La proie avait une nuque gracile, fine, autour d’laquelle il aurait pu enrouler ses doigts jusqu’à la mort si c’était ce qu’il avait décidé. Comme ça, dans un caprice du temps et des circonstances, comme toujours avec lui. Mais Bucky avait besoin d’elle. Elle et sa chevelure enflammée, elle et ses petits airs de gentille gazelle perdue dans une savane aride, elle et chacun des traits de son visage, qu’il vit se tendre, se tasser, se décomposer dans le reflet du rétroviseur, tandis que d’un cliquetis du cran de sécurité, il faisait connaître sa présence à l’inconnue. Oh oui, car elle lui était totalement inconnue au bataillon, avec son faciès angélique, son uniforme de madame médecine, et son parfum doucereux – c’était le destin grandiose et disgracieux, qui venait de faire s’entremêler leurs destinées respectives. Il avait fallu qu’un connard lui tombe dessus à lui, sorte son arme comme si sa vie en dépendait (ce qui avait un peu été le cas, il fallait avouer) et tire comme un dératé dans l’espoir de faire fuir le démon des ombres qui avait menacé de se jeter à sa gorge. Et dire que la situation avait mal tourné, c’était un putain d’euphémisme : c’était lui qui s’retrouvait avec une balle dans le bras, hein ! Maladroitement fichée profondément dans son épaule, là où il ne pouvait clairement pas l’atteindre – entrait en jeu la rousse et ses arômes incandescents, la petite cerise sur un gâteau qui s’était révélé avoir un arôme amer. Ah, au moins y avait-il un quelconque petit bonus dans tout c’la : quant à l’idiot qui l’avait blessé, comme on disait si bien, on n’récolte que ce qu’on sème, n’est-ce pas, hein ? Car plus loin encore qu’un simple tueur de masse ayant enfoncé sa lame dans la jugulaire de son collègue flic, Buck’ pouvait s’avérer être d’ces créatures impétueuses et rancunières, baignées d’leur fierté bien placée et prompts à faire couler le sang, plus encore, s’il y avait un prétexte là-derrière. Et quel prétexte, peut-être bien que Callahan serait fier de lui cette fois, et arrêterait de lui user les orbites à lui faire lever les yeux au ciel en vendant l’mot innocent à chacune des accusations qu’il faisait.

Bouhhh, il avait tué des pauvres petites gens innocentes – bah voyons. Le patronyme Callahan était tâché d’une hémoglobine plus vieille que l’existence du jeune rouquin, mais évidemment, y’avait certains ici-bas qui s’pensaient assez bien placés pour faire des leçons de moral. Peut-être qu’il aurait mieux fait d’l’écouter, pour ce soir du moins, une leçon qu’il retiendrait – du moins, pour les minutes à venir, le canon de son arme apposée droit contre la nuque de la jeune femme, qui se retrouvait avec ses gestes on ne peut plus limités. « Tu n’veux pas bouger, Darling – ta banquette arrière est déjà foutue, mais j’veux pas imaginer c’que ça peut faire, un cerveau éclaté dans un si petit espace. » railleur jusqu’au bout, comme s’il n’était pas en train de se vider de son sang par une toute petite plaie douloureuse. Comme si la fièvre n’avait pas gagné et endormi tout son esprit, amenant une sueur froide sur tout son corps. Dans un soupir, lâché pour ravaler une quelconque manifestation de douleur, Buck’ pinça les lèvres, se mordillant l’inférieure afin de trouver ses mots. « Démarre, on va pas moisir ici. » qu’il gronda, comme si c’était la chose la plus évidente du monde – bah, quoique hein. Ils allaient falloir qu’ils trouvent un endroit à proximité de l’hôpital, mais un tantinet plus reculé que le beau milieu du parking où passaient des dizaines de personne par minute. Au moins était-il encore un tant soit peu poli, son naturel planqué derrière des couches de douleur lancinante et assommante, un quelconque instinct d’survie, ou tout simplement la contrariété à l’état pur. Et la contrariété, c’n’était jamais bon chez lui.

