Ce soir, Ivory le sentait, c’était la soirée où il fallait être dehors, à faire la fête. D’accord, ça n’était qu’un simple prétexte pour sortir et s’amuser, elle n’avait jamais besoin d’excuses pour faire ça, pour en arriver là. La vie ne valait pas la peine d’être vécue si on ne s’amusait pas au passage. Tous les emmerdeurs du monde ne pourraient pas la convaincre de rester chez elle le soir si elle pouvait sortir s’amuser. De la musique, de l’alcool, du monde, c’était tout ce dont elle avait besoin. Sortir seule ne lui posait pas de problème, c’était une grande fille et elle savait que défendre. Un peu comme maintenant. Un mec un peu lourd, imbibé comme pas deux. Elle en était certaine, s’il avait été une éponge et qu’elle l’avait écrasée dans sa main, l’alcool en aurait coulé à flot. Son reniflement dédaigneux, il ne l’apprécia pas des masses et c’est d’un coup de talon placé à la perpendiculaire de son pied qu’elle le fit déguerpir. Elle n’avait rien contre la drague en soi, elle pratiquait même la chose mais, il y avait des limites, quelques-unes... comme la conversation avant d’avoir une main aux fesses. Crétin. Qu’il ait apprécié ou se faire poinçonner le pied par son talon lui était égal, elle en était débarrassée et elle pouvait en profiter.

En comparaison, le reste de la soirée avait été plutôt calme, si on considère le nombre de verres, la musique parfois absolument à chier et les multiples techniques de dragues lourdes. Si elle devait être franche, elles ‘en fichait royalement. Le principal, c’était de s’éclater, de s’amuser et elle le faisait sans se soucier des regards ou du qu’en dira-t-on. Après tout, elle enseignait -en théorie- à des gamins qui n’avaient pas l’âge pour la voir se trémousser et s’imbiber sur une piste de danse.
Alors oui, elle critiquait intérieurement les énergumènes qui se bourraient la tronche jusqu’au trop plein et elle faisait peu ou prou la même chose mais elle, elle savait encore ce qu’elle faisait avec de l’alcool dans le système. La preuve, il était temps de prendre l’air ou du moins, de prendre du recul. Droite comme la justice et visiblement loin de tituber, elle était sortie un peu plus loin fumer un petit quelque chose de... moins légal que la cigarette. L’effet était à double tranchant sur elle mais, elle savait que ça empêcherait l’alcool de lui pourrir la soirée. Elle avait certes la capacité d’un puits quasi sans fond, la gueule de bois, elle connaissait pourtant.
E retour à l’intérieur, elle avait pris un moment loin de l’agitation et elle ne pensait pas encore entendre cette vieille phrase bateau. De l’imagination que diable ! Ce n’est qu’en tournant la tête qu’elle ne put pas s’empêcher de sourire. C’est pas vrai... Ce type, c’était ce type qu’elle croisait plus qu’à son tour en bibliothèque. Ils n’échangeaient souvent que quelques mots polis, parfois des conversations plus intéressantes mais, ça restait toujours très impersonnel. Le voir dans un lieu comme celui-ci semblait incongru au possible et ça la fit sourire franchement.

- « C’aurait été quelqu’un d’autre, je lui aurais ri au nez. » Ivory se saisit d’un verre avant de sentir ce que c’était, vodka. Bah. « À merveille et toi ? Alors comme ça, tu traînes ailleurs que dans les bibliothèques ? »

Il continuait à se dandiner hors rythme. À son avis, il avait sa propre musique dans sa tête. Ce ne serait pas le premier à être décalé pour ça. Ou alors, il était juste totalement désynchronisé de ce qui se passait. Il avait l’air d’en tenir une sacrée couche, comme elle d’ailleurs.

⁂

Sortir et tomber sur une vague connaissance quoi que sympathique n’avait pas été dans son programme. Bien entendu, Ivory sortait parfois avec des amis, des connaissances mais, elle ne se privait pas pour autant de le faire si personne ne l’accompagnait, comme ce soir. Cela dit, c’était franchement amusant de le voir dans un état pareil. Elle n’en menait pas plus large mais, elle tenait mieux quand même. La pratique sans doute.
En attendant, la situation la faisait vraiment rire intérieurement. Loin d’elle l’idée de se moquer de lui, elle le trouvait réellement amusant. C’était une fête, pas un tribunal de jugement. Il fallait bien s’amuser vu ce qui se passait à Radcliff et ailleurs. Il était hors de question qu’elle se laisse dépérir ou qu’elle se morfonde sur la condition des mutants, sur cette bande de tarés qui arpentaient les rues en long, en large et en travers, tuant ou vaccinant sauvagement à tout va en cas de doute. Ça, c’était de loin beaucoup plus amusant ! Plus correcte aussi que d’espérer secrètement un faux pas des hunters qui retourneraient un peu les idées contre eux. Oui, c’était un peu... extrême. Mais pas autant qu’eux si ?

