cette salle de bain méconnue et qu'une solution aussi vite trouvée que de se servir de la brosse à dents d'Aspen plutôt que d'en dénicher une autre est comme un don du ciel sachant qu'il a plus les idées très nettes. Qu'importe l'hygiène, elle changera si elle est pas contente. Enfin, après avoir passé près d'un quatre d'heure, vingt minutes dans la petite pièce, Noeh refait enfin son apparition dans la chambre : lavé, fringué pour la nuit, l'haleine fraîche et les dents nettoyées. Si elle trouve encore un truc à reprocher, il l'étripe. Tel le jeune homme doux et attentionné qu'il peut être, l'étudiant ne perd pas une minute avant de s'avancer en direction du lit où Aspen s'est déjà réfugiée sous la couette, et s'étale de tout son long dessus. Il est dans un état bizarre, entre le réveil et le sommeil, le conscient et l'inconscient, et il n'arrive pas à savoir si la douche qu'il vient de prendre a servi à l'éveiller ou à l'endormir. L'ancien pianiste roule sur le dos, aux côtés d'Aspen, avant de river son regard en direction des photos qui ont déjà attiré son attention un peu plus tôt. « J'ai le droit de savoir qui c'est maintenant ? », qu'il quémande avec un petit sourire mutin. « Ton amoureux de la fac ? Un chasseur ? » Face au manque de réaction d'Aspen (comme s'il lui en laissait le temps), il lui jette un regard surpris. « Un cousin ?! »
Si la cadette des Wolstenholme avait brisé leur étreinte au milieu du salon, c’était parce que trop de choses se bousculaient dans sa tête quand elle rentrait trop longtemps en contact avec Noeh : elle se demandait pourquoi ici, pourquoi maintenant, pourquoi avait-il fallu qu’il ait deux grammes dans le sang pour se décider à venir la voir, après tout ce temps, pourquoi n’avait il eu jamais envie de la voir alors qu’il était sobre. Sauf qu’à force d’y penser, ça lui faisait de la peine, parce qu’elle s’imaginait les réponses à toutes les interrogations qu’elle n’oserait jamais lui poser : pourquoi ici ? Parce que personne ne les verrait. Pourquoi maintenant ? Parce qu’il l’avait décidé ainsi, et qu’elle n’avait pas voix au chapitre. Pourquoi saoul ? Parce que lorsqu’il était dans un état normal, il n’avait absolument pas besoin d’elle. Elle ne savait pas que c’était bien plus compliqué que ça, mais avec Noeh, toutes ses insécurités se réveillaient d’un coup, sa peur de l’abandon, celle de ne pas être à la hauteur. Ezekiel lui avait dit une fois que leur relation n’était pas très saine, à Noeh et elle. C’était faux, c’était leur absence de relation qui ne l’était pas, d’une certaine manière. Ils étaient tellement semblables, d’une certaine manière, qu’ils se complétaient tout à fait, à l’époque en tout cas : ils savaient ce qu’était la fusion gémellaire, ce sentiment si particulier qu’elle n’avait jamais réussi à expliquer à qui que ce soit. Avec Noeh, pas besoin de tergiverser : il respectait sa relation avec Lorcan sans jalousie, puisqu’il avait la même, ou presque, avec Salomé. C’était tacite, simple, et jamais elle n’avait retrouvé une telle compréhension auprès de quelqu’un d’autre. Alors, oui, elle s’était échappée des bras de Noeh dans un mouvement de repli, défensif, parce que déjà elle se sentait fondre et elle craignait de ne pas réussir à rester… Normale, et de retomber dans ses travers d’adolescente en manque d’amour et d’affection maladive.
Elle attendait presque avec appréhension l’arrivée de Noeh dans la chambre, jusqu’à glousser nerveusement de son comportement : c’était risible, cette attente, comme si… Comme si. Elle avait envie de prendre son téléphone et d’en parler à quelqu’un, juste pour verbaliser, pour dédramatiser un peu. Mais qui ? Lorcan ? Ahahah. Ils ne se parlaient plus depuis des mois. Calista ? Elle avait d’autres chats à fouetter, et puis si elle lui avouait avoir Noeh chez lui, elle était à peu près sure que ça remonterait aux oreilles de son frangin dans les jours qui suivraient. Marius ? Il devait être avec Astrid, ou Crescentia, ou les deux, pour ce qu’elle en savait. Priam ? … Elle ne lui en avait jamais parlé, alors à quoi bon. Elle se retrouvait toute seule comme une pomme, ou plutôt comme une souris avant l’arrivée du chat. Elle l’entend se cogner et grommeler derrière la porte, alors qu’elle l’imagine se débattre avec son grand corps maladroit dans la toute petite salle de bain, taille Aspen. Forcément, il était destiné à tout renverser. Elle sourit en visualisant la scène, puis sursauta presque en le voyant sortir, tournant vivement la tête vers sa table de nuit pour y chercher… tiens, le chargeur de son téléphone. Venait elle vraiment de piquer un phare uniquement en voyant Noeh en Caleçon ? Elle songea que décidément, elle était vraiment grave, dans son genre.
Le temps de se débattre avec son câble pour brancher son portable et régler le réveil –et surtout le temps que ses joues reprennent une couleur honorable-, elle sentit le matelas trembler alors que Noeh s’avachissait sur les draps, avant de se tortiller jusqu’à ce qu’il se retrouve juste à coté d’elle, sur le dos. Bon, déjà elle était sous la couette, et lui dessus. A défaut, ça ne faciliterait pas les contacts entre eux. Elle ne savait pas trop si elle s’en satisfaisait ou non. Elle tourna enfin la tête vers le Callahan alors qu’il désignait d’un coup de menton son tableau de photos, au dessus de son bureau. Rien qu’à entendre le ton de sa voix, elle savait exactement de quelle photo il parlait : il y en avait une qu’elle avait prise à Hawaï avec Marius Caesar, et il la portait sur son dos sur la plage, les pieds dans l’eau. Elle adorait cette photo, d’abord parce qu’elle avait passé un spring break de rêve avec les Caesar cette année là, et surtout parce qu’elle reflétait bien la relation qu’elle avait avec Marius : celle de deux amis qui passaient leur temps à s’amuser et à rire. Marius était l’un de ses rares amis aussi ancien que les Callahan, et malgré leurs quelques incartades, ils n’avaient jamais remis en cause leur amitié, et c’était très bien comme ça. Elle posa sa joue sur sa main, un sourire narquois aux lèvres :
- Pourquoi, t’es jaloux ?
Bon, réplique classique, mais ça faisait toujours son petit effet. Elle le laissa maugréer dans son coin un moment, avant de reprendre toujours avec le sourire :
- C’est Marius Caesar, le jumeau de Martial. Il est ni chasseur, ni un cousin, ni un amoureux. Trois proposition, zéro bonne réponse. T’es nul aux devinettes.
Elle fixa le tableau d’images, passant le regard sur toutes celles qui les représentaient tous les deux, ou trois, ou quatre, et qui représentait bien les trois quart des photos : Combien ne donnerait elle pas pour revivre tous ses moments, avant que chacun d’entre eux ne la poussent gentiment hors de leur vie ? Elle soupira légèrement, avant de retourner la tête vers Noeh qui la fixait d’un air … Soulagé ? ou alors c’était autre chose ? avec l’alcool, c’était indéfinissable.
