RADCLIFF. MANNING'S HOUSE. 14 Y.O. Le père se reposait sur le divan. Depuis la mort de leur mère, son état ne faisait qu'empirer. Elle le voyait sombrer et se sentait si impuissante la gamine. La seule chose qu'elle pouvait faire, c'était lui enlever quelques fardeaux. L'aider avec la maison, à surveiller Bailey aussi. Alors, comme d'habitude, elle était entrée plus tôt du lycée. Déjà, elle préparait des spaghettis, debout, sur la pointe des pieds au milieu de la cuisine. Elle était si concentrée, nourrit par cette envie de sauver le monde, à commencer par son père, elle n'entendit pas le gamin entrer dans la cuisine dans son dos. Son jumeau la regardait, le regard remplit d'admiration. Bailey venait de rentrer de l'école et il s'était déjà jeté sur elle alors qu'elle préparait tranquillement le souper. Il tirait sur la manche de son petit chandail, sautillait même. Totalement surexcité. On aurait dit qu'il avait une bonne nouvelle à annoncer. Elle avait beau ne pas pouvoir lire les pensées, son pouvoir à elle, c'était la guérison, elle pouvait tout de suite comprendre qu'il avait quelque chose à raconter. Comme toujours.

" Coco ! Tu devineras jamais ce qui est arrivé tout à l'heure. "

Elle le regarda, amusée. Pas besoin de rien répondre, il allait fort probablement se lancer dans une histoire sans dessus-dessous qui ne ferait pas de sens. Cependant, elle arrêta ce qu'elle faisait, au risque de se brûler et se retourna vers son jumeau qui continuait de s'attaquer à sa manche.

" Attends, je vais te montrer. Ça se peut que ça pince. "

Il agrippa le poignet de la gamine. Sans serrer, sans la griffer rien, il resta là, sans bouger à attendre que quelque chose ne se passe... mais rien. Elle attendit quelques secondes encore. À quoi jouait-il ? C'était encore une de ses blagues pas drôle du tout ? Lui faire perdre son temps ? Leur père était fatigué, un mort-vivant pratiquement mais il avait besoin de manger lui aussi. Elle retira donc son poignet après quelques instants, exaspérée. Elle ne pouvait pas vraiment être fâchée contre son petit frère (dans son coeur du moins car ils étaient nés le même jour) et soupira.

" Je n'ai pas le temps de jouer, Bae. "

Il semblait fâché et confus. Et surtout, il ne voulait pas lâcher prise. Il attira la jeune fille vers lui, continuant de tirer sur son poignet.

" Mais je ne comprends pas. Tout à l'heure j'ai fait pleurer Flinch juste en posant mon doigt sur lui. "

Il avait un regard plein d'espoir. Des espoirs qui s'effondraient lentement, au fils des secondes. Est-ce qu'il disait ce qu'elle pensait ? Qu'il avait un pouvoir, tout comme elle ? Cela faisait quelques mois qu'elle avait compris que sa simple présence, en plus de son toucher servaient à guérir le mal chez les gens autour d'elle. Leur père en avait été le premier exemple. Elle était mutante, elle le savait. Bailey aussi ?

" Je suis comme toi. J'en suis sûr. "

Elle l'observa un instant, mélangeant la soupe d'une main distraite alors que ses pensées s'envolaient dans de nouvelles contrées. Voulait-il seulement de l'attention, comme à l'ordinaire ? Ou c'était vrai. Son petit coeur solitaire espérait que ce soit le cas. Qu'en plus d'être jumeaux, pratiquement identiques, il soit un mutant. Comme elle. Elle se sentirait tellement moins seule. Avec leur père de qui elle prenait si souvent soin, savoir qu'elle partageait un truc comme cela avec son jumeau. Ce serait comme un immense poids à s'envoler de ses épaules. Elle réfléchissait. Se demandait... Son pouvoir n'avait pas fonctionné peut-être car c'était elle. Tout comme la gamine n'arrivait pas à refermer ses écorchures lorsqu'il tombait à voler ou quand il se battait avec les autres garçons, incapable de faire disparaître ses bleus.

