silent screams, and uninvited ghosts
— CARLISLE & LILO —
Des couloirs vides. Un manoir immense qui trônait, solitaire au milieu de cette ville perdue. Un château aux yeux d'une orpheline comme la Valentine. Et un château avait besoin d'une princesse. La gamine s'en portait donc garante de cette couronne, devenant discrètement la locataire indésirable. L'endroit était si vide, elle en avait presque pitié. Le froid mordant de l'hiver était presque omniprésent à l'intérieur, y partageant la même ambiance. Pourtant, elle trouvait refuge dans les draps abandonnés de l'une des chambres depuis quelques temps déjà. Elle pourrait aller chez Sam, s'y cacher un bon moment. Là-bas, elle était le bienvenu. Elle n'avait pas besoin d'être cette ombre. Mystérieuse et silencieuse qui s'enfonçait la tête sur l'un des oreilles d'un manoir dont elle ne connaissait rien, dont elle ignorait la nature de ses habitants. Oui, habitants qu'elle n'avait jamais croisés encore. Le vide et l'immensité de l'endroit lui permettant de passer inaperçue... du moins, assez pour ne pas être tombée sur eux encore.
Lui, elle, des gamins, peu importe. Elle ne savait pas exactement. Tout ce qu'elle savait, c'était que l'endroit était grandiose, respirait le luxe. Un luxe qu'elle n'avait jamais connu, se contentant du siège arrière de voitures volées depuis si longtemps déjà. Ce grand manoir, ne lui offrait pas seulement un toit sur sa tête, mais aussi un sentiment d'appartenir à une vie si lointaine de la sienne... s'en était un soulagement. Alors la nuit, elle traversait les murs, trouvait une chambre vide et isolée. Si cachait. Y dormait. Porte verrouillée bien souvent pour ne pas tomber sur des visiteurs indésirables... comme les véritables propriétaires par exemple. Parfois, les quatre murs l’accueillaient en plein jour quand l'envie lui prenait. Au gré de ses désirs, de son emploi du temps chaotique ou seules les soudaines idées portaient ses pas.
Elle s'ennuyait du vieux Will, ses paroles rassurantes et même ses remontrances. S'il la voyait, jouer boucle d'or dans un endroit pareil, elle savait déjà ce qu'il dirait.
T'as vraiment envie de trouver les emmerdes, tu le cherches, pas vrai ! Non, elle voulait pas trouver les ennuis... mais elle n'allait pas passer sa vie à avoir peur, dans un coin. Toujours tâter son chemin de peur de trouver un piège à chaque pas. Elle préférait le danger,
vivre ! Et si elle attirait les problèmes sur son chemin, elle n'avait qu'à trouver des solutions ensuite. Elle s'était débrouillée seule de toute façon avant l'arrivée de son vieux mentor dans sa vie. Elle avait survécu deux ans, sans lui. Seule, rejetée, délinquante pour survivre. Elle préférait donc de loin, demander pardonner que de se priver. Ah ! elle, dire pardon ? Elle n'en prenait même pas la peine. Intrépide petite fouine. Prise la main dans le sac, elle disparaissait souvent bien aussi vite qu'elle était apparue. Maintenant qu'elle était seule contre le monde entier, Will encore profondément endormi, elle perdait lentement le contrôle. D'elle-même, de sa vie. Sa prudence ayant prit le bord depuis si longtemps qu'elle ne se souvenait même pas c'était quand la dernière fois qu'elle avait fait un plan.
La nuit commençait lentement à tomber quand elle vint une nouvelle fois chercher les ennuis dans ce manoir aux apparences abandonnées. Elle avait remarqué la lumière ouverte à l'étage et cela ne l'avait pas empêchée de plonger la tête, puis son corps dans ce château immense, pour une dizaine... millième fois ? Elle ne savait plus. C'était presque un miracle que le ou les habitants ne soient pas encore tombés sur elle. Quels idiots... ne pas se rendre compte qu'une gamine clandestine filait dans les couloirs. À pas de souris, comme les petites bêtes qui habitent souvent les murs des maisons les plus crades possibles. Silencieuse, elle entendait les pas à l'étage et dans la pénombre du manoir, elle se dirigeait déjà vers la cuisine. Son ventre criait famine, elle n'avait pas mangé de toute la journée. Il n'était pas étonnant que l'orpheline soit si frêle et maigre... Taille parfaite pour une fouine comme elle, mais peu agréable quand le ventre protestait ainsi. Elle entra dans la salle où traînait probablement quelques assiettes ou nourritures. Elle se dirigea vers le grand réfrigérateur et fut aveuglée pendant un instant par la lumière vive de ses néons. Elle parcourut ensuite du regard les étagères froides, à la recherche de quoi se sustenter un peu. D'un geste souple, elle passa son doigt sur le glaçage d'un gâteau chocolaté qui traînait juste là, sous ses yeux. Puis, une pomme. Elle mordit dedans à pleine dents avant d'abandonner le frigo et se diriger déjà vers l'une des chambres. Passant à travers murs et meubles sans rien pour pouvoir l'arrêter. Elle s'éloigna le plus possible de la chambre qu'elle devinait occupée par l'un des habitants et trouva une petite salle de repos à l'autre bout du manoir.
Elle prit une couverture qui traînait non loin et s'installa sur l'un des divans, terminant de déguster sa pomme. Couvrant ses épaules, elle perdit ses yeux dans la cheminée à l'autre bout de la pièce. Elle était fatiguée, à bout de souffles après tant de jours à courir, rieuse, entre les pattes des habitants pathétiques de cette ville. Lentement, sa tête s'appuya sur un des coussins, sa respiration se faisait lente. Le soleil n'était même pas complètement couché, glissant une lueur faible entre les rideaux épais de la salle quand elle perçut soudain un mouvement tout près d'elle. Beaucoup trop près. Elle n'avait même pas eu le temps de réagir qu'elle sentit aussitôt une piqûre désagréable pincer la peau de son cou. Elle sursauta et se défit aussitôt de l'aiguille dans sa nuque. Pomme et couvertures volèrent vers la silhouette sombre qu'elle devina à ses côtés. Elle s'élança aussitôt vers l'autre bout de la pièce pour mettre le plus de distance entre ce soudain intrus sorti des ombres, de nulle part. Jambes et bassins traversèrent l'un des sofas et elle se préparait déjà à passer à travers le mur de la cheminée pour fuir le manoir sans demander son reste.
Bam ! elle se heurta plutôt à la brique froide, incapable d'utiliser son pouvoir sur le haut de son corps. Merde, merde, merde !
Légèrement sonnée mais tenant encore sur ses deux jambes, elle se retourna aussitôt vers le nouveau venu. «
Héé, c'pas sympa de surprendre les gens comme ça. » Ton ironique, un peu plaintif. Petite effrontée plutôt mal placée pour parler. La main portée à sa tête, elle observait l'homme que seuls les quelques divans la séparaient encore de lui. Le plus dérangeant dans tout cela, c'était qu'elle savait qu'un venin coulait dans ses veines, l'empêchant pour le moment d'utiliser son don. Son seul échappatoire. Non, elle devait trouver un moyen de filer. À moins - elle en doutait - que l'homme soit aussi accueillant que Sam, elle devait se bouger et vite...