Des cendres, et un silence de mort. Voilà ce que j'avais vu il y a trois jours, en me levant. Dans un coin paumé de l'Arkansas, un refuge de mutants allait être brûlé d'ici peu par des hunters, j'en avais la certitude. Deux jours plus tard, l'information circulait dans la police, mais impossible de communiquer la moindre adresse à la presse. C'est là que j'entrais en jeu, attrapant fébrilement mon téléphone portable pour composer le numéro de mobile de Rylie, ma "collègue". Je l'aidais souvent à trouver des scoops, étant elle journaliste, et moi photographe. De mon côté, je tirais profit de la situation pour prendre quelques photos, et enquêter discrètement sur les hunters. Visiblement étonnée que je connaisse l'adresse, je lui intimais de me faire confiance, parlant de "sources sures". C'est sur que des visions en direct live, y a pas plus certain. Je la rejoignais alors, montant dans sa voiture en jouant le GPS une fois arrivées dans l'état jusqu'à ce qu'on arrive sur place. Sortant de la voiture, consternée, j'observais les décombres. « Quel carnage ... » Marmonnais-je entre mes dents, avant de m'avancer tout en vérifiant autour qu'il n'y avait plus de policiers. Je rentrais par le trou béant qui devait servir de porte, appareil photo en main. « Il vaut mieux éviter de s'éterniser, au cas ou des gens repasseraient par là. Appelles moi si tu vois quelque chose. » Sur ces mots, je m'éloignais de mon côté, prenant quelques photos de traces dans les cendres, d'objets brûlés... A première vue, c'était une maison tout à fait normale... Après tout, en dehors de nos capacités, nous autres, mutants, ne sommes nous pas parfaitement normaux ?

De source sûre, elle en avait de bonnes. Aerith et moi travaillions ensemble depuis quelques mois et je devais avouer que son intuition commençait à attiser ma curiosité. Elle semblait toujours au courant de tout, avait toujours les scoops à la seconde même où ils se produisaient et savait toujours me guider dans mes recherches. Ça en devenait vexant à la longue. Après tout, c'était moi la journaliste et me faire mener comme ça par une simple photographe, était difficile à encaisser. Mes soupçons sur ses raisons commençaient à s'étoffer. Soit elle faisait partie des carnages sur lesquels elle me menait, soit elle en était une aussi. Une mutante. Dans la voiture, je ne cachais plus mon agacement. Mes doigts agrippaient le volant avec force et mes gestes regorgeaient de nervosité. Elle m'indiquait la route à prendre avec une fluidité imparable pour quelqu'un qui ne s'était jamais rendue sur les lieux du crime. « Redis-moi un peu de quelles sources tu parlais ? » Sa gêne était à couper au couteau mais elle parvint à esquiver ma question. Je stationnai la voiture quelques heures plus tard ; le voyage avait été long et tendu, l'ambiance entre nous restant électrique. Je sortis de l'habitacle avec une expression incrédule, estomaquée. « Quel carnage ... » J'acquiesçai, observant toujours les décombres avec un sentiment de dégoût. Mon espèce avait encore été la cible d'attaques. La police tenait à garder ça secret, pas encore certains qu'il s'agisse d'une attaque terroriste, mais je reconnaissais cet endroit. Plusieurs mutants s'y étaient réfugiés, ça ne pouvait donc qu'être l’œuvre de hunters. Nous entrâmes prudemment sur les lieux, Aerith m'avait assuré que l'air n'était plus toxique. Encore une fois, j'ignorais comment elle détenait cette information.  « Il vaut mieux éviter de s'éterniser, au cas ou des gens repasseraient par là. Appelles moi si tu vois quelque chose. » Une nouvelle fois, j'appuyai sa suggestion d'un hochement de tête et m'enfonçai dans les décombres, prenant la direction opposée à la sienne. J'arpentai les lieux après avoir enfilé des gants en latex et soulevai quelques décombres. Je pris tout en note à l'aide de mon dictaphone. Pour l'instant, je n'avais rien trouvé de très intéressant. Mais le coin d'une feuille attira mon attention. Je montai sur la plaque qui la recouvrait, pour pouvoir lire ce qui y était écrit. « Note d'information quant au dépistage à venir » La plaque barrait le reste de la fiche, mais