Les  mutants sont parmi nous.


Voilà ce que le gouvernement nous a fièrement annoncé il y a quelques années. Comme une découverte phénoménale pour la science, à l'instar de celle de je ne sais quelle espèce disparue, les mutants ont rejoint le panthéon de la grande histoire humaine. Que de grandiloquence pour une espèce parasite destinée à gangrener celle des humains ordinaires comme vous et moi...

Si cette annonce m'a étonné à l'époque ? Pas le moins du monde. J'ai toujours vécu avec la certitude que nous n'étions pas seuls, pour la simple et bonne raison que je n'appartiens pas à n'importe quelle famille. Je suis né le 24 novembre 1965 à Roswell, au Nouveau-Mexique et suis le second fils de Maria et Jonathan DeMaggio. Les mutants, nous les connaissons bien depuis plusieurs générations. Nous les trouvons, les traquons... Et les exterminons. Telle est la mission que nous nous sommes attribué il y a de cela plusieurs décennies.

Cette vie là, je n'en voulais pas. J'étais le fils cadet, le second, le petit dernier, appelez cela comme vous voudrez... Ce qui faisait toujours de moi la cinquième roue du carrosse. Tout comme mon frère, mon père n'attendit pas que j'ai dix huit ans pour me jeter un revolver dans les mains en me demandant de faire mes preuves. Là où les gamins de mon âge en était encore à des jeux innocents qui impliquaient rarement plus dangereux qu'une chute d'un arbre, je m'entraînais au tir sur de vieilles canettes de soda. Et ce n'était que le début. Mon père était un homme dur, froid et cruel, je n'ai jamais eu droit à un traitement de faveur sous prétexte que j'étais son fils. Mes journées se résumaient à cela : Il me faisait étudier toutes les mutations qu'il avait pu croiser dans sa vie, comment les reconnaître, et comment les contrer. C'est d'ailleurs à cette époque que j'ai commencé à développer un réel talent de mémorisation. Pas pour rendre mon père fier de moi, loin de là, simplement parce que si j'avais le malheur d'oublier quoi que ce soit, j'étais privé de repas au mieux, je passais la nuit à subir ses foutus entraînements au pire. D'ailleurs parlons-en, de ça ! Les premières années, c'était mon père qui testait mes réflexes, m'attaquant à n'importe quel moment du jour ou de la nuit pour que je reste sur mes gardes continuellement. Ca allait de la menace d'un canif à celle d'un revolver, et j'ai très vite appris à ne plus avoir peur lorsque je me retrouvais avec un canon entre les deux yeux. Je savais comment réagir dans ces cas-là, et me contentais d'appliquer l'enseignement du paternel sans broncher. Au final, j'ai été un adolescent blasé par la violence humaine très rapidement, puisqu'elle était mon quotidien. Quand mon frère a été suffisamment âgé, il a pris le relais de mon père, sans jamais s'excuser de me mettre gratuitement son pied dans les côtes ou de me réveiller en tentant de m'étouffer la nuit. Chez nous, c'était une forme de protection : Nous apprenions à gérer toutes les situations dangereuses afin de survivre.

Survivre... Le voilà, le mot que mon père avait quotidiennement à la bouche. C'était un homme nerveux et paranoïaque, qui voyait le mal en tout le monde, ne faisait confiance à personne, pas même pas à ma mère. Pour autant, je n'ai jamais manqué de rien durant mon enfance. J'avais de l'eau dans mon verre et de la nourriture dans mon assiette à chaque repas, ai reçu une éducation, certes stricte, mais exemplaire... Et j'arrivais à trouver des moments de complicité avec mon frère quand il ne cherchait pas sournoisement à me tuer. Seulement je n'étais pas fait pour cette vie. J'aspirais à plus de liberté, moins de contraintes, plus de positivisme, moins de « c'est notre mission ». Malgré tout, j'abattais mon premier mutant à seize ans, et étais autorisé à mener mes propres chasse peu de temps après.

