Hole in my soul  

Je suis en retard, toujours la dernière c'est bien moi. La fille qui prend tout son temps pour ranger son équipement. Je sais parfaitement que ce n'est pas MES caméras mais c'est plus fort que moi je les bichonne tout autant. Et puis aujourd'hui n'est pas une bonne journée niveau temps, il a pas mal plu, certes le réalisateur était ravi pour les scènes de pluie mais le matériel est forcément à nettoyer après. Alors je le fais, je prend mon temps, je fais les choses consciencieusement pour éviter d'avoir des marques d'eau sale demain sur la lunette de ma caméra et devoir tout refaire. Je me ferais à coup sûr engueuler, on part apparemment suffisamment de temps, comme c'est un tournage long en extérieur il prend largement plus de temps que si nous le faisions en studio. D'ailleurs j'aimerais tellement en faire, aller à Los Angeles, tenter ma chance monter doucement, je suis jeune j'ai encore du temps mais je sais qu'il faudra un jour que je bouge de ce trou, niveau cinéma, on ne trouve rien à Radcliff. J'y songe beaucoup depuis que Marius m'a trompé que je suis obligée de le croiser tous les jours que durant plus d'un mois il a tenté de renouer le contact mais tout ce qu'il a réussi à faire c'est me faire fuir d'avantage. Je songe à partir un mois, c'est le temps moyen d'un tournage à Los Angeles, dans les studios tout va plus vite, certes on a des scènes extérieur et parfois faut bouger mais m'éloigner de la ville quelques temps ne pourrait pas me faire de mal. Oh il n'y a pas que Marius qui me pousse à avoir postuler pour des longs métrages, mon frère y est aussi pour quelques choses, je n'arrive pas à lui pardonner et je ne veux pas je crois, j'ai encore du mal à me dire que nous ne sommes pas mortes ma soeur et moi alors que lui était sous l'emprise de stupéfiants. Sa mutation n'a strictement rien à voir là-dedans, bien qu'elle ne m'enchante pas vraiment, je me méfie tellement ce qu'il pourrait en faire, j'y crois à peine d'ailleurs, il fait surement ça pour se disculper et je ne veux pas le revoir, seulement ma famille, toutes les semaines elle me fait pression parce qu'il demande toujours de mes nouvelles, bientôt je serais loin enfin, je l'espère. J'ai postulé pour être une des caméras principales d'un bon réalisateur américain, on débuterait le tournage en studio du coté de New York avant de terminer dans les studios, 5 semaines à bosser me ferait un grand bien. Et puis c'est un film à budget alors mon nom sera plus remarqué par les pros après. Bon j'évite de m'emballer pour le moment, chaque fois que j'espère un truc cela finit trop mal alors.

je referme le local à caméra. Je vérifie que la porte soit verrouillée, oui je peux paraître légèrement maniaque je sais. Mais c'est mieux ainsi. Je regarde l'heure, j'ai une heure pour passer à l'appartement, me doucher et me changer. Je dois dîner à la pizzeria avec Martial, décidément les deux frères français de la ville ne me quitte pas vraiment. Bref, je me presse, je passe mon badge pour sortir et je salue le vigile de nuit. J'enfourche ma moto et en 15 minutes à peine je suis en bas de mon nouvel immeuble. Je suis d'ailleurs bien contente d'avoir tenue l'adresse secrète, ni Zoey, ni Marius ne savent où je vis maintenant, surtout Marius qui déboule trop souvent à l'improviste. Je claque la porte avec mon pied, je pose le courrier sur le plan de travail et je file à la salle de bain. Je suis contente de me doucher après une journée pareille. Je me presse de m'habiller, j'enfile une jean propre, des bottines ( oh bah oui toujours les mêmes ) mais je mets une haut un peu décolleté et plus habillée qu'un débardeur. Je détache mes cheveux qui après une journée tressée ondulent parfaitement. Je me maquille un peu, histoire de pas avoir l'air épuisée et je me sens prête, heureusement parce que c'est l'heure. Le restaurant n'est pas chic non plus juste simple et les pizzas sont supers bonnes, cela fait en plus longtemps que je n'ai pas vu Martial, j'aime discuter avec lui, il a le charme français de son frère mais son coté posé et mature me fait le plus grand bien. J'y vais à pied, je prend un parapluie, les averses n'arrêtent pas. En 10 minutes je suis dans le restaurant et je m'installe au bar le temps de prend l'apéritif en attendant mon ami, je commande un verre de vin blanc français, juste pour l'épater, mon accent français est toujours aussi nul mais j'adore cette langue.