cette feuille était d'une importance minimale. Tout le monde recevait ce prospectus ; autrement dit, les humains aussi. Il n'y avait donc aucune preuve dans ce bout de papier. Je soulevai le bout qui dépassait et mon cœur fut pris d'un sursaut inhabituel en découvrant la feu dissimulée en-dessous. Dès les premières lignes, je sus que j'avais mis la main sur une pièce à conviction importante. Elle était bloquée, mais il fallait absolument que je la récupère, il s'agirait d'une preuve primordiale. Tout ce que je voyais pour le moment, c'était qu'il s'agissait d'un règlement intérieur. L'intitulé 'Règlement intérieur du refuge' y apparaissait, ce qui en soi, était déjà un indice important. Je descendis de la plaque et fis demi-tour, tentant de la soulever à mains nues. Au bout de quelques efforts, j'appelai ma collègue en renforts. « Aerith ! Tu peux venir m'aider ? »

« Redis-moi un peu de quelles sources tu parlais ? » Sa question dans la voiture revenait en écho dans ma tête. Je l'avais ignorée, une fois de plus, mais combien de temps est ce que ça pourrait durer ? Je savais bien qu'avec cette histoire de dépistage, tout était censé nous encourager à nous "dévoiler", à parler de notre différence.. Mais je n'avais encore confiance en personne. Je ne pouvais tout simplement pas me permettre de croire que quelqu'un, parce qu'il paraissait bon en apparence, l'était véritablement. J'avais suffisamment payé les frais en me retrouvant seule, il y a trois ans, quand des hunters s'en étaient pris à mon meilleur ami, me l'arrachant. Depuis, je ne faisais plus confiance à personne.. Qui sait, peut-être que certains se souvenaient de moi, la petite blonde qui accompagnait le mutant et qui avait réussi à s'échapper avec pour seul souvenir une balle dans l'épaule. Depuis, je m'efforçais de paraître comme normale... Mais cette quête, cette chasse aux assassins était plus forte que moi, et dans ma recherche, j'emportais Rylie. Après avoir constaté avec dédain que l'attaque n'avait pas été sans dégâts, je m'enfonçais dans les lieux, photographiant le moindre détail qui pouvait servir, le moindre recoin de pièce. J'eus un pincement au coeur en voyant une photo calcinée, dont il manquait la moitié. J'étais en train de la photographier lorsque j'entendis la voix de la brune au loin. « Aerith ! Tu peux venir m'aider ? » - « Ouais, j'arrive! » J'avançais avec soin, suivant le son de sa voix jusqu'à la trouver devant une plaque qui cachait visiblement une feuille, que je parcourais. Merde. « Vas y, penches toi, on va tenter de ... » Je m'exécutais en même temps, cherchant à soulever la plaque, en vain. Je soupirais, passant une main sur mon front. « J'vais voir si j'peux pas trouver quelque chose qui puisse servir de levier. » Je la regardais brièvement avant de changer de pièce, en quête d'un éventuel pied de biche vagabond, ce dont je doutais un peu.

Une fois nos forces unies, nous fûmes bien obligées de constater que nous n'étions pas assez costaudes pour soulever le cuivre qui était tombé dans l'incendie. Si Aerith n'était pas là, j'aurais sans hésiter utilisé mon pouvoir pour la soulever, mais je ne pouvais pas me permettre une telle chose en sa présence. Comme si elle avait lu dans mes pensées - j'hésitai un moment suite à cette possibilité -, elle proposa d'aller chercher quelque chose qui pourrait nous servir et s'éclipsa de la pièce. Je continuai à hésiter, longeant la pièce en faisant les cent pas, une main frottant ma nuque. Rien ne m'obligeait à le faire ; je pourrais simplement attendre que la blondinette revienne avec je ne sais quel objet et de là, nous pourrions facilement découvrir l'indice mystère. Mais j'avais l'impression que ce bout de papier me fixait et brûlait mon épiderme. Ma patience avait des limites peu étendues et j'arrivais déjà au bout. Mes doigts me picotaient, impatients de ramasser cette information cruciale, de voir si j'avais raison ou non. J'étais persuadée que juste en dessous, était listée toute une suite de règles à suivre pour maintenir une vie en communauté stable au sein de mutants. Il n'y avait pas d'autre issue, je savais qu'il