The lines are crossed somewhere

Le regard tourné vers le ciel, Duke se demandait ce qu’il foutait dehors à cette heure-ci. Il n’avait franchement aucune envie d’être là, de traquer des mutants encore moins. Seulement voilà, il le devait. Non pas pour apporter des problèmes à une population qui en avait déjà bien assez mais pour s’assurer que ses parents n’avaient pas eu une autre idée saugrenue. Il ne pouvait pas tout savoir, tout entendre mais, il essaierait toujours, chaque soir ou presque s’il le fallait. Il s’était promis de tout faire pour épargner Alfie et il tiendrait parole même si cette parole, c’était à lui-même qu’il l’avait donné. Sa vie n’avait de toute façon rien de grandiose ou de palpitant, autant la mettre à profit pour quelque chose de mieux. Il s’alluma une cigarette après un soupire agacé, il était temps de se bouger. Il grimpa dans sa voiture et partit rejoindre le point de rendez-vous de ce soir. Il détestait particulièrement les deux types avec qui il allait arpenter les rues ce soir mais il devait se plier à ça. Qu’on ne le laisse pas faire son chemin tout seul n’avait rien d’étonnant. Originaire de Radcliff ou non, il n’y était pas revenu depuis assez longtemps pour qu’on lui fasse confiance.
Le couvre-feu n’étant pas encore tombé, il avait au moins l’occasion d’avoir quelques minutes de répit. Il n’écouta que d’une oreille distraite la discussion de ses collègues se rallumant une autre cigarette tandis que l’autre avait fait son temps depuis quelques minutes déjà. Interpellé par l’un des deux hommes, il darda sur lui un regard blasé, comme à son habitude. Si on ne se doutait de ses motivations, il était connu qu’il n’aimait pas les chasses de nuit, la traque au couche-tard.

- « T’as l’air ravi Cochrane. »

- « Autant que toi alors que ta femme berce tes enfants pendant tu bats le pavé à la recherche de retardataire qui pourraient te tuer. »

- « Tu marques un point. »

- « Bien entendu, j’ai toujours raison. Allons-y avant d’y passer la nuit. »

Comprenant son point de vue, aucun des deux types ne parla plus et ils se mirent en marche. Il donnait le change et c’était bien le principal. Il avait toujours la réflexion qui faisait mouche, celle qui permettait de ne pas douter de lui tout en justifiant son agacement d’être dehors alors qu’il aurait pu être tranquillement chez lui. Rare étaient les hunters profondément ravis de traquer du mutant au lieu de vivre sa vie et ceux de cette espèce, Duke éviter de chasser avec eux. Il aurait particulièrement détesté devoir se mettre en porte-à-faux. Autant que faire se peut, il évitait d’avoir davantage de sang sur les mains, surtout ceux qu’un probable innocent qui n’aurait commis qu’un seul crime qui n’en était pas un, être différent.
Observant sa montre alors qu’ils tournaient dans une ruelle, il se fit la réflexion que le couvre-feu arrivait bientôt et qu’ils allaient commencer à tomber sur les retardataires. Une heure pareille, c’était pousser à la faute les étudiants, les travailleurs tardifs, les indépendants, les fêtards de tout poil. Il ne fut donc pas surpris quand une silhouette se dessina devant eux. L’un des deux hommes s’avança pour l’interpeller. Il n’était même pas l’heure que le cirque commençait déjà.

- « Il va falloir songer à rentrer chez vous mademoiselle. »

Duke s’avança légèrement, retenant une grimace alors que l’homme posa une main sur l’épaule de la jeune femme. Sans se faire prier, il s’avança lui aussi en s’apercevant qu’elle s’était crispée. Pitié, pas un mutant, pas déjà. Il se décida à intervenir. Empêcher, éventuellement, une réaction trop enthousiaste...

- « Mademoiselle ? »

Il eut un temps d’arrêt. Il l’avait déjà vue. Il ne la connaissait pas, pas vraiment mais, il avait déjà joué de temps en temps alors qu’elle chantait dans un des petits bars du quartier sud. Il ne connaissait pas son nom mais bien sa voix.

