En réponse à son cri, Jeane, chercha du regard l’extincteur et le trouva là où Pietra pointait du doigt. « J’m’en occupe. Tu… gardes un œil sur lui. » dit-elle, et la mutante acquiesça. Cela allait sans dire, mais elle était contente que l’étrangère comprenne pourquoi elle ne pouvait aller récupérer l’objet elle-même. Elle observa donc la rousse se frayer un chemin dans les flammes, sa longue chevelure semblant presque la protéger de leur chaleur, laissant croire au feu qu’elle n’était qu’une autre de ses filles. La jeune femme balaya les planches encombrant l’extincteur et s’en empara de ses mains gantées, avant de retourner jusqu’à eux. Haletante, crachant la fumée et le peu d’oxygène qui restait encore dans ses poumons, elle le tendit à Kingsley. Ce dernier s’en empara et intima à sa tortionnaire de reculer. Pietra obéit sans commenter, peu rassurée de savoir ce qu’il comptait faire de l’objet lourd et dangereux. Mais il ne fit que s’en servir comme bélier pour défoncer la porte devant eux, jusqu’à ce que celle-ci ne cède. L’air frais s’engouffra dans le bateau, et les flammes rejaillirent plus fortes que jamais derrière eux. Sans leur laisser le temps de réagir Kingsley attrapa Jeane par le poignet, et Pietra manqua de hurler – mais il ne fit que la jeter dehors, aussi violent le geste fut-il. L’instant d’après il en faisait de même avec la mutante, qui effectua un roulis sur l’asphalte avant de se retrouver sur pattes l’instant d’après. Elle aurait presque eue l’air d’une héroïne de film si la suie et la fumée dans ses inspirations haletantes ne l’avaient pas forcée à se recourber en toussant et crachant ses poumons l’instant d’après.
Le bruit des pas et des toussotements de Kingsley demeura distinct malgré les cris et les craquements de bois enflammé qui les entouraient. C’était incroyable comme le moindre agissement du Hunter avait une sonorité menaçante, lourde de violence et de douleur. « Sorties… Saines… et sauves… Reprenons donc où nous en étions, avant, voulez-vous … j’ai tellement, tellement envie de savoir à quoi tu ressembleras, morte … » « Toujours plus jolie que toi, je pense. » rétorqua la mutante, réussissant à lui offrir un rictus dérisoire entre deux quintes de toux. « Mais un peu de couleur sur la joue te va si bien, tu ne veux pas lui offrir l’autre aussi ? Il parait que c’est très Chrétien… » Enerver l’homme encore davantage n’était sans doute pas une très bonne stratégie ; mais elle doutait largement que Kingsley ait une autre émotion face à elle que ‘haine farouche’ et ‘pulsion meurtrière’, alors pourquoi le prendre avec des pincettes ? Sans parler qu’elle lui rendait très bien ses sentiments, et il était dur de résister à l’envie de lui être aussi désagréable que possible. Même si en cet instant, son commentaire semblait avoir eu le malheureux effet de reporter l’attention du maniaque sur leur troisième compagne. « Je te préviens ... Si tu tentes de la protéger, humaine ou pas, tu mourras toi aussi, je le jure devant dieu, et je jetterai vos cadavres au feu jusqu'à ce que vos os ne soient plus que de la cendre froide ... » « Laisse-la en dehors de ça, Kingsley. » cracha Pietra, obligeant l’homme à tourner la tête pour la fixer une nouvelle fois. La rebelle avait beau vouer une admiration sincère pour la rousse et sa claque, elle ne se faisait pas d’illusions quant à ses chances face au Moren, l’élément de surprise passé.