s'agissait d'un refuge qui recueillait mon espèce. Mes mains agrippèrent nerveusement mes cheveux et avant de me lancer, j'allai vérifier rapidement qu'Aerith n'était pas dans les parages. Une fois rassurée, je me positionnai face à la plaque et levai une main devant moi, faisant mon maximum pour me concentrer uniquement sur l'objet. Au bout de trois secondes, j'entendis un bruit lourd, du cuivre contre du béton. J'ouvris un œil, satisfaite de mon travail et commençai à m'approcher en gardant un brin de concentration sur la plaque. J'attrapai la feuille d'une main et parcourus avec empressement l'introduction, comme si ma vie en dépendait. Ironique, c'était un peu le cas. « Je le savais ! » m'écriai-je. Dans les règles, figuraient des mots clés tels que 'mutation', 'contrôle de soi' et 'utilisation minimale'. Eric Foster était signé en italique en bas de page. Une masse de papiers attira mon attention un peu plus loin sous la plaque. Je la fis lever au-dessus de ma tête et passai dessous, rampant jusqu'au tas de répliques du règlement signés par le reste des habitants. « Une vraie mine d'or... »

Je tournais en rond dans les ruines, en quête d'un éventuel moyen de soulever cette plaque bien trop lourde pour une simple force de femme. Même nos deux forces combinées n'avaient pas suffit, en même temps, il faut dire que nous étions deux crevettes, n'importe quel mec dépassait nos deux forces combinées. Je tournais en rond un moment, constatant avec regret que je ne trouvais rien, absolument rien. Tout était calciné, détruit, écrasé, presque encore fumant. Dépitée, je retournais à pas de loup - sait-on jamais qu'un flic passe par là - vers la salle ou se trouvait mon acolyte. Sur le pas de la porte, je me figeais lorsque je la vis lever un bras pour le tendre vers la plaque. Qu'est ce que ... En quelques secondes à peine, la plaque se souleva, et s'éloigna jusqu'au seul dans un bruissement métallique. Je retournais dans l'autre pièce en vitesse avant qu'elle ne me voie, incrédule. « Je le savais ! » Alors .. Elle aussi? Rylie était une mutante ? Je n'en revenais pas. Revenant dans la pièce, ce coup ci elle tenait la plaque au dessus d'elle, tout en attrapant un paquet de feuilles, surement d'autres copies de ce "règlement" intérieur. « Une vraie mine d'or... » J'avançais enfin dans la salle, avant de m'immobiliser, les bras croisés. « Alors ça, pour une surprise... » Marmonnais-je en la fixant, déroutée. Je ne savais pas si je devais me réjouir ou craindre ça. « Visiblement, tu n'avais pas vraiment besoin de levier ou de quoique ce soit d'autre, non? »

Accroupie sous les plaques qui lévitaient, je pinçai ma lèvre entre mon pouce et mon majeur, perturbée. Malgré le point positif que cette découverte pourrait apporter à ma carrière, je ne pus m'empêcher de me sentir mal. Ça signifiait qu'une nouvelle attaque terroriste avait eu lieu, dans le plus grand secret. Ça voulait dire que le mouvement des hunters s'étendait un peu plus chaque jour et que certaines villes avaient ordonné à leurs forces de l'ordre de garder tout cela secret. La menace n'avait jamais été aussi pertinente et les attaques importantes. Je parcourais le règlement en me disant que certaines règles étaient toutes plus aberrantes les unes que les autres. Le gouvernement nous encourageait à nous afficher au grand jour pour nous 'protéger', mais leurs refuges, à l'inverse, avait pour règlementation de camoufler au maximum notre vraie nature. « Alors ça, pour une surprise... » Stupéfiée, je tombai à la renverse en relâchant toute pression sur la plaque que je tenais en l'air. Elle tomba à pic là où mes jambes étaient couchées. Mais au dernier millième de seconde, j'envoyai ma main sur la gauche d'un geste sec et le cuivre suivit le mouvement, allant s'écraser près du mur. Je retins mon souffle une seconde, effrayée que les parois déjà fragilisées ne dégringolent pour de bon. « Visiblement, tu n'avais pas vraiment besoin de levier ou de quoique ce soit d'autre, non? » Je me redressai et époussetai mon jean, le cœur battant à une allure affolante. Les feuilles étaient retombées dans la suie alors