Noeh se relève pour venir poser sa tête contre le mur derrière le lit, le temps qu'Aspen se décide enfin à lui répondre. Elle sait pourtant que la patience, c'est pas son fort, mais elle a aussi toujours adoré en jouer. Elle laisse les secondes filer avant de donner enfin un semblant de réponse, qui n'en est même pas une. Plissant les lèvres, l'étudiant calcule même pas que sa question le fait sourire bêtement. « Peut-être. » Il met pas cent ans pour répondre, ce qui le trahit d'une première façon. Il y a dans cette réponse brève et franche un arrière-goût de non-mystère qui laisse penser que ce « peut-être » s’apparente plus à un « oui » direct qu'autre chose. Et alors, qu'il a envie d'ajouter, il a pas droit d'être jaloux ? Il l'était quand ils étaient ados, bien plus crétins et impulsifs (bon, surtout Noeh si on préfère être exact sur ce point) que maintenant, difficile donc de se soigner pour de bon de ce trait de caractère qui fait partie intégrante de la personnalité de l'ancien pianiste. Les explications tant attendues surviennent ensuite. Un petit sourire satisfait se plante sur les lèvres du cadet Callahan. Non pas qu'il espère qu'Aspen n'ait pas refait sa vie ou débuté une histoire après lui... Mais en fait peut-être que si. Ce soir il a pas envie de l'imaginer dans les bras d'un autre, le cœur pris dans les filets d'un gars qui la mérite plus qu'il ne l'a jamais méritée. Il préfère se dire, de façon très bête et égoïste, qu'elle a eu autant de mal que lui à dépasser leur histoire, et que les regrets n'ont pas fini par faire leur apparition une fois qu'il s'est retrouvé loin d'elle, planqué dans sa fac loin de Radcliff, et qu'il a tout mis en œuvre pour ne pas répondre à ses premiers sms ou s'agacer par la suite de sa disparition totale. Plus aucune nouvelle, plus aucun signe de vie. Il est con de lui en avoir voulu parce qu'il a exactement fait la même chose de son côté. Avec leurs deux caractères un peu trop emportés, leur aisance à se balancer les plus adorables mots doux comme les pires conneries à la figure, Noeh a dépassé les bornes un jour et a été incapable de revenir dessus. D'où une situation toujours plus compliquée par la faute de l'ancien pianiste et ses envies contraires de la voir heureuse... à ses côtés plutôt qu'ailleurs. « J'suis peut-être nul aux devinettes, mais j'ai eu ma réponse. » Noeh tourne sa tête en direction de la jeune femme. Il observe son visage, dans la peur d'avoir manqué un détail depuis qu'il est arrivé. Il a un peu perdu la notion du temps, entre le passage dans la cuisine, le salon, la fin du film, son aller-retour obligatoire par la salle de bain, il a le sentiment d'être un peu ailleurs, et que son seul point d’ancrage ne peut être qu'elle. Comme si ça avait vraiment changé même après toutes ces années, et toute cette distance entre eux. C'est faux. Un Noeh qui prétend s'être remis de leur séparation, qui fait mine de ne plus y penser, de songer à d'autres même, c'est un menteur sur pattes, un falsificateur de première qui s'ignore. Une petite voix lui rappelle que c'est pour elle qu'il s'est montré affreux depuis qu'il est revenu de son séjour à l'hôpital. Il a pas eu envie d'entendre qu'elle était venue le voir alors qu'il était dans le coma, il veut presque pas y croire. Ça ravive juste de vieilles blessures, à chaque fois, qu'il veut juste mettre de côté pour ne plus jamais avoir à les affronter. Noeh aimerait réussir à lui dire certaines choses, comme regarde-moi, regarde dans quel état je suis, j'arrive pas à plus y penser, tu veux bien m'aider?, sauf qu'elles ne viennent jamais. Tout ça reste coincé à l'idée de rêve, un fantasme cruel et inatteignable, que l'ancien pianiste préfère attribuer au jeune homme qu'il était avant son accident, qui, malgré sa fierté mal placée, aurait peut-être réussi à faire un pas vers Aspen au fil du temps, serait parvenu à braver sa possible colère et sa déception pour enfin pouvoir se laisser aller à des aveux dont elle a peut-être besoin mais qu'il n'est pas capable de lui faire à présent. En venant jusqu'ici, l'étudiant a juste avoué que sa tête et ses pensées étaient quand même tournées vers elle, en dépit de tout le reste. Que lorsque quelque chose de vraiment dingue et incroyable se produit dans sa vie, et qu'il n'est pas blessé physiquement comme il a pu l'être avec Adriel, c'est jusqu'à Aspen que Callahan vient pour essayer d'aller mieux, tant elle incarne à ses yeux la seule constante qu'il ne pourra jamais oublier, Sam venant d'être rétrogradée plus qu'hors classement. Est-ce qu'elle peut comprendre tout ça dans son regard, son attitude ? Est-ce qu'elle possède entre tous les volumes nécessaires pour saisir le fonctionnement d'un Noeh Callahan, pas tout à fait cassé, mais pas tout à fait réparé non plus ? Cette lutte intérieure entre ce que veut et peut faire Noeh le laisse silencieux plusieurs secondes durant. Jusqu'à ce que la propriétaire de la chambre où il se trouve ne lui accorde toute son attention en accrochant son regard au sien. L'étudiant laisse échapper un petit rire amusé face à sa question posée de façon à la fois directe et impatiente, preuve qu'elle n'a pas changé sur certains points, tant cette façon de le presser de répondre lui rappelle leur enfance, avant que tout ne devienne plus entre eux un peu plus tard. « T'es belle dessus. » Cette photo illumine la pièce rien que par le sourire qu'elle a pu immortaliser lorsqu'elle a été prise. Elle vient de s'imprimer à même la mémoire de l'ancien pianiste, même si cette dernière a bien pris soin de supprimer le prétendu « ami » qui se trouve sur le papier glacé avec Aspen. Il continue de la dévisager un peu, il cherche à mesurer ses réactions bien qu'il ne soit pas assez connecté avec la réalité pour pouvoir le faire correctement. « Encore plus maintenant », qu'il souffle toujours sans la quitter des yeux. Il savoure chaque seconde passée auprès d'elle, au cœur de cet entre-deux qui le rend si étrange et à l'ouest, son esprit encore embrumé par l'alcool mais contré par un retour à la surface engendré par la douche forcée, et qui lui fait zapper tout ce qui peut bien se trouver autour de lui, autour d'eux. Tout doucement, il vient déposer sa main droit contre sa joue. Il agit avec prudence, plus par peur de cette partie blessée de son être qu'il a peut de ne pas maîtriser encore très bien que de la jeune femme. Noeh sait que ce qu'il fait n'est pas juste, qu'il joue sur cette corde sensible qu'ils ont tous les deux au creux du cœur (ou en tout cas pense-t-il les choses ainsi à cet instant précis), sauf que c'est plus fort que lui. Elle est là, si proche, alors qu'il s'efforce de maintenir de la distance entre eux depuis tout ce temps. Il songe au fait que s'il n'y avait pas eu cette dispute avec Sam, il serait peut-être pas là, ou peut-être que si, à cause de son père. Peut-être que c'était le moment pour eux deux de se reparler un peu, de reprendre contact, bien que l'étudiant ne soit pas le plus doué pour faire un retour correct dans la vie des autres, encore moins dans celle d'Aspen. Maladroit à vie il sera ; comment lorsqu'il continue dans son délire de la nuit et pose brusquement ses lèvres sur les siennes. Noeh ne calcule plus la suite, il a juste besoin de la sentir encore plus proche de lui, retrouver ses bras réconfortants autour de son cou comme dans le salon, avec le générique de fin de film en fond, et de ne plus réfléchir au reste.