« La séance est ajournée »

Du délire. Du pur délire. Trois jours que nous autres avocats nous entretuions pour la défense de nos clients respectifs. Trois jours que les jurés ne parvenaient pas à statuer sur le verdict final, tant les preuves demeuraient tangibles, tantôt écrasées par une autre pièce à conviction, tantôt ajoutées au tableau de chasse du parfait manipulateur, jouant avec les textes de lois, jonglant de sorte d’avoir toujours, envers et contre tout l’avantage. En attendant, nous nous tuions tous à la tâche pour l’emporter, tant et si bien que les mots revenaient, frappant avec redondance ceux qui, d’un regard extérieur devait répondre au procès et rapporter le verdict final. Même moi ne savait plus quoi en penser de cette affaire ; et si j’avais pris parti de défendre mon client jusqu’au bout, il craquelait de plus en plus son masque, dévoilant sa véritable nature perverse. Incapable de se défendre avec intelligence, il aggravait son cas, mais là n’était que ma propre opinion à laquelle je ne pouvais répondre autrement que par des rebonds pour le remettre sur les rails. J’étais payé pour cela, qu’il soit coupable ou non, du moins devais-je atténuer les circonstances en contournant la loi, en trichant finalement par rapport aux textes pour trouver le meilleur atout possible. Un travail de longue haleine, demandant du temps, de l’énergie, et n’en finissait pas de me dégouter de plus en plus. Cela devenait pénible, de toujours défendre les autres, revêtir cette robe, effectuer de grands discours pour la défense, clamer haut et fort même ce que je ne pensais pas finalement. J’étais payé pour convaincre le juge du contraire, le convaincre que finalement, s’il était coupable, il n’était pas entièrement responsable. S’il était victime également. Démêler le vrai du faux ne relevait pas de mes compétences et c’était là toute la perversité de mon travail. L’avocat n’était nullement en quête de vérité, et c’était au fond ce que je commençais vainement à rechercher dans ma vie. De la franchise, de l’honnêteté, des valeurs sûres. Pas un faux semblant pour aider dans l’assouvissement des intérêts personnels de chacun. La justice, un bien grand mot même si le système ne semblait en soi pas si défaillant que cela. Sauf lorsqu’il était question de tricher. Encore une fois dans l’intérêt personnel de chacun, malheureusement.

Retirant ma robe après une longue conversation avec mon client pour la suite du procès, je pus enfin souffler de toutes ces jérémiades. Enfin tranquille, le temps de respirer un peu. En fin de compte, pas tant de temps que cela. Voyant déjà l’heure tardive, je me souvenais du repas que j’avais avec Ashley pour me dépêcher de sortir du tribunal. Etant donné la circulation en ville, autant que je laisse la voiture au garage pensais-je rapidement, tandis que je vérifiais dans ma veste si mon portefeuille s’y trouvait bien. A défaut de n’avoir pas le temps de repasser chez moi, Ashley allait avoir la surprise de me voir en vêtement de travail, cravate et costume. Au premier abord, je ne faisais relativement plus mon âge, passant directement à la trentaine passée avec cet air sérieux sur mes traits. J’aurais peut-être dû retirer la cravate, cette pensée me traversa alors que je traversais la rue en toute hâte. Tant pis, trop tard.

Passant l’angle de la rue pour rejoindre le restaurant, je consultais avec anxiété ma montre avant de ralentir le pas face à la poussette placée sur le trottoir. J’aurais tout au plus dix minutes de retard. Ce qui aurait largement pu être pire. Passant la porte du restaurant, je cessais ma course effrénée, avant de prévenir le serveur que je cherchais mon amie. L’apercevant au comptoir, je m’affairais à sa rencontre avant de la saluer.

« Toutes mes excuses pour le retard. Ces derniers temps c’est assez nerveux à la cour… tu as certainement entendu parler du procès Blacksword. Une séance ajournée de plus, ça ne va jamais finir. »

Avec elle je me permettais une explication, pour la considérer comme une amie en qui je donnais. D’habitude j’évitais de parler de moi ou de tout ce qui pouvait se relater avec mon quotidien. Cela ne les regardait nullement. Commandant également un apéritif, préférant le goût prononcé de l’anis d’un pastis, je me tournais à nouveau elle.