The lines are crossed somewhere

Duke détestait jouer les flicaillons dans la rue sous prétexte qu’il existait un couvre-feu. Il devait pourtant se plier à ça pour pouvoir continuer à entendre les choses dont il avait besoin pour protéger son frère. Il devait donner le change, il n’avait pas le choix. Aider Soren était déjà compliqué et au final, il laissait traîner ses oreilles non pas pour aider une personne mais deux. Ça ne le dérangeait pas le moins du monde mais, c’était compliqué, ça, c’était certain. Si les soupçons concernant la personne qui abritait Soren lui tombait dessus, il était foutu. Il était heureusement très bon menteur, sourire de l’agent immobilier oblige, on lui aurait donné le bon Dieu sans confession. En attendant, il n’était tout de même pas ravi d’être dehors et encore moins avec deux autres hunters. Il n’avait pas les coudées franches et ça le gênait au plus haut point. Aussi, quand ils croisèrent quelqu’un, il eut un mal infini à réprimer un soupire d’agacement. Il voulait à tout prix éviter les ennuis ce soir, à tout le monde.
Quand il vit la réaction de la jeune femme, il se crispa et empêcha son collègue -façon de parler- de se rapprocher encore. Son frère avait parfois eu ce genre de réactions dans le passé, cela dit, ce pouvait tout aussi bien être quelqu’un avec des anxiétés sociales. S’il se mettait à voir des mutants partout, il n’avait pas fini. D’un autre geste, il empêchait l’autre chasseur de s’approcher trop près en lui faisant un signe négatif de la tête.

- « Tout le monde se calme. On est pas là pour effrayer pas vrai ? » Bien entendu, c’était faux. Ils étaient là pour ça mais, ils n’étaient pas membre de la GS. « On ne va pas vous toucher. Pas vrai les gars ? »

De mauvaise grâce, ils se plièrent à l’exercice mais l’un des deux sortis son portable malgré tout pour vérifier les listes. Aucun réseau. Il allait vraiment finir par croire que son frère avait raison à son sujet. Là, en l’occurrence, ça l’arrangeait plutôt si c’était vrai. Ils ne pourraient rien vérifier dans l’immédiat. D’ailleurs, quand il demanda à l’autre d’essayer, pas plus de résultats. Il se plia à son tour à la demande, rien.

- « On dirait qu’il y a un problème de réseau. Ça arrive encore ça aujourd’hui ? » Si son frère avait raison... -pourvu que non- il était ravi que la Gunpowder Squad ne soit pas dans le coin. « Vous savez quoi ? Je vais la ramener chez elle, je la connais un peu. Vous pouvez bien commencer sans moi, je vous rejoindrais plus tard. »

- « Tu es sûr ? Et si... »

- « Et si quoi ? Vous croyez franchement qu’elle est dangereuse ? Sans rire ? »

Il comptait aussi bien sur leur côté machiste que sur leur envie de se tirer et de continuer histoire de rentrer plus vite chez eux. Avec eux, il savait qu’il pouvait se le permettre, avec d’autres... ça n’aurait pas été si simple. Ils haussèrent les épaules et acquiescèrent avant de les laisser seuls.
Il n’avait pas particulièrement aimé faire comme si elle n’était pas là mais, il n’avait pas eu le choix. La condescendance était quelque chose de très efficace chez les hunters. Ça et un mensonge efficace d’ailleurs.

- « Je vais vous ramener chez vous. Ça vous évitera d’autres mauvaises rencontres. L’heure se rapproche et être accompagne d’un hunter sera plus facile. » Quand il se rapprocha et qu’il la vit se crisper, il s’arrêta. « Je ne vous toucherai pas. Juré. Mais il faut y aller. Maintenant. »

Il n’avait aucune envie de croiser la GS contre qui il ne pourrait rien. S’ils décidaient de prouver qu’ils avaient tous les pouvoirs, ils étaient mal, tous les deux. Surtout lui si son frère avait raison à son sujet. Il ne manquerait plus que ça. Il ne voulait franchement pas tester.

- « Vous chantez dans un bar du quartier sud il me semble non ? »

Faire la conversation pour la détendre, essayer de la faire bouger plus rapidement. Si pour ça, il devait se livrer un peu et donner de sa personne, soit. Autant le faire. Plus vite il l’aurait raccompagnée chez elle, mieux ce serait pour tout le monde, surtout elle. En attendant qu’elle se décide, il s’alluma une cigarette.

