J’ai beau tout faire, j’ai beau le fixer d’un regard mauvais, me dire que dans tous les cas, on ne tue pas les gens à notre époque, que je ne risque rien, que je suis un Caesar, que je vais m’en sortir, j’ai peur. Je meurs de trouille, depuis le début, depuis que j’ai compris que ce n’était pas une blague, pas un jeu, pas un cauchemar. Que c’était juste la putain de réalité qui me rattrapait. J’ai peur, bordel, et pour toute réponse je ne peux pas m’empêcher de le provoquer, de me donner l’impression que malgré tout je reste moi, je reste fort, je reste indestructible. Ce qui est totalement faux, bien sûr. J’ai envie de pleurer, j’ai envie de me recroqueviller dans un coin et de le supplier de me laisser tranquille et de me mettre une balle dans la tête maintenant au lieu de reculer l’instant fatidique. J’en ai envie, j’en meurs d’envie, il faut bien se le dire, mais jamais, oh oui, jamais je ne le lui dirai. Parce que je n’ai presque jamais cédé devant mon père, il n’est pas question que je cède devant l’intimidation d’un psychopathe en herbe et encore moins devant lui. Alors je le provoque, alors je parle, alors je persiste à l’agacer et à lui répondre sans aucune retenue. De toute manière, il me déteste, pourquoi est ce que ça changerait ? Je vais appeler quelqu’un. Pardon ? Parce qu’il n’est pas seul à être aussi taré, il n’est pas le seul à se donner le droit de tuer des gens, de les torturer juste parce qu’ils sont différents ? - Tu n’as pas idée du plaisir qu’ont certains à faire parfois tellement pire que moi… Quand on me demande pitié, je me montre miséricordieux, il m’arrive de tuer sans douleur, proprement … Certains ne savent pas le faire… Peut être que mon camarade est de ce genre, le sais tu ? Tu verras bien … J’en ricane, désespéré. Je veux partir d’ici, je ne veux plus voir sa gueule, je veux replonger dans mon monde de hand, d’Astrid, d’ex et de café, de playmobiles et de cascades. Je ne veux plus le voir. J’essaye de me relever, sans y parvenir. J’en ai marre, j’en ai assez, même les Marius ont leur limite. J’ai envie de lui hurler de me lâcher, d’arrêter de me faire chier, j’ai envie de lui hurler que de toute manière, ma mutation ne sert à rien, elle n’est pas plus offensive qu’une limace des mers, bordel ! Alors pourquoi il vient foutre la merde dans ma vie, ce con ? J’ai envie de le supplier, de chialer comme un bébé et justement, c’est parce que je pense à un bébé que je pense à mon fils. Et à Martial. Et à Astrid. Pas question de craquer, pas maintenant. Quitte à crever, je ne baisserai pas la tête, pas devant lui, pas alors que tout en son comportement me fait penser à mon connard, bâtard, salaud de père. Alors Kingou, si tu as eu pendant deux secondes un Marius totalement détruit, et bien c’est dommage parce que c’est foutu. Et parce que je me débats psychologiquement du mieux que je peux. Avec un certain succès : je n’ai pas le temps de réagir qu’un Kingsley fou furieux se jette sur moi alors que j’éclate de rire. - JE VAIS TE TUER CAESAR, PUIS JE TE DECOUPERAI POUR TE JETER DANS LA GAMELLE DE MES CHIENS ? TU M ENTENDS CAESAR, TA VIE SE TERMINE ICI ET MAINTENANT. Je suis taré ? Peut être un peu. Parce qu’il me fait peur, mais surtout parce que de toute évidence, je ne suis pas aussi sans défense que je pouvais le croire : j’ai encore les moyens de le mettre hors de lui, juste en parlant. Et même si je suis obligé de cesser de rire en sentant un filet de sang s’échapper de ma glotte, mes yeux ne mentent pas et brillent de malice. - Tu l’ouvres moins espèce de démon quand ça devient sérieux. Vas y petit oiseau chante, au moindre son, je t’égorge comme un porcelet. Mes lèvres rient à ma place. Je meurs de trouille. J’ai envie de dire merci à mon père pour m’avoir aussi bien appris à lutter envers et contre tout, à continuer de faire chier mon monde même lorsqu’on pense avoir épuisé toutes mes ressources. « J’suis un lama, pas un oiseau ! » Je rétorque sans y penser, par réflexe, alors même que la pression de la lame sur ma gorge devrait me pousser à me la fermer, à m’écraser, à être intelligent pour une fois. Mais non. Je suis con. Je suis