Pietra&Elijah

Can you hear me screaming out now through the telephone lines. Oh please save me, save me from myself, you said you'd always fall for the underdog.

C’était désagréable. Irritant. Démangeant. C’était une sorte de voile qui recouvrait sa peau et dressait ses poils sur son passage. Quelque chose de froid. Quelque chose de piquant. Des millions de petites morsures invisibles s’attaquaient à sa peau, partant du haut de con crâne jusqu’à sa gorge, donnant à l’homme l’envie terrible de se gratter jusqu’à ce que cette sensation décide de partir. Gamin, l’adrénaline dans son sang et la sueur qui devait dégouliner sur son front devait avoir annihilé cette impression glaçante que le cerveau cessait d’être irrigué, qu’il n’était qu’un poids mort, un boulet froid et inanimé. C’était la même sensation qu’Elijah pouvait ressentir à chaque fois que ses cordes vocales lâchaient des notes et non des mots transformés en ordres, mais en plus doux. Lorsqu’un quelconque standard du jazz arrivait à s’extirper de ses lèvres serrées, sa tête s’alourdissait doucement tandis que quelques maux de têtes pouvaient lui indiquer qu’il était temps de faire son mélomane. Lui qui avait une si belle voix, il ne perdait toute mutation en chantant. Mais là, ce n’était pas la même chose. Plus qu’une simple envie de pousser la chansonnette, le transmutant annulait délibérément la chose qui a fait de lui ce qu’il était aujourd’hui. Ses paroles seront toujours autant chargées de charisme, mais surtout, celles de Pietra le seront bien plus. Une simple femme qu’il regardait droit dans les yeux, à la voix si douce, si.. Intéressante. Bien que ses pensées fussent concentrées sur une seule chose – l’image floue de sa mère, du sang, du sel des larmes – ce que disait la jeune femme commençait à l’envoûter.
Demandez-lui ce dont elle parlait, et il ne saura vous le redire. Mais il savait que c’était intéressant, que ça l’intéressait. Les mots prononcés passaient d’une oreille à l’autre en le laissant dans son esprit qu’une douce impression de quiétude. Le froid qui avait saisi dans sa gueule le crâne d’Elijah et une partie de sa gorge s’écartait à chaque fois qu’elle alignait les mots un à un. Les morsures étaient toujours présentes sur sa peau, mais de froide, elle se réchauffait peu à peu, et comme un papillon de nuit, l’homme était simplement attiré par les lèvres mouvantes de la jeune femme, tel une ampoule dans l’obscurité. Un instant il nota l’impression que les autres devaient ressentir face à lui, mais il manqua de perdre sa concentration et refis le vide dans son esprit tant qu’il le pouvait.

Les yeux rivés sur elle, Elijah ne la vit pas s’étirer, bien trop occupé à l’écouter et à se concentrer. Permettre à la jeune femme d’avoir cette emprise éphémère sur lui était uniquement pour le rapprocher d’elle. Pour qu’il chute un peu de son piédestal, mais juste à ses yeux insensibles au don du mutant, afin qu’elle pense qu’il est plus accessible et d’un certain côté, un peu plus humain. Qu’au fond Elijah n’était pas tout puissant, il était comme elle et tous les autres transmutants. Si perdre quelques minutes de son contrôle sur lui-même lui permettait de gagner la confiance de Pietra, il en sortait gagnant. Ce n’était qu’un pas de plus vers l’adhérence de la jeune femme à ses propos, tout comme hier, pourtant le cœur au bord des lèvres, il n’a pas hésité une minute à venir le voir. Lui qui avait été si agressif la première fois qu’il lui avait expliqué ses idées, peu habitué à être en face d’une personne qui ne buvait pas ses paroles comme de l’eau bénite, le voilà aujourd’hui chez elle, pour le petit déjeuner. Pas après pas, si la jeune femme n’était pas convaincue de ses idées, au moins ne verra-t-elle pas chez lui un homme un peu étrange, mais une personne sur laquelle elle a pu compter et à qui elle doit renvoyer la pareille. Peut-être était-elle trop gentille pour se persuader que les hunters ne sont bons que pour être abattus, mais c’était cette gentillesse qui allait alors aider Elijah.
Et puis, au fond, intérêts mis de côtés, il l’aimait bien. L’espèce de gamine effrontée qui lui a un jour dit de lui laisser sa place de parking sur un ton d’Atila et qui est devenue rouge en voyant qu’il n’obtempérait pas. La jeune femme qui n’a pas détourné ses yeux de ceux glacés qu’il avait en voulant lui imposer ses convictions, et qui a clairement fait comprendre qu’elle ne se laisserait pas berner par les belles phrases prête à l’emploi qu’il lui a dit – et qui pourtant l’a appelé hier soir lorsqu’elle avait besoin d’aide. Deux forts caractères pour une même mutation avaient créé le fait rare qu’Elijah estime quelqu’un. Skylar n’avait jamais été placée à son niveau, pas plus que Seth avait qui il s’entendait bien, où d’autres personnes face à qui il souriait mais n’hésiterait pas une seconde à ordonner leur mort s’il le pouvait. Ceux-là étaient des pions.

