Alors autant le dire tout de suite : terminer enseveli sous la terre et divers décombres après avoir été tabassé, frappé, énervé, enquiquiné et pour finir mis en joue par une arme de petit calibre, ce n’est pas franchement la conception qu’a Razen de l’achat simple et rapide d’une boite de sardine. Non, vraiment, ce n’est pas ce à quoi il s’attendait. Un cri d’avertissement, c’est tout ce qu’il a pu émettre avant de se jeter sur Gabriela pour la plaquer au sol. Il a senti venir le tremblement, ses doigts ont vibré au rythme de la terre, dans une diffusion brute de savoir et d’appréhension. Et les voilà à présent coincés comme des rats pris au piège, toussant et suffoquant. L’effondrement est arrêté depuis quelques secondes à peine que déjà l’anglais essaye de s’extirper de la terre et des décombres qui s’infiltrent dans ses veines comme autant de parasites. Puis l’inquiétude arrive, le prend à la gorge comme une odeur putride. Sa main vient d’effleurer un corps, inerte. Elle est morte. Sauf qu’il ne peut savoir qui sait. Et il ne peut savoir, non plus, s’il est le seul. Sa cheville explose de douleur lorsqu’il tente de tirer dessus pour la dégager de l’étai qui a chuté sur eux. Sa voix résonne, avec un désagréable air de déjà-vu. Un sursaut, il entend bouger. « Tes.. Qu... » Putain de merde. C’est la première pensée qu’il arrive à articuler, dans un mouvement de lèvres silencieux. L’un des désavantages de sa mutation, c’est qu’il a des facilités de compréhension tout bonnement exaspérantes. Et ça l’aide pour reconnaître les démarches et plus encore les voix. Et forcément… Connasse a survécu. « Gab... » La voix s’est rapprochée, Razen peste dans un murmure. « C'est bon... c'est bon, je suis vivante... » Il se redresse, tire encore sur sa jambe mais elle refuse de se déloger. La douleur dans sa cheville augmente et à cet instant, l’anglais peste davantage encore. Il aimerait, parfois, que sa mutation agisse sur lui au lieu d’agir sur le reste, qu’il puisse savoir si sa cheville est foulée, contusionnée ou carrément cassée. Il entend de l’agitation, des voix, ses mains tâtonnent autour de lui à la recherche d’indices et d’aide. Une nouvelle fois, il percute le cadavre. Sam. Sa seule alliée aux dernières nouvelles. Joie, bonheur et salsifis dans sa vie. Il ne manquerait plus que les deux garces le laissent coincé, en bonnes imbéciles. Il ne manquerait plus, aussi…

« Okay... Est-ce que tu as atrocement mal quelque part ? Épargne-moi les remarques pleines d'ironie, je veux juste savoir si on peut tenter de bouger les débris sans risquer de te tuer. » Razen fronce les sourcils. Grimace en agitant les orteils. Pas d’ironie ? Dommage, c’est toujours le meilleur moyen de dédramatiser une situation comme celle là et l’atmosphère plus que tendue et déprimante. Mais lorsqu’il effleure sa main, à la recherche d’un contact tangible, Razen n’a pas besoin de davantage pour comprendre qu’ils en ont tous assez et que si l’humour et l’ironie sont ses moyens de juguler son stress, elle n’a pas besoin de ça pour le moment. Inspirant lentement, il finit par désigner du menton la localisation approximative de sa cheville. « Cheville amochée je pense, mais pas fracturée normalement. Mais… » Sa main tâtonne devant lui, tapote un débris. Il se penche davantage, comme il le peut, parcourt tout ce qui est à portée de main et finit par s’arrêter sur un morceau de pierre imposant. « Celui-là. Si je ne me trompe pas, et il ne se trompe jamais, « si tu peux le déplacer, il devait enlever son poids et… » Il est lui toujours compliqué d’expliciter ce qu’il sait intuitivement. Il rend rapidement les armes, dans un soupir. « Bref, c’est celle-là qui maintient tout et qui présente le moins de risque. » Et qu’elle ne lui demande pas comme il le sait, il risquerait de retomber dans les sarcasmes. Un temps de latence, le voilà qui se mord la lèvre. « J’ai entendu l’autre, là. Vous n’avez rien toutes les deux ? Sam est morte, c’est bien ça ? » Il laisse retomber sa tête sur les gravats, fermant ses yeux inutiles. « Aux dernières nouvelles, la mine n’avait plus de sortie, mais peut être que le deuxième effondrement a dégagé un passage. Dans tous les cas, il va falloir être plus que prudent, j’ai l’impression que toute la structure est instable. Il va sérieusement falloir qu’on s’entraide, je suis votre seul moyen de prévoir les éboulements, je crois. » Il va falloir qu’on s’entraide. Quelle excellente blague, parfois Razen loue son sens de l’humour.