Peut-être. Elle était bien avancée avec ça, merci. Le souci, c’est qu’elle n’était pas tout à fait sure que cet éclat fugace de jalousie qu’elle avait pu déceler dans le regard du jeune homme était quelque chose de bien réel, ou simplement la fatigue qui lui laissait voir ce qu’elle avait envie de voir en lui. Elle avait envie de le savoir jaloux, parce que ça voudrait dire qu’il était encore un peu attaché à elle, quoi qu’il en dise, ou plutôt quoi qu’il taise. Elle avait bien tenté pourtant, quand chacun d’entre eux étaient partis à la fac, de refaire sa vie, de vivre un peu au jour le jour, de charmer et se laisser charmer. D’ailleurs, c’est à cette période qu’elle avait cédé aux avances de son ami Marius, un soir ou deux, et à d’autres garçons, mais uniquement ceux qu’elle choisissait avec autant de gout et d’opiniâtreté que ses paires de chaussures : détail important, elle n’avait jamais cédé à un garçon qui pouvait lui rappeler Noeh. Du coup, exit les grands types au regard ténébreux un peu trop artistes, elle avait jeté son dévolu sur tous les types de sportifs possibles et imaginables pendant cinq ans de sa vie, de l’handballeur au skieur au patineur : ça lui permettait de ne pas souffrir de la comparaison, et c’était très bien. Simplement, rien n’avait jamais duré très longtemps, pour des tas de raisons, parfois à cause d’elle, parfois à cause d’eux. Et quand elle était revenue définitivement à Radcliff il y a deux ans, et bien … Ca n’avait pas été facile de s’inventer une vie amoureuse en sachant Noeh juste à coté, susceptible de jaillir dans sa vie comme un diable en dehors de sa boite, sans compter leurs soirées à quatre, avant l’accident. Elle haussa les épaules finalement, souriant légèrement :
- T’as ta réponse parce que je suis sympa, comme d’hab, c’est tout.
Et c’est tout. Il ne répond rien à ça, il se contente de tourner la tête vers elle et de la fixer sans un mot. Elle soupire, mais malgré tout, soutient son regard : elle le connait bien ce regard là, et si elle tourne la tête, elle va se faire engueuler. Et puis quand il se met à la fixer, sans bouger, presque sans respirer, elle peut au moins se permettre de faire pareil sans gêne. C’est quand même étrange, quand on y pense, d’être capable de se faire dévisager comme ça sans en sentir le moindre malaise. C’était peut être parce que c’était un truc qu’il faisait tout le temps, dévisager les gens pendant de longues minutes sans rien dire. A moins qu’il ne fasse ça qu’avec elle, mais elle en doutait un peu. Alors que le regard moucheté de paillettes dorées du jeune homme passait sur son front, son nez, ses joues, elle pouvait faire pareil, remarquant non sans un petit pincement au cœur que « son » Noeh avait quand même bien changé : il était bien loin, l’adolescent à la peau un peu grasse, au sourire débile et à la bouche gourmande. Ses traits s’étaient affutés, durcis aussi, et il y avait cette ride un peu soucieuse qui ne quittait presque plus son front. Il avait changé de coupe de cheveux, et elle songea que ses joues étaient un peu trop creuses, que deux trois restau d’affilé ne lui ferait pas de mal, à cette grande gigue. Pourtant, il y avait quand même des choses qui ne se perdaient pas, comme son odeur par exemple, sa voix, aussi, même si elle avait définitivement mué en quelque chose de plus grave, presque rauque, plus Sexy que sa voix de lycéen. Son parcours sur le visage fatigué du jeune homme terminé, elle replongea son regard dans celui de Noeh : elle avait toujours été un peu jalouse du regard si clair du jeune homme. Lorcan et elle avaient les yeux bêtement marron, tirant peut être un peu sur le noisette quand la lumière était favorable, mais ça n’avait strictement rien à voir avec le regard émeraude du jeune homme. Il vous transperçait comme une des lames qu’elle avait dans sa commode, tout en vous faisant vous sentir … spéciale. C’était étrange, comme sensation.
Belle ? Et un peu, qu’elle était belle sur cette photo, elle avait vingt ans, elle était en bikini minuscule sur une plage de sable blanc, dans les bras d’une star montante du Handball, toute bronzée. Heureuse. Ça changeait de son teint terne de la fin de l’hiver, hiver durant lequel elle n’avait pas pris un jour de repos. Ça changeait de son visage fatigué par le manque de sommeil et de vitamine D, ses cernes dues aux insomnies, elles mêmes causées par ses cogitations incessantes sur Lorcan et sa mutation. Alors elle se contenta de grimaça légèrement, avant de lacher, laconiquement :
- Ouais. C’est chouette, Hawai.
Elle ne peut s’empêcher de pouffer en entendant l’ineptie qu’il venait de sortir, haussant un sourcil d’un air tout sauf convaincu : elle est en pijama EPONGE, okay ? Elle est démaquillée, les cheveux en vrac, à cause de lui d’ailleurs, elle est tout, sauf belle, à ce moment-là. Sauf que quand elle voit comment il la regarde, il lui met presque le doute, tiens. Toujours tournée vers lui, elle voit sa main s’approcher de son visage, presque au ralenti, comme on s’approche d’un animal sauvage. Son regard passe de celui de Noeh à sa main, puis à ses yeux encore : qu’est ce qu’il faisait là, concrètement ? Il était censé, tout d’abord, avoir décuvé un peu sous la douche bien froide – un peu volontairement, elle ne lui avait pas dit qu’il y avait un mécanisme à débloquer sur le robinet pour avoir accès à l’eau chaude, petite vengeance personnelle-, et ensuite il devait être fatigué aussi normalement. Il était tard. Pourtant, elle le laisse faire, encore une fois. Elle se maudissait intérieurement d’être incapable de lui fixer des limites quand il la regardait comme ça, avant de se demander si s’était sa main blessée qu’il avançait sur sa joue ou non. Parce qu’étrangement, son handicap, elle l’avait totalement occulté, toute la soirée. Elle avait ignoré la béquille, le fait qu’une de ses mains restait immobile, dans sa poche ou sur sa jambe. Noeh restait Noeh, pas l’Handicapé, ni l’Infirme. C’était toujours ce connard de Noeh qui l’empêchait d’avoir une seule idée claire en sa présence. Et quand il s’approche d’un seul coup, sans douceur, pour venir attraper ses lèvres entre les siennes, elle se dit qu’il n’a décidément pas changé, sur certains points, et que ça la rassurerait presque : on ne ferait pas de Noeh Callahan quelqu’un de délicat avec autre chose que des touches de piano. Sans résistance, mais sans s’abandonner à lui non plus, elle lui rendit son baiser, réprimant un frisson, un énième depuis qu’il était là. Elle attrape sa nuque, résistant à l’envie de rouler sur le dos pour l’avoir un peu plus contre elle, restant sur le coté, déterminée à ne pas totalement se laisser faire. Il avait beau être … Lui, elle avait déjà cédé trop de terrain ce soir. Au loin, elle imaginait déjà Rhae la fixer d’un air moqueur, et Isobel claquer la langue d’un air désapprobateur. Deux femmes fortes, surement plus fortes qu’elle. Mais elles ne savaient pas ce que c’était de lutter contre l’attraction irrésistible qui émanait du Callahan Et puis …
Et puis il y avait ce quelque chose dans la pression de la bouche de Noeh contre la sienne, un sentiment d’urgence auquel elle ne pouvait que s’identifier. Ce baiser, c’était comme un pont entre leurs deux forteresses de solitude, choisie pour l’un, subie pour l’autre. Elle en a rêvé plus d’une nuit, qu’il revienne, de cette scène. Sauf qu’avant, point d’alcool, de douche froide, plutôt des fleurs et des excuses. Elle n’avait eu ni l’un, ni l’autre, et elle doutait même que ça puisse lui traverser l’esprit. Tant pis, parce qu’il était là, qu’elle était stupide, qu’elle était toujours un peu amoureuse. Un peu, juste un peu, se jura t’elle, alors que sa main libre venait se promener dans les cheveux encore humide du jeune homme, et qu’elle fermait les yeux un instant. Leurs lèvres ne se quittaient que pour leur permettre de respirer, partageant le peu d’air qui pouvait passer entre leurs deux bouches. Ça dura longtemps, sans un autre mot, sans rien d’autre que leurs mains et leurs bouches qui s’exprimaient à leur place, alors que le cerveau de la jeune femme vacillait entre euphorie et lucidité. Elle était avec Noeh, il lui avait tant manqué, et il était là, enfin. Mais il était là parce qu’il avait bu, qu’il était triste, qu’il s’était faché avec Sam et qu’elle était surement la plus grosse poire de son répertoire, celle qui n’arrivait pas à lui dire non, et ce depuis toujours. Si ça se trouvait, elle était en train d’abuser de lui, d’une certaine manière, puisqu’il n’était pas vraiment en plein possession de ses moyens et de son libre arbitre. Et pourtant, ses gestes trahissaient clairement une envie, un désir difficilement éludable. Avant qu’il n’aille trop loin, ou qu’elle ne lui saute définitivement dessus comme l’affamée qu’elle était, elle décida, dans un effort surhumain, de reculer légèrement la tête. Elle était essoufflée, elle n’avait qu’une envie, lui arracher son Tshirt, et pourtant. Et pourtant elle ne pouvait pas faire ça, pas comme ça. Reprenant son souffle, elle attendit que Noeh rouvre à son tour les yeux, avant de murmurer :
- Je ne sais pas …. Je ne sais pas si c’est bien de faire ça. Je dis pas que je veux pas, ou qu’on ne peut pas, mais …
Ça y est, Aspen troublée, elle se transforme en livre ouvert. Elle ferme très fort les yeux, à défaut de pouvoir secouer la tête, parce qu’elle risquerait de se cogner, tâchant de remettre un peu d’ordre dans ses idées, dans ses arguments :
- Tu as bu, tu es triste, et tu sais que je… Enfin bref, voilà. On pourrait surement continuer, déraper, faire n’importe quoi, ou plutôt faire exactement ce qu’il serait prévisible qu’il se passe, là maintenant, tout de suite. Et ce serait super, et génial et tout ce que tu veux, mais …
Mais je ne suis pas une distraction. Je ne suis pas non plus un doudou qu’on sert fort puis qu’on laisse dans le placard quand on a retrouvé le moral. Et je veux être plus que ça. J’ai le droit à plus que ça. Ou alors il faut me le dire, et je m’adapterais. Mais me faire espérer, c’est dégueulasse.
