« Vous vous souvenez que vous devez m’offrir une glace aujourd’hui ? » La proposition innocente et sans-gêne avait été lancée par Sigrid dès qu’elles étaient entrées, brisant le silence de la pièce, tandis que Maiken réalisait à peine qu’elle entrait dans son pire cauchemar. Beatrix Lecter toisait tout le petit groupe avec sa froideur habituelle, Felix Lecter se tenait droit comme s’il attendait des ordres de sa sœur, et Sigrid alpaguait le hunter comme si tout ceci n’était qu’un jeu, une course de gourmandise qu’elle avait très envie de gagner. Bien sûr, elle ne comprenait pas. Et bien sûr, elle n’allait pas se montrer différente parce que les Lecter étaient ici, elle avait toujours été directe, absolument inconsciente et impolie. Une enfant. Son enfant ! Maiken n’avait pas eu d’autre choix que de l’emmener avec elle, Beatrix Lecter l’avait très clairement exigé, et Maiken s’y était résolue la mort dans l’âme, redoutant cette entrevue qui lui faisait craindre le pire. Elles étaient arrivées au laboratoire où la fille Lecter avait son bureau, et May avait eu la confirmation de ce qu’elle craignait : elles allaient être séparées. « Felix, occupe de toi de la petite » Maiken voulut protester, mais le regard menaçant de la hunter l’en dissuada, et elle se souvint de la conversation houleuse qu’elles avaient eu au téléphone la veille. Beatrix avait déjà des soupçons, et il n’était plus question de discuter ses ordres, sans quoi les choses deviendraient bien pires encore. Il ne restait plus qu’à espérer que Felix serait à la hauteur de ce qu’il avait tenté d’être ces dernières semaines … Ca lui faisait mal de le reconnaître, mais avec lui, Sigrid avait encore une chance de rester en sécurité. C’était relatif, évidemment, car Felix restait un Lecter et un hunter, une combinaison qui faisait froid dans le dos, mais à chaque fois qu’ils s’étaient vus, Maiken avait trouvé qu’il faisait des efforts louables pour qu’elle soit à l’aise et pour ne pas l’enfoncer plus encore. Et elle se souvenait bien que lors de leur première rencontre, il avait été très gentil avec Sigrid … Il ne restait plus qu’à espérer que cette impression d’homme plaisant n’ait pas été la façade vicieuse que Maiken avait craint dès le début. Elle n’osa pas lui jeter un regard en quittant la pièce après avoir embrassé Sigrid, et elle suivit Beatrix, le cœur battant et les mains moites.

Maiken eut du mal à se concentrer sur ce que lui disait la hunter, les premières minutes. Elle ne pensait qu’à sa fille, et ce n’est que quand Beatrix la rappela sèchement à l’ordre, en lui disant que si elle ne se concentrait pas mieux il risquait réellement d’arriver du mal à sa fille, que Maiken se força à ne plus penser à Sigrid, mais à l’entrevue qu’elle avait à présent. Entrevue qui fut absolument désastreuse. Pendant un temps qui lui parut infini, Maiken se trouva changée en petite fille dont les mauvaises notes lui avaient valu de se retrouver dans le bureau de la directrice, avec la légère différence que la directrice, ici, lui proférait des menaces bien plus impressionnantes que tout ce qu’elle avait pu entendre jusque là. Elle eut beau se défendre de son mieux, les arguments les plus sensés ne trouvaient aucun écho chez Beatrix, alors ne parlons même pas d’essayer de faire vibrer en elle la corde sensible … Maiken n’avait aucun espoir de plaider une quelconque humanité, de rechercher une flamme de bonté en cette femme si cruelle. Elle ne parvint donc pas à justifier le nombre toujours décroissant de noms de mutants qu’elle lui faisait régulièrement passer, et leur discussion se termina sur un ordre lapidaire : il fallait qu’elle augmente ses listes, dès leur prochain contact, si elle voulait que Sigrid reste en dehors de tout ça. Abattue, Maiken ne savait plus que dire, elle se sentait profondément mal face à Beatrix et ce n’était que grâce à un orgueil encore vaillant qu’elle réussissait à ne pas fondre en larmes. Elle n’avait plus qu’une envie : disparaître loin de sa vue … Ce qu’elle put enfin faire quand la hunter la laissa sortir. Douce délivrance ! Maiken se serait ruée dehors comme une furie si elle l’avait pu, plus qu’impatiente de revoir Sigrid et de l’arracher aux griffes des hunters. Mais à défaut de griffes, elle retrouva sa fille sagement attablée avec  Felix, tous deux plongés dans ce qui semblait être une discussion animée.  « Re-bonsoir, vous deux. Crème glacée ? » Maiken était hébétée. Après l’horreur de son face à face avec Beatrix, elle ne savait plus comment interpréter une telle scène, et elle se dirigea mécaniquement vers Sigrid pour la prendre dans ses bras et l’embrassr. Elle y mit sans doute un peu trop de cœur car sa fille la repoussa finalement, en lui montrant le bac de glace bien entamé devant elle. « Maman, Felix m'a laissé manger plein de crème glacée ! » May regarda ce Felix que Sigrid semblait avoir si vite adopté, puis à nouveau le pot de glace. Elle avait encore du mal à sortir de la léthargie douloureuse où l’avait plongée Beatrix, et ses réactions se faisaient attendre. « Pas trop, quand même ! » Pas trop ? Pas trop de crème glacée ? Il avait donné à manger à sa fille son aliment préféré quand elle croyait qu’il allait la torturer, mais il ajoutait quand même une précision pour qu’elle n’imagine pas qu’il l’avait gavée de trop de sucreries ? Le paradoxe était tellement énorme que Maiken aurait pu en rire, dans d’autres circonstances. « Il a été gentil avec toi, alors ? » Demanda la jeune femme, et Sigrid hocha la tête avec vigueur, sans même la regarder, comme si la question était trop banale pour requérir toute son attention. Maiken ne savait pas trop quoi en penser, mais la petite semblait réellement ravie de ce moment passé avec lui. « Ma soeur n’a pas été trop dure avec vous, j’espère ? » Cette fois, Maiken réalisa enfin que Beatrix était partie, et que c’était sans doute pour ça que Felix s’autorisait une telle question. La jeune femme se laissa tomber sur la chaise à côté de Sigrid en secouant la tête. « Ca s’est très bien passé. » Une réponse laconique et absolument fausse, il pouvait de toute façon le voir rien qu’à son visage, mais Maiken n’avait pas envie de parler de ça devant sa fille. Elle ne voulait surtout pas l’inquiéter. Et puis … Elle ne savait pas trop si elle pouvait en parler franchement à Felix, non plus. « Tu me prêtes ta cuillère, poupette ? » Sans vraiment attendre sa réponse, May prit la cuillère de Sigrid et la plongea à son tour dans le bac de glace. Pas de raison qu’ils soient les seuls à en profiter ! « Beatrix est un vrai charme à côtoyer, quelle chance vous avez. » Lança-t-elle d’un ton acerbe après avoir avalé sa première cuillerée de glace à la vanille. Elle jeta soudain un coup d’œil un peu inquiet à la porte du bureau, mais Beatrix ne refit pas d’apparition, et Maiken se détendit un peu plus. « Merci, monsieur Lecter. Pour avoir gardé Sigrid. » « Il est plus mieux que ma nounou de d’habitude. Je pourrais revenir ? » Une nouvelle fois, Sigrid avait lâché une petite bombe à laquelle Maiken ne s’attendait pas, et elle se sentit pâlir légèrement. Revenir ici ? Quelle horreur ! « Je ne sais pas, chérie. Je ne pense pas. » Et tant pis si sa fille devait être déçue.

Maiken avait parlé un peu sans réfléchir en évoquant le bonheur que c’était de côtoyer Beatrix, et elle fut très surprise de voir Felix éclater de rire. De sa part, elle s‘était attendue à beaucoup de choses, mais pas à ce genre de réaction. « En effet, elle est aussi charmante qu’un bloc de glace, quand elle le veut » La jeune femme esquissa un sourire un peu maladroit, pas certaine d’avoir le droit de partager cette blague avec lui. Il n’avait pas l’air de se vexer pour si peu, mais elle avait encore la sensation de marcher sur des œufs en sa compagnie, comme s’il pouvait sans prévenir se transformer en clone de Beatrix … Elle craignait ce moment, certaine qu’il finirait par arriver. Et que finalement, Felix ne soit pas cet homme qui semblait charmant, mais un Lecter pur et dur sans âme ni conscience … Mais elle avait envie de tester ses limites, de savoir si elle pouvait continuer encore un peu à chaque fois sans réveiller le dragon. C’était étrange, cette envie de jouer avec le feu ! « Ce bloc de glace-ci est plus charmant qu’elle, en tout cas. » Répliqua-t-elle en plongeant sa cuillère dans le pot de crème à la vanille, les yeux soigneusement baissés vers celui-ci pour avoir l’air d’avoir lancé cette phrase sans y penser. Elle ne voulait pas qu’il croie qu’elle le testait. Même si c’était un peu le cas.