Pietra, quant à elle, faisait déjà un compte intérieur des armes qu’elle avait sur d’elle, et de ce qui pourrait servir autour d’eux. Elle espérait sincèrement que le Hunter n’ait pas de revolver sur lui, sans quoi elle doutait profondément de sa survie. S’ils se retrouvaient à devoir se battre sans, elle aurait du moins l’entraînement de Michael pour s’en sortir – ou du moins, à s’assurer que ni l’un ni l’autre ne sortiraient vivants de cet enfer. « Qu’est-ce qui te laisse penser que je ne vais pas simplement t’ordonner de retourner dans ce brasier toi-même ? » dit-elle, essuyant un peu de cendres de son visage. Techniquement, elle le pourrait – mais l’effort aurait raison d’elle, et l’évanouissement qui s’ensuivrait donnera largement le temps au Hunter de rentrer et ressortir du bateau, pour trouver les deux jeunes femmes à sa merci. Ce n’était pas le genre de situation qui lui faisait particulièrement envie, avouons-le. Mais la menace aurait peut-être au moins l’effet de faire douter Kingsley, une petite fêlure d’hésitation dans son mur de certitude, sur laquelle elle pourrait appuyer pour le faire céder. Si un fou pouvait hésiter, ce qui n’était pas forcément dans l’ordre du possible…
Ils en étaient sortis ; l’air frais le prouvait, réconfortait, et décontractait lentement mais sûrement ses muscles consumés par l’adrénaline. Le destin n’s’était décidé à pas grand-chose, oscillant à chaque instant, chaque détour qu’ils avaient pris ici ou là, dans leur marche vers la sortie. Ils en étaient sortis : était-ce une bonne ou une mauvaise chose ? C’qu’y aurait pu être une libération grandiose, un instant fébrile et éphémère qu’ils auraient partagé malgré les frontières et les fossés les séparant et changeant leurs convictions, le type qui les accompagnait eut le talent de tout transformer en la réalité. La simple et brutale réalité – si semblable à l’être humain qu’il était, implacable, froid, impétueux. Somme toute, l’inconnu avait le même visage que ceux qui avaient un jour décidé, que c’n’était pas important de s’attaquer à la femme et à la fille parfaitement humaines d’un transmutant, rien que pour l’appâter, s’venger ; ou n’importe quoi d’autre, au final, ils trouvaient toujours des raisons pour justifier ce qu’ils faisaient. Les chasseurs tout autant que les transmutants : et demain, qui revendiquerait le massacre de masse qui venait de prendre place ici-bas ? Qui diffuserait une annonce pour dire à toute la ville qu’ils étaient les auteurs de ces incendies, ces explosions qui avaient détruit des dizaines de vies, comme ça, en un clin d’œil ? Et quelles justifications trouveraient-ils pour s’persuader qu’ils avaient un tant soit peu eu raison ? A l’instinct de survie, se supplantaient déjà tous les ressentiments qui habitaient la rousse au quotidien. Et les deux autres, carnassiers jusqu’au bout, consumés par leurs instincts destructeurs, avaient déjà tourné la page de leurs précédentes péripéties pour engager un nouveau chapitre. « Je te préviens ... Si tu tentes de la protéger, humaine ou pas, tu mourras toi aussi, je le jure devant dieu, et je jetterai vos cadavres au feu jusqu'à ce que vos os ne soient plus que de la cendre froide ... » au frisson d’effroi qui aurait pu glisser le long de son échine, trahir sa faiblesse d’humaine à part entière, s’ajouta une rage toute nouvelle – elle aurait voulu lui hurler dessus - « Laisse-la en dehors de ça, Kingsley. » leur hurler dessus à tous les deux en vérité ; ils étaient pires que des animaux, ils venaient de frôler la mort et n’faisaient que s’engager dans un énième passage en direction de celle-ci. Si c’était donc c’qu’ils cherchaient, ils auraient pu rester dans ce putain de bûcher tous les deux autant qu’ils étaient, plutôt que de perdre leur temps ! Les deux fous s’observaient, se jaugeaient, se provoquaient, et c’en était déjà trop pour la misérable et impuissante humaine qui se retrouvait au milieu.
Mais qu’aurait-elle dû faire ? S’détourner simplement du paysage de guerre et de ses deux soldats pitoyables ? S’dire qu’ils étaient deux cons et qu’ils n’pouvaient que mériter ce qui leur arrivait ? C’était sûrement vrai ; la Merlyn n’avait pas l’intention de se sacrifier pour l’un ou pour l’autre – contrairement à c’qu’ils pouvaient tous croire, ces si puissants mutants et hunters, personne n’leur devait rien. Sauf ces carnages en chaine, ces massacres incessants, tant de source de désolation et de chagrin. A eux, tous autant qu’ils étaient, Jeane leur devait chacun des souvenirs désastreux d’sa vie – la mort de sa mère, le départ de son père, les six dernières années désolées de sa vie ! Est-c’qu’elle était devenue une putain de tueuse pour autant ? L’élément étranger vint comme si de rien n’était, apparaissant au milieu du brasier comme un signe du destin qu’elle n’avait même pas espéré : une armée d’ambulanciers et pompiers qui devaient sûrement chercher des âmes à sauver, malgré l’avancée des flammes, l’ampleur du désastre qui s’étendait juste sous leurs pieds, mais qu’aucun des deux autres n’avaient pas dû remarquer. « HEY ! PAR ICI ! » c’était comme si elle venait de sacrifier ses cordes vocales pour hurler à plein poumons, relâchant une salve de toussotements rauques alors qu’elle vacillait sur ses jambes. Elle avait beau avoir conservé les apparences jusque-là, elle n’restait qu’une humaine jusque dans les profondeurs de son corps – et ses poumons avaient été consumés par la fumée ; c’était du moins ce qu’elle pouvait aisément croire, tandis que sa trachée, son œsophage, sa gorge et le creux de son ventre la torturaient de l’intérieur. « J’ai-j’ai besoin d’aide ! » sûrement pas qu’elle, mais les deux autres aussi ; ils s’fichaient bien d’elle, elle se fichait alors bien d’eux. Et sûrement que devant trois pompiers, trois ambulanciers qui se précipitaient dans leur direction, plus personne ne ferait rien. Ils disparaitraient tous, et ce cauchemar prendre enfin fin.