je m'empressai de les ramasser et vérifiai que le contenu était intact. Inconsciemment, je retardais l'affrontement qui allait inévitablement se produire avec Aerith. Je ne savais pas comment j'allais me sortir de là, j'étais foutue. Il n'y avait pas de doute possible sur ce qu'elle avait vu, la plaque flottait à un mètre de ma tête. « Ce n'est pas ce que tu crois. » Entêtée, je choisis quand même la solution du déni. De nos jours, on ne pouvait faire confiance à personne. Et si elle faisait partie du groupe extrémiste, comment allais-je m'en sortir ? Alors, orgueilleuse comme je l'étais, j'empruntai la voie du dédain et sélectionnai l'attaque frontale. « Quand tu seras décidée à me dire comment tu fais pour avoir toutes ces pistes, on pourra peut-être parler. »

Comment réagir lorsque l'on réalise qu'une femme que l'on côtoie depuis des mois est en réalité comme vous ? Enfin... Comme moi, pas vraiment, je n'étais pas en mesure de tenir cette plaque à un mètre de ma tête. Mais Rylie était de toute évidence différente. Comme moi, une mutante. Voilà un moment que je n'en avais pas rencontré une. Enfin, découvert une serait plus le mot, mais depuis l'émergence de notre "secret" commun à tous, c'est vrai que je rencontrais de plus en plus de mutants. Certains d'entre nous prenaient moins la peine de se cacher, mais à en juger par la réaction de Rylie à ma remarque, elle, prenait soin de dissimuler son secret. A peine eus-je ouvert la bouche que la brunette sursautait en reculant, manquant de se retrouver avec les jambes coincées sous la plaque, mais bien sur, d'un geste rapide de la main elle précipita le lourd objet contre un mur, me faisant sursauter. Elle se redressa alors, époussetant son jean en vitesse avant de me répondre: « Ce n'est pas ce que tu crois. » Ahahah, la réponse qui tue. Non, j'ai eu une hallucination, cette plaque ne venait pas de flotter au dessus de sa tête. Même si je n'avais pas cru en l'existence des mutants, l'excuse ne serait pas passée. Je me contentais d'arquer un sourcil,incrédule face à sa réponse, et Rylie décida alors de répondre avec dédain. « Quand tu seras décidée à me dire comment tu fais pour avoir toutes ces pistes, on pourra peut-être parler. » Ouh, touché coulé, elle remettait sur le tapis mes fameuses "sources" que j'avais tant de mal à lui révéler - ce qui est logique puisque ma seule source, c'est ma tête. « Sérieusement Rylie ? » Sans la quitter du regard, j'avançais d'un pas dans sa direction, puis d'un deuxième, décroisant les bras en haussant les épaules d'un air outré. « On a plus le droit d'avoir les bons filons pour découvrir des scoops maintenant? Tu devrais t'en réjouir pourtant, ils te profitent plus à toi qu'à moi. »

L'ambiance s'était électrifiée en moins d'une seconde dans la pièce délabrée. Notre relation était tendue depuis le début. Et pour cause : je savais qu'elle me cachait quelque chose. Savait-elle que j'avais aussi un secret, avant aujourd'hui ? En tout cas, désormais, le doute n'était plus permis. Ma seule échappatoire aurait été qu'Aerith soit bête comme ses pieds et gobe toutes les excuses lamentables que je lui servirais. Mais bien entendu, pour me compliquer la tâche, j'avais en face de moi quelqu'un de très intelligent. Lui mentir n'était pas la solution, je le savais, mais je ne pouvais m'empêcher d'au moins nier l'évidence. « Sérieusement, Rylie ? » Elle fit un pas en avant, je m'écartai d'un mètre en feignant m'occuper d'aller déposer les feuilles dans une pochette plastifiée. Lorsqu'elle fit un deuxième pas dans ma direction, mon dos buta contre le mur, annulant toute possibilité de m'écarter discrètement. Je n'aimais pas que les gens bouffent mon espace vital. Surtout lorsque je me sentais menacée à ce point-là. « On a plus le droit d'avoir les bons filons pour découvrir des scoops maintenant? Tu devrais t'en réjouir pourtant, ils te profitent plus à toi qu'à moi. » Quel culot. Malgré ma nervosité, je ne pus m'empêcher de rire sarcastiquement suite à sa remarque. Certes, c'était vrai. Mais après ce que j'avais subi avec Nicolas, je n'avais confiance en personne. Persuadée que