- Mais demain matin, Noeh, tu vas partir. Pas besoin de nier, je sais que ça se passera comme ça. Et je serai à nouveau toute seule.
Cette fois ci, c’était elle qui plongeait son regard dans le sien. Dans sa voix, il n’y avait, étrangement, pas le moindre reproche, ni d’amertume. Ça ressemblait plus à de la tristesse, avec un peu de résignation aussi. Parce qu’il partirait, encore. Il retrouverait son petit monde, bien rangé, et elle, elle devrait gérer son champ de bataille, son nouveau secret, sans personne à qui se confier, avec plus de question dans la tête que de réponses. Elle caressa à nouveau les cheveux de Noeh, se refusant à rompre totalement le contact entre eux, avant de se pencher un peu, faisant glisser le bout de son nez contre celui du jeune homme, dans un geste terriblement doux et un peu protecteur aussi. Juste un tout petit peu amoureuse, promis .
Noeh a le sentiment de revenir des années en arrière. Ce fameux jour où, alors qu'Aspen s'agaçait d'un truc qu'il avait fait, il n'avait rien trouvé de mieux que de l'embrasser pour la faire taire. Un geste dingue, complètement inconscient, délicieusement surprenant, qu'il n'avait pas prévu sur le coup mais qu'il avait peut-être senti venir depuis un petit moment déjà. Elle prenait plus de place dans son esprit de jour en jour, Aspen. Elle se façonnait un temple discret, bouleversant pour lui, à son image, dans un recoin de sa tête, qui s'était concrétisé par ce rapprochement impulsif et brutal, avant qu'un sourire ne soit venu se loger sur les traits de l'adolescent qu'il était. Sourire dû principalement au fait qu'il ne s'attendait pas à une réaction positive de la part de la jeune femme, mais plus un coup poing dans le nez ou un coup de pied ailleurs, quelque chose qui l'aurait obligé à reculer et à se confronter à un truc pire qu'un regard noir. Mais non. Comme maintenant, Aspen avait approfondi l'étreinte de sa douceur faite pour s’harmoniser avec son emballement revêche à lui. Noeh sait toujours pas comme agir dans la dentelle. Il a renoué depuis son accident avec le gars plus direct, percutant, qu'il pouvait être avant, lorsque les entraînements pour devenir un chasseur de pacotille lui donnait envie de gerber et qu'il passait son temps à regarder les autres faire plutôt que de se joindre joyeusement au groupe. Ou lorsqu'il était pas encore aussi proche d'Aspen, avant qu'il ne réalise que s'il pensait autant à elle lorsqu'il ne la voyait pas, c'était pas pour rien. Il perd le souffle au fil des secondes mais il refuse de la laisser trop s'éloigner. C'est un contact qui lui manque tellement, une proximité qu'il commence à oublier même dans ses rêves les plus profonds et avec laquelle il a besoin de renouer. Il n'est pas capable de mesurer les conséquences de ses actes et en profite. D'une main maligne, l'étudiant vient relever l'arrière du t-shirt d'Aspen juste pour laisser sa peau entrer en collision avec la sienne. Il sent comme une décharge électrique s'évader du bout de ses doigts déposés contre son dos remonter jusqu'au niveau de son crâne, là où ses doigts à elle viennent s'imprimer au creux de ses cheveux. Le cœur de Noeh s'emballe encore lorsqu'il parvient à la ramener encore un peu vers lui, qu'il sent ses longs cheveux venir caresser sa joue, son cou, son épaule, même si couverte du tissu de son propre haut. Les sensations se mélangent et se reconnectent surtout avec celles qu'il a déjà pu expérimenter en présence d'Aspen, et ça lui fait oublier qu'il est plus tout à fait le même, ni que ce qu'il a vécu plus tôt dans la soirée est bien réel. Noeh pense revenir en arrière et c'est le plus important. Il espère juste qu'il devra pas revenir trop vite dans ce présent qui le frustre, et qu'il pourra passer le reste de sa vie coincé dans un autre temps avec Aspen. Sauf que le contact se rompt brusquement et qu'il refuse d'abord d'ouvrir les yeux. Il pense rêver. Peut-être qu'elle attend juste un instant, juste pour reprendre ce souffle qu'elle a perdu au passage comme lui a oublié le sien, pour ensuite revenir vers lui, parce que c'est ce dont il a besoin, qu'elle soit là, avec lui et... Et elle fait la morte à côté. C'est un Noeh pantois qui ose ouvrir un premier œil, suivi du second. Il se retrouve confronté à la mine perturbée de sa jolie rousse. L'ancien pianiste l'écoute, laissant juste un bref sourire gagner ses traits de façon furtive, lorsqu'elle évoque ce qui peut se passer ensuite de sa petite voix emballée, débridée, les mots s'échappant de ses lèvres sans qu'elle paraisse apte à les freiner. L'envie de sourire lui passe dès qu'elle achève sa réponse verbale à ce qui vient de se passer entre eux. Noeh aimerait réussir à décroche le moindre mot, il essaye même, lorsqu'il réouvre un peu la bouche, mais oublie la seconde suivante ce qu'il veut dire, car il préfère se perdre dans les gestes doux d'Aspen, qui se rapproche à nouveau, pour déposer sa main dans ses cheveux et caresser son nez du sien. L'étudiant la regarde sans réussir à savoir vraiment quoi faire. Elle doit attendre une réponse. Elle doit vouloir savoir ce qui va se passer demain, et le jour suivant, et ensuite. Malheureusement les réponses il ne les a pas entre les mains. Seul son regard fait comprendre que oui, demain, il partira parce qu'il ne veut pas plus la faire souffrir. Et il sait que c'est ce qu'il est train de faire en étant là, auprès d'elle, mais elle est la seule capable de le maintenir hors de l'eau qui tout s'effondre autour de lui. Ce soir il a perdu une partie de son monde alors il cherche à renouer avec la seconde, celle qu'il s'oblige à placer en arrière-plan en temps normal, sans réussir à s'avouer qu'il y songe constamment. Tout ça, Noeh peut pas le dire à voix haute, ou même dans un murmure. Pour le coup, dommage qu'elle soit pas comme Sam, à pouvoir lire dans ses fichues pensées pour comprendre la façon dont il fonctionne, et aussi le comment ne pas s'en formaliser. Noeh est étrange mais il tient à toi. Noeh a du mal à le reconnaître mais tu lui manques. Noeh veut rester mais il peut pas. « Je suis pas triste. » C'est un son à peine audible qu'il offre d'abord en guise de réponse. Une toute petite voix, presque pas teintée de sa voix rauque, qui rebondit peu contre ses cordes vocales pour qu'on ait l'impression que ce soit réel. C'est pas vrai, il est pas triste. Du tout. Il est pas triste. Il a même pas le droit d'être triste. Il rend les autres tristes depuis toujours – ses parents, sa sœur, ses amis – alors pourquoi lui, il aurait le droit d'être triste ? C'est faux. Totalement faux. Il a juste bu pour essayer de penser à autre chose, pour se changer les idées. Pour oublier un instant de sa vie qu'il n'aura par chance plus jamais à revivre. Noeh voit pas pourquoi elle dit ça. Il est juste un peu à l'ouest, complètement déboussolé si on s'approche des extrêmes, mais pas triste. Il veut pas qu'on le voit triste. « J'ai juste mal là » Il vient déposer sa main droite au niveau du cœur d'Aspen. Un contact calme, à l'opposé de la façon brutale dont ses lèvres se sont posées contre les siennes juste avant, qui détonne avec tout le