Je demande congé pour retourner chez moi au plus vite. J'ignore ce qui m'arrive mais je sens ce mal qui se propage en moi. Je sens que j'vais être malade et je ne veux pas inquiéter mes patients qui eux, le sont déjà. Ça fait un moment que je me sens faible, fatiguée. Ça fait un moment que je suis obligée de m'absenter de plus en plus souvent. Je disparais à la salle de bain pour essayer de respirer profondément. Pourtant, malgré toute l'air que j'essaie d'avaler, j'ai toujours l'impression de suffoquer, opprimée par un malaise que je n'arrive pas à expliquer. Alors je cours à la maison. Je me réfugie à l'appartement sans même prendre le temps de signaler à mon fiancé que j'ai quitté le travail plus tôt. Je ne veux pas l'inquiéter, je ne veux inquiéter personne. Ce n'est probablement qu'un mal passager. Depuis ce vaccin qui a transpercé ma peau, je vois mon corps faiblir à petits feux mais c'est probablement que le temps de m'habituer à la perte de mon pouvoir, rien de plus. Je l'espère du moins, n'ayant pas envie de serrer la main de la Mort. Je ne veux pas en faire une amie, je veux continuer à vivre. Je suis sur le point de terminer mes études, de me marier, de vivre pleinement, quoi... je ne veux pas que ce vaccin m'arrache à la vie. Pourtant je la sens cette Mort qui plane au dessus de ma tête. À chaque fois que mon corps défaille, je la vois qui approche. En ce moment, elle me murmure à l'oreille alors que j'entre à l'appartement, peinant à choisir la bonne clé à cause de ces doigts tremblants qui ne m'obéisse pas entièrement. La porte s'ouvre, je me précipite à la toilette. Quand je croise mon reflet dans le miroir, j'aperçois un filet de sang qui s'échappe de mon nez pour venir salir jusqu'à mon menton. Je ne m'en étais même pas rendu compte jusque là et je me jette sur une serviette pour arrêter le flot. Le lavabo se remplit de rouge, ma tête se met à tourner. Symptôme du manque de sang ou du vaccin, je l'ignore mais je m'efforce d'arrêter le sang avec les quelques instructions que je connais de mon métier. Ma vocation. C'est blessant, alarmant de pouvoir sauver de pauvres patients alors que je n'arrive pas à prendre soin de moi, de mon corps qui défaille. Je voudrais avoir cette soudaine mutation de guérison pour voir disparaître ses effets secondaires qui grugent une partie de moi. Je voudrais ne jamais avoir été vacciné. J'ai été idiote de croire un instant que cela allait tout régler. Qu'une fois cette tare disparue, ma vie serait normale. Parents ouverts, corps libéré. Y'a bien eu ma soeur qui s'en est vue indignée. Plus que moi... mais maintenant, je commence à comprendre que ce n'était pas la solution. Je sais que mon fiancé se doute de quelque chose. J'essaie de cacher ce qui m'arrive, le mal qui me prend. Je l'entends d'ailleurs arrivé et je m'enferme dans la salle de bain. Je verrouille la porte et me fait couler un bain pour lui faire croire que je suis occupée, le temps que le sang cesse de s'échapper de mes narines. J'entends ses pas qui s'approchent et qui s'arrêtent devant la porte. " Emma ? Emma, tu es là ! y'a du sang partout dans le couloir, réponds ! " J'ai envie de me frapper si fort de ne pas avoir réalisé cela plus tôt... Après un moment d'hésitation, j'ouvre la porte à moitié, passant ma tête par l'encadrement, la serviette tâchée de rouge sous le nez. À la seconde où il pose les yeux sur moi, je vois son regard se teinter d'affolement. Il ouvre la porte grand et entre sans me donner trop le choix, posant ses mains contre les miennes. J'en peux plus, j'ai envie de craquer, surtout en voyant à quel point il est soudain dans tous ses états. " Oh mon dieu, qu'est-ce qui t'arrives ! On doit aller à l'hôpital. " Il veut m'amener avec lui mais je le retiens. Ça ne servira à rien. Ils ne peuvent rien pour moi à l'hôpital... Il n'y a pas de remèdes pour le vaccin des chasseurs.

- Non c'est inutile. Je sais exactement ce que j'ai.

Je tremble... je veux tout lui dire, me débarrasser de ce fardeau sur mes épaules devenues trop frêles pour supporter cette épreuve seule. Il a toujours été là pour moi et maintenant, j'ai besoin de lui plus que jamais.

- J'ai été vaccinée. Par les chasseurs, et le vaccin est en train de me rendre folle.

Folle car mon corps n'est plus le mien. Il se meurt et je suis impuissante pour arrêter le processus. Soudain, il s'éloigne de moi, comme si j'étais un monstre, une bête. Comme s'il ne me reconnaît plus. Pendant un instant, je ne comprend pas sa réaction et je cherche dans son regard un moyen de lire ce qu'il peut bien se passer derrière sa tête. Ce que je vois dans ses yeux... c'est ce que j'ai vu dans ceux de mes parents toute ma vie. Il n'a pas besoin de mots, d'aucune déclaration pour que je comprenne ce qu'il pense. Aucun mot, seulement le silence et ça me blesse plus que tout ce qu'il aurait pu dire. Il me rejette. Je le vois dans ses yeux. " Tu es - étais - une dégénérée ? " Ce mot me fait tressaillir, surtout venant de sa bouche à lui. Pourquoi dit-il une chose pareille ? Comment peut-il me faire ça ? Il fait un pas en arrière alors que le bain continue de couler derrière moi, mais ça, je l'ai déjà oublié, mon attention posée sur lui. " Je... Je peux pas, ok. Je dois y aller. " Il tourne les talons et me laisse là. À saigner, à pleurer. Blessée. De corps comme d'esprit. Je m'agenouille sur le carrelage froid alors que le bain se met à déborder après de nombreuses minutes à sangloter dans la serviette ensanglantée. L'eau arrive jusqu'à mes genoux mais je n'y fais pas attention. Autrefois, je devais sans cesse faire attention quand j'entrais en contact avec ce liquide si conducteur mais maintenant, j'ai perdu mon pouvoir, à quoi bon s'inquiéter. En réalité, non. J'ai tout perdu...