Elle finit par le remercier d’avoir gardé Sigrid, pour l’avoir gardée en toute simplicité et pour lui avoir permis de retrouver sa fille en pleine forme, égale à elle-même. Ces gens là ne comprenaient pas la terreur qu’ils lui causaient, les cauchemars qu’elle subissait chaque nuit et où elle se levait en panique pour vérifier que Sigrid dormait tranquillement dans la pièce d’à côté … C’était un jour de répit de plus qu’elle avait gagné aujourd’hui, un jour de vie supplémentaire pour la petite fille. Est-ce qu’il s’en rendait au moins compte ? Sans doute pas. Il était hunter, il était blindé à ce genre de réflexions. « Ça me fait bien plaisir. Elle ne cause pas beaucoup d’ennuis. Et je vous en prie, appelez-moi Felix. » Elle hocha vaguement la tête, pas certaine d’y parvenir, mais notant d’essayer. Elle n’avait pas envie de commencer à appeler ces gens par leurs prénoms … Mais en même temps, Beatrix ne lui proposerait jamais une chose pareille. Ce serait bien plus facile avec Felix qu’avec elle. Mais avant qu’elle n’ait pu répondre quoi que ce soit, Sigrid avait à nouveau fait des siennes, et Maiken était à nouveau terriblement gênée. D’être ici, devant lui, de ne pas savoir quoi penser ni quoi faire … De son côté, Sigrid semblait simplement déçue, et elle sauta de son banc pour aller tourner dans le labo, comme si elle voulait s’imprégner des lieux une dernière fois. May allait la rappeler quand Felix reprit la parole. « Vous n’avez pas à revenir ici, vous savez. Je… » La jeune femme fronça légèrement les sourcils, plus par surprise qu’autre chose, et elle se pencha légèrement vers lui comme il baissait la voix. « Écoutez, Maiken – je peux vous appeler Maiken ? » Avait-elle le choix de toute façon ? « Je suis désolé si ma sœur a été dure envers vous. Je vais lui demander que ce soit moi qui s’occupe de… de toute cette histoire, à l’avenir, si ça vous va, bien sûr. Je pense que ça sera mieux pour vous. Enfin, c’est vous qui voyez. Je ne veux pas que vous vous sentiez mal, enfin… étant donné les circonstances. » C’était la déclaration la plus étonnante qu’il lui ait faite jusqu’à maintenant – et pourtant, entre les glaces et autres réjouissances, Maiken pensait qu’il ne pouvait pas faire pire. Il semblait peu sûr de lui, comme s’il avait peur qu’elle refuse. Mais comment refuser ? Comment pouvait-elle préférer faire affaire avec Beatrix plutôt qu’avec lui ? Elle était prête à accepter le marché, plutôt cent fois qu’une, mais immédiatement, ses réticences revinrent, et avec elles ses soupçons. Qu’est-ce que cela cachait ? Elle se redressa légèrement, fixant Felix comme pour déceler la tromperie sur ses traits. Il n’y avait rien d’autre que cette espèce de candeur mal placée qu’il arborait si souvent, et elle ne savait quoi en penser. « Je me sens déjà mal. » Répondit-elle à voix basse pour que Sigrid ne puisse pas les entendre. « Ce que vous me proposez … C’est sans doute très bien, à votre niveau. Vous avez l’impression de me faire une fleur, et je vous en remercie. » L’amertume pouvait s’entendre dans sa voix. Elle aurait aimé accepter sans rien ajouter. Mais elle était pugnace, et elle ne voulait pas laisser s’échapper une occasion de marchander. « Je ne veux plus voir votre sœur et je préfère que ce soit vous à sa place. » Elle prit une inspiration. « Mais ce que votre sœur me demande, je ne peux pas le faire. Je ne peux pas inventer tous ces noms, je fais de mon mieux pour les trouver mais ça ne vous suffira jamais. » Elle serra la cuillère entre ses doigts pour les empêcher de trembler. Il ne fallait pas qu’il voie sa nervosité. « Vous allez nous tuer, Sigrid et moi. Faites en sorte que ça s’arrête. S’il vous plaît. » Lâcha-t-elle finalement en le regardant droit dans les yeux.