- « On se ferait jeter de la bibliothèque si on faisait la fête comme ça là-bas en même temps. Ce serait nettement moins amusant. Et puis, tu te vois retrouver la petite culotte de ta conquête entre deux pages ? Han han. Mauvais plan. Quoi qu’un soutif accroché à la lampe, ça a son charme. Parole de scout. »

Elle n’avait jamais été scout de sa vie mais le coup du soutif, c’était du vécu. Elle sourit volontiers. C’était vrai qu’ils n’avaient jamais vraiment parlé à cœur ouvert. N’empêche, elle parlait de petite culotte, il était peut-être du genre caleçon. Bah ! Aucune importance, elle n’était pas là pour ça.

- « Regretter, ça sert à rien, faut vivre ! »

C’est toujours mieux de vivre, vraiment mieux. La preuve, une invitation à danser ! C’était vivre ça et il le fallait. Les circonstances l’exigeaient. Ivory ne dégagea pas sa main et elle prit même son autre main au passage. Elle éclata de rire quand il lui répliqua qu’il lui épargnerait la main aux fesses.

- « Si tu demandes gentiment, il se pourrait que tu puisses laisser traîner tes mains. Il a rien demandé, c’est impoli ! »

C’était si dur que ça de demander les choses poliment ? Gentiment ? Les filles n’étaient pas que des sacs de viande en expo. De la considération, c’était à ce point trop demandé ? Bon, même si le type avait demandé, elle l’aurait envoyé bouler de la même manière. Il y a la façon de le demander. Proposez cash à une fille de lui mettre la main au cul et c’est une main dans la figure assurée que vous aurez. Ben c’était pareil. Y a la manière de demander, de draguer, une histoire de consentement que trop d’hommes -et les femmes aussi d’ailleurs- trouvent trop vague. Ivory n’était pas compliquée à ce niveau, elle mettait tout le monde dans le même panier. Avec elle, égalité des sexes n’étaient pas un vain mot.

- « Par contre, tu m’écrases pas le pied ! »

⁂

Loin de s’imaginer qu’elle tomberait sur Ulysse, elle profitait de l’alcool dans son sang pour se lâcher un peu. Après tout, ils n’avaient jamais véritablement discuté d’autre chose que des livres ou de ce qu’ils venaient chercher là. Rien de bien transcendant. Ils n’étaient que deux connaissances s’appréciant, ça n’avait jamais été plus loin. Finalement, le croiser ici était une bonne et agréable surprise et c’était tant mieux.
Elle haussa les épaules et chassa ses paroles de la main comme on chasse une mouche. C’était des conneries tout ça. S’il se laissait atteindre par ce genre de remarques, il ne serait jamais tranquille avec lui-même. Du moins, c’était son opinion. Si on se mettait à vivre pour les autres et pas pour soi-même, quel intérêt ?

- « Et alors ? Laisse-les donc faire. S’ils ont envie de mourir malheureux parce qu’ils ont eu peur de vivre, c’est leur problème. Pas la peine de te pourrir toi pour les autres. Les regards et les paroles tuent, faut apprendre à esquiver. Comme tu l’as dit, soit ils sont jaloux, soit trop coincés. »

Parfaitement sérieuse, elle hocha vigoureusement la tête. Pas mal de gens croyaient qu’envahir l’espace personnel des autres pour se la jouer plan drague, c’était cool. Sauf que ça ne l’était pas. Si ça convenait à certaines personnes, à elle, pas trop. Généralement, quand les gens veulent qu’on leur foute la paix, c’est assez implicite mais parfois, y a comme qui dirait un problème de communication.

- « T’exagère. Sérieusement. Bon, ok, demander de but en blanc si tu peux le faire, c’est pas la bonne idée. Mais y a moyen. Déjà ne fut-ce que vouloir passer une bonne soirée, c’est un bon point et on passe une bonne soirée-là. Arrête de réfléchir. »

Elle n’en avait clairement pas envie elle. Voilà pourquoi elle l’avait embarqué comme ça avec elle sans lui demander son avis. À priori, elle aurait dû le faire, elle l’aurait même sans doute fait en temps normal mais, elle avait un peu zappé. Un regard courroucé mais amusé plus tard pour cette histoire de pied, elle lui tira copieusement la langue.