buté. Je suis chanceux parce que quelqu’un l’interrompt. - Si ce n’est pas de la chance ça, je ne sais pas ce que c’est. Allez lève toit, il te faut être présentable pour quand il arrive. Il me relève sans délicatesse, j’hoquète un vague « Désolé, j’ai oublié le nœud de papillon » qui s’étrangle dans ma gorge. Je gémis de douleur et de fatigue. - Ce que tu as dit est intolérable Marius, proprement intolérable « Il n’y a que la vérité qui blesse, petit Kingou. » Je ne peux pas laisser passer ça, tu comprends ? ce serait trop facile. Mais il faut que je fasse vite, avant qu’IL n’arrive… J’ai du mal à respirer, brutalement. J’ai peut être poussé le bouchon un peu trop loin. J’ai peut être… fait une bêtise ? Qu’est ce qu’on dit toujours ? on n’insulte pas les maman. Sauf la mienne. Parce que c’est une garce. Il attrape une matraque. « Qu’est ce que tu fous ? » Mon cœur s’emballe, une nouvelle fois. Son sourire a quelque chose d’inquiétant. « Kinglsey, écoute, je… » - Promis, ça me fait autant de mal qu’à toi. Je n’ai même pas le temps de rajouter quoique ce soit ni de finir ma phrase. Je hurle juste, simplement, douloureusement. Je hurle lorsque la matraque percute ma jambe, je hurle lorsque le craquement résonne le long de ma cuisse, de mon corps, le long de mon cerveau, lorsqu’il s’immisce dans ma mâchoire et explose à mes oreilles. Je hurle lamentablement alors que des larmes dégringolent de mes joues sans que je ne puisse les arrêter. - Je suis sur que tu as hâte de savoir qui va arriver. Il doit être dans le couloir, tu vas a-do-rer, j’en suis sûr… J’ai de toute évidence une capacité de résistance assez forte, une obstination qui constitue un pouvoir plus que ma mutation elle-même, mais je n’arrive plus à parler, la respiration entrecoupée de lourds sanglots provoqués plus par le choc qu’autre chose. Et je ne réponds rien. Strictement rien.
La porte s’ouvre. Je relève la tête, sans rien cacher de mon angoisse. La silhouette qui se dessine me tétanise. Je veux me lever, je veux… Je ne sais même pas ce que je veux. Mes yeux se noient d’incompréhension. Qu’est ce qu’il fait là ? « Martial ? » Qu’est ce qu’il fout là ? C’est… c’est lui que Kingsley a appelé ? C’est… « Martial ? Mais qu’est ce que… » J’ai du mal à respirer. De plus en plus de mal. Il ne me regarde qu’une fraction de seconde, le temps de me réduire en charpie. Impassible. C’est pas mon frère. C’est mon père qui se tient devant moi. « Martial ? » « Hey Kingsley ? Tu te crois malin à présenter mon frère ainsi ? » Je tremble. Je veux me lever mais la chaise se contente d’un couinement dérangeant. « S’il y a des conséquences, je doute qu’Hippolyte soit enchanté de l’apprendre… » Qu’est ce que… « Martial, qu’est ce que tu racontes ? » Mon regard n’arrive pas à s’arracher de mon frère. Mon jumeau. La moitié de mon âme, mon cerveau, mon courage, ma vie. Et… il… « Moren, c’est un psychopathe ! Qu’est ce que Papa vient faire là dedans, qu’est ce que… »
Le fait qu’il ait réussi à blesser suffisamment Marius pour qu’il soit incapable d’ouvrir son insupportable petite bouche pendant bien 3 minutes serait probablement la victoire la plus importante de Kingsley de ce soir. Il en avait marre d’attendre, pour le tuer, attendre que Martial arrive enfin, qu’il lui donne son aval, qu’ils puissent enfin éradiquer cette ignominie de la surface de la Terre. Oh bien sur, il se doutait que ce ne serait pas facile pour le jumeau, mais que voulez vous, quand on a une mission, parfois il y a des dommages collatéraux, et Marius en était un. Un bruyant, puant, désagréable dommage collatéral. Et si Martial n’avait pas le courage, et bien, il s’en chargerait lui-même. Ce ne serait pas facile, il aurait surement des remords, des cauchemars la nuit et puis … oh, non, en fait, pas du tout. Il adorerait faire ça. Peut être même que cela le mettrait de bonne humeur pour toute la semaine, peut être même qu’il donnerait une augmentation à sa secrétaire et qu’il achèterait de nouveaux jouets à ses chiens pour fêter ça. Mais il devait patienter, encore au moins un tout petit peu. Et dieu seul savait que la patience n’était pas sa première vertu.