reste. Il est pas capable d'exprimer ce qui lui fait si mal, là, juste au niveau du cœur, et peut-être qu'elle associera ça à la douleur et à la tristesse. Noeh sera pas présent pour confirmer ou infirmer ses propos. Il préfère par parce qu'il ne sait pas quelle peut être sa propre réaction. Il laisse juste son palpitant battre à un rythme dissonant, autant à cause de la nouvelle de Sam que grâce à la présence d'Aspen. L'un endigue l'autre. La seconde explication remplace la première. « mais je suis pas triste », qu'il répète sur le même ton. Nier c'est plus simple qu'accepter. Et ce soir il est trop tôt pour être capable d'encaisser quoi que ce soit. L'étudiant penche un peu la tête sur le côté, histoire d'approfondir le geste d'Aspen. « Pourquoi tu fais ça ? » Il demande parce que le geste ne suis pas la parole chez elle. Vu ce qu'elle vient de dire, elle- elle aurait dû reculer, ou le mettre dehors sur-le-champ, ou au moins établir une certaine distance entre eux. Mais non. Noeh se dit qu'elle se joue de lui. Qu'est-ce que ça peut être d'autre ? Il est déjà à côté de la plaque, et elle annihile la moindre petite pensée sensée avec sa proximité et ses gestes attentionnés. Si elle veut des réponses à peu près claires, elle doit pas faire ça. C'est pas faut de lui faire comprendre depuis toutes ces années que c'est lui qui gravite autour d'elle et pas le contraire. « Ça m'aide pas. » Il replonge son regard dans le sien et il n'ose plus bouger durant plusieurs minutes. Il la dévisage encore, dans l'espoir de comprendre ce qui se passe. Il doit essayer de réfléchir, mais elle est trop proche. Tout ce dont il a envie, c'est de la défaire de son adorable pyjama et de n'entendre que son souffle à son oreille. Il veut renouer avec cette époque où rien n'avait changé, où tout allait bien entre eux, même s'ils étaient obligés de se cacher, où il n'avait pas joué les impulsifs et tout réduit en cendres. Noeh garde précieusement cette petite flamme, perdue sous les décombres et tout le reste, qui ne veut pas le laisser tranquille. Et ce soir il peut enfin perdurer un peu auprès d'elle même s'il n'a pas pleinement conscience de ce qu'il fait ou dit. « J'suis désolé. » Il reprend encore de cette toute petite voix, qui donne l'impression de pouvoir le blesser lorsqu'elle passe ses lèvres, tant il prononce chaque mot avec une précaution nouvelle. « Je veux pas partir. » Il secoue la tête de droite à gauche, tout doucement, son nez frôlant celui d'Aspen à son tour. Il reproduit ce qu'elle fait du mieux qu'il peut. Il est pas le plus doué pour les marques d'affection aussi posées, il a encore beaucoup à apprendre, mais il essaye de la ramener à lui avant qu'il ne soit trop tard. Noeh hésite un instant avant de se ravancer vers elle, comme s'il titubait alors qu'il est assis en face d'elle, venant déposer un baiser à mi-chemin entre sa joue et ses lèvres, quelque chose qui ne l'obligera à rien, mais qui trahit son envie de la voir arrêter de réfléchir, alors que sa main, toujours installée dans le creux de ses hanches, laisse son index tracer de petits cercles à même sa peau.
Si Noeh se sentait repartir dans un passé lointain et plus doux, Aspen elle se sentait bien ancrée dans l’instant, alors qu’elle sentait les mains du garçon dans son dos, laissant une empreinte invisible et brûlante sur sa peau, qu’elle sentirait encore pendant plusieurs jours et qui l’empêcherait de se concentrer au boulot quand une réunion s’éterniserait. Elle avait du user de toute sa volonté et force de caractère pour se détacher d’à peine quelques centimètres de Noeh, alors que pourtant chaque centimètre de son épiderme semblait protester contre cette décision, enjoignant poliment à sa conscience de la fermer juste une heure ou deux, le temps qu’elle en profite un peu. C’est qu’elle aimait ça, les mains un peu froides de Noeh sur sa peau incandescente, sa bouche sur la sienne, comme si c’était le seul endroit raisonnable où elle pouvait bien être. Raisonnable… Un mot qui n’entrait dans aucun de leur vocabulaire respectif, encore moins dans celui qu’ils avaient en commun. L’appel de la chair avait toujours été fort entre eux, viscéral, et ce qu’elle avait pu mettre sur le dos de ses hormones adolescentes, elle le ressentait avec autant d’intensité ce soir. Merde. Heureusement pour elle, Noeh sembla stoppé dans son élan par son léger mouvement de recul, puis paralysé par son petit monologue. Elle savait que c’était une des réactions les plus probables à son intervention : c’était ça, où il l’aurait embrassé à nouveau en balayant tous ses arguments d’une caresse, remettant la mise au point pour plus tard. Peut être se serait elle laissée faire d’ailleurs, au point où elle en était. Mais à la place, il la fixe, sans qu’un mot ne franchisse la barrière de ses lèvres, pendant trop longtemps. Trop longtemps pour que ce qui puisse en sortir soit vraiment spontané. Evidemment, il ne va pas lui dire que, bien sur que si, il sera là demain, que maintenant qu’il est revenu, c’est pour plus jamais la quitter. Mais bon, elle ne l’avait espéré qu’une demi seconde, elle n’était pas totalement naïve non plus. Et puis il la reprit, affirmant qu’il n’était pas triste. Ben voyons. Elle n’était pas devin, mais ce qui agitait la carcasse du grand Callahan, c’était de la détresse, elle était bien placée pour le savoir. S’il s’était tant disputé avec Sam, alors il devait ressentir un vide béant au niveau de la poitrine, comme un trou noir qui menaçait de l’aspirer de l’intérieur. Elle savait, parce qu’elle avait vécu la même chose avec Lorcan quelques mois auparavant, et que la plaie n’avait pas fini de cicatriser, qu’elle ne le ferait peut être jamais. Alors quand il étala sa large paluche sur sa poitrine, à plat, elle ne put s’empêcher de se sentir mal à la fois pour lui et pour Salomé : elle n’avait pas la moindre idée de ce qui avait pu les séparer, mais ça devait être dramatique pour qu’ils en arrivent à ses extrémités. Peut être une histoire de chasse, ou peut être Matthias avait il fini par convaincre Salomé d’intégrer la branche la plus dure de leur fratrie de chasseur, elle n’en savait rien. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’elle avait un Noeh en miettes en face d’elle. La dernière fois qu’elle l’avait vu comme ça, il était allongé sur un lit d’hôpital, et il l’avait envoyé balader. Aujourd’hui il était allongé dans son lit à elle, et il y avait quelque chose dans son regard qui lui murmurait que, peut être, cette fois ci, elle pourrait peut être l’aider. Elle murmura avec un petit sourire, d’une voix à peine plus forte que la sienne :
- Okay, pas triste … Compris …
Pas besoin d’épiloguer sur le sujet, elle avait déjà son avis de bien arrêté sur la question. Elle haussa les épaules, ou en tout cas essaya de le faire, comme si la question de Noeh ne trouvait pas de sens à ses yeux. Pourquoi faisait elle quoi ? Pourquoi lui avait elle ouvert la porte ? pourquoi avait-elle accepté de s’asseoir à coté de lui sur le canapé ? Pourquoi l’avait elle amené dans sa chambre ? Pourquoi lui avait elle rendu son baiser ? Imbécile … Réfléchis, un peu.
