I CAN LIFT MORE THAN YOU
   JACKY & COLT

On ne peut même plus prévoir une petite séance de sport matinale sans être emmerdé par des obligations professionnelles. C’est dingue toute de même, on ne m’appelle pourtant pas souvent à cinq heures du matin pour me rendre sur une scène de crime. Ne jamais dire jamais, la preuve, j’ai été réveillé au beau milieu de la nuit par l’un de mes collègues. Un règlement de compte entre deux gangs aurait explosé dans la nuit à côté d’une station d’essence, un vrai bain de sang dans lequel dix personnes auraient perdu la vie. En soit, une affaire plutôt classique bien qu’elle ne nécessite une petite analyse de la scène de crime. A mon arrivée, vingt minutes après avoir été appelé, en uniforme, je découvre un décor vraiment macabre. Des balles sont disposées çà et là sur le sol, les draps blancs qui recouvrent les corps en attendant le légiste sont déjà engorgés par le sang. J’interpelle l’un de mes collègues, bloc-notes entre les mains. « Milton ! Vous avez déjà récupéré les séquences sur les caméras de sécurité ? » Un éclair de génie semble parcourir mon camarade qui suit mes mouvements des yeux et repère donc les trois caméras qui, à coup sûr, ont immortalisé cet acte de barbarie. « Pas encore, mais je m’en occupe ! » J’acquiesce sans dire un mot, exaspéré par le cruel manque d’implication de la part de mes collègues qui, à chaque reprise, me fait comprendre pourquoi le taux d’affaires non élucidées était aussi haut avant mon arrivée. Et dire que je l’ai fait diminuer de quasiment cinquante pourcents depuis mon arrivée l’année dernière. « J’aimerais le rapport du légiste, les séquences filmées, les photos de la scène du crime et un bilan complet sur les antécédents des deux gangs sur mon bureau avant midi. » Je précise à deux autres policiers avant de me baisser pour remettre en place le drap blanc sous lequel se trouve un gosse, je ne suis même pas certain qu’il soit majeur. Mourir si jeune ne devrait pas être autorisé.

Sept heures et quart, je suis en retard, ce qui ne m’arrive pas souvent, mais bel et bien en route pour la salle de sport. Jack’ va m’attendre, je n’ai même pas eu le temps de répondre au SMS qu’il m’a envoyé un peu plus tôt. Je n’ai pas arrêté une seule seconde depuis que je suis debout, j’ai à peine eu le temps de repasser chez moi pour attraper un t-shirt blanc et un jogging beige confortable et idéal pour faire du sport. Une paire de baskets et déjà j’étais reparti. Ça ne m’a pas vraiment dérangé cela-dit, j’aime être occupé, je préfère cela à l’ennui que peut procurer le fait de, justement, ne rien faire. Il n’y a personne à la salle de sport, je n’entends que quelques râles reconnaissables parmi des centaines d’autres. Il est déjà là, en train de suer pour conserver ce corps si appétissant qu’il bichonne quotidiennement. Un long sourire étire mes lèvres quand je traverse la salle pour le rejoindre. « Alors, on n’attend pas Patrick ? » Je demande en souriant, fier de mon horrible référence culturelle acquise après avoir visionné quelques comédies françaises aux côtés d’une connaissance. Ce fut ma punition pour avoir remis en doute son implication dans une affaire sournoise. Je ne m’attarde pas plus longtemps et approche de la machine à tractions, mes mains entourent de part et d’autre la longue barre au-dessus de ma tête et je me lance, n’utilisant que mes biceps pour me soulever intégralement.