Quand Martial passa enfin l’encadrement de la porte, Kingsley s’attendait à un peu plus de réaction de la part de son associé : après tout, il pensait Vraiment lui faire une surprise. Il ne doutait pas une seule seconde de la bonne foi de son acolyte, et envisageait sérieusement que ce dernier n’était pas au courant de la mutation de son frère. Après tout, il lui aurait dit sinon. Aussi, l’impassibilité de Martial lui fit aussi un sourcil, bien qu’il ne se départit pas de son sourire un seul instant.
- Malin je sais pas, doué, c’est sur, puisqu’il est venu se rendre presque sans opposer de résistance…
Bon, se rendre n’était peut être pas le terme adéquat pour la situation, mais de toute manière, Marius n’était pas spécialement en état de rétablir la vérité, Kingsley ayant aperçu qu’une des canines inférieures du mutant se détachait méchamment de sa gencive. Un mot au dessus de l’autre et il se ferait un plaisir d’égaliser de l’autre coté. Alors que Martial laissait son regard reptilien glisser de son frère au chasseur en faisant référence à patriarche des Caesar, il leva les yeux au ciel, les faisant rouler dans ses orbites : bien sur qu’Hyppolyte ne serait pas ravi, mais il avait fait l’effort de ne pas le tuer directement, n’était ce pas une preuve évidente de sa bonne foi et du respect des conventions et des codes d’honneur ? Parce qu’il était au maximum de ses capacités, là. Il balaya les babillages de Marius d’un geste impatient de la main, comme s’il chassait une mouche un peu trop collante.
- Tu noteras qu’il a encore tous ses membres attachés à son tronc… Pas tous intacts, mais au moins tous là, c’était déjà un beau geste, je trouve, envers un traitre à son sang.
Les mots étaient durs, mais Kingsley était persuadé que Martial n’en prendrait pas ombrage, puisque ce n’était que la vérité. King avait d’ailleurs hésité à appeler le paternel Caesar plutôt que le frangin, et c’était uniquement son amitié pour lui qui l’avait décidé à lui laisser la part du lion. Martial devait se sentir flatté, même si, comme d’habitude, il n’exprimait pas vraiment ses émotions.