Oh non, improviser, c’n’était certainement pas son truc ; appelez ça de l’intelligence, un éclair de génie, ou même juste de l’instinct de survie – mais Bucky avait toujours été c’mutant au cerveau qui tournait sans cesse, prévoyait chacune des issues possibles et imaginables dès qu’il appréhendait une situation. C’que ça pouvait être frustrant de perdre tout ça, et de se découvrir aussi idiot que le commun des mortels ! Oui, franchement, ça commençait à lui taper sur les nerfs, d’n’être qu’un larbin des circonstances, une pauvre petite vermine rampant dans la fange d’ignorance du reste de l’humanité – quelles pitoyables petites créatures qu’ils étaient. Sûrement que même cette balle, ayant violemment écorché la chair de son bras, n’avait été qu’un instinct débile de la part du pauvre type qui avait appuyé sur la gâchette. Rien de plus, qu’un vague moyen de gagner quelques secondes de vie à peine : après tout, n’avait-il pas quand même fini avec une lame plantée dans la jugulaire, comme ça, avant même qu’il n’ait eu l’temps de réaliser ce qu’il avait fait ? Crétin. Crétin, crétin ! L’insulte tournait en boucle, lascive et enragée à l’esprit du transmutant à mesure que le sang pulsait dans ses veines, la douleur électrisant ses chairs à vif, la vie s’échappant, s’enfuyant bien loin de ses volontés. Car quand bien même il avait tout compris d’la misérable condition humaine, quand bien même beaucoup d’choses n’avaient aucun secret pour lui, Buck’ n’savait pas encore comment retenir le précieux liquide carmin de se déverser dans une volonté autre que la sienne, lui arrachant d’importantes et précieuses secondes. Minutes – combien d’temps avait-il attendu avant que mad’moiselle rouquine n’arrive enfin à sa voiture ? Peut-être bien qu’elle avait pris un café sur le passage, discutaillé avec quelques-uns de ses collègues inintéressants, ou sûrement s’était-elle tourné les pouces pour quelques instants, comme le f’saient tous les imbéciles qui peuplaient cette ville.

Ugh, le maigre attrait que cet endroit miséreux avait eu pour l’gamin captif, s’était désormais totalement envolé – c’était fou quand même, l’efficacité avec laquelle une petite expérience désastreuse pouvait changer bien des choses. Meh, y’avait une façon d’faire, de la part du Destin, Il décidait certaines choses, lançait des dés invisibles pour provoquer le sort, et faire s’entrecroiser des petites vies qui n’avaient rien en commun. Vraiment, n’étaient-ils pas tous de minuscules insectes, hein ? Le rictus ironique, né à la commissure de ses lèvres aurait pu être pour l’ironie du sort, la main divine qui l’avait amené ici, si seulement il n’était pas adressé, concentré au reflet dans le rétroviseur de la jeune femme qui avait ouvert la bouche. Evidemment qu’il saignait beaucoup – aux dernières informations, y’avait beaucoup de nerfs, de veines et de petites choses importantes dans un bras. « C’est que t’es observatrice. » lâcha-t-il, un éclat de rire dans la voix, quand bien même il roula des yeux avec une exagération quasi-théâtrale – ugh, qu’est-c’qu’elle espérait ? Que prétendre se préoccuper de son sort freinerait la balle une fois qu’il aurait décidé de presser la détente ? Ces p’tites choses de merde fusaient vite, il en avait fait l’expérience y’a pas si longtemps que ça – c’n’était pas faute de détester ces mécaniques-là. Lui, il préférait le tranchant d’une lame, à l’expéditif d’une simple arme à feu. Peu importait, c’était plus motivant, probablement. « Ouais, ouais, ça saigne beaucoup quand un crétin d’première qui n’sait pas viser shoote quelqu’un dans l’bras quand il visait probablement… la tête ? » y’avait quand même de quoi remettre en question l’efficacité de c’pauvre type. Quitte à l’énerver, il aurait quand même pu n’pas manquer sa cible originelle. Bref, d’un geste nerveux, du canon du flingue, il indiqua une ruelle parallèle à l’hôpital – pas bien loin, mais définitivement à l’abri des regards indiscrets. Et y’en avait, des putains d’regards indiscrets, des petites fouines qui n’avaient rien d’mieux à faire de leur journée, ici, à Radcliff. « Tu peux t’arrêter là. » qu’il signifia simplement, manquant d’une politesse nécessaire, sûrement, au reste du monde. C’n’était pas comme si ç’avait été la priorité de ses parents, ou de Callahan, de lui apprendre ce genre de choses. Donc comme ça comme pour tout l’reste, il avait des circonstances atténuantes.