son comportement n'était pas clair, je m'étais mis en tête qu'il y avait de fortes chances qu'elle fasse partie du mouvement hunter. Je ne me gênai d'ailleurs pas pour lui faire part de mes soupçons, me décalant d'un pas sur le côté. « Justement. Je me demande ce que toi, tu en tires. Pourquoi est-ce que tu me files tes bons plans, mais surtout : comment tu sais tout ça ? » Ce sentiment de danger imminent, je ne l'avais pas ressenti depuis quelques années. Je détestais ça. Cette impression d'impuissance, de se retrouver au pied du mur. C'étaient des sensations avec lesquelles j'avais du mal à jongler, puisque je cherchais constamment à avoir le contrôle sur tout ce qui se déroulait autour de moi. On m'avait dupée une fois et même si la technique de Nick n'avait aucun rapport avec celle d'Aerith, ils pourraient très bien avoir tous les deux la même motivation. « À moins que tu en fasses partie. C'est vrai, au fond... Si tu fais partie de ces attaques, tu serais au premier plan pour me filer les informations ensuite. Les 'bons filons', comme tu les appelles. Dis-moi, Aerith, il ne s'agit vraiment que de bons filons, ou est-il plutôt question de quelqu'un qui cherche à médiatiser ses propres crimes ? » Mon allure était confiante, mais à l'intérieur, la panique de revivre une scène encore trop fraîche dans ma mémoire, faisait des ravages.

Rylie semblait me craindre, et c'était une sensation véritablement étrange, de voir quelqu'un se sentir menacé par moi. A mesure que je m'approchais d'elle, elle se décalait, comme si elle craignait que je ne lui fasse du mal. Et pourtant, si je pouvais devenir agressive envers certaines personnes, jamais je n'oserais blesser un transmutant, surtout Rylie, avec qui - en général - je m'entendais plutôt bien. Alors que son dos se heurtait à une paroi, elle se décala encore d'un pas de moi et je la regardais, sourcils arqués. « Justement. Je me demande ce que toi, tu en tires. Pourquoi est-ce que tu me files tes bons plans, mais surtout : comment tu sais tout ça ? » Je fronçais les sourcils, elle devenait menaçante... Comme si elle me reprochait d'avoir un quelconque lien avec ces massacres. Je secouais la tête, ne comprenant pas sur le coup, jusqu'à ce qu'elle continue, me clouant sur place. « À moins que tu en fasses partie. C'est vrai, au fond... Si tu fais partie de ces attaques, tu serais au premier plan pour me filer les informations ensuite. Les 'bons filons', comme tu les appelles. Dis-moi, Aerith, il ne s'agit vraiment que de bons filons, ou est-il plutôt question de quelqu'un qui cherche à médiatiser ses propres crimes ? » J'ouvrais légèrement la bouche, choquée par ses paroles. Non... Elle ne me soupçonnait pas sérieusement d'être un hunter? Mais ses raisons étaient justes... Trop justes, et je ne pouvais pas supporter une seconde de plus d'être comparée à ces monstres. Je devais lui dire, après tout, nous étions pareilles, non ? Je m'approchais à nouveau, la mine déconfite. « Non.. Écoute Rylie... » Je tendais le bras pour l'empêcher de s'échapper, pour qu'elle m'écoute lorsque j'allais lui dire qui j'étais. Contre toute attente, moi qui lors de contacts physiques avec Rylie n'avais jamais eu de vision, c'est en effleurant à peine son bras pour l'attraper que je me figeais, traversée par un flot d'images. Une forêt, et Rylie, jeune, seule, avec un homme qu'elle semblait connaître et apprécier. Jusqu'à ce que j'entende ses mots, que je le voies sortir son arme.. Je tressaillis, lorsque je compris qui il était.. Ce qu'ils étaient, puisqu'il fut vite rejoint par d'autres. J'ouvrais brusquement les yeux lorsque Rylie, dans un élan désespéré, retourna leurs armes contre eux, pour sa propre survie. Je fus surprise de constater que j'étais au sol, ma tête me faisant douloureusement mal et mon bras ensanglanté. Je redressais mon regard incrédule vers Rylie. « Je ne suis pas comme eux Rylie.. Je ne suis pas un hunter. » Articulais-je difficilement en me massant la tempe. « Je suis comme toi. » J'inspirais profondément. Je voulais lui expliquer que moi aussi, j'avais eu affaire aux hunters, mais je n'en avais pas la force.