Elle l'attrapa plutôt par la main et le tira jusqu'aù salon où se reposait leur géniteur. Malade dans l'âme, de tristes pensées qui le hantaient jour et nuit. Sauf lorsque la jeune fille était là. Par son pouvoir et à prendre soin de lui. Elle tenait fermement la main de son frère entre ses doigts et s'arrêta aux côtés de l'homme endormi. Elle l'obligea alors silencieusement à poser sa peau contre la joue mal rasée de monsieur Manning et aussitôt, ce dernier sursauta. Pas de surprise mais de douleur. Crispé, gémissant dans un grognement rauque, les jumeaux se reculèrent aussitôt. Dès que le contact fut rompu, tout sembla redevenir normal et l'homme regarda ses deux enfants, surpris. Tout de suite, Costia s'approcha et posa sa main sur la sienne. Il se calma d'un coup, et replongea dans un semi-sommeil. Elle tourna les yeux vers son jumeau. Il semblait satisfait. Triomphant. Le pouvoir d'infliger la douleur alors qu'elle soignait cette dernière. Le Destin aimait bien se jouer d'eux. Pourtant, la gamine naïve qu'elle était lui sourit. Si soulagée. Si heureuse. Il était mutant, tout comme elle. Sa moitié, le gamin qu'elle aimait le plus au monde et maintenant, elle avait l'impression qu'ils se comprenaient. Un silence où tout se disait. Sans mots pour exprimer la joie. Les jumeaux Manning. Eux deux contre le monde.

LOUISVILLE. GENERAL HOSPITAL. 25 Y.O. Bip. Bip. Bip. À chaque montée de la flèche, le son résonnait aux oreilles de la blonde aux reflets de roux. Elle se laissait bercer par le son si régulier du moniteur, la tête appuyée sur sa chaise, les yeux fermés, recroquevillée dans une position inconfortable aux côtés du lit d'hôpital dans lequel son frère reposait. Ça faisait bien plusieurs heures qu'elle était ainsi, dans cette position étrange, mais des jours qu'elle passait ses journées à dans l'institution médicale. Et pas parce qu'elle y travaillait mais pour veiller sur son stupide jumeau qui envoyait sa vie en l'air. Malgré tout, elle l'aimait plus que tout, c'est bien pour cela qu'elle n'arrivait pas à quitter plus que deux secondes sa chambre. Elle somnolait lorsque Bailey s'agita enfin, ouvrant lentement les yeux, sa main serrée mollement dans la sienne, elle se rendit compte et sursauta presque. Sa nature nerveuse, inquiète, le sommeil ne réussit pas à la garder captive plus longtemps alors qu'elle sentait sous ses doigts son jumeau reprendre lentement vie. Elle relava la tête et posa son coude sur le lit à côté de l'épaule de son frère, menton qu'elle vint poser dans sa main alors qu'elle resserrait son étreinte sur les doigts du jeune homme. Il était le seul sur qui son pouvoir ne fonctionnait pas, et c'est probablement pour cela que le voir dans cet état la rendait si malade. Elle aurait voulu pouvoir lui insuffler un peu de soulagement par un simple toucher mais malheureusement, la nature en avait décidé autrement. Plutôt, elle devait voir son jumeau, si mal en point et attendre que le temps et son corps fassent eux-mêmes le travail.

" Tu ne devrais pas être ici, Coco. "

La voix du second Manning la fit sourire tendrement. Une voix faible, mais cette voix moqueuse et insolente qu'elle lui connaissait si bien.

" Il ne faudrait pas laisser Pa' seul. Je vais bien. Je peux prendre soin de moi-même, tu sais. "

Ça, elle le savait. Toujours à se lancer tête première... et le voilà, après avoir failli mourir sur le lit d'hôpital. Elle voudrait le secouer, qu'il arrête d'agir en vraie tête brûlée mais elle le connaissait que trop bien, ce serait des paroles en l'air. Alors, elle se contenta de le regarder tendrement, un petit sourire qui s'afficha sur ses lèvres, presque identiques aux siennes.

" Il est allé chercher du café. Il ne devrait pas tarder. J'ai pas l'intention de te lâcher des yeux à partir de maintenant. "

La question qui lui brûlait les lèvres. Que s'était-il passé ? Qui l'avait attaqué aussi violemment ? À quelle magouille avait-il décidé de participer ? Au fond, elle ne voulait pas vraiment savoir, mais sa curiosité maladive résonnait à ses tympans comme une agaçante mouche qui ne voudrait pas la laisser tranquille. Elle savait qu'il vivait sa vie à fond, parfois avec des gens peu recommandables, mais il ne l'avait jamais retrouvé à moitié mort dans une ville voisine avant. Ce fut plus fort qu'elle, elle s'approcha un peu de son jumeau, sur le ton de la confidence, non de la reproche et ajouta :

" Qu'est-ce qui s'est passé ? Qui t'as fait ça ? "

Il parut un instant mal à l'aise, comme si elle venait de réveiller un affreux souvenir à sa mémoire. Une tristesse sans nom dans les yeux, une rage sourde aussi. Elle fronça les sourcils, d'une curiosité piquée encore plus à vif autant qu'une inquiétude grandissante.