« Maiken » Un simple mot, son nom, et Maiken comprit qu’elle était allée trop loin. Le visage de Felix s’était métamorphosé, passant de la façade amicale à un masque dur et froid. Sa voix également avait changé du tout au tout, devenant cassante et autoritaire, bien loin de ce qu’il avait pu lui montrer jusque là. Pendant une fraction de seconde, Maiken se sentit presque victorieuse de l’avoir poussé à montrer qui il était vraiment, mais cette sensation s’envola rapidement sous l’effet de la peur et des regrets. Qu’avait-elle fait ? Elle avait trop demandé, trop exigé. Elle avait outrepassé ses droits – ses maigres droits – et le hunter s’était réveillé sous l’apparence attentionnée de Felix. D’un regard nerveux, elle chercha Sigrid des yeux, prête à bondir s’il faisait le moindre geste déplacé. Elle ne savait pas trop à quoi s’attendre, jusqu’à maintenant il n’avait jamais rien fait qui soit un tant soit peu agressif et elle ignorait totalement de quoi il était capable. Mais c’était un hunter, alors il fallait être prête à parer toute éventualité. « Pensez-vous que j’aurais fait tant d’efforts pour vous garder en vie jusqu’à maintenant, juste pour vous tuer plus tard ? » Sa posture démentait tellement ses paroles que Maiken ne comprit pas vraiment ce qu’il venait de dire. Elle avait l’impression qu’il se retenait de la frapper, ses poings serrés semblaient prêts à s’écraser sur son visage jusqu’à en faire de la bouillie. Et malgré tout, il soutenait que c’était elle, l’idiote, à croire qu’il voulait lui faire du mal. C’était difficile à suivre, et plutôt effrayant. Elle se recula légèrement sur sa chaise, pas désireuse d’être à la portée de ses poings. Elle ne parvenait pas à détacher son regard de ses yeux, deux puits de glace qui la transperçaient littéralement. Elle était hypnotisée, captive de cette tension qui vibrait entre eux. Le cœur qui battait à cent à l’heure, les paumes moites … Elle attendait la suite avec anxiété, mais incapable de faire le moindre geste pour se soustraire au danger imminent. C’était donc ça, d’être la victime face au hunter. Absolument sans défenses. « Je me fiche complètement de ces noms. Toute cette histoire, c’est… C’est du n’importe quoi ! Écoutez, si vous n’avez plus de noms, vous n’en avez plus, et ça se termine là. Je vais m’arranger avec ma sœur. » La jeune femme ouvrit de grands yeux stupéfaits par la tournure que prenaient les choses. Elle ne comptait plus les fois où il avait réagit tout à fait différemment de ce qu’elle imaginait, mais cette fois … Cette fois, c’était un niveau encore supérieur. Elle avait vraiment, sincèrement cru qu’il était en colère contre elle et qu’il allait la frapper. Pour de bon, elle y avait cru, elle avait effacé cette image généreuse qu’il avait tenté de créer pour elle. Mais voilà qu’il n’en était rien. Il était toujours le même, et le hunter sanguinaire qu’elle avait cru voir n’était toujours pas apparu. N’existait peut-être même pas du tout. Il était juste très en colère …  « Il n’arrivera rien à vous et Sigrid, pas sous ma garde, vous avez ma parole. » Maiken referma la bouche, consciente d’avoir été bouche bée un peu trop longtemps, mais elle ne parvenait pas à réaliser que Felix, un Lecter et un hunter, pouvait lui dire des choses pareilles. Tout en ayant l’air fichtrement sérieux ! Il n’avait jamais été aussi sérieux, depuis qu’elle le connaissait. Il ne souriait pas, il n’essayait pas d’être jovial pour ne pas l’inquiéter. C’était ça, le changement : il l’inquiétait beaucoup et ça ne donnait que plus de poids à ses paroles. Elle suivi son regard quand il tourna la tête vers Sigrid, mais elle ne craignait plus qu’il l’attaque. « Tant que je serai là, personne ne touchera à un cheveu de sa tête. Mais si vous ne me laissez pas faire, il n’y aura plus rien entre elle et le laboratoire de ma sœur. Alors je vous en prie, Maiken… Faites-moi confiance. » L’évocation du laboratoire tira un frisson irrépressible à Maiken, et elle baissa les yeux. Elle ne savait plus comment réagir face à lui. Elle ne savait pas quoi lui dire.