Dans ma courte vie, je m'étais laissée manipuler trop souvent. Nicolas m'avait toujours enveloppée de ce foutu ensorcellement qu'aujourd'hui encore, je ne comprenais pas. Depuis que je le connaissais, je le trouvais étrange. Il était le seul à s'intéresser à mon don et son intérêt était toujours poussé plus loin que de l'émerveillement. C'était du vice, pur et simple. Je me souvins de cette matinée où nous étions partis nous balader dans Green Park et qu'il m'avait demandé de subtiliser son portefeuille à une vieille dame. J'avais refusé catégoriquement, mais encore une fois, il m'avait poussée à bout. La colère bouillonnait tellement en moi que le portefeuille était arrivé entre mes mains sans que je ne me rende compte de ce qu'il se passait. Comment n'avais-je pas pu voir avant qu'il ne braque un flingue sur mon front, que cette relation était destructrice ? Aujourd'hui, Aerith se tenait devant moi, incrédule, voulant me faire croire qu'elle n'était pas l'une des leurs. Comment la croire ? « Non.. Écoute Rylie... » Sa main se posa sur mon avant-bras pour me retenir et la panique fit cesser mon cœur un instant. La seconde suivante, je la projetai en arrière sans le vouloir. J'avais tellement souhaité silencieusement qu'elle s'éloigne de moi, que mon pouvoir avait pris le relai pour me protéger. Horrifiée de m'être à nouveau laissée dominer par ce don, je regardai sa fine silhouette allongée sur le sol. Un filet de sang dégoulinait de son bras, perlant jusqu'à la surface brûlée sous son corps. J'avais eu peur pour elle et pourtant, la fureur émanait toujours de mon être tout entier. Mes muscles tremblaient et ma respiration était hachurée. Quelque chose venait de se produire ; j'avais clairement vu son regard se voiler avant de lui faire traverser la pièce. Comme si elle était absente. D'ailleurs, elle venait seulement de se rendre compte que je l'avais envoyée valser. « Je ne suis pas comme eux Rylie.. Je ne suis pas un hunter. Je suis comme toi. » Ses mots me firent réagir au quart de tour. En trois secondes, j'avais traversé la pièce en de grandes enjambées et je soulevai son corps fébrile sans ménagement, la plaquant contre la paroi usée du mur. Mon regard émeraude était baigné de larmes, mes mains tremblant contre son col. « Pourquoi est-ce que je te croirais ? » Mes bras perdirent leur force, alors mon cerveau prit le relai, la maintenant en l'air tandis que je gardais mes mains agrippées à ses vêtements pour faire bonne figure. Oui, j'avais encore l'espoir inconscient que ma bourde soit rattrapable si je faisais semblant de ne pas posséder ce don que je venais d'utiliser devant elle et contre elle. Quelle blague. Je fulminai, prise entre la panique et la colère. « Dis-moi comment tu as su tout ça, comment tu sais où se trouve tout ce que tu me montres. Dis-moi ce qu'il vient de se passer il y a quelques secondes et peut-être que je te croirai. » J'ancrai mon regard au sien, la suppliant de me prouver que j'avais tort. Qu'elle n'était pas de ceux qui avaient tourné mon existence en véritable cauchemar.

Je voulais lui faire comprendre que je n'étais pas le genre de monstre qu'elle fuyait, mais j'étais à cours de mots. Qui plus est, en l'espace de quelques secondes à peine, mon dos heurtait douloureusement le mur, ma gorge emprisonnée sous ses doigts qui empoignaient mon col. « Pourquoi est-ce que je te croirais ? » J'émettais un bruit, un espèce de couinement, je suffoquais, cherchant de l'air comme je le pouvais. Elle desserra sa prise, me laissant retrouver l'usage de mes voies respiratoires, mais je n'avais pas bougé d'un centimètre pour autant, et je savais pertinemment que c'était elle qui faisait ça. Elle et son don. « Dis-moi comment tu as su tout ça, comment tu sais où se trouve tout ce que tu me montres. Dis-moi ce qu'il vient de se passer il y a quelques secondes et peut-être que je te croirai. » Je lisais dans son regard combien elle était blessée, et j'avais le regard brillant. Était-ce à cause de la douleur ? Ou bien était-ce suite à ce que j'avais vu plus tôt? Je déglutis avant de marmonner comme je le pouvais, soit difficilement « Je déteste les hunters... Ils m'ont volé mon meilleur ami.. C'était un mutant. Comme moi, comme toi.. Ils nous ont pourchassé, comme ton ex l'a fait avec toi. » Je lus immédiatement la surprise dans le regard de Rylie, mais j'enchaînais pour empêcher une réaction violente, bougeant ma main droite comme je le pouvais. « Quand ma paume à touché ton bras.. Je l'ai vu.. C'est mon don. Ou ma malédiction.. » Je repris une bouffée d'air, accédant de plus en plus difficilement à mes mots, je toussais légèrement. « Mais si je ne touche pas quelqu'un, j'ai des visions aléatoires, qui ne sont pas reliées aux personnes. Rylie, j'ai vu cet incendie. » Voilà, c'était dit. Et Dieu ce que c'était étrange de parler de son don à une autre.