Spoiler:
désolée j'ai improvisé sans que Jeane soit trop inutile mais si vous aviez prévu autre chose et que j'dois modifier, n'hésitez pas
Il voyait la bouche de la mutante remuer, mais n’entendait qu’un foutu acouphène qui lui striait les tympans et rongeait un peu plus ses nerfs déjà à vif. Elle faisait moins la maline, la petite mutante, ramassée sur elle-même dans la cendre et la boue froide, les poumons en charpie, les yeux larmoyants et les membres tremblants. C’est tout de suite moins drôle quand on a coupé les ficelles de la marionnette, et que celle-ci retrouve le chemin du poignard et du fusil. Elle pouvait bien feuler comme une chatte furieuse et menacer de le faire se jeter dans les flammes, le sourire carnassier du chasseur avalant tous ses mensonges d’un claquement de la langue : si elle pouvait vraiment le faire s’immoler, elle l’aurait déjà fait. Mais elle était déjà aller trop loin dans l’abomination, et même sa nature dégénérée la lachait soudainement. Elle était à sa merci et il allait enfin pouvoir la tuer, l’égorge, vider la totalité de son sang sur l’asphalte, se régaler de la moiteur de sa chair molle et inerte, et puis, et puis … Le bruit de la sirène des pompiers. Merde. Le chasseur leva la tête en direction de Jeane qui gesticulait pour attirer l’attention des hommes en rouges, alors qu’il tenait toujours la mutante en joug de son cran d’arrêt. Que faire ? l’égorger rapidement , en prenant le risque qu’on le voit ? Trop dangereux, cette petite garce n’en valait pas la peine. Il se pencha vers pietra, caressant sa joue sale du bout de ses doigts légèrement brulés, avant de lui souffler dans un murmure venimeux :
- La chance ne te sauvera pas deux fois Pietra… Je te retrouverai, un jour, ou non, mieux, Elle, te retrouvera… Et nous prendrons tous tellement, tellement de plaisir à voir ta tendre Giulia t’arracher le cœur de la poitrine de ses mains comme un chasseur dépece un animal, puisque tu n’es plus que ça à ses yeux …
Il se redressa prestement, levant la tête vers la sortie opposée aux pompiers, et écarquilla les yeux : Azaria Demaggio, la cadette des Demaggio, la pestiférée, la mutante, se tenait là, contre un arbre, haletante. Blessée. Hors de portée de vue de l’équipe d’intervention qui fonçait vers eux. L’occasion était trop belle. Si Pietra était destinée à vivre encore pour ce soir, la petite Demaggio, elle, n’aurait pas cette chance, alors que le chasseur au manteau noir disparaissait à l’angle d’un bâtiment en flamme, comme un démon dans la nuit …
« HEY ! PAR ICI ! » hurla soudain Jeane, au point de se déchirer les poumons. Pietra tourna violemment la tête, déclenchant la première vague de douleur de ce qui s’annonçait être une atroce migraine. Aucun doute, si Kingsley avait choisi de l’attaquer en cet instant, elle n’aurait pas eu la force de résister. Heureusement Jeane, qui continuait à s’époumoner « J’ai-j’ai besoin d’aide ! » entre deux crises de toux, avait réussi à attirer l’attention de l’ambulance. Même le fanatique qui se dressait devant elle n’était pas capable de l’exécuter de façon aussi publique, aussi voyante. Peut-être un reste de pudeur ou de culpabilité qui lui rappelait combien ses pulsions paraissaient odieuses au reste de la civilisation ; Pietra concevait la théorie, mais était plus encline à croire que Moren souhaitait simplement la tuer en paix, la faisant souffrir aussi longtemps qu’il le désirait. Tandis que leur compagne gesticulait dans tous les sens, Kingsley se retourna vers son ennemie, faisant clairement le même calcul que celle-ci. Sa main vint caresser la joue de Pietra, qui grinça des dents, autant pour retenir son haut-le-cœur que de s’empêcher de le mordre jusqu’à l’os pour avoir eu le culot d’essuyer un tel geste sur elle. Les doigts de Kingsley traçaient dans la suie et la saleté sur sa joue, mais les marques intangibles qu’il laissait brûlaient comme de l’acide, et elle savait déjà qu’elle devrait longuement se frotter la peau avant de cesser de les sentir.