« Bref, je ne compte pas parler boulot ce soir. Tout va bien pour toi ? Oh, je vois que tu t’es mis au vin blanc, tu as pris lequel ? »

Hole in my soul  

Je n'ai jamais vraiment coupé les ponts avec Marius finalement, je me dis qu'il serait temps mais je me rend compte que je n'y parviens pas. Je ne sais pas comment gérer ça. Il y a toujours un détail qui me ramène à lui, forcément c'est compliqué pour l'oublier et j'ai l'impression qu'il me fuit partout où je vais. Ce soir c'est un peu ça... C'est encore quelque chose qui me ramène à Marius, je suis persuadée que le sujet va forcément arriver. Je dîne avec le frère de celui-ci, Martial, deux beaux français. Je sais que j'aurais pu craquer pour Martial aussi peut-être que c'est ce frère là que j'aurais dû choisir, il est bien plus raisonnable et posé que son frère. Physiquement il est tout aussi séduisant, alors forcément j'aurais pu, maintenant je sais parfaitement que c'est trop tard. Trop tard parce que j'aime Marius et que même si nous ne sommes pas faits l'un pour l'autre je l'aime et il me faudra du temps pour arriver à l'oublier et je crois que ce n'est pas en séduisant le frère de celui-ci que j'arriverais à passer outre. Enfin bon, cela me fait quand même du bien d'avoir Martial pour moi ce soir, je veux être bien, ne pas me prendre la tête et je crois que c'est la meilleure des idées à faire, je ne veux pas broyer du noir toute seule dans ce nouvel appartement que je loue. Mes cartons ne sont même pas défaits, j'ai affreusement honte mais comme je ne reçois personne, peu importe. Et puis j'ai toujours été bordélique, l'ordre m'angoisse, rien ne peut jamais être à la bonne place alors je préfère que tout soit à une place éphémère. Bon après je range un peu, on ne trouvera pas de culotte qui traîne sur le canapé. Dans ma salle de bain peut-être, voir dans ma chambre mais jamais plus d'une journée, je trouve cela bizarre quand même et vraiment sale. Enfin bon... je vais arrêter de parler et de mon appartement en bordel et de Marius, je ne suis ni chez l'un ni avec l'autre alors j'avance ce soir et je profite d'une bonne pizza avec un bon ami.

J'arrive un peu en avance. Le temps d'attendre notre table et mon ami, le serveur me propose de m'installer a bar, juste le temps que je commence l'apéritif. Ils sont malins pour vous faire dépenser même si on vous pose un lapin, vous avez à payer, le minimum. Je carte rapidement la carte, mes yeux s'attardent sur la partie vins. Marius m'a appris quels vins français sont délicieux. Alors je voyais un petit vin blanc du sud de la France je crois si je ne me trompe pas. Je ne sais pas si c'est bien celui que j'apprécie mais de toute façon j'aime le vin, donc on est bien. Je me doute que cela ne dérangera pas Martial que j'ai entamé, il ne devrait pas vraiment tarder. J'ai hâte qu'il arrive d'ailleurs, je me sens un peu seule à ce bar. La pizzeria est remplie de couple, de famille et moi je suis toute seule... Géniale. Bon une fois mon ami arrivait cela ira mieux. Puis il arrive. Bon j'avais raison, il n'a pas tardé finalement. Son retard n'est pas gros, je ne peux pas lui en vouloir. Mais il semble vouloir m'expliquer le pourquoi du comment, je lui fais un léger sourire de compréhension. " t'inquiète pas, maintenant tu es là et c'est tout ce qui compte " Il note rapidement que j'ai un verre de vin. Je le regarde s'installer et commander son apéritif. " Oui, ton frère m'a appris que les vins blancs français sont plutôt bons, alors j'ai bien appris ma leçon " je lui fais un léger sourire encore. Je réfléchis et je sors un nom de vin, je crois que c'est celui ci. " Un Monbasiaque je crois, je le trouve plutôt bon d'ailleurs " je lui tend " tu veux goûter ? enfin je suis sûre que tu connais largement mieux que moi " je bois d'ailleurs une gorgée. " hum alors comment ça va, hormis ce procès qui ne se termine pas ? "