Depuis plusieurs minutes, un mal de tête lancinant me labourait le crâne et m'empêchait de remettre mes idées en ordre. Bien sûr, j'étais consciente que si Aerith avait été témoin de mes facultés spéciales, c'était entièrement de ma faute. Toute la prudence dont j'avais fait preuve depuis cette horrible nuit où l'on avait tenté de m'éliminer pour oser représenter cette dégénérescence qu'un gros pourcentage de la population mondiale voyait comme une anomalie, serait vaine si je cessais brusquement de faire attention. Je savais pertinemment que la blonde farfouillait à seulement quelques mètres de là et pourtant, j'avais été assez bête pour faire appel à ma télékinésie, à cause de quoi ? De l'impatience. C'était un trait de caractère qui s'alliait très mal avec ce don ; j'étais toujours tentée de m'en servir pour faire avancer les choses plus vite, y compris ce qui était vu comme minime ou insignifiant. Ma nervosité jouait souvent sur ma capacité à contrôler ce pouvoir et souvent, j'étais victime de ma propre étourderie. « Je déteste les hunters... Ils m'ont volé mon meilleur ami.. C'était un mutant. Comme moi, comme toi.. Ils nous ont pourchassé, comme ton ex l'a fait avec toi. » J'ancrai un regard enragé dans l'azur, qui me fixait comme une supplique. La prise invisible se resserra autour de sa gorge suite à mon ordre silencieux et je me reculai d'un pas, la laissant paralysée contre le mur, ses pieds se balançant à vingt centimètres du sol. Je ne retirais aucun plaisir malsain en créant cette scène abominable ; je cherchais simplement à me protéger. Comment pouvait-elle savoir pour Nicolas ? Je n'en avais jamais parlé à personne à Radcliff. Mon esprit resta hermétique à "l'information" concernant son propre passé, continuant de croire qu'elle avait inventé cette histoire de toutes pièces pour abaisser ma garde. Quand le col de sa propre veste se resserra de façon menaçante autour de son cou, je la vis paniquer et s'empresser de continuer. « Quand ma paume à touché ton bras.. Je l'ai vu.. C'est mon don. Ou ma malédiction.. Mais si je ne touche pas quelqu'un, j'ai des visions aléatoires, qui ne sont pas reliées aux personnes. Rylie, j'ai vu cet incendie. » Abasourdie, ma concentration cessa de se focaliser sur ce que j'étais en train de lui infliger et elle tomba lourdement au sol, son corps fin se recroquevillant sur lui-même sous la force de la chute. Bouche bée, mon cerveau s'ancra dans un amas de suggestions pour vérifier si elle allait bien, mais sitôt cette résolution prise, la panique me fit lâcher prise une nouvelle fois et j'entendis un craquement de bois sur ma droite. Un seul coup d’œil me suffit à m'accroupir d'instinct, pour éviter un morceau de canapé délabré qui vola dans ma direction, sous ma propre directive. Jamais encore, je n'avais mis ma propre vie en danger à cause de cette foutue télékinésie. Apparemment, il y avait une première fois pour tout. Pantelante, je restai figée au sol un instant, posant deux doigts sur mes tempes. Je les massai délicatement, incitant mes émotions à se remettre en ordre, pour la sécurité d'Aerith, pour ma propre sécurité. Pendant cette minute que je pris pour me rassembler, je ne prêtai pas du tout attention à la blondinette toujours au sol. La peur et la panique me submergeaient et créaient ce tourbillon déroutant dans ma tête, qui avait des airs d'apocalypse.  « Désolée, désolée, désolée .. » répétais-je en boucle sans réellement m'adresser à qui que ce soit en particulier. Je basculais d'avant en arrière sur la plante de mes pieds, encadrant mon crâne de mes paumes et cherchant toujours cette paix intérieure qui tardait à se pointer. Enfin, je gagnai la bataille et réussis à me contrôler, puis j'ouvris les yeux timidement. La crainte de faire voler un autre débris à travers la pièce me tordait l'estomac, mais je ne pouvais décemment pas rester stoïque toute la journée. Doucement, je levai le regard vers Aerith, une ombre désespérée dans les yeux. Je devais, à coup sûr, ressembler à une psychopathe, me balançant comme quelqu'un qui entendrait des voix dans sa tête. « Tu .. tu dis que tu as vu cet incendie .. ? Comment ? » Je soupirai et me laissai tomber au sol, mes genoux regroupés contre ma poitrine. « Tu m'as dis que tu avais .. des visions ? Ça veut dire que tu as vu l'incident avant qu'il ne se produise ? » la questionnai-je sur un ton involontairement accusateur.