- De toute façon mon aide t’en as jamais voulu, alors bon … Je le fais parce que j’en ai envie, tu m’as pas mis le couteau sous la gorge, aux dernières nouvelles.
Elle se sent complètement fondre, femme chocolat qu’elle est, en entendant le géant de papier mâché lui lâcher trois mots qu’elle n’avait jamais imaginé entendre ce soir : Je suis désolé. Ben ça alors. Elle battit des cils, incertaine que c’était à elle qu’il s’excusait, où aux fantômes qui voyaient dans les vapeurs d’alcool qui embrumaient encore partiellement son regard. Alors forcément, lorsqu’il essaye, maladroitement, de lui rendre ses bisous eskimo, elle n’arrive plus. Les reliquats de barrière autour de son cœur encore meurtri s’effondrent comme un château de cartes, alors qu’elle se retrouve incapable de détourner son regard du sien. Son Noeh. Maudit Callahan.
- Pas besoin de t’excuser, moi je ne t’en veux pas, tu n’as rien fait de mal…
Pas ce soir en tout cas. Les autres … C’était pas le moment d’en parler. Ça le serait peut être jamais. Mais l’important, c’était qu’il était là, ce soir, maintenant. Et qu’il avait besoin d’elle, et que dans un certain sens, elle avait besoin de lui. Elle s’en voudrait plus tard. Seul l’instant comptait. Elle frissonna de le sentir se rapprocher, presque timidement, loin de son élan chevaleresque précédent. Il attendait qu’elle s’avance. Qu’elle soit d’accord, elle aussi. Alors elle lui sourit, attrapant doucement son menton pour le remonter à sa hauteur.
- Si tu veux pas partir Noeh, reste … Reste avec moi…
Et comme pour répondre à ses incertitudes, c’est elle qui avança son visage vers le sien cette fois-ci, fermant les yeux pour oublier tout, la chambre, les photos, demain. Elle prend la main de Noeh qui attend sagement sur sa hanche, la guidant dans le bas de son dos, alors qu’elle efface les stupides centimètres qui les séparent encore pour se coller, minuscule, contre Noeh qui lui parait encore plus grand qu’avant. Elle regretterait peut être. Elle regretterait probablement. Mais voilà, alors que ses jambes s’emmêlent à celles de Noeh, que le tissu commence à devenir superflu, elle se dit aussi que les remords et les occasions manquées étaient toujours pire que les regrets. Parce que Noeh Callahan qui descend sa bouche dans son cou, sur sa gorge, ça valait bien quelques bleus à l’égo, plus tard. Elle était forte, elle y survivrait. Et puis qui sait, peut être qu’il se rendrait enfin compte, au final, qu’il avait un peu plus besoin d’elle qu’il voulait bien l’admettre …
+++ Noeh est pendu à ses lèvres. Il attend une réponse, un signe. Il patiente le cœur battant. Il mesure pas que ce qu'il vient de faire va peut-être lui faire du mal, à Aspen, à lui aussi lorsqu'il se retrouvera tout seul comme un idiot, mais il n'a fait que dire la vérité. Il peut pas partir. Pas quand il peut la retrouver un peu, pas quand il est comme ça, pas quand il se sent mal et qu'il a besoin d'elle plus que de n'importe qui. Pas quand ils ne sont enfin que tous les deux, comme avant. Ni lorsqu'elle lui répond d'une voix aussi douce, attentionnée, à ses réponses bâclées, ou quand elle lui offre un regard aussi immense que l'océan dans lequel il est prêt à se perdre pour l'éternité. Le souffle coupé, Noeh n'arrive même pas à lui sourire lorsqu'elle accepte de le voir rester plutôt que partir. Il réalise pas très bien qu'elle n'a pas rétorqué par la négative, tant tous ses sens son annihilés par une réaction qu'il appréhendait autre, ni ne saisit de suite qu'elle se rapproche de lui car le soulagement est trop immense, envahissant ses veines, saccageant le peu de concentration qu'il peut avoir après une soirée aussi particulière. Noeh laisse sa main être guidée par la jeune femme, avec un naturel qui prouve qu'il n'a jamais oublié. Le contact, cette fois-ci officiel, autorisé, brûle sa peau d'une douceur rêvée depuis longtemps. Il se souvient de tous ces instants où il a pu la prendre dans ses bras. Au détour d'un couloir vide, dans la cabane, chez elle, chez lui, dans sa chambre, dans la sienne, tous ces moments où parfois il la serrait si fort contre lui qu'elle aurait pu s'étouffer, mourir asphyxiée sous ses étreintes irréfléchies. Parce que c'est ce pouvoir que peut avoir Aspen sur Noeh : elle efface tout, les autres, le reste, la vie, les peurs, les incertitudes, elle réussit à lui faire ranger le tout dans un recoin sombre de ses pensées pour ne plus penser à rien d'autre qu'elle. D'où son envie de ne jamais la savoir loin. D'où ses bras autour de sa taille, d'où ses mains sur son corps, d'où ses lèvres sur les siennes, toujours dans l'espoir de la marquer assez pour qu'elle ne puisse pas l'oublier et lui non plus, jamais. Et cet instant est en train de se graver en lui comme une énième preuve que la méthode Noeh, aussi maladroite et étrange soit-elle, agaçante et touchante à souhait dans son inexactitude, a fonctionné. L'ancien pianiste lui rend son baiser avec soudain plus d'ardeur, lorsqu'enfin il réalise qu'il n'a plus à la considérer comme inaccessible. Elle est là, près de lui, contre lui, elle entoure son cou de ses bras graciles, elle fait frissonner sa peau avec délice et elle le fait renouer avec des sensations qui arrachent toujours les mêmes réactions à Noeh. Il oublie bien vite cette main invalide qui aurait pu l'empêcher d'aller plus loin, pour ne pas avoir l'impression d'être méprisable, même si cette dernière souffre de ne pas pouvoir se délecter du contact qui ne pourrait être que bénéfique avec celle d'Aspen. Autrefois, cette main l'aidait à composer pour elle. Il passait des heures devant son piano, cherchant la note parfaite, l'accord ultime, celle qui achèverait un énième morceau qui, lorsqu'il le jouerait, ferait apparaître dans son esprit seul le sourire d'Aspen, ses longs cheveux au vent, son regard pétillant. Aujourd'hui, tous ces souvenirs sont enfouis dans un carton, lui-même bien rangé dans un recoin reculé de sa chambre. Il arrive pas à l'approcher. Noeh peut pas. Le piano est une partie de sa vie qu'il a dû abandonner sans le vouloir, et c'est un choix auquel il ne peut même pas remédier car même son corps le lui refuse. S'il relit un jour ces quelques partitions, il a peur de les déchirer. De les froisser, de les réduire en miettes, de les foutre au feu dans un geste désespéré et fou. Il sait qu'il apercevra une dernière fois les dates qui servent de titre, chacune faisant référence à un jour important, et il se brûlera alors les mains dans l'espoir de pouvoir réparer cette énième connerie. Ce soir il se brûle aussi. L'étudiant est consumé par toutes ces émotions qui le traversent alors qu'il approfondit encore leur baiser, qu'il incite Aspen à toujours être plus proche de lui, pour ne pas lui faire perdre le nord, accorder à son esprit le répit de pouvoir sentir sa peau contre la sienne. Noeh sent son cœur s'emballer, alors que d'une main agile il fait passer son haut par-dessus sa tête, puis qu'il en fait de même avec le sien. Son regard passe un instant sur ses courbes, sur ce corps qu'il connaît par cœur, qu'il a appris à connaître par cœur, qu'il reconnaît. Une énième peur s'envole. L'angoisse de la trouver changée, de ne pas avoir été là pour soigner ses blessures, de