- Figure toi que ton petit cachotier de frangin s’est retrouvé mêler à un accident de voiture à NY et qu’à son retour, une citoyenne de notre bonne ville m’a averti qu’il était capable d’agissements dépassant l’entendement humain … J’ai donc considéré qu’il était de l’ordre de la préservation de l’ordre et de la sécurité publique que de le … neutraliser, le temps que votre famille décide de ce que vous allez faire de lui. Je suppose qu’il faudra appeler ton père rapidement, sans quoi la situation risque de devenir rapidement délicate…
Ce n’était même pas une menace, plutôt un exposé des faits. Contrairement à la façon dont il s’adressait à Marius, Kingsley parlait à Martial d’une voix calme, posée. Respectueuse. Il était tranquillement adossé contre le mur, et semblait avoir recouvré un calme olympien, et rien ne pouvait amener l’autre avocat à deviner le déchainement de violence auquel il s’était adonné quelques minutes à peine auparavant …
Je suis entré. Dans mon fort intérieur, je me suis doutée que Marius ne comprendrait pas. Ne saurait pas ce qui lui tombait dessus. Comment pouvait-il avoir le moindre doute, après toutes ces années, ignorant le secret le plus élémentaire de la famille Caesar, et pourtant le plus dissimulé ? Il ne pouvait pas deviner, comprendre, connaître ce qui l’attendait. Heureusement. D’un autre côté, ses questions n’auraient nulle réponse, trop concentré sur Kingsley et certainement pas dans un moment d’intenses révélations. Marius ne comprenait nullement, mais c’était pour son bien que de telles mesures étaient prises. Pour le sortir d’affaire, je n’avais d’autre choix que de coopérer et me montrer conciliait, sous peine de me mettre également en péril, chose que mon père ne pardonnerait. Pour ce faire, je devais également l’emmener voir notre père, que Marius le veuille ou non. Ou gérer de mon côté tout en assurant au paternel que la gangrène avait été traitée. Je ne pardonnerai d’ailleurs nullement Kingsley d’avoir exposé les Caesar aux autres membres de sa famille, sans préavis, une chose qu’il allait regretter, tôt ou tard. Ses affaires de famille ne tombaient nullement entre les mains d’autres hunters, que je sache.
« Si ce n’est que cela, je l’emmène directement chez Hyppolite. Ce sera plus simple que de te voir jouer l’intermédiaire trop longtemps. Dans l’état dans lequel mon frère se trouve, mon père risque de moins apprécier tes services… problème ou pas, Marius relève de l’autorité des Caesar. Et tu t’en es mêlé sans notre avis.»
Froid, complètement hermétique à la situation présente, j’étais habitué par la pratique à n’avoir aucun sentiment, aucune émotion dans ce genre de situation. En dévoiler ne serait-ce qu’une partie, trembler ou simplement montrer un signe de peur ou de crainte pour trahir une hésitation, c’était s’exposer à un risque non négligeable. Un risque que je ne me permettais pas de prendre. De toute évidence, la prestance de mon père suffisait à intimider les plus jeunes. Avec ceux de son âge, je ne me serai jamais permis ce genre de comportement et ainsi prendre le risque de m’exposer à du remontage de bretelles des anciens. Marchant ça et là dans la pièce, j’ignorais presque Marius, l’air de rien, gérant mes affaires avec Kingsley. Le reste n’avait pas d’importance que celui de gérer cette situation au plus vite, et sa bavure. Première fois que ce problème me tombait dans les bras, le jour où je n’avais plus d’autre choix que celui de dévoiler qui j’étais véritablement. Marius m’en voudrait certainement, et je m’étais préparé à ce que cela arrive. On n’est jamais prêt pour accepter ce genre de vérité, jamais. Si je prenais le risque de perdre l’amour de mon frère, au moins serait-il en vie et en sécurité. C’est tout ce qui importait véritablement à l’heure actuelle. Imperturbable, je poursuivais.
« Je me demande ce que tu aurais fait avec le cadavre de mon frère dans les bras. Aurais-tu pris le temps de m’appeler, ou l’aurais-tu enterré dans un fossé en faisant mine d’être innocent dans l’affaire ?»
Certains l’avaient déjà fait. Courant, efficace, habituel. Nous ne maîtrisions pas les décès, parfois incapable de les connaître. Certains se faisaient dans un coin, personne ne le mentionnait, tout le monde s’en doutait malgré tout. Pour éviter de se justifier, pour fuir la réalité, se donner des circonstances atténuantes. Pour ne pas assumer l’accident, l’opération ayant mal tournée. Plutôt que de reconnaître ses erreurs – impardonnable- on enterrait ses secrets avec soi dans sa tête. Jusqu’à être attrapé par un maître chanteur. Difficile d’assumer sa nature, même pour nous.
« Sommes-nous donc si impuissants dans ma famille pour être incapable d’étouffer nous-même l’affaire ? D’après toi ça m’en tout l’air… Tu n’aimerais pas que je fouille dans les secrets de la famille Moren, même si selon toi elle n’a rien à dissimuler. On a tous des secrets.»