Et c'est là que tout à dégénéré. Des responsabilités, toujours plus de responsabilités... J'étais encore un gosse, je préférais sortir draguer des minettes de mon âge le soir plutôt que de courir après je ne sais quel dégénéré qui ne m'avait rien fait. Aussi, à tout juste dix huit ans, j'osais enfin hausser le ton face à mon père. Nous eûmes une violente dispute, laquelle incluait un nombre incalculables d'appellations que je ne répéterais pas ici et beaucoup de vaisselle cassée. Mon père et mon frère me traitèrent d'ingrat, et je claquais la porte en emmenant le strict minimum avec moi. Ce n'est pas pour ça que je voulais me battre. Je voulais défendre ceux qui en avait besoin, pas me lancer dans une guérilla sans fin contre l'évolution. Aussi décidais-je de mettre mes talents de tacticien et de combattant au service des civils.

Je m'engageais dans l'armée américaine, désireux que j'étais de faire preuve autrement qu'en faisant la fierté du paternel. L'entraînement militaire ne me changea pas vraiment de l'ambiance que j'avais connu toute mon enfance, à ceci près qu'ici, mes alliés ne cherchaient pas à me tuer à tous bout de champ. Seulement, j'allais bien vite me rendre compte que mes idéaux n'étaient rien face à l'horreur que j'étais sur le point de vivre. Sur le terrain, nous nous battions avec des mitrailleuses, des revolvers, des chars... Le meilleur de l'arsenal américain, nous étions équipés de grenades, de protections dernier cri... Nous pensions tous être invincibles... Et mon dieu que nous avions tort. Que pouvaient faire des balles de plomb contre un généré contrôlant le métal ? Qu'étaient des gilets pare balles face à une créature sachant maîtriser le feu ? J'ai vu nombre de mes frères d'arme périr sous les assauts de ces dégénérés, et jamais encore je n'avais vu autant de haine, autant de volonté meurtrière dans le regard de quelqu'un. C'est à cette époque que je réalisais que ces gens-là n'étaient pas humains. C'étaient des monstres, déformés par un gène défaillant qui les poussaient à se prendre pour ce qu'ils n'étaient pas : des dieux. Je crois que mon dégoût à commencé à naître à cette époque. Car contrairement aux mutants que j'avais pu traquer avec mon père, et qui la plupart du temps ne faisaient que se défendre, ceux-ci n'avaient aucune limite et attaquaient souvent les premiers.

Rapidement, je suis monté en grade au sein de mon unité. J'étais très jeune, mais je connaissais déjà bien les mutants, et étais un bon stratège. Je mettais tout en œuvre pour préserver mon équipe durant les quatre années qui suivirent, essuyant autant de défaites que je célébrais de victoire. Et si je survivais, parfois miraculeusement, je n'étais pas épargné pour autant : je porte encore aujourd'hui les cicatrices de quelques pyrugistes et autres dégénérés de ce genre.
Et finalement, alors que je m'apprêtais à fêter mes vingt deux ans, je quittais l'armée. Ce qui j'y faisais ne suffisait plus à me donner l'impression d'apporter ma pierre à l'édifice, et je préférais retourner à Roswell affronter la colère du paternel. Comme je m'y attendais, il me fit la morale, me traita d'incapable et que sais-je encore... Mais peu m'importait. J'avais compris la leçon, le but de notre mission, et mon erreur.

Dès lors, je chassais de concert avec mon père et mon frère, alliant efficacité et violence sans jamais en ressentir le moindre remord : A quoi bon se sentir coupable pour un dégénéré ? Je ne me rendais pas encore bien compte à quel point ma haine des mutants faisait de moi quelqu'un de cruel et de profondément antipathique.
Quelques mois plus tard, je rencontrais Isabella, elle aussi cadette d'une famille de chasseur. Il ne fallait pas être plus futé que la moyenne pour comprendre le message qu'il y avait derrière tout ça. Deux chasseurs, issus de prestigieuses lignées... C'était l'union rêvée, et notre mariage fut finalement arrangé sans qu'il y ait un réel coup de foudre entre nous. J'appréciais sa douceur, son calme et son érudition, sans pour autant avoir jamais éprouvé pour elle un amour sans bornes. Si notre mariage fut heureux, nous sommes plus des complices que de réels amoureux transits par les sentiments. L'amour n'a jamais été mon fort, de toute manière. Qu'il soit filial ou fraternel, j'ai toujours trouvé que ce genre d'affection, c'était pour les faibles et les enfants.