ne pas les avoir remarquées avant s'il y en a, de peut-être parvenir à les lui panser ce soir, pour donner à Aspen une raison de le pardonner. Il contemple ses cheveux qui retombent sur le haut de sa poitrine, ses épaules qui s'élèvent et s'abaissent au rythme de sa respiration aussi affolée que la sienne, avant de secouer un peu la tête. Elle est belle. Trop belle pour lui. Trop belle pour quiconque. Elle est magnifique depuis le premier jour où il l'a vue, alors qu'ils étaient encore que des gosses, et il se maudit d'avoir attendu d'être un ado stupide et obsédé par ses hormones pour s'en rendre compte. Aspen c'est sa petite merveille, c'est la fille qui accapare la moindre de ses pensées, celle qui lui fait tourner la tête comme pas permis. Celle qu'il a droit de chérir ce soir, comme il n'a pas eu l'occasion de le faire depuis longtemps alors qu'elle mérite qu'on l'adore tous les jours, tout le temps. Noeh dépose une première main sur ses cheveux, il se rempare de ses lèvres pulpeuses, les dévore avec une malice bien plus digne de lui que le regard triste et passionné qu'il déposait sur elle juste avant, la gorge nouée par le nœud douloureux d'une envie de ne plus la laisser partir qui grandit en lui. Ses lèvres dérivent à nouveau sur sa joue, sa mâchoire, son cou, ses épaules, sa poitrine, son adorable petit ventre, elles embrassent la moindre parcelle de peau dans un mélange de douceur et d'attention, avares de mille et une sensations. L'étudiant sourit à même la peau de son ange, tant il ressent ses frissons jusque sur sa propre peau à lui. Il pensait pas que leur connexion pouvait être aussi forte, traverser autant de temps sans être éveillée et pourtant sembler encore si réelle, si évidente. Pourtant c'est encore le cas. Et c'est plus impressionnant que ses rêves ne l'avaient prédis. Venant déposer son souffle rauque au creux de son cou, Noeh y délaisse un énième baiser brûlant avant de resserrer son bras droit autour de ses hanches et l'engage à se laisser retomber en arrière, avant qu'il n'en fasse de même, sans pour autant venir l'écraser de tout son poids. Il se doute qu'elle est moins fragile que lorsqu'ils étaient encore ados, mais il sait aussi que lui n'a pas arrêté de grandir avant ses vingt-deux, vingt-trois ans, ce qui signifie qu'il sera toujours en mesure de la brusquer à un moment, même si ce n'est pas dans ses intentions, et il garde encore un peu de réserve au cas où. Si ce qui se passe ne lui plaît pas, il n'a pas besoin de compter sur Aspen pour faire entendre sa voix, elle se débrouillera très bien seule. En ce qui le concerne, il ne met plus longtemps à se retrouver délesté du moindre bout de tissu, dorénavant nu, sachant qu'elle l'avait déjà contraint à se débarrasser de la moitié de ses vêtements pour prendre sa super douche gelée. « Je comprends mieux pourquoi on voulait à tout prix me jeter dans la salle de bain... », qu'il murmure contre son nombril, avant que ses lèvres ne remontent déposer de prestes baisers sur sa poitrine si délicate, sur leur cambrure capable de le faire pâlir, et que sa main cherche à la défaire à son tour des derniers vêtements qui lui restent. Son sourire en coin laisse penser qu'il se moque, mais en vérité peut-être qu'il est flatté. Il y réfléchira après. Il continue à se battre avec ce bas de pyjama qui le frustre et les lèvres d'Aspen qui l'appellent encore, pas le temps.
Si on lui avait dit, la veille, la semaine dernière, le mois dernier, qu’elle se retrouverait à nouveau dans le même lit que Noeh Callahan, à le délester de son t-shirt entre deux baisers, elle aurait probablement ri au nez de ladite personne en lui proposant d’y aller mollo sur la fumette. Et pourtant, elle y était : sa chambre, son lit, son haut qui volait sur le parquet, et ses jambes qui s’enroulaient autour de la taille du Callahan avidement. Noeh n’avait pas mis longtemps à capter, quoi qu’il puisse en penser, et l’avait attiré contre lui comme s’il était possible qu’ils puissent fusionner totalement, peau à peau, bouche à bouche, sans même avoir besoin de se chercher bien longtemps : leurs corps s’étaient façonnés à l’adolescence pour s’accorder l’un à l’autre parfaitement, comme deux pièces d’un puzzle. Ils avaient peut être changé peu, une cicatrice par ici, un peu plus de muscles par là, mais ils restaient malgré tout les mêmes, et ça fonctionnait bien. Très bien même. Elle a l’impression qu’il est partout à la fois, qu’il n’a absolument rien oublié de la façon dont son corps réagissait à ceci ou cela, le fourbe. Elle sent les frissons parcourir son échine pour venir s’aventurer sur la peau de Noeh, comme l’onde sur la surface de l’eau, alors qu’elle promène ses ongles sur sa peau, dans son dos, sa nuque ou la cambrure de ses reins. Elle s’amuse de le voir l’emprisonner dans ses bras incroyablement longs pour la faire basculer au dessus d’elle, alors que la lumière tamisée de sa lampe de chevet dessine un peu plus le visage acéré du jeune homme. Il la regarde, l’embrasse, et sourit. Dans cet ordre là, et ça lui transperçait le cœur. Seigneur, qu’est ce qu’il était beau quand il souriait. Déposant ses propres baisers dans le cou du jeune homme, elle glousse à sa remarque : le pire, c’était qu’elle avait été à mille lieux de ça, toute la soirée. Et pourtant, pourtant…
- C’est ça … et après on dit que c’est toi le malin des deux…
Elle mordille un peu sa peau pâle, presque transparente par endroit, le laissant même se débattre avec son bas de pyjama, avant de le prendre en pitié. Ou peut être d’impatience :
- Ya un cordon à dénouer en haut, l’artiste…
Aussitôt dit, aussitôt fait, et le pantalon en éponge vint retrouver son compagnon le débardeur sur le sol, alors que la couette se refermait sur le couple comme un cocon, une capsule hors du temps et de l’espace. Il y avait juste eux, et c’était exactement ce dont ils avaient besoin à ce moment là …
(…)
Elle écarte une mèche qui lui tombe devant les yeux avant de resserrer son emprise autour de lui. Elle a l’oreille sur son torse, et en bonne musicienne, elle se laisse bercer par la symphonie de sa respirations et de ses battements de cœur. Elle le sent essoufflé un peu, mais elle l’est un peu, aussi. Ils ont remonté la couverture jusqu’à son cou à elle, mais il ne lui ait toujours pas venu à l’idée de remettre ses vêtements. Elle veut profiter encore un peu du contact de leurs peaux l’une contre l’autre. Elle n’a pas envie de bouger, comme si le moindre mouvement les éloignant pouvait briser l’instant suspendu. Au lieu de ça, elle dessinait des formes aléatoires sur la clavicule et l’épaule du jeune homme du bout des ongles, un peu groggy, presque incertaine que ce qui venait de se passer s’était réellement passé, ou de si elle avait encore fait un de ses rêves un peu gênants qui vous font sursauter, haletante, en plein milieu de la nuit. Sauf que cette fois ci, elle ne semblait pas se décider à se réveiller, et n’en avait pas la moindre envie, malgré le million de questions qui tourbillonnait dans sa jolie petite tête. Mais pas maintenant, chut, plus tard. Pour l’instant elle devait savourer, et c’est tout. Elle était bien déterminée à profiter de cette nuit, quoi que cela lui en coute, plus tard.