" Un groupe de gens. Ils... chassaient. Des gens comme... nous. "

Nous. Des mutants, il n'avait pas besoin d'expliquer pour qu'elle puisse comprendre exactement de quoi il parlait. Mais la surprise s'afficha sur son visage opalin. Chasser ? Tuer ? Elle savait que les mutants n'étaient pas la bienvenu, avait entendu parler d'histoires d'horreur de ce genre. Par contre, elle n'aurait jamais cru le vivre un jour. Ou du moins, de pratiquement perdre son autre moitié à cause de cela. Elle n'arrivait pas à le concevoir. Et pendant qu'une tonne de questions germaient dans sa tête, son frère lui bouillait silencieuse d'une rage qu'elle ne remarqua pas tout de suite. Quand elle reposa ses yeux sur lui, il avait repris une expression sereine et approcha sa jumelle pour la serrer dans ses bras. Et elle sourit, sans se douter de l'ombre sur leurs têtes.

RADCLIFF. DARK ALLEY. 28 Y.O. Elle ne devrait pas et elle restait immobile, incapable de bouger malgré les pulsions qui traversaient son corps. Il était là, agonisant et elle avait cette criante envie de venir à son secours même si elle avait tout vu. Oui, même si elle avait vu ce qu'il faisait. Un chasseur. Et il avait essayé de tuer l'un de ses semblables. Un mutant. Comme c'était devenu si fréquent dans cette ville qui perdait lentement ses repères. Elle était restée cachée dans la pénombre d'un escalier alors qu'elle avait entendu les bruits de bataille. Costia, la témoin de cette lutte entre deux ennemis. C'était le mutant qui avait gagné. Elle aurait dû en être soulagée mais non. Jamais elle n'allait se régaler du malheur des autres. Pas même celui d'un Hunter. C'était cette bonté qu'il la paralysait sur place, incapable de tourner le dos sur l'homme qui se vidait de son sang sur le pavé. Elle avait observé le vainqueur s'en aller, laissant l'autre pour mort. Et cet autre, elle n'arrivait pas à en détacher les yeux. Cependant, l'hésitation ne dura pas longtemps. Déjà, elle approchait. Un pas devant l'autre. Prudents, qui effleuraient à peine le sol. Dans l'obscurité de la nuit, elle pouvait deviner le chasseur par terre qui bougeait à peine. Un regard à droite. Un autre à gauche. Il n'y avait personne. Elle ne put s'empêcher de se sentir désolée. Pourquoi fallait-il répondre par tant de violence ? Laisser pour mort, seul, meurtri un homme, qu'il soit Hunter ou non ? Inconcevable pour la jeune femme. Costia l'altruiste finie. Elle s'avançait, décidée à lui sauver la vie, peu importe ses actions ou qui il servait. Arrivée à sa hauteur, elle se pencha silencieuse, s'agenouilla sur le sol froid et posa la main sur ses épaules larges pour le tourner vers elle. Évaluer les dommages, soigner les plus importantes blessures avant d'appeler du secours.

Bailey avait beau les détester, s'abaisser à leur niveau. Ça ne serait jamais elle. Jamais elle n'allait tourner le dos sur quelqu'un qui avait besoin d'elle et encore moins prendre les armes comme lui le faisait. Non, elle se contenta de poser ses doigts fins dans le cou de l'homme couvert d’hémoglobine. La sienne et probablement celle du mutant. Une légère chaleur picota sa paume alors qu'elle sentait son pouvoir agir et refermer entièrement la plaie fatale dans sa jugulaire. Elle sauvait des vies à longueur de journées, elle savait exactement quoi faire pour lui sauver la vie. Et c'est ce qu'elle fit, malgré les risques, malgré qu'elle entendait déjà son frère hurler, ne comprenant pas comment elle pouvait faire une chose pareil. De toute façon, le chasseur semblait si confus. Entre la vie et la mort qu'elle se doutait bien qu'il ne réalisait pas ce qui se passait. Enfin... elle l'espérait. Si ça venait se retourner contre elle, au moins, elle avait fait ce pour quoi elle croyait dur comme fer. Les mains couvertes de sang, elle empoigna son téléphone et appela les urgences.

" Un homme gravement blessé. Plusieurs plaies à l'arme blanche. "

Elle continua comme ça à instruire les ambulanciers jusqu'à ce qu'ils arrivent enfin. Elle les observa embarque le chasseur dans la voiture qui brillait de milles feux et elle resta là, couverte de vermeille. Vision pathétique, d'horreur mais elle était sereine. Bailey n'avait pas besoin de savoir, personne n'avait jamais besoin de savoir que cachée dans la pénombre, elle venait de sauver l'un de ceux qu'elle devrait haïr. Tout ce qu'elle avait vu, c'était un homme mourant. Hunter. Mutant. Humain. Elle s'en fichait. Elle n'allait pas rester là, les bras croisés alors que le monde se lâchait dans des actes barbares. D'un camp comme de l'autre. Elle espérait seulement qu'elle ne venait pas de signer son arrêt de mort en ayant autant foi en l'humanité...