Pietra n’en était pas un, et c’était probablement pour cela qu’elle ne s’entrainait pas à utiliser son pouvoir comme il le lui avait demandé. A la place de cela, la mutante s’était levée, sourire aux lèvres, lèvres qu’il ne pouvait s’empêcher d’observer dans l’attente qu’elle ne s’ouvre pour qu’il l’entende parler encore et encore. Les mains de la jeune femme se posèrent sur lui, et la froideur qui s’était emparé de son crâne depuis qu’il arrêtait sa mutation partit définitivement. C’était comme si Elijah s’était vidé de sa persuasion et que la belle, d’un seul toucher, l’emplissait de sa propre volonté. Les morsures invisibles qui parcouraient sa peau étaient toujours présentes, mais le contact de sa peau sur la sienne au fur et à mesure qu’elle atteignait son visage atténuait la désagréable sensation. L’image mentale sur laquelle il se concentrait – le sang, sa mère, et le rire de ceux qu’il n’arrivait pas à influencer – commençait à doucement disparaitre au profit de ce qu’il avait devant les yeux – Pietra, ses lèvres, proches, si proches.. Bien trop concentré à maintenir ce frêle équilibre qu’il avait été capable d’acquérir, ce fut à peine s’il réussit à baisser la tête pour se rapprocher de celle de la mutante, le reste de son corps restant parfaitement immobile. « Résiste-moi » Elijah hausse un sourcil. Se souvient de ses mains en sang des années plus tôt. Sent Pietra qui joint ses lèvres aux siennes.

D’un geste sec, Elijah prend la visage de la mutante d’une main et l’écarte du sien. Une douleur vive se fait sentir à l’intérieur de son crâne, prix de sa concentration. Ses pupilles passant des yeux noisette de la jeune femme à ses lèvres, un silence flotta entre eux, quelques fines secondes ou il lutta pour garder sa concentration alors même que son instinct lui disait de faire le contraire. « Ça ne t’entraine pas Pietra.. » Une once de reproche aurait dû pointer dans sa voix, mais il n’y arriva pas. Ses lèvres cherchèrent une seconde fois celles de la belle, tandis qu’un bras glissa derrière son dos, l’attirant plus près de lui. S’il n’arrivait plus à se concentrer sur quoi que ce soit, si les morsures qu’il ressentait avant s’était évanouies au profit de quelque chose de plus agréable, ce n’était pas de sa faute. Il avait essayé. L’espace d’un instant, Faith, le vaccin, la fatigue, la mort.. Tout disparu au contact de Pietra.
« Je dois y aller. » Et aussi enivrant que cela pouvait être, Elijah n’aimait pas cette impression. Se détachant de la jeune femme, il sortit prestement de la cuisine, les mains fourrées dans les poches de son manteau. Clef, téléphone.. « Appelle-moi quand tu auras vraiment besoin de moi. » Dieu savait que toutes les femmes qu’il avait touché étaient pour lui plus bas que terre, oh, et Faith savait peut-être cela mieux que le tout puissant lui-même. C’était son truc pour ne pas s’attacher à quoi que ce soit, n’avoir aucune faiblesse. La simple mort d’un père absent depuis plus de vingt ans avait réussi à le mettre au fond du trou, et il n’osait penser à ce qu’il pourrait advenir de lui s’il commençait à faire passer son propre plaisir avant ses idéaux. « Où lorsque tu veux faire quelque chose d’utile avec ta mutation, dans le genre, changer la société. » A pas rapides, il atteignit la porte d’entrée avant de jeter un dernier regard à Pietra. Elijah avait l’impression de répéter la même chose : partir rapidement d’ici, tel un voleur. S’il faisait souvent cela avec les autres femmes avec qui il partageait le temps d’une nuit le même lit, il n’avait jamais l’impression de s’enfuir pour rentrer chez lui. Lorsque sa main tourna la poignée, c’était une espèce de remord qui le prenait à la gorge. Ou peut-être était-ce des reproches contre lui-même. Des sentiments que son don refoule en permanence mais qu’ici, avec elle, avaient réussi à l’atteindre.

Oh, il était temps de revoir une personne dénué de toute valeur pour lui, quelqu’un à l’opposé de Pietra. Une blonde. Une menteuse. Une de ces filles qu’un jour il peut caresser et le lendemain les tuer.