- Allez hop, viens par là toi …
Doucement, elle tira sur son bras pour le faire rouler vers elle, le laissant s’affaler à moitié contre et sur elle, pour venir caresser son dos doucement, de haut en bas, comme on cajole un gros chat, lentement. C’était doux, c’était familier. Comme si ils faisaient ça tous les soirs depuis des années. Comme si il n’avait pas été suffisamment odieux pour lui briser le cœur et l’égo la première fois, avant de fuir pour une faculté à l’autre bout du pays, la forçant à partir à son tour le plus loin possible de Radcliff. Comme si ils étaient encore ensemble, heureux, stupides. Comme si elle en avait envie tiens. Pfff.
- A défaut de te sentir mieux, voire bien, je suis à peu près sure que tu vas t’endormir comme un gros bébé si je continue comme ça.
Elle parlait en connaissance de cause, pour les dizaines de fois où elle l’avait bercé comme ça, à lui gratouiller le dos et la nuque. Elle était inlassable quand il s’agissait de le caliner, en tout cas à l’époque. Le voir sourire béatement, et pas avec son petit rictus sarcastique, ça lui prouvait qu’avec elle il enlevait sa carapace de petit con prétentieux, et elle en tirait à la fois beaucoup de tendresse et de fierté. Elle ne savait pas si c’était juste de la nostalgie, mais à ce moment précis, elle se sentait bien. Juste bien. Tout simplement. Et elle espérait que c’était pareil pour lui, avec un petit gout de reviens y, ce serait encore mieux. Parce que si il lui demandait, peut être bien qu’elle pourrait lui donner une seconde chance. Juste une. Peut être.
Noeh dépose un dernier baiser sur son front. Noeh se laisse retomber sur le côté. Noeh sent son cœur qui bat la chamade. Noeh cherche à retrouver le souffle, n'y arrive pas. Noeh sent son oreille venir se rapprocher de son cœur tambourinant et il en rougirait presque. Il ne dit rien, de peur de gâcher l'instant, il laisse la magie retomber sur eux comme une fine poussière d'étoile, qui parsème leurs peaux nues d'une aura invisible mais inoubliable. Son regard dérive vers elle, dans l'espoir d'apercevoir son visage, mais elle a l'air ailleurs. Un peu comme lui, alors que sa main valide vient se perdre dans ses longs cheveux à la couleur de feu. Même dans la pénombre de la pièce, il pourrait les reconnaître entre mille. Ils ont cette ondulation particulière, un peu sauvage, qui descend aujourd'hui bien en-dessous de ses épaules, mais qui à une époque révolue esquissait même le dessein d'atteindre le bas de son dos. Ils étaient encore tous petits, Sam et elle faisaient la course pour savoir laquelle aurait les cheveux les plus longs. Noeh a toujours trouvé ça con. Lorcan aussi. Pourtant ils avaient presque manqué lancer des paris sur qui serait la grande gagnante, avant que leurs jumelles ne décident sur un coup de tête de cesser leurs enfantillages et de s'autoriser des coupes divergentes. Sa pauvre âme de cadet de la bande s'était brisée à cet exact moment – comment pouvait-il encore espérer leur tirer les mèches les plus longues pour passer le temps, ou alors coller ses chewing-gums usagés sur le bas de leurs chevelures plutôt que d'aller à la poubelle ? Ouais, un beau gâchis. Ses pensées deviennent de plus en plus floues, alors qu'Aspen dessine des formes du bout de l'ongle sur sa peau. Noeh est encore capable de frissonner à ce contact voluptueux malgré ce qui vient de se passer entre eux. Il n'a pas le temps de s'en montrer plus surpris que déjà la jeune femme inverse les places : la joue de l'ancien pianiste vient se déposer avec naturel contre son épaule, et il inspire une énième fois ce parfum délicat qui est le sien. A jamais pantin désarticulé entre les mains de la seule marionnettiste qui ait pu compter dans sa vie – non-mutante, entendons-nous bien, et donc tolérée -, il savoure sa caresse attentionnée alors que ses yeux commencent à vouloir se fermer sans qu'il ne l'ait décidé. « C'pas vrai... », que tente un Noeh déjà happé par les prémices de ses songes à la remarque d'Aspen. Il va pas s'endormir, il veut la regarder dormir elle. Faut juste qu'elle arrête d'être aussi gentille et il pourra resté éveillé encore une bonne partie de la nuit, c'est certain... Sauf que sa respiration qui ralentie le trahit. Elle témoigne de toute cette fatigue qui pèse sur ses épaules, de cette folle soirée qui n'a cessé de l'éprouver, de ces retrouvailles qui se sont soldées par un souvenir impérissable de leurs deux corps réunis, et, même s'il ne veut pas l'admettre, Noeh reste humain. Après tout ce qu'il vient de vivre, il est épuisé. Qu'il s'agisse de ce soir ou de tous les autres jours qui ont précédé celui-ci, depuis son réveil à l'hôpital. Toutefois, pour la première fois, il sent qu'il ne va pas avoir besoin de tourner et se retourner dans son lit pour tenter de trouver le sommeil, ce dernier va venir de son plein gré, grâce à Aspen. Il ne va peut-être pas cauchemarder, non plus, parce qu'elle sera là pour parer toute tentative de ses tourments de venir le briser un peu plus tant qu'il sera entre ses bras. L'étudiant réajuste son visage contre le cou de la jeune femme, pour toujours se trouver plus près d'elle. Il veut pas la laisser partir, il songe même plus au fait qu'ils n'ont pas pris le temps de se rhabiller avant de se laisser choir au cœur des draps, haletants. Tant pis. Noeh sait pas s'il lui reste encore la moindre réserve de force pour ne faire que ça. Ses inspirations et expirations continuent à se faire de plus en plus lentes, absentes, lointaines. Le cadet Callahan ne parvient plus à lutter contre ses paupières qui se font plus lourds au fil des secondes. Lorsqu'enfin ces dernières sont closes, il marmonne deux petits mots contre la peau d'Aspen, qui viennent se perdre contre elle comme s'il y déposait un baiser. « J'oublie pas... » Noeh n'est plus apte à savoir s'il parle à voix haute ou si son subconscient a pris le dessus et qu'il s'imagine encore véritablement en présence de la plus jolie des Wolstenholme – si ce n'est de la planète -, mais il se sent si bien, apaisé pour la première fois depuis un long moment, qu'il n'a pas le courage de se réveiller pour se poser la question. Il laisse ses bras venir l'entourer avec tendresse – le Noeh endormi étant beaucoup plus aimable que le Noeh éveillé – avant que sa bouche ne s'entrouvre pour ne plus laisser passer qu'une chose avant que le sommeil ne l'emporte. « M'enveuxpas. »