L’affaire. Le prétexte pour torturer, l’excuse. Sauf qu’il aurait dû nous en parler avant. Je pourrais faire de même avec sa famille. Pourquoi pas. Chacun ses affaires, il allait apprendre ce que cela coutait de se mêler de ce qui ne le regardait pas. A moins qu’il n’accepte de me donner son prisonnier pour gérer moi-même cette affaire. La balle est dans ton camp Moren, sache te montrer intelligent pour ce coup-là.
C'est mon monde qui s'écroule. Petit à petit, les bâtiments qui le composent vacillent sous le tremblement de terre, se fendillent, se délitent, tombent en ruines en réduisant tout en poussière. Et moi, je hurle. Intérieurement. Je pleure. Vraiment. De douleur, déjà, parce que le choc du coup remonte lentement dans ma jambe et la fracture ensanglantée sous la chair explosée, mais surtout sous l'hébétude. Martial, Martial est là. Mais ce n'est pas lui, pas lui du tout. Mes questions… restent sans réponse. Ce n'est pas Martial, ce n'est pas mon frère, ce n'est pas mon jumeau qui vient de rentrer dans la pièce, quoiqu'on puisse en dire. C'est l'impassibilité de mon père, c'est le dédain de ma mère. C'est tout ce que je peux haïr chez mes parents qui vient de s'incarner en mon frère. Et c'est ça, de loin, qui me fait le plus mal. - Tu noteras qu’il a encore tous ses membres attachés à son tronc… Pas tous intacts, mais au moins tous là, c’était déjà un beau geste, je trouve, envers un traitre à son sang. Ta gueule, mais ta gueule Kingou. Rends moi mon frère, rends moi mon jumeau. « Martial... » Je me concentre pour ne pas fondre en larmes. Traitre à son sang ? Putain, mais qu'est ce qu'il raconte ? - Figure toi que ton petit cachotier de frangin s’est retrouvé mêlé à un accident de voiture à NY et qu’à son retour, une citoyenne de notre bonne ville m’a averti qu’il était capable d’agissements dépassant l’entendement humain … J’ai donc considéré qu’il était de l’ordre de la préservation de l’ordre et de la sécurité publique que de le … neutraliser, le temps que votre famille décide de ce que vous allez faire de lui. Je suppose qu’il faudra appeler ton père rapidement, sans quoi la situation risque de devenir rapidement délicate… Mon père ? Mais… la logique de la situation me heurte avec violence. J'ai du mal à respirer, j'ai envie de me lever, j'ai envie de forcer Martial à me regarder dans les yeux, j'ai envie qu'il me prenne dans ses bras pour me protéger de tout et qu'il me redise, les yeux dans les yeux, qu'il ne m'abandonnera jamais.
De toute manière… c'est Martial. Il va dire à Kingsley la vérité, il va le frapper, il va me défendre. C'est mon frère. C'est mon jumeau. Et s'il m'ignore, c'est pour mieux me faire le sourire complice et plein de chaleur qu'il me balançait entre deux moues hautaines dans les soirées mondaines où il s'appliquait encore plus que d'habitude à être parfait, à être le fils Caesar respectable que tout le monde voyait en lui. Voilà, c'est ça, il joue la comédie. Il ne m'a pas ignoré, il ne m'a pas oublié, il ne m'abandonne pas. Il va… « Si ce n’est que cela, je l’emmène directement chez Hippolyte. Ce sera plus simple que de te voir jouer l’intermédiaire trop longtemps. Dans l’état dans lequel mon frère se trouve, mon père risque de moins apprécier tes services… problème ou pas, Marius relève de l’autorité des Caesar. Et tu t’en es mêlé sans notre avis.» Marius relève de l'autorité des Caesar. J'ai mal. Très mal. Je dois mal entendre, je dois mal comprendre. Je vais oublier, tout oublier, je vais me réveiller et demain j'irai voir Martial pour qu'on aille boire un verre et effacer ce cauchemar de merde.