The lines are crossed somewhere

Ça n’était pas que Duke se fichait du destin de ceux qu’ils croisaient et qu’il ne pouvait pas aider mais, il fallait être réaliste, il ne pouvait pas aider tout le monde. Cette fois, cette femme avait eu de la chance qu’il soit accompagné de deux hunters pas franchement zélés et pressés de rentrer. S’il avait été accompagné par d’autres qu’eux, les choses ne se seraient peut-être pas passées si facilement. Rien que sa réaction quand un des hommes l’avait touchée, ça aurait pu très largement dégénérer. Humains, vaccinés ou mutants, certains de ses chers collègues n’en avaient rien à cirer parce qu’ils pouvaient se permettre de verser dans l’abus de pouvoir et que personne ne réagirait, pas même lui en vérité s’il risquait de s’attirer des ennuis. Sa priorité était Alfie et il ne mettrait pas ça en danger s’il ne pouvait pas être sûr de s’en sortir. Même avec Soren il avait agi ainsi et pourtant, c’était un ami. Il s’était répugné à le mettre en garde mais, il avait déjà bien assez fauté concernant son frère pour se permettre de lui faire faux bond à nouveau, même s’il ignorait tout.
Absolument pas dérangé par le fait de se montrer non seulement hautain mais d’un machisme évident, il aurait largement pu en rajouter mais, en faire trop aurait pu être suspect. Alors, il en avait juste fait assez, la faisant passer pour une petite chose effrayée et fragile. Sa moue boudeuse et sa posture de chaton qui tentait de se faire passer pour un tigre, il aurait pu en rire mais, il avait besoin qu’elle coopère, pas qu’elle se braque. Il ne put pourtant pas s’empêcher d’esquisser un sourire en coin qui aurait largement pu susciter l’envie chez elle de lui coller une baffe. Son petit sourire avait cet effet sur les femmes, il agaçait. Ou alors... c’était juste lui, ce qui n’était pas non plus impossible.
Patientant tranquillement que ses compères se tirent alors qu’il restait là avec sa cigarette allumée, il assimila sa première dose de nicotine pour finalement se retourner vers elle, se voyant confirmer que c’était bien elle qui chantait au bar. Après tout, c’était parfois lui derrière le piano quand elle poussait la chansonnette, il aurait été mal avisé de ne pas s’en souvenir au moins un minimum. Son prénom en revanche, il lui passait par dessus la tête et ça n’était pas ce qui le préoccupait pour le moment de toute manière. Il avait d’autres choses en tête. Comme la ramener chez elle et rentrer chez lui.

- « C’est bien ce qu’il me semblait. »

C’était presque étonnant que quelqu’un comme elle, avec une telle peur du contact ne trouve le courage de faire ça. Comme quoi, le chaton avait quand même un peu de courage en réserve. Bien. Très bien. Quand elle se mit enfin en marche vers chez elle, il lui emboîta le pas, tirant sur sa cigarette de temps à autre, s’octroyant ainsi l’illusion que le temps passait un peu plus vite. Il hocha la tête, à moitié surpris qu’elle puisse s’en souvenir. Il était difficile de ne pas le remarquer même assis derrière un piano. Non seulement parce qu’il était le seul à boire du bourbon dans ce bar mais aussi à y fumer sans se préoccuper des clients, il était facile à repérer. Ou alors était-ce son mètre nonante et quelques qui passait son temps à séduire des femmes et se prendre au choix des baffes ou des numéros pour un soir seulement ? Il ne le savait pas et s’en fichait royalement.

- « Oui, assez régulièrement. Plusieurs soirs par semaine si je ne suis pas dehors. »

Dehors à empêcher les gens de s’attirer des emmerdes quand il le pouvait. Dehors à traîner avec des hommes et des femmes qu’il méprisait la plupart du temps. Dehors pour lui, pour ce petit frère qu’il avait abandonné.

- « Faites en sorte qu’il n’y ait pas de prochaine fois. Je ne serai pas toujours là et si c’est moi, je ne serai pas forcément avec des hunters... aussi peu zélés. Et pas besoin de me remercier, si la Gunpowder Squad avait été là, vous vous seriez débrouillée avec eux. »

Il ne voulait pas passer pour le gentil de cette affaire, il tenait à ce que même ceux qu’il avait aidés le voit comme un homme aussi froid qu’il avait pu l’être ces derniers mois. Il n’était pas leur ami, pas leur sauveur. Il avait juste été là au bon moment pour leur épargner des emmerdes et ça se limitait à ça.

- « Des élections se préparent et la GS et même les hunters n’épargneront rien à personne. Tâchez dont de ne pas être suicidaire. »

Il termina sa cigarette et l’envoya tout droit dans un égout.