I CAN LIFT MORE THAN YOU
   JACKY & COLT

On ne peut pas dire que je sois partisan des retards. Je dirais même que je suis toujours en avance, un vieux principe enseigné par ma famille il y a des années. Un moyen de pouvoir jeter un coup d’œil aux lieux, histoire de ne jamais être pris par surprise sans avoir eu une chance de le voir venir. J’ai toujours eu horreur des gens qui ne parviennent pas à s’organiser pour arriver à l’heure convenue. Tout le monde déteste avoir à attendre plus que de raison qu’une personne ne fasse l’effort de se pointer alors pourquoi imposer cela en ne prenant pas la peine d’être un minimum cordial ? Quoiqu’il en soit, mieux vaut tard que jamais, surtout lorsqu’on dispose d’une excuse comme la mienne. Je n'ai pas choisi ce qui m’est tombé dessus plus tôt dans la matinée, l’appel du devoir dirons-nous. Il ne m’en voudra pas, je le sais… Au final je me tiens nettement plus responsable qu’il ne le fera, c’est ainsi que je fonctionne, toujours à attendre mieux de moi. Je ne suis pas un adepte du laxisme en général et encore moins lorsque je suis le premier concerné, je vise la perfection à chaque instant. J’ai pourtant bien conscience que personne n’est parfait, ce n’est néanmoins pas une raison pour ne pas essayer de l’être. Je ne prends même plus le temps de jeter un coup d’œil à la montre qui épouse mon poignet, ce serait perdre de précieuses minutes. Avec hâte je me prépare et entre dans la salle. Je repère mon camarade, déjà au travail, il a utilisé ce petit temps-mort à bon escient. Sa peau est recouverte d’une fine pellicule de sueur qui met en valeur ses muscles impeccables, ses épaules larges et rassurantes, ses abdominaux parfaitement dessinés et ô combien séduisants. Je lance une petite vanne pour signaler ma présence et ne tarde pas à me mettre au boulot, le temps c’est de l’argent… Dans notre cas, c’est du muscle. « Tu étais où, je croyais que l’on devait se rencontrer à 6 h 30? » J’acquiesce dans un vague hochement de tête. « J’ai été appelé en urgence, une fusillade qui a explosé durant la nuit et fait plusieurs morts… » Je m’arrête là dans les détails, je n’ai de toute manière pas le droit d’en dire plus. Je pourrais me permettre de le faire, ça m’arrive parfois, mais j’essaye de me tenir au mieux au serment que j’ai prêté. Question d’éthique même si ce terme en ferait rire plus d’un me concernant, surtout ceux qui ont passé l’arme à gauche par ma faute. Je ne suis pas le flic le plus modèle, je n’ai jamais essayé de l’être mais j’en donne l’illusion. Chacun ses secrets après tout.

Je me soulève à la force de mes biceps, je pousse quelques petits soupirs qui attestent de l’effort que je suis en train de donner. Un exercice idéal pour faire travailler plusieurs de mes muscles, mes biceps en première ligne mais également mes abdominaux qui travaillent en se contractant pendant l’effort. « Tien, je t’ai préparé un petit truc. » Je termine l’exercice après une ou deux minutes supplémentaires et abandonne la barre que je ne tenais fermement jusque-là pour pouvoir me soulever. Je me baisse pour attraper la bouteille et en boire une ou deux gorgées. Les protéines, pas le produit le plus agréable à se mettre en bouche mais je ne vais pas me plaindre, ça aide beaucoup. « Merci mec. » Je balaie d’un bref coup de main le liquide resté sur la commissure de mes lèvres et me prépare à soulever un peu de fonte, de quoi faire travailler d’autres parties de mon corps efficacement. Avec une heure et demie de retard il n’y a pas de temps à perdre. Deux mecs entrent dans le gymnase et l’un d’eux bouscule Jacky. J’observe, silencieux, la réaction de mon camarade. Il est du genre à vendre les mérites du calme, à faire l’apologie de la paix et de toutes ces conneries qui sont loin de régler tes problèmes face à de telles brutes. « Désolé, je dois y aller… » Il s’aplatie comme une crêpe, ce n’est pas un comportement que j’apprécie. Bon, je n’ai pas non plus envie qu’il s’en aille, pas tout de suite, il est trop tôt. « Pourquoi ? A cause de deux connards qui se prennent pour des caïds ? Ils ne sont encore jamais tombés sur un os ! » Je réponds bien fort pour que les deux mecs m’entendent. Ils se tournent pour me regarder et je les fusille du regard quasi-instantanément. Je suis le flic, en position de force et ils ne le savent pas encore. Quoiqu’il arrive je saurais tourner la situation à mon avantage.