Fallait bien être honnête, Bucky n’avait pas beaucoup d’talent pour sympathiser avec qui que ce soit : largement, il préférerait n’avoir à dépendre de personne- il aurait suffi qu’il ait sa mutation là juste sous le nez, pour lui-même savoir quoi faire comme s’il avait étudié la médecine pendant douze longues années. Qu’est-c’que c’était rageant ! Ces petits moments indélicats où, ugh, la réalité revenait chantonner à son oreille pour lui faire comprendre à quel point il était devenu un pauvre petit imbécile qui n’pouvait qu’éponger les torrents de sang qui dégoulinaient par sa plaie. Y’avait rien d’plus détestable, probablement, que d’devoir dépendre de quelqu’un : surtout de quelqu’un d’aussi… ugh. Pourquoi est-c’qu’il avait fallu que ce soit une rousse ? Rien qu’pour ça, Bucky avait envie d’lui en tirer une entre les deux yeux- elle lui rappelait trop Eefje. Eefje et sa fausse sympathie, Eefje et son hypocrisie, cette garce qui n’payait rien pour attendre… enfin- d’une certaine façon. C’était un peu comme avec Callahan, il prenait l’temps de déguster la vie guillerette avant de s’lancer à la poursuite de cette ingrate, rien qu’histoire de semer sur son petit chemin tout un tas d’indices qui lui feraient comprendre qu’il arrivait- arrivait pour elle et ainsi d’suite. Toujours faire une entrée dramatique, même ici, avec l’adrénaline pulsant et tambourinant contre ses tempes, le Hershey pouvait au moins s’targuer d’avoir fait sursauter sa pauvre petite victime : c’était toujours amusant d’avoir le contrôle- et il aimait ça. Largement plus que de s’retrouver confronté à un gros crétin qui n’savait pas se servir d’une arme : là au moins, dans l’espace restreint, qu’il soit habile ou non avec un flingue, il n’pouvait pas louper la jolie petite tête de la jolie petite ginger. Et – oh mon dieu- heureusement pour elle qu’il avait b’soin d’elle, parce qu’elle lui tapait déjà sur le système : peut-être était-ce à cause de la douleur, hein, ça n’rendait pas très patient tout ça.

Alors la voir faire sa p’tite mascarade d’otage qui tentait de garder contenance, poussé le dégénéré à lever les yeux au ciel- c’est bon, il n’avait pas encore la gâchette facile comme l’autre gros imbécile au point d’tirer dans sa main juste pour éviter qu’elle n’allume sa p’tite lumière. Et au fond, il devait avoir plutôt belle gueule alors autant qu’elle s’fasse plaisir. Qu’ils s’concentrent donc sur le plus important, hein- « Ugh- hello-ooo. J’ai probablement perdu un litre d’sang sur ta banquette arrière tu crois sérieusement que j’vais faire tout le boulot ? » ouais fallait croire qu’avec un sale type comme Callahan comme éducateur, Buck’ n’avait pas eu beaucoup d’opportunités d’apprendre le respect l’plus élémentaire qui soit. « J’vais te dire, hein, si on sortait tous les deux ? » et sans s’faire plus prier, il n’eut besoin que de se pencher à peine, pour de sa main valide ouvrir la portière de son côté, un sourire narquois aux lèvres pour signaler à l’autre de faire pareil- il faisait d’toute manière une chaleur suffocante dans cette bagnole (ou partout, en réalité) alors un p’tit coup d’frais, ça n’pouvait pas faire de mal. « J’me doute que l’flingue c’est pas très poli- mais à vrai dire hein… t’aurais pu être un mec baraqué doublé d’un hunter- on sait jamais dans c’te ville. » ç’aurait presque pu paraître honnête comme semi excuse, si toutes ses expressions faciales n’ressemblaient pas à une vaste moquerie ; en toutes circonstances, fallait savoir prendre la vie comme elle venait. Et purée, ça, il le savait bien, qu’l’existence toute entière n’était rien d’autre qu’une énorme blague.