« Vous ne pouvez pas faire ça gratuitement pour moi. Il y a forcément … Forcément quelque chose derrière, je suis désolée, mais comment est-ce que je pourrais vous croire ? » Elle avait du mal à croire que des excuses avaient franchi ses lèvres, mais elle était réellement navrée de lui infliger une nouvelle déception. Comme c’était une sensation étrange ! Elle ne devait rien à cet homme et pourtant elle se sentait redevable, presque inquiète de froisser ses sentiments. « Je ne veux pas que … Vous pensiez que je suis ingrate, ou quoi que ce soit. Je ne le suis pas. Mais essayez de vous mettre à ma place ! » Lança-t-elle en plantant ses yeux dans les siens. Pourtant, elle se sentait bien mal à l’aise dans cette scène qui se jouait. « Je ne vous connais pas. Et vous ne me connaissez pas non plus ! » Se défendit-elle, la voix mal assurée, comme si elle-même ne croyait pas à ses propres arguments. Mais ils ne se connaissaient pas, elle avait douté de tout le monde trop longtemps pour accepter qu’un parfait inconnu – hunter de surcroit – veuille l’aider sans rien demander en retour ! « Pourquoi faites-vous ça pour moi ? » Elle voulait savoir, elle avait désespérément besoin de savoir à quoi s’en tenir. Il avait une sœur complètement folle, et de ce qu’elle avait pu voir jusque là, il n’était pas capable de s’opposer à sa volonté. Mais soudain, il lui promettait de le faire. C’était difficile à croire, et s’il était réellement sincère, elle ne comprenait pas ce qui l’avait fait changer ainsi. « Donnez moi une bonne raison et je ... Je vous promets d’essayer, Felix. » Elle avait prononcé son nom en espérant qu’il comprenne qu’elle ferait réellement un effort, s’il se montrait à la hauteur de cette confiance. Ils pourraient essayer de coopérer mais uniquement si elle était certaine de ne pas se diriger dans un piège.

Felix avait eu un accès de colère brutal, mais il s’était calmé tout aussi vite, comme s’il avait réalisé qu’il était allé trop loin et qu’il n’aurait jamais du s’énerver ainsi. Et franchement, Maiken le préférait quand il était calme et avenant que sous l’effet de cette rage froide ! Mais une nouvelle fois, elle avait poussé la limite un peu plus loin, cherchant à savoir ce qu’il cachait derrière ses propositions amicales. Elle n’avait jamais connu de hunter aussi prévenant, elle avait le droit de se poser des questions ! Mais elle n’était pas à l’abri d’un nouvel accès de colère, et elle se prépara au pire … Qui ne vint pas. Felix sembla agacé, puis gêné, et puis … Amusé ? Quand elle prononça son nom, elle vit un sourire s’épanouir sur ses lèvres, et elle sut que sa technique avait marché. Elle ne voulait pas le blesser, elle voulait juste des réponses, et elle fut grandement soulagée de le voir réagir ainsi plutôt que comme quelques minutes plus tôt, quand il avait cédé à son exaspération. Elle avait l’espoir que les choses s’arrangent et qu’elle finisse à comprendre ce qu’il y avait entre eux. C’était d’ailleurs assez bizarre de penser ainsi. Quelques jours plus tôt, elle ne voulait rien savoir de lui et elle voulait juste qu’il la laisse tranquille. A présent, elle était désireuse de voire les choses s’améliorer. Elle voulait bien faire des efforts s’il lui prouvait que cela pouvait en valoir la peine. Et elle ne comprenait même pas à quel moment elle avait pu changer d’état d’esprit à ce point ! A force d’essayer de lui faire baisser sa garde, il y parvenait … Petit à petit. Le combat n’était pas encore gagné, mais au moins elle ne refusait plus tout ce qu’il lui disait en bloc. « Vous me rendez complètement fou, vous savez ? » Non, elle ne savait pas, et elle aurait pu croire qu’il se fichait d’elle si elle ne commençait pas à s’habituer à ses