Parce que ce n'est pas lui, bordel de merde, ce n'est pas lui qui est aussi froid, aussi détaché. Je ne l'ai jamais vu comme ça, ou du moins, jamais vu comme ça face à moi. Face aux autres, j'en ai rien à faire. Mais je veux, j'ai besoin de son regard. Qu'il ne soit pas comme ma mère, qu'il n'oublie pas que j'existe, qu'il ne me traite pas comme un objet ou une sous-merde. Qu'il ne soit pas comme mon père, qu'il ne voie pas en moi qu'un poids à traîner, une tâche sur le nom des Caesar. « Marty, regarde moi, s'il te plait... » Ma voix tressaute. Tremble. Ne ressemble en rien à ma voix tenace, insolente, têtue à laquelle je l'ai habitué. Elle s'intensifie, lorsque je répète pour mieux le couper : « Je me demande ce que tu aurais fait avec le cadavre de mon frère dans les bras. Aurais-tu pris le temps de m’appeler, ou l’aurais-tu enterré dans un fossé en faisant mine d’être innocent dans l’affaire ?» « MARTIAL REGARDE MOI BORDEL ! Regarde moi, je t'en supplie… » Attirer son attention. Il ne peut pas, il n'a pas le droit de m'abandonner. Il parle de moi comme si… c'est mon père qui est face à moi. Je n'écoute même pas ce qu'il continue à dire. Sa voix n'a rien de sa chaleur habituelle, n'a rien de sa tonalité qui me rassure, qui m'apaise, qui est capable de franchir le bruit du tonnerre lorsque je rentre dans mes colères noires. Sa voix a ce ton glacial des parents Caesar. Ce n'est pas sa voix, ce n'est pas mon frère. « Tu m'avais promis, Marty, tu m'avais promis de ne pas m'abandonner… »
Il a promis. Je me raccroche comme un désespéré à cette idée. Il faut que je lui fasse confiance, Martial sait ce qu'il fait, sait ce qu'il dit, sait ce qu'il doit faire mais… il a promis. Et moi, j'ai trop mal pour tout comprendre, j'ai trop mal pour voir autre chose que mon frère qui m'ignore. Comme ma mère avant lui. Comme mon père parfois. Mon frère qui me trahit, comme Astrid. C'est mon monde qui s'écroule, c'est mon monde qui est détruit. Et ça, Moren, tu dois en être ravi : Martial vient de réussir, comme toujours, l'impossible avec moi. Lorsque je hurlais, il était capable de me faire taire juste en posant sa main sur mon épaule. Lorsque je me mettais en tête de faire une connerie, il était capable de m'en dissuader juste d'un mouvement de tête. Et bien là, il vient de me détruire. Je suis désespéré. Je suis lamentable. Je suis misérable. A des années-lumières du mec qui tenait tête au psychopathe en puissance. Pas question de pleurnicher, de supplier, de chouiner devant Kingsley ? Et bien Martial, il a le droit à toute la panoplie. « Je t'en supplie, Martial, je t'en prie, ne deviens pas comme eux, ne m'abandonne pas toi aussi... » J'ai juste une envie: mourir ou m'évanouir, que le cauchemar s'arrête.
