Comment a-t-elle pu devenir cette reine des glaces qui pourtant ressent chaque émotions plus fort que n'importe qui ? Cette tueuse qui ne ressent rien quand elle enlève la vie. Celle qui ne fait que mettre le feu à un cercle déjà vicieux et qui fait son lot de malheurs. Où s'est-elle perdue en chemin ? Si on lui demande, elle ne dira qu'une chose. Le soir où son père a été tué. Elle n'oubliera jamais cette nuit. Elle avait vingt ans et étudiait dans le grand salon sous le majestueux toit en cathédrale. Bien loin de leur petit taudis qu'ils habitaient lorsqu'elle était enfant. Son père lisait le journal et sirotait un verre de scotch. Elle était assise à côté de lui, ses documents d'école éparpillés en tout sens autour d'elle. Parfois, elle levait le nez pour demander à son père ce qu'il lisait et il lui répondait amusé. Elle donnait quelques commentaires naïfs avant de retourner à ses livres puis une nouvelle fois, elle était déconcentrée par une discussion anodine avec le paternel. Elle tira même le bras pour lui voler un peu de son scotch. Ça lui donnerait du courage plaisanta même son père. Soudain, les lumières se mirent à fléchir pour finalement s'évaporer totalement, les laissant dans un noir presque total. Son père sembla immédiatement alarmé, une inquiétude qu'il transmit inévitablement à Abigail qui se mit à trembler. Ils avaient toujours su que c'était une possibilité. Que dans le noir de la nuit, des gens leur voudraient du mal. Ce n'était pas pour rien que Monsieur Duncan avait forcé la jeune femme à suivre des cours d'auto-défense. Elle n'aurait jamais cru avoir besoin de s'en servir par contre. Elle se redressa donc, abandonnant les papiers qu'elle n'arrivait plus à lire dans cette noirceur et resta en alerte, prête à se défendre. Mais son père posa sa main contre son bras et la tira vers lui. Dans un chuchotement à peine audible, il la tira vers une commode où elle pourrait facilement se cacher. « Non, Abby, cache-toi. Peu importe ce qui arrive. Si c'est à toi qu'ils veulent s'en prendre pour m'atteindre, je ne saurai le supporter. » « Mais... » Il la secoua un peu plus fort, comme pour la réveiller, s'assurer qu'elle l'écoutait. La bousculant presque dans l'urgence de la situation. « Pas de mais, tu m'entends. Je t'aime, Abby, tu vas m'écouter, d'accord ? » Elle n'avait jamais vu son père aussi sérieux. Alors, elle hoche la tête et sans rien ajouter, elle se faufile dans le petit placard dans lequel elle entre maladroitement, laissant la petite porte entrouverte. Elle aperçut à travers la fente son père qui cherchait ensuite la présence d'un intrus pendant quelques minutes, enflammant finalement sa main pour faire de la lumière autour de lui. Elle sursauta à ce moment, apercevant une silhouette derrière son père. Celle d'un homme. Armé d'une arc à flèches pointée sur monsieur Duncan. Elle sentit son coeur faire un bond dans sa poitrine car la première flèche quitta l'arc pour se planter dans le dos de son père. Elle se retint de crier, sachant que son père ne voulait pas qu'elle intervienne. Ce dernier se retourna même d'un coup en lâchant une douloureuse lamentation pour faire face à l'attaquant. Sa main enflammée perdant lentement de sa chaleur pour s'éteindre finalement. Puis, dans la noirceur, tout ce qu'elle pouvait entendre était le bruit particulier d'une corde qui se tend et une flèche qui siffle dans l'air. Puis une troisième fois, puis quatrième. Finalement, c'est le silence - suivit de la silhouette masculine qui disparut par la fenêtre et se fondit dans la nuit sans lune. Elle n'arrivait pas à croire que l'intrus n'ait pas entendu le tambour de son coeur qui déchirait sa poitrine à chaque battement tellement elle était affolée. Elle resta cachée dans le petit placard dans le silence le plus complet, coupé seulement par sa respiration saccadée. Une larme coulait sur sa joue, trop entêtée pour restée à la frontière de ses yeux. Après ce qui lui sembla une éternité, elle osa enfin sortir de sa cachette et rampa jusqu'au corps de son père qu'elle devinait étendu près du divan. Bientôt, les lumières de la pièce illuminèrent de nouveau la pièce alors qu'elle entendait au loin les hommes de son père qui accouraient au salon. C'est à ce moment qu'elle aperçut le visage sans vie de cet homme qu'elle aimait tant mais surtout, qu'elle était assise dans le sang qui drainait hors de ses blessures mortels. Elle éclata en sanglots, incapable de se contrôler plus longtemps. La suite lui sembla se passer au ralenti. Les hommes de main de son père entrèrent, virent le triste spectacle à leurs pieds. L'un d'eux appela les urgences alors que les autres entourait monsieur Duncan pour essayer de le ranimer... en vain. Puis, le dernier attrapa la jeune Abigail pour les deux bras et la tira vers lui, surtout pour l'éloigner le plus possible du corps mutilé de flèches qu'elle fixait avec un haut le coeur. Il la força à le regarder alors qu'il l'attirait hors du salon jusque dans la cour. La police se faisait déjà entendre au loin mais pour Abigail, ce n'était qu'un écho surréel. Son regard vide. Car la seule chose à laquelle elle pensait à ce moment était le visage du meurtrier. Elle ne voulait pas l'oublier. Elle ne voulait pas en perdre aucun souvenir car elle se jurait à ce moment même qu'elle allait le revoir. Le revoir pour lui faire payer toute cette douleur qu'elle ressentait dans ses tripes. Ça faisait tellement mal, c'était insupportable, mais la pensée qu'un jour, elle pourrait planter une flèche dans cet homme avait l'effet d'un baume... ou du moins, apaisait temporairement ses sens brûlés à vif par ce qu'elle venait de voir.

La vengeance serait la seule solution. La seule façon de passer à autre chose.
Sa seule consolation.