- « Ni l’un, ni l’autre ou alors, tu me portes jusqu’à chez moi. J’suis persuadée que tu es parfaitement capable d’éviter mes pieds en plus. Peut-être. Mais je les aime assez mes pieds. Puis mes chaussures aussi. Donc, tu n’écrases pas mes jolis pieds et je ne t’oblige pas à me ramener chez moi sur ton dos. Deal ? »

Elle dansait sans vraiment se soucier du reste. Au final, elle n’était pas si alcoolisée que ça. Elle était joyeuse bien sûr mais, encore loin d’être hors service. Si elle déconnait tellement, c’était juste pour décompresser, elle n’aurait sans doute pas déconné à ce point en d’autres circonstances mais, elle en avait juste besoin.

- « Pour un mec que je vois perpétuellement plongé dans ses bouquins et ses notes de cours, t’es plutôt du genre déluré. Ça fait plaisir à voir. »

N’était-ce pas le moment de profiter pour parler un peu ? Elle le croisait tellement souvent sans le connaître que c’était presque dommage. Il avait l’air sympa et il semblait être capable de déconner aussi. C’était tout ce qu’il fallait ce soir, tout ce dont elle avait besoin, lui aussi peut-être. En attendant, elle avait envie d’en apprendre un peu plus sur ce pilier de bibliothèque. Ok, c’était surtout parce qu’il faisait partie de son paysage visuel régulier et c’était un peu égoïste mais, elle était curieuse. C’était pas sûr qu’il réponde, pas plus sûr qu’il ne réponde pas à côté de ses chaussettes. Au moins, la soirée serait drôle, elle l’était déjà.

⁂

Elle était comme ça Ivory, elle aimait la vie. Elle était pessimiste comme pas permis mais, elle aimait vivre à deux cent pourcents. C’était peut-être un reproche qu’on pouvait lui faire, elle vivait sans doute un peu trop. Entre son travail, ses passions, les sorties, le sport, le temps qu’elle offrait à ses amis, il ne restait pas souvent beaucoup d’heures dans la semaine pour trouver le sommeil. Qu’à cela ne tienne, elle préférait se laisser aller plutôt que de regretter de ne pas en avoir fait assez, surtout à l’heure actuelle où il faisait mauvais d’être mutant. Si sa vision de la vie pouvait faire du bien aux autres, elle n’allait pas se priver de la partager. Ulysse semblait en avoir besoin, peut-être pour légitimer sa façon de voir, de faire, elle n’en savait rien mais, elle était heureuse de lui rendre ce service.

Une chose était sûre, elle était heureuse de le découvrir autrement et ça se voyait, c’était quelqu’un de vraiment chouette et elle n’hésitait pas à être elle-même -dans une certaine mesure- avec lui. Elle dansait, s’amusait, riait, on aurait presque pu croire que son pessimisme n’existait pas. On aurait aussi pu la penser ivre alors qu’elle était joyeuse, au mieux. C’était l’avantage de connaître Seth depuis aussi longtemps, elle avait fini par avoir une sacrée descente. Pas vraiment quelque chose d’utile, pas non plus de quoi se vanter mais, chacun son cheval de compétition en soirée. Si elle dansait bien, ça n’avait rien d’exceptionnel non plus et puis au moins, c’était elle qui saoulait les mecs et pas l’inverse. Leur orgueil en prenait un coup, ç chaque fois ou presque.
Quand Ulysse se retourna, elle ouvrit des yeux comme des soucoupes. Il était vraiment en train de lui dire de grimper sur son dos. C’était pas banal de voir un mec se proposer comme monture et pas comme prince charmant. Elle éclata de rire. Ce type était vraiment génial.

- « D’accord, alors toi, je t’appelle dès que je sors, t’es exceptionnel comme mec. »

Elle grimpa sur son dos sans hésiter et s’accrocha à lui, prenant quand même soin de ne pas lui faire mal avec ses talons, ça n’était pas le but de la manœuvre. Elle fut ravie de voir qu’ils ne finirent pas au sol tous les deux. Pas encore assez alcoolisé pour être raid. Bien ! Elle ne croyait pas une seule seconde qu’il tiendrait tout le chemin. Elle n’était pas lourde mais, pas super légère non plus. Il était prudent malgré la connerie qu’ils étaient en train de faire se payant des regards méfiants, étonnés et blasés des passants. Vraiment, il était très chouette.