De cette union naquit en 1988 Cesare, notre premier enfant. Ma fierté, mon sang, l'héritage de nos deux lignées... Tout allait finalement pour le mieux, jusqu'à ce jour qui acheva de me faire perdre foi en la condition mutante. Jamais encore je n'avais vu une telle boucherie. Mon père et mon frère étaient alors sur la trace d'un mutant particulièrement coriace, doué pour le camouflage et maîtrisant son don à la perfection. La seule raison pour laquelle je n'étais pas avec eux ce jour-là, c'était pour veiller sur ma femme et fils. Sans quoi j'aurais fais d'eux une veuve et un orphelin. Sans nouvelles des deux chasseurs au lendemain de la traque, je partais à l'aube sur leurs traces avec cet étrange et désagréable pressentiment qui vous prend aux tripes dans ces moments-là.
Lorsque je les trouvais, je restais figé sur place, frappé d'horreur. A côté du corps sans vie et éventré de mon frère gisait celui de mon père, au dessus duquel s'affairait ce qui aurait pu sembler être homme... S'il n'avait pas été en train de le dévorer. Je me souviens encore de l'odeur écœurante du sang et de ce goût de fer dans ma propre bouche. Et je ne me posais pas la question. Je profitais que le dégénéré était occupé à dévorer goulûment son repas pour lui tirer une balle en pleine tête. Il s'effondra, et je restais là, à contempler ce triste et effroyable spectacle sans même y croire. Je brûlais le corps du dégénéré, ramenais ceux de mon frère et de mon père, mais il me fallu bien quelques jours pour réaliser que je venais d'assister à ce que l'humanité avait engendrée de pire : Un acte de cannibalisme d'une violence inouïe. Celui qui avait fait ça n'avait rien d'humain, pour moi. Pas plus que tous ceux de son espèce.

Dès lors, télépathes, pyrugistes, motiopathes... N'avaient plus rien d'humain à mes yeux. Je nourrissais une haine viscérale à l'encontre de tous les mutants et jurais de leur faire la peau jusqu'au dernier. Je n'avais plus aucun scrupule à exterminer des familles entières, à en torturer certains pour trouver un nid... Et rapidement, je racontais cette histoire à Cesare. Il était encore tout jeune, mais il devait savoir. Pour son propre bien, sa survie, il devait savoir à quel point le monde extérieur était dangereux et hostile. Je n'ai jamais emmené mon fils au parc, au cinéma ni ne lui ai raconté d'histoires féeriques. Je refusais de le bercer dans un cocon de douceur factice qui de toute manière se briserait à l'âge adulte. Qu'il ait six ou vingt cinq, il devait être prêt.

Six ans après la naissance de Cesare, Isabella revient de la maternité avec une petite fille, Azaria. Je vécu cela comme un premier échec. Elle serait faible, fragile, elle aurait besoin qu'on la défende... C'était un luxe que nous ne pouvions nous permettre, et je commençais dès lors à me préoccuper davantage de Cesare que de sa sœur. Pourtant j'aimais cette petite. J'y tenais comme à la prunelle de mes yeux, mais je craignais que sa condition de fille n'en fasse une proie facile pour tous les dégénérés qui s'en prendrait à nous.

Inconsciemment, je reproduisais avec mes enfants la même éducation que celle de mon père. Sans crier gare, il m'arrivait de brandir un couteau face à Cesare au milieu du repas, ou de l'attaquer au beau milieu de la journée sans que rien ne l'y prépare. J'avais survécu à cet entraînement. Si lui n'en était pas capable, c'est qu'il n'était pas fait pour ce monde. Est ce qu'il m'en voulait ? J'imagine, oui. Je ne lui ai jamais posé la question. Tout ce qui m'importait, c'était que mon fils soit capable de venir à bout de n'importe qui, dans n'importe quelle situation. Je devais reconnaître qu'Azaria se défendait bien, lorsqu'elle fut en âge d'apprendre à se battre. Pas aussi bien que son frère, mais elle avait un certain potentiel.