Kingsley n’était que plaisir et délectation quand il observait le visage de Marius, qui se décomposait de seconde en seconde. Le mutant avait littéralement perdu toute sa superbe, balbutiant, couinant, pleurant comme le chasseur rêvait de le voir faire depuis des heures. Des heures ? plutôt des mois en réalité. Il n’avait pas songé une seule seconde que la vue de son jumeau lui ferait un tel effet. Il le saurait pour la prochaine fois tiens, pour une autre abomination. Il avait l’impression d’avoir un tout nouveau jouet bien plus à son gout que le précédent. Bien sur Martial se montrait stoïc, froid, à la limite du désagréable. En même temps, se rendre compte qu’on est le jumeau sain d’une erreur de la nature ne devait pas être une expérience particulièrement agréable, aussi Kingsley fit fi de ce ton un peu méprisant et des reproches à peine voilés du Caesar. Le menacer de représailles de la part de son père ? Le chasseur manqua de lever les yeux au ciel tant l’idée lui paraissait saugrenue : Hyppolite et lui avaient Toujours été sur la même longueur d’onde, famille ou pas, amis ou pas, les mutants étaient des dangers qu’il fallait éradiquer. Il n’avait pas forcément fait les choses dans les formes, mais lui au moins, il agissait : depuis combien de temps Martial n’avait il pas assister à une chasse, traquer un mutant ? Son associé commençait à s’attendrir, Kingsley en était à présent persuadé. Alors non, il ne s’excuserait pas pour son comportement :
- Je le répète, tu peux t’estimer heureux qu’il ait encore tous ses membres, et surtout sa langue, qui est définitivement l’appendice le plus dispensable de toute son anatomie… *il haussa un sourcil, alors que Martial lui proposait de ramener son frère auprès de son paternel* si tu penses que c’est la meilleure chose à faire, soit. Je ne vais pas égorger ton jumeau juste parce que je l’ai attrapé en premier. La famille d’abord…
Il hocha la tête d’un air entendu, alors qu’en arrière plan il voyait Marius s’agiter pitoyablement, réclamant à son frère quelques secondes d’attentions, des explications, un espoir. Sauf que Martial n’était pas un espoir, il serait une sentence, ou à tout le moins Kingsley l’espérait. Sans cela, il ne pourrait plus faire confiance à son associé et ça, ça l’embêterait fortement. D’ailleurs, la réflexion de ce dernier lui tira son habituel rictus inquiétant, alors qu’il s’était saisi d’une serviette accrochée sur le dossier de sa chaise pour se nettoyer les mains des quelques giclures de sang qui s’y étaient incrustée :
- J’aurais été bien trop heureux pour garder ça pour moi. Mais encore une fois, il vit encore, alors rien ne sert de parler de scénarios bien plus agréables pour moi. J’ai su me retenir.
Il jeta le torchon dans un coin, alors que Martial l’accablait, encore et toujours. Ça commençait à devenir désagréable, même pour lui : après le premier jumeau, c’était le second qui lui faisait des reproches ? Un comble, ce n’était pas lui le méchant dans l’histoire. Il se rapprocha de Martial pour lui faire face, ses yeux lui lançant des éclairs. L’adrénaline coulait en si grande quantité dans les veines du chasseur qu’il ne craignait plus rien, pas même d’en venir aux mains avec son meilleur ami :
- Si ta famille pouvait « gérer » seule, elle n’aurait pas laissé grandir ton frère. Les mutants c’est comme les chiots bâtards, quand la tare est décelée, on les enferme dans un sac et on les fout à la flotte. Alors peut être qu’il a été suffisamment malin pour vous berner pendant 20 ans, grand bien lui fasse. Mais maintenant vous avez votre devoir à remplir, Hyppolite et toi. J’espère que tu ne te dégonfleras pas Juste parce que vous avez les mêmes yeux et qu’il pleure beaucoup, pour un homme.
Les yeux toujours plissés, il recula d’un pas, puis d’un autre, jusqu’à pouvoir attraper sa veste d’une main, renfilant son costume d’avocat bien comme il faut.
- Il est tout à toi, ou plutôt tout à vous. Fraichement vacciné, suffisamment amoché pour qu’il ne puisse pas s’enfuir. *il rajouta, glacial*]Pas sans aide en tout cas.
Il passa rapidement devant Marius pour lui offrir son sourire le plus terrifiant, celui qui disait « si tu ne meurs pas ce soir, je te retrouverai et je te finirai moi-même, monstre ». Un dernier salut de la tête à Martial et aux gardes, et il sortit de la salle d’interrogation, un air satisfait peint sur le visage : il n’avait peut être pas pu tuer Marius ce soir, mais il lui avait donné matière à cauchemarder pendant quelques mois. Il ouvrit son téléphone portable pour cocher un onglet, puis repartit tranquillement de la base dans sa voiture de luxe : il avait quelques dossiers à terminer au bureau, et l’excitation de la soirée lui permettrait probablement de travailler efficacement toute la nuit…
Spoiler:
c'est tout bon pour moi les chatons, profitez de vos retrouvailles