The lines are crossed somewhere

Au fond, Duke se foutait bien de savoir qui il avait en face de lui et ce dont elle était capable si ça avait été une mutante. Tout ce qu’il souhaitait, c’était se débarrasser de cette ronde de nuit, de cette inspection des rues et ruelles. Il ne valait pas mieux qu’eux mais, il tentait au moins de temps en temps de temporiser le jeu, un peu trop souvent d’ailleurs. Pour l’heure, ça n’était pas ce qui importait, il aviserait en temps voulu, si les choses venaient à se complexifier. Ce qui faisait de cette femme ce qu’elle était, il n’en avait absolument pas conscience et pour être tout à fait honnête, il n’en avait strictement rien à faire. Il n’était pas là pour apprendre à connaître qui que ce soit et moins il y avait de gens dans son environnement proche, mieux il se portait. Alfie était bien entendu une exception mais, il était son frère et par définition, exempté de la plupart des remarques désagréables dont Duke avait le secret. Anastasia aussi mais, elle, elle n’y prêtait juste aucune intention, visiblement vaccinée par la vie contre l’être acerbe et foncièrement revêche qu’il pouvait être dans ses pires moment. En vérité, il était même capable de méchanceté et de cruauté s’il jugeait qu’il en était mieux ainsi pour la personne d’en face. Il ne voulait ni être approché ni connu. Il ne gagnait d’ailleurs pas à l’être. Qu’ils se côtoient de temps à autre au même endroit sans s’adresser la parole lui allait parfaitement bien.
En attendant, il s’était donné pour but de la raccompagner chez elle en un seul morceau et il s’y emploierait. Quoi qu’elle pense de la situation, elle se gardait bien d’en parler et ça lui allait. Pour tout dire, il n’avait aucune envie de bavarder. Si elle lui disait qu’elle ferait plus attention, et bien soit, il n’allait pas la faire jurer sur l’honneur. Après tout, s’il lui arrivait des ennuis avec d’autres que lui, il faudrait qu’elle se débrouille et il avait des doutes sur sa capacité à se défendre. Encore une fois, pas son problème, du moins, tant que ça n’était pas sur lui qu’elle retombait à nouveau. Il ne pourrait pas lui sauver la mise deux fois. Il s’y refusait.

- « J’espère bien, il y a assez de passage sur la rubrique nécrologique dans cette ville et encore, uniquement les identifiés. »

Il ne prenait pas de gants, c’était le moins que l’on puisse dire. Il se foutait de la choquer, au moins, ça resterait marqué au fer rouge dans sa mémoire et elle ne risquait plus d’oublier d’aviser l’heure avant de rentrer chez elle. Les retardataires du couvre-feu, il connaissait et ça avait tendance à le blaser. Duke n’était pas un altruiste et rare étaient les personnes qui bénéficiaient de son côté protecteur. À part Alfie, Soren et indirectement Anastasia qui l’avait insidieusement eu à cause de sa petite sœur, il ne protégeait finalement que peu de monde et s’en souciait d’encore moins. Ses priorités étaient discutables mais, on ne pouvait pas sauver tout le monde.
Haussant un sourcil en la voyant s’arrêter et montrer son immeuble, il la regarda comme si elle venait de dire la stupidité la plus énorme de l’univers. Il la toisa, se demandant si elle était véritablement sérieuse et lui fit signe d’avancer. Il n’avait aucune confiance, même pour quelques mètres, il assumerait jusqu’au bout, une fois certain qu’elle aurait mis les pieds dans un endroit où elle ne risquait plus rien.

- « Vous seriez capable de vous attirer des ennuis même sur cent mètres. Avancez, je vous promets de vous relâcher une fois que vous aurez passé les portes de votre immeuble. » Ce qu’il fit d’ailleurs quand ils arrivèrent effectivement devant la porte de l’endroit où elle vivait. « Maintenant je vous laisse. Et ça n’est pas parce que nous travaillons parfois au même endroit que ça vous donne un passe droit la nuit. Je ne serai pas votre chien de garde. Rentrez chez vous et évitez de refaire ça. »

Il était sec, désagréable mais, ça lui importait peu. Tant qu’elle retenait la leçon et qu’elle ne le voyait à aucun moment comme quelqu’un de bien et d’agréable, il avait gagné et atteint son but. Tout ce qu’il souhaitait, c’était suscité de l’antipathie et rien d’autre.