J'avais vu cette même maison, ses flammes dévorant les murs et autres tapisseries, ainsi que les corps de ses habitants... Et ce n'est que lorsque je révélais cette triste vérité à Rylie que celle ci relâcha son emprise sur moi. Malgré tous mes efforts pour atterrir sur mes jambes, je m'écroulais lourdement au sol, me recroquevillant pour amortir la chute. Je venais de lui faire comprendre que je faisais vraiment partie des dégénérés, et la brunette semblait particulièrement perturbée par cette réalité, puisqu'elle manqua de se faire assommer par un meuble qu'elle s'était sans doute auto-lancé avec son don.. Sourcils froncés, je la regardais reprendre lentement ses esprits, complètement paniquée.. Elle n'avait pas l'air d'être habituée à ce genre de chose. « Désolée, désolée, désolée .. » Sourcils arqués, je continuais de la dévisager, incrédule, accroupie et recroquevillée, comme si elle cherchait ce petit truc qui lui permettrait d'ouvrir les yeux. Silencieuse, je l'observais, n'osant pas faire un geste brusque. Je n'avais pas envie d'être réduite en bouillie ou en complément alimentaire pour chien, écrasée sous un meuble qu'elle m'aurait jeté. Enfin, après quelques longues secondes qui me parurent interminables, je finis par la voir ouvrir les yeux, immobile au premier abord, jusqu'à ce qu'elle se risque à me regarder, me demandant en se balançant d'avant en arrière: « Tu .. tu dis que tu as vu cet incendie .. ? Comment ? » Une ombre de douleur traversa mon regard à ce souvenir douloureux, et je hochais la tête. Elle soupira, et se laissa de nouveau tomber au sol, de mon côté, je me glissais contre le mur, genoux regroupés contre ma poitrine. « Tu m'as dis que tu avais .. des visions ? Ça veut dire que tu as vu l'incident avant qu'il ne se produise ? » Son ton était accusateur, si bien que je fronçais les sourcils. « Je n'ai aucune influence sur ce genre de vision.. Ni même sur aucune, je n'ai jamais réussi à en changer le cours.. Si j'avais pu les avertir, leur dire de fuir... » Bien sur que je l'aurais fait. Je pinçais les lèvres, rongée brièvement par le remord quand je songeais à toutes ces situations que je n'avais pas été en mesure d'amortir, d'alléger. « Mes visions sont .. Courtes, confuses, surtout quand elles ne sont pas en rapport avec quelque chose que j'ai touché. J'ai vu l'incendie, mais j'ai été incapable de le localiser jusqu'à ce que j'entende parler d'un feu dans cet état.. J'ai alors fait le rapprochement. » Et puis... J'avais une peur bleue des hunters, aussi, bien que j'aie envie de leur arracher les yeux. A cette pensée, je regardais autour de moi en inspirant profondément. « D'ailleurs.. Je pense qu'on devrait filer et parler de tout ça ailleurs... Je n'ai pas envie de voir un hunter débarquer avec un fusil à pompe braqué sur nous. » Qui plus est, cet endroit me donnait la chair de poule. Je me redressais difficilement, attendant une quelconque réponse de Rylie, réponse que j'espérais positive.