Cela faisait un moment qu'Elliot connaissait Noeh, ils étaient dans la même fac et tous les deux abonnés aux séances chez le psy. Il ne savait pas trop les raisons pour lesquelles son aîné avait ce genre de rendez-vous, mais de toute évidence, c'était qu'il ne devait pas aller super bien. En même temps, il se voyait mal lui poser des questions indiscrètes à ce sujet, même s'il aurait aimé être un peu plus proche de lui, le connaitre davantage. Pfff qu'est-ce qu'il était bête, dans le fond, Noeh n'était qu'une connaissance, pas son BFF... pourtant, il avait des sentiments pour lui... ce n'était pas le grand amour, mais une attirance évidente qui lui donnait envie de passer du temps avec le Callahan. D'ailleurs, il avait été sceptique à son sujet au tout départ, les Callahans avaient quand même leur nom dans le monde des hunters, mais il s'était avéré que Noeh n'était pas le genre de psychopathe capable de trucider n'importe qui dans le doute que ce n'importe qui soit éventuellement un mutant. Enfin, il pouvait toujours se tromper, mais il voulait croire que l'idée qu'il s'était faite de lui était bonne... Il s'en serait voulu d'avoir un crush sur un hunter... Mais bon, il préférait simplement éviter de se poser des questions à ce sujet. Parfois, il valait mieux vivre dans l'ignorance que d'apprendre une vérité douloureuse... Enfin, c'était ce que pensait Elliot, mais rares devaient être les personnes à partager son avis, les gens n'aimaient pas qu'on leur mente ou qu'on leur cache des choses.

Quoi qu'il en soit, Elliot avait enfin réussi à convaincre Noeh d'aller boire un verre après les cours. Il en avait mis du temps à obtenir une réponse positive de la part de son aîné... c'était un peu l'ironie du sort d'ailleurs, en tant normal, Elliot devait se forcer à sortir pour se sociabiliser et là, c'était lui qui forçait quelqu'un à se sociabiliser. Sortir, voir du monde, boire un coup... D'après son psy, ça finirait par devenir naturel s'il arrivait à se forcer, à se rendre compte que c'était peut-être le moyen de passer un bon moment et d'oublier ses problèmes l'espace d'un instant. C'était un exercice difficile au départ, mais finalement et avec le temps, Elliot commençait doucement à s'y habituer. Et puis, avec Satoko qui avait tendance à le traîner de force, le moins que l'on puisse dire, c'était qu'il pouvait affronter toute sorte de situation : dans un sens, s'il s'était habitué à l'asiatique et ses extravagances, il n'avait aucune de raison de stresser à l'idée de prendre un verre avec Noeh, il était bien plus calme qu'elle... Et aussi très mystérieux. C'était peut-être ce côté mystérieux qui l'attirait... Hum, difficile de savoir, vraiment, ce serait stupide d'être séduit par un seul aspect d'une personne. Enfin bref, il avait donc réussi à traîner Noeh dans ce petit bar, tout simple et pas trop plein, il aimait bien ce genre d'ambiance assez calme. « Bon tu vois, c'est pas le pire endroit du monde... Je t'aurais pas emmené dans une boite de nuit pleine de vieux vicieux, plaisanta-t-il doucement avant de reprendre comme pour se justifier : enfin, je sors pas en boite de nuit de toute façon, hein... et puis à cette heure-ci, j'imagine que c'est pas ouvert... » Il haussa les épaules... et puis, avec le couvre-feu instauré depuis l'attentat, il ne devait plus y avoir moyen de profiter de ce genre de lieu.