Razen n’est pas particulièrement résistant. S’il approche sérieusement de la quarantaine, il n’en reste pas moins un mec presque normal, et dans ses capacités, il n’y a pas une résistance accrue à la douleur. Et sans être particulièrement douillet, l’effondrement réveille ses muscles, coince surtout sa jambe sous la roche, l’écrase, le fait suffoquer. Il ne lui faut pas longtemps pour se rendre compte qu’ils vont être contraints de collaborer. Et de collaborer vraiment cette fois : si l’heure n’a jamais été à la plaisanterie, même l’ironie et les sarcasmes ne sont désormais plus d’actualité. Il entend les deux femmes discuter, attrape un prénom au passage pour le substituer au Connasse qu’il lui a gracieusement offert un peu plus tôt. Gabriela, il résiste furieusement à l’envie de l’appeler Gaby pour aller plus vite, pose la situation : il répond sur le même ton. Cheville amochée, il est incapable malgré son don de savoir dans quel état elle est. Pour le reste en revanche… il ne lui faut que quelques tâtonnements pour comprendre son environnement et déterminer les pierres qui lui permettront de se redresser pleinement. S’il ne voit rien, l’aveugle, il entend. Et il entend surtout la troisième mettre une bonne poignée de seconde à se décider pour aider Gabriela. Elle mérite bien son surnom de connasse, sérieusement, cette petite garce. « Ça va, on est vivantes... Sam a eu moins de chance que nous, la pauvre... On s'entraide, je te dépose à l'hôpital une fois qu'on est sortis de là et après je ne veux plus jamais te voir de toute ma vie. » Il retient de justesse, encore une fois, un je sais qui pourrait être mal perçu et sitôt dégagé, il achève son topo sur la sortie de la mine. Sur l’absence de sortie, justement, d’un peu plus tôt. Prudence, rapidité… ils auraient perdu bien moins de temps si elles avaient accepté de donner leurs noms pour qu’il puisse les repérer sans faire de chichis. Razen serre les dents, garde ses reproches pour lui-même. Pas besoin de perdre davantage de temps avec des imbéciles : Gabriela a tout résumé. Trouver la sortie, s’entraider, se séparer, voilà qui est l’idéal. « Je vais jeter un coup d'œil à ta cheville. Vous avez de la chance, je suis médecin. » Razen ne peut pas s’empêcher, cette fois, de ricaner. « Une foutue chance que voilà, ouais, ça donne envie pour la suite. » Pitié, qu’elle ne le prenne pas méchamment, il veut juste détendre l’ambiance. Surtout qu’il la laisse palper sa cheville pour qu’elle se fasse un avis. Capable de citer toutes les imperfections du corps de la jeune femme, Razen n’a aucun moyen de connaître l’état de son propre corps, si ça c’est pas pitoyable. « C'est une belle foulure... Il faudra la prendre en charge rapidement, ça n'a l'air de rien mais ça pourrait empirer rapidement si les nerfs ont été touchés. Évite de poser le pied par terre. Appuie-toi sur moi, je vais t'aider à marcher. » Sans se faire prier, il attrape son épaule, serre les dents et se redresse comme il peut. De toute manière, déjà qu’un aveugle ce n’est pas très autonome de base, mais un aveugle éclopé, ça commence à faire une putain de blague.

« Je t'en prie, ouvre la voie. » Il sent son mouvement de bras, ses doigts effleurant son épiderme au niveau de sa nuque. Un simple contact qui suffit largement à l’Anglais pour savoir tout le reste. « Par... Par où ? » Ignorant la discussion entre les deux femmes, le voilà qui tâtonne, trouve une paroi et se concentre. Sa mutation fourmille au bout de ses doigts. Sa mutation s’électrise, il la projette partout autour de lui, sur cette paroi instable, luttant pour ne pas se laisser distraire par la pointe de douleur qui transperce ses côtes, sa cheville et tout le reste. Alvin va faire une drôle de tête en le voyant débarquer. Il doit se fermer à la douleur, fermer à son ouïe, fermer aux odeurs, fermer à tout le reste. Parce qu’il cherche quelque chose en particulier, il ne laisse pas simplement sa mutation dériver contre son gré. Il étend sa compréhension de la mine le plus loin possible, dessine dans son esprit le réseau de galerie, esquive les étais qui lui sont invisibles, saute d’un grain de terre à un autre. Rapidement, une migraine se pointe mais il l’ignore, rapidement une goutte de sang perle à son nez, mais il l’ignore. Et il trouve ce qu’il cherchait. Titubant, il s’accroche à Gabriela comme un désespéré. « C’est pas là » Il désigne le vide. De toute manière, pour lui, tout n’est qu’une succession de vide. Lorsque ce n’est pas plein. « La structure est vraiment instable, il va falloir qu’on fasse vite. Au premier embranchement, ce sera à droite. Puis à droite encore. On saute deux croisements et on arrivera à une sortie encombrée en tournant sur la gauche. » Il essaye d’être précis, retraçant le chemin dans ses pensées, les yeux inutilement fermés, concentré pour ne pas, ne surtout pas perdre le réseau complexe de la mine. Bien sûr, il ment : il ne va pas leur donner le chemin exact de lui-même comme ça, juste suffisamment pour qu’elles s’approchent de la sortie et se paument dangereusement si elles décident de l’abandonner en chemin. Mais ça, elles ne sont pas obligées de le savoir, il s’assure juste… une porte de sortie au cas où.