- « Avec plaisir très cher. Déjà, nous, on va dans le quartier nord, donc, on va par là ! »

Elle lui indiqua du doigt la direction à prendre et elle l’écouta lui dire qu’il n’était pas le même il y a deux ans. Tout le monde changeait, c’était normal non ? Elle allait répondre mais fut distraite par un poteau qui leur passa dangereusement près. Pas très sécur’ la monture, ce qui ne l’empêcha pas de faire une rime au passage, l’air de rien. Elle fit attention de ne pas tomber pendant qu’il se dandinait.

- « Woh woh Champion, t’as un précieux chargement sur le dos ! » Elle rit pour faire comprendre qu’elle déconnait. « Tu sais, on change tous. C’est pas mauvais, pas toujours. Mais c’est tant mieux qu’on se soit connu que maintenant. Si ça se trouve, ça aurait été totalement différent et on ne se serait pas aussi bien entendu. C’aurait été bête. »

⁂

Sur le dos d’Ulysse, Ivory passait une très bonne soirée, début de soirée en fait puisqu’il fallait s’y prendre un peu tôt à cause du couvre-feu. Il n’était pas rare qu’elle l’enfreigne mais, cette fois, son partenaire de fête semblait être en partie la voix de la raison. Elle serait donc rentrée à l’heure chez elle, est-ce que lui serait rentré à l’heure ? Elle n’en avait pas la moindre idée. Elle aviserait quand ils seraient chez elle. S’il n’avait plus le temps de rentrer et bien... elle lui offrirait son canapé. Qui qu’il soit, elle n’allait pas le laisser se balader avec des hunters partout en ville. Elle ne dormirait pas vraiment super bien parce qu’elle ne le connaissait pas vraiment mais, elle le laisserait pas se promener tout seule dehors après le couvre-feu. Pas question.
Elle rit en l’entendant parler, elle semblait l’avoir convaincu que la vie, il valait mieux la vivre que de la regarder passer à cause d’imbéciles bien pensants. C’était chiant, la bien-pensance.

- « T’as tout compris à ce que je t’ai dit tout à l’heure, c’est bien ! »

Tout en lui indiquant la route, elle faisait attention à ne pas déstabiliser sa monture du soir. Elle rit encore. En même temps, elle connaissait Radcliff comme sa poche depuis le temps qu’elle y vivait. Enfin presque, y avait des rues qui se ressemblaient trop.

- « Ouais, en même temps, si je connaissais pas la route qui me ramène chez moi, ce serait franchement triste, tu crois pas ? »

Ivy l’écouta lui raconter qu’il était sûr qu’ils n’auraient pas eu les mêmes interactions. Elle n’en doutait pas, elle non plus d’ailleurs. S’il l’avait connue quand elle était arrivée, il serait tombé face à quelqu’un de renfermé et particulièrement acerbe voire même désagréable. Cette époque-là, elle n’aimait pas trop y penser, il y avait trop de choses, trop de souvenirs dégueulasses qu’elle préférait garder bien enfouis.
Elle ricana intérieurement. Ses secrets ? Bordel, elle en avait quelques uns et elle n’allait pas les balancer comme ça et même si elle savait qu’il déconnait, c’était un peu naze mais, elle n’aimait pas trop parler d’elle. Aussi, quand il lui donna de quoi esquiver la question, elle s’engouffra directement dans les conneries qu’il avait énoncées.

- « J’élève une licorne dans mon placard. En fait, c’est une porte vers Narnia. Y a un mot magique pour y aller mais ça, c’est un vrai secret tu vois. Peut-être qu’un jour j’te donnerai le mot de passe si t’es sympa. C’est que c’est un peu la classe mon placard en plus, c’est un placard VIP. Bon, c’pas tout ça Champion mais on est arrivé et il se fait tard. T’es sapé comme en été mais c’est pas encore le top alors j’te propose un truc. D’abord, tu me reposes par terre que j’puisse ouvrir. Ensuite, j’te propose mon canapé. Le couvre-feu est pour bientôt et ce serait con que tu croises un fou furieux en cours de route. Qu’est-ce que t’en penses ? »

Une fois qu’elle eut les deux pieds au sol, elle ouvrit et le regarda en croisant les bras. Le temps qu’il réponde et qu’elle sache quoi faire. Elle ne comptait pas camper pendant des lustres dans le hall d’entrée et en plus, elle commençait à avoir la dalle, un petit peu froid aussi quand même.

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