Ça ne l'étonnait pas vraiment que Noeh dise qu'il ne sortait pas beaucoup non plus... En même temps, une bonne partie des gens dans leur genre (psychologiquement fragile) n'étaient pas du genre à sortir pour profiter de leurs congénères humains. En tout cas, Elliot avait passé beaucoup de temps à limiter ses sorties au lycée pour à la fac en se mettant des oeillères pour oublier tous les autres lieux dans lesquels il aimait aller avant l'accident de ses parents, les bibliothèques et librairies ou même les magasins de jeux vidéos... Il avait longtemps préféré s'enfermer dans sa chambre à faire ses devoirs et à lire ses livres de cours pour ne pas trop penser... Du coup, il sourit à la remarque de son vis-à-vis sur le fait qu'il avait de la chance parce qu'il aurait pu s'enfermer dans sa chambre... C'était quelque chose qu'Elliot connaissait bien. Avec Noeh, c'était plus simple d'être à l'aise, il ne se sentait pas juger lorsqu'il était avec lui, il n'était pas le seul à voir un psy... Alors que souvent, les gens "normaux" qui savaient qu'il voyait un psy avaient tendance trop prendre en considération le fait qu'il était suivi psychologiquement, beaucoup avait du mal à savoir comment réagir, comme s'ils étaient en face d'un cancéreux... Enfin bref, Noeh reprit sur le fait qu'il y avait le couvre-feu. Il se passa de faire une remarque sur les hunters étant donné le nom de famille du jeune homme. D'ailleurs, il n'eut pas vraiment le temps de reprendre la parole puisque le serveur vint prendre leurs commandes. Il laissa Noeh parler en premier avant de demander une bière, vu l'heure, c'était le plus approprier et de toute façon, il n'aimait pas spécialement les cocktails ou autres alcools qu'il jugeait trop fort.

« Hum, je pense que je serais aussi allé me cloîtrer dans ma chambre si tu avais refusé, je serais en train de pleurer à chaude larmes ce refus. » Il rit un peu pour montrer qu'il plaisantait. En fait, il serait vraiment rentré, mais plutôt parce qu'il n'était pas encore prêt à traîner dans ce genre d'endroit tout seul. Et puis les gens qui allaient au bar en solo, c'était pour draguer, non ? Enfin, il n'en savait trop rien, c'était sa vision des choses... lui n'était pas du genre à draguer de toute façon. Quoi qu'il en soit, il revint sur l'histoire du couvre-feu. « Tant qu'on ne rentre pas après onze heures chez nous, je suppose que non craint rien, soupira-t-il de façon blasée avant de reprendre la parole. Je trouve que ça fait un peu dictature ce système de couvre-feu. Enfin perso, ça me fait perdre des heures de travail vu que la supérette où je bosse doit fermer plus tôt maintenant. » Il se frotta la nuque en se rendant compte qu'il râlait un peu trop et repris de façon un peu plus optimiste. « Mais ça laisse plus de temps pour le travail scolaire du coup. Enfin, je parle pour moi, en art, on a beaucoup de dossier et de travaux plastiques à faire. Je sais pas comment ça se passe pour toi en histoire et à ton niveau. C'est plutôt de la recherche pour la thèse, non ? » Lâcha-t-il curieusement avant de remercier poliment le serveur qui leur apportait leurs boissons.

Au moins, la réplique d'Elliot avait fait rire Noeh. C'était plutôt une bonne chose, non ? Même si l'étudiant en art n'était pas doué avec les relations humaines, il n'était pas désociabilisé au point de ne pas savoir que l'humour et le rire étaient de bons outils pour se rapprocher des gens... Et lui, il ne demandait qu'à être plus proche de son vis-à-vis. En fait, c'était à la fois embarrassant et rassurant... Il se sentait un peu con à éprouver ce genre de sentiments et en même temps, personne n'était à l'épreuve des balles tirées par Cupidon... On ne choisissait pas de qui on s'entichait. Ce serait trop facile de pouvoir diriger ses sentiments uniquement sur qui l'on voulait. Et puis Noeh était quelqu'un de bien, il aurait pu tomber plus mal. Ceci dit, malgré tous, les réponses de Noeh semblaient si lointaines... Enfin, ça ressemblait à celles qu'il donnait lui-même aux autres lorsqu'il ne voulait pas qu'on s'inquiète pour lui ou qu'on cherche à approfondir un sujet dont il ne voulait pas parler. Elliot faisait peut-être une projection affective sur son aîné... ou quelque chose de similaire... Enfin bref, il sirota un peu de sa bière et fronça légèrement les sourcils lorsque Noeh affirma qu'il n'était pas concentré ces derniers temps... Cette annonce était un peu inquiétante. Il espérait que le grand brun n'avait pas gros souci... Enfin, il était blessé et avec les événements du moment, ça n'était pas étonnant qu'il ne soit pas au max de sa concentration... En tout cas, Elliot pouvait comprendre. Est-ce qu'un jour le climat de Radcliff serait propice à être zen et posé ? Rien n'était moins sûr. Le plus jeune fut cependant étonné lors que Noeh lui demanda s'il pouvait lui poser une question.