réactions étranges. Quelque chose lui disait qu’il était parfaitement sincère … Et elle ne savait pas quoi en penser. Mais il continuait à sourire comme si ce n’était qu’une broutille, alors elle fit de même. Un léger sourire, un peu hésitant, naquit sur ses lèvres tandis qu’elle attendait la suite. « Je veux vous aider parce que… parce que vous êtes une bonne personne. Et qu’aujourd’hui, les bonnes personnes sont rares – vous le savez sûrement bien mieux que moi. J’ai envie de vous aider. Je n’ai pas de bonne raison à vous donner… Je ne le sais même pas moi-même. Tout ce que je sais, c’est que je veux vous protéger – et que je suis prêt à tout pour ça. » Maiken garda le silence, sans doute un peu trop perplexe pour dire quoi que ce soit de toute façon. Felix ne lui donnait aucune véritable explication, et ce qu’il disait était confus, mais elle avait retenu qu’il trouvait qu’elle était une bonne personne – quelle ironie, sachant ce qu’elle avait été forcée de faire ! – et qu’il voulait la protéger. « Vous… je ne saurais pas l’expliquer, mais vous avez un effet sur moi, et c’est tout ce que je peux vous dire. C’est plus fort que moi. » Alors là ! Ca ne rentrait plus du tout dans le cadre de ses fonctions en tant que hunter, elle en mettrait sa main à couper. Elle n’aurait vraiment pas cru qu’il pourrait lui donner ce genre d’excuse. Et elle n’aurait pas cru non plus s’en sentir étrangement flattée. « Je vous l’ai dit, Maiken. Rien ne vous arrivera sous ma garde. Parce que toute ma vie, je n’ai fait qu’écouter mon instinct, et je n’ai fait ce que je crois vraiment bien, que ce soit vraiment la bonne chose ou non – et… je suis un vrai idiot la plupart du temps, mais ceci, vous protéger, vous aider, c’est la bonne chose à faire. J’en suis convaincu. »

Il la fixait toujours, sans rien ajouter de plus, et Maiken aurait voulu pouvoir se détacher de ce regard scrutateur qui attendait une réponse de sa part. Mais elle ne savait pas quoi dire ! Elle était pétrifiée et elle avait besoin d’un moment pour réfléchir à tout ça, pour déterminer si oui ou non, elle s’autorisait à le croire. Ce n’était pas une décision à prendre à la légère ! Elle secoua la tête et fit un geste évasif de la main. « Ce n’est pas une raison très scientifique, ça ! » Fit-elle finalement, une petite moue embêtée sur les lèvres, avant de baisser les yeux, un sourire s’affichant lentement sur son visage. Bon, d’accord, elle baissait les armes. Elle n’avait plus envie de se battre contre lui. « Mais … Je veux bien essayer de vous croire. Et pas à cause de ce que vous venez de dire, parce que vous n’avez pas été très convainquant si vous voulez mon avis ! » Ajouta-t-elle en relevant les yeux. « Mais parce que vous vous êtes bien occupé de Sigrid, et que jusque là … Vous avez été le meilleur hunter que j’ai rencontré. Je veux bien croire que vous essayez de m’aider. » Elle prononça ces quelques mots en le fixant intensément, avec dans les yeux une expression presque suppliante signifiant "ne me décevez pas". Elle prenait un grand risque en acceptant qu’il entre un peu plus dans sa sphère privée, en acceptant qu’il ne soit pas juste l’Ennemi. Elle n’avait pas envie d’être déçue … Mais la vie était faite de risque et aujourd’hui, elle était prête à accepter celui-ci. « Est-ce que pour une fois on pourrait se voir en dehors de tout ça, juste pour faire connaissance ? » La proposition était sortie de sa bouche presque sans qu’elle y pense, et elle en fut presque surprise, mais c’était un peu tard pour y revenir. Et après tout, elle était convaincue que c’était une bonne idée. Elle voulait le connaître en dehors du contexte hunter-victime, pour être sûre qu’elle n’avait pas fait d’erreur de jugement.