Les années passèrent, et finalement nous quittâmes tous Roswell pour Radcliff, une petite ville du Kentucky. Un déménagement qui se fit plus sur un coup de tête qu'autre chose, mais je ne laissais guère le choix à Isabella ou nos enfants. J'y installais mon commerce d'armes, lequel cachait à merveille mes véritables activités, et continuais ma petite vendetta personnelle contre les mutants. Les premiers temps furent tranquilles, la routine, finalement... Je vendais des armes le jour, les utilisais la nuit pour réduire la population de dégénérés en ville. Et puis vint la campagne de dépistage. Je n'avais rien à craindre de tout cela, je me savais humain... Parfaitement humain. Isabella également. Mais pas nos enfants. Je tombais de haut en découvrant que Azaria portait en elle une odieuse mutation. Plus que jamais, je me détournais de ma fille pour ne plus placer mes espoirs qu'en Cesare, lequel était alors en mission. Et j'aurais pu le croire humain bien longtemps... Si je n'avais pas découvert au bout de plusieurs mois qu'il était tout aussi dégénéré que sa soeur.

Comment ? Quand ? Qu'avions-nous donc fait pour mériter cela ? Trahit par mon propre sang, ma chair, je luttais alors pour regarder mes enfants autrement que comme des parasites. Tout en moi me hurlait de les abattre rapidement sans faire d'histoire et pourtant... Appelez ça de la lâcheté ou un semblant d'instinct paternel, j'en étais incapable.

J'avais engendré deux dégénérés, deux erreurs de la nature, et il n'appartenait qu'à moi d'exploiter ces échecs pour les changer en victoires. Et Cesare me fournit cette opportunité. Cela faisait déjà quelques temps que nous cherchions un moyen pour nous débarrasser d'un groupe de dégénérés. Nous savions qu'ils se cachaient, qu'ils étaient nombreux, mais nous n'avions pas plus de précisions. Cesare proposa alors de se faire passer pour l'un d'entre eux – quoi de plus simple pour lui, après tout – afin de glaner les renseignements qui nous manquaient et de nous en débarrasser une bonne fois pour toutes. Je n'avais simplement pas prévu que cet incapable s’amouracherait de l'une d'entre eux. Quel idiot... Ses sentiments l'empêchaient de mener à bien sa mission, et je sentais que nous étions en train de le perdre. J'avais depuis toujours luté pour m'imposer face à lui, tandis qu'une dégénérée papillonnait des yeux, lui faisant totalement perdre la tête ? Merci bien...

Je ne supportais plus cette attente ni cette insubordination, et utilisais alors la plus grande faiblesse de Cesare à mon avantage : Sa sœur. Azaria avait cessé d'être ma fille à l'instant même où j'avais appris qu'elle portait cette tare en elle. Désormais, ce n'était plus pour moi qu'un parasite me collant à la peau. Déterminé à néanmoins tout tenter pour la sauver de son affliction, je pris la décision de l'enfermer au sous sol de notre maison, où commencèrent les pires mois de son existence. Je n'ai pas honte de dire que j'ai fais subir à mon propre enfant d'ignobles tortures dans l'espoir de trouver un moyen de lui ôter sa mutation, sans succès. Et plus j'échouais, plus je redoublais d'imagination et de colère. J'en voulais à Azaria d'être différente, je lui en voulais d'être ce que je haïssais le plus au monde... Je lui en voulais de ne pas avoir encore la force d'en fini moi même avec elle.

Alors je lançais un ultimatum à Cesare : Sa sœur contre la certitude que tout son petit groupe de rebelles finirait sous les décombres. Et je remportais cette partie. Je rendis à Cesare sa chère petite sœur traumatisée, en échange de quoi il s'engageait à mener à bien la mission qu'il aurait du accomplir bien avant. Ce fut mon dernier contact avec mes enfants. Un regard haineux, c'est tout ce que nous échangeâmes ce jour-là. Depuis, j'ai rejoins le groupe armé de Thaddeus Lancaster, dans l'espoir de purifier la ville de la menace mutante. J'agis sous son contrôle, obéissant à chacun de ses ordres sans broncher... Si j'ai l'air d'un brave petit toutou au service d'un tyran, il n'en est rien. Je n'ai que faire de ses petites magouilles politiques, tout ce qui m'intéresse, c'est de pouvoir évoluer librement en ville sans craindre de représailles, tout en continuant de traquer mes enfants, que je finirais bien par retrouver un jour ou l'autre. Quant à savoir quelle sera l'issue de cette rencontre, seul l'avenir nous le dira.