« Euh... oui... » Lâcha-t-il un peu perdu avant de se reprendre d'un coup. « Je veux dire : oui, bien-sûr, avait-il repris de façon plus motivée et enjouée avant d'afficher un air désolé. Pardon, ça m'a surpris que tu demandes avant. Je t'écoute. » Il afficha un sourire qui se voulait rassurant pour faire comprendre à Noeh que son hésitation précédente n'était pas contre lui. Décidément, parfois, il n'avait pas l'impression d'être un bon ami... Enfin il aurait aimé être plus qu'un ami, mais avoir ce genre de pensée maintenant, c'était un peu égoïste sans doute. Peut-être que Noeh voulait lui parler de quelque chose d'important et qui lui tenait à cœur. Elliot n'avait pas le droit de faire passer ses propres sentiments avant. En tout cas, c'était comme ça qu'il voyait les choses, même s'il avait conscience que certains ne se faisaient pas chier à ce niveau-là. Il espérait donc qu'il serait apte à répondre à sa question même s'il ne savait pas encore de quoi il s'agissait, il aurait aimé être une personne de bons conseils… Sauf qu'un drogué d'anxiolytiques, somnifères et antidépresseurs, ce n'était surement pas ce qu'il y avait de mieux pour donner des conseils, aider les autres… ce n'était pourtant pas faute d'essayer…

Noeh avait donc eu cette question étrange, le genre de question qui annonçait une autre question difficile à répondre sans doute. En tout cas, c'était ce qui sentait Elliot. Ainsi, le grand brun annonça finalement la couleur. Le plus jeune écoutait ses suppositions en comprenant qu'il parlait de lui-même. Il fronça les sourcils en s'imaginant la situation. Il était de ces gens qui ne supportaient pas l'idée de faire du mal aux autres. Il connaissait trop la tristesse pour vouloir l'infliger à qui que ce soit. En entendant la fameuse question, il se doutait que Noeh avait fait du mal à quelqu'un, c'était involontaire ou du moins, qu'il n'avait peut-être pas imaginé que les choses prennent une telle ampleur. Il inspira en réfléchissant à cette fameuse question tout en fixant sa bière. C'était délicat. Mais il pouvait bien avoir lui aussi ce problème un jour, personne n'était à l'abri d'une erreur. Il espérait ne jamais sortir quelque chose de craignos, mais dans le fond, ça pouvait arriver à n'importe que… Sous le coup de la colère ou de la peine, on dit parfois des choses qu'on ne pense pas. Et malheureusement, ce sont les autres qui en pâtissaient. C'était difficile de juger du coup… Il releva les yeux en directions de ceux de Noeh avec une certaine compassion dans le regard.

« J'imagine que ça dépend de la personne... Enfin, je suppose que si je blessais mon oncle, je n'aurais pas la même façon de m'excuser ou de chercher à reparler avec lui que si je blessais une de mes cousines ou une amie. Je pense, qu'il y a autant de façon de faire qu'il y a de personne et de liens entre les personnes. » Il marqua une pause pour réfléchir encore un peu. « Hum. Je pense que la première des choses à faire c'est de s'excuser, pas par sms ou skype... mais de vive voix, enfin c'est ce que je ferais pour prouver que j'ai vraiment la volonté de m'excuser. Et si la personne en question ne veut rien entendre, alors j'imagine que je respecterais son choix... Je ne sais pas ce qu'il s'est passé et ça me regarde pas, mais... » Il se mordilla la lèvre inférieure avant de soupirer doucement. « Mais dans ce que je crois comprendre, les suppositions insinuent la culpabilité... Donc la victime aura le dernier mot... C'est à cette personne de décider si oui ou non elle pardonne. » Il se frotta la nuque, ce n'était pas facile de dire ça alors qu'il ne connaissait pas la situation, mais il préférait être honnête que de dire à Noeh que tout s'arrangerait... ce n'était pas forcement vrai. « Désolé, j'espère sincèrement que cette histoire s'arrangera, j'imagine que ça te concerne ou que ça concerne un proche. Je peux comprendre que tu sois distrait... je sais pas comment je vivrais ça... » Il soupira à nouveau. Il n'était surement pas très utile pour régler les problèmes des autres... il était déjà incapable de régler les siens. Il se sentait un peu démunie pour le coup…