Qu’est ce qui au fond dictent nos vies, nos gestes, et nos actes ? Est-ce fondé sur un schéma basique, répétitif, ou simplement est-ce un schéma que nous tissons nous-même en fonction de notre passé, notre présent et notre futur ? Fréquenter l’ex de mon frère n’est pas chose banale, on pourrait même penser que nous flirtons ensemble, cherchant à se miroiter l’un comme l’autre pour voir si finalement, il n’y a pas eu erreur par le passé. Qu’est ce qui fait qu’à un moment une fille peut potentiellement nous plaire à nous en damner pour attirer ne serait-ce que son attention et d’un autre côté fermer toute possibilité qu’un jour la moindre connexion même infime n’arrive ? En quelques mots, c’était un peu le lien que nous entretenions Astrid et moi. Toujours nous garderions une certaine réserve de l’un et l’autre, sans jamais franchir la ligne interdite Par respect pour mon frère et pour ses sentiments envers lui, nous ne pouvions nous résoudre à jouer avec pour les détruire et les nouer à notre façon. En étant pour un temps simplement la copine de mon frère, j’avais fermé toute possibilité éventuelle que quoi que ce soit n’arrive. Comme une marque de respect. Nous nous apprécions en tant qu’amis, si davantage avait été possible, ne l’aurions-nous peut-être pas senti, en notre moi intérieur ?

En nous retrouvant ce soir, j’ignorais quels seraient nos sujets phares du moment. Parler de Marius me semblait peut-être inapproprié, sans vouloir jouer l’intermédiaire ou les deux, me sentant quelque peu gêné d’avoir eu vent de la version de l’un comme de l’autre sans savoir comment les réunir tous deux. C’était à eux de le faire, je ne pouvais intervenir dans ce qui ne m’appartenait nullement. Leur relation les concernait et j’espérais simplement qu’ils finiraient par s’en remettre, à leur manière, pour écrire une nouvelle page de leur vie. Mon retard presque impardonnable fut pourtant excusé par cette jeune fille fort jolie.

« Je remarque. Une vraie française ! »

Je remarque que le vin semble lui convenir à ravir qu’elle n’est qu’à deux doigts d’être emportée à Paris pour découvrir la capitale, d’ailleurs, ce serait possiblement le cadeau de mariage que je leur offrirai, un dîner sur la tour Eiffel ou ailleurs dans Paris, ô combien classique comme présent mais qui ferait néanmoins un joli effet. Le vin n’est pas à l’honneur pour mon apéritif où je préfère me remémorer du sud méditerranéen un pastis entre les mains. Ricard a marqué des générations et n’en finit pas de s’épanouir d’ailleurs. L’alcool, business, dont le savoir-faire n’en finit par de traverser les décennies.

« Pas mal en effet » fis-je après avoir goûté son verre, lui tendant le mien pour l’inviter à faire de même si elle le désirait.

Hochant la tête, je ne me vantais nullement d’en savoir davantage qu’elle, seulement, j’avais appris dès mon plus âge à apprécier le vin. Mon père ne manquait jamais une occasion pour nous faire goûter le liquide d’une nouvelle bouteille le temps de nous habituer à de nouvelles saveurs, odeurs et finalement distinguer la couleur et de chaque vin aussi bien à travers sa robe qu’à travers son goût. Forcément vint un moment où il faut démarrer par un vin, aussi modeste soit-il pour évoluer vers des mets de qualité, et parfois difficile à acquérir. Celui qui n’apprécie pas cette boisson ne pourra rien trouver de spécial aux vins médaillés que le goût de raisin ordinaire.

« L’œnologie ne s’improvise pas. C’est une éducation du palais, tu verras, avec le temps cela finira par venir. »

Sourire en coin, je n’en finissais pas d’être un insupportable charmeur, une habitude prise à laquelle je ne marquais plus la moindre attention. Ce que je faisais pour mettre mes interlocutrices à l’aise, et leur assurer un certain confort. Je n’étais pas dangereux, plutôt amical et sympathique, c’est un peu ce que je souhaitais transmettre. Quant à celles qui y décelaient une invitation, rien ne les empêchait de jouer un peu. Après tout, le flirt avait un petit côté attirant redorant l’égo autant ne pas s'en priver.

« Ça va. La vie suit son cours. Disons que le travail me prend pas mal de mon temps, si bien que j’ai quelque peu cessé le sport depuis quelques semaines. Il serait temps que je m’y remette. Et toi, les tournages ?»