« La chance ne te sauvera pas deux fois Pietra… Je te retrouverai, un jour, ou non, mieux, Elle, te retrouvera… » Pietra plissa des yeux. Parlait-il vraiment de celle qu’elle croyait ? Oserait-il ? Oui, absolument ; Kingsley osait tout, l’homme n’avait pas suffisamment d’âme humaine pour sentir les limites de la décence. « Et nous prendrons tous tellement, tellement de plaisir à voir ta tendre Giulia t’arracher le cœur de la poitrine de ses mains comme un chasseur dépèce un animal, puisque tu n’es plus que ça à ses yeux… » Animale en cet instant, Pietra se le sentait. Il lui fallut toute l’énergie, toute la pensée rationnelle dont elle était capable en cet instant pour ne pas simplement agripper Kingsley et l’entrainer dans les flammes avec elle, rien que pour voir son visage se tordre de douleur et d’agonie tandis que le feu les dévorait. Sa propre mort vaudrait largement le plaisir de savoir que le brasier purifierait la planète de la souillure qu’apportait chaque inspiration du Hunter. Si Pietra s’était aperçue dans un miroir en cet instant, les yeux pleins de violence et les cheveux rougeoyant à la lumière, elle aurait peut-être cru un instant apercevoir la ‘démone’ que le pseudo-Chrétien voyait en elle. Et si elle avait pu être une démone, juste le temps d’attirer ce dernier avec elle en enfer, elle aurait accepté de se damner sans la moindre hésitation. Que pouvait-elle dire ? La fin justifiait les moyens, dans certains cas.
Mais Kingsley ne valait pas la peine de se sacrifier aussi vainement, lui rappelait la partie saine de son esprit. Si elle les envoyait tous deux dans les flammes en cet instant, elle sacrifiait également tout ce qu’elle pouvait encore accomplir pour Insurgency et pour les mutants en général. Son triomphe sur lui serait de courte durée, tandis qu’il aurait lui le plaisir de voir la mission de la jeune femme réduite à néant. Et ça, c’était encore plus inacceptable. Alors elle se retint de lui cracher à la figure, de lui arracher un doigt de ses dents, d’exprimer sa haine et sa rage de toutes les façons qui lui venaient à l’esprit, et se contenta de lui rendre un sourire aussi vicieux qu’elle le pouvait, retroussant ses babines à la manière d’un loup en cage. Kingsley la relâcha aussi prestement, visiblement déconcentré par quelque chose – ou quelqu’un – dans la foule. A nouveau, la mutante dut résister à l’envie de lui planter son couteau dans le pied, juste pour le plaisir de le voir clopiner pendant sa fuite, mais elle se retint : avec autant de gens autour d’eux, elle ne pouvait se risquer à ce qu’on la reconnaisse, et poignarder un Hunter allait sûrement attirer l’attention sur elle. De toute façon il s’en allait déjà, emportant la puanteur de la mort avec lui.
Elle pensa brièvement à lui répondre, lui envoyer une dernière remarque cassante avant que l’homme ne disparaisse dans la foule, mais elle n’avait pas le temps. Il fallait qu’elle se dépêche de s’enfuir, car un passage à l’hôpital risquait de mal finir pour elle, entre les Hunters et le fait qu’elle ait échappé au dépistage. Trop d’ennuis alors qu’elle n’était pas en état de s’en défaire d’un simple mot dans la bonne oreille. Pietra se redressa tant bien que mal, camouflant son visage dans la saleté et ses longs cheveux. Elle croisa un instant le regard de Jeane et fit un geste de la main en sa direction, qui signifiait à la fois ‘merci’ et ‘ne leur dis pas que je m’enfuis’. Puis elle disparut tant bien que mal dans la foule, les yeux brûlants des évènements de cette fête fatidique.