C'est comme vivre dans une pièce de verre, en sortir devrait impliquer de s'ouvrir sur des tessons de verres, saigner. Plaie ouverte. C'est comme observer une scène au ralenti et de rater sans cesse le coche. C'est comme d'être coincée dans le temps, entre deux secondes. Rester en suspens, errer dans les fêlures de l'esprit. Les siennes. Défaut de fabrication. Le SAV ne répond pas aux appels. Démerdez-vous maintenant. Baisez à profusion et créez des ratures. Les gens articulent des mots qui griffonnent, qui noircissent, elle, la grosse tâche de la famille. « Elle n'est pas normale ! Elle n'est pas normale » « Juste différente des autres et alors ? » Des murmures captés à la volée, ils se perdent en chemin et pourrissent dans sa tête trouée. Pas normale. Différente. Ca revient au même. Une rature est une rature. Quand tout l'essentiel est capté d'instinct, elle, elle n'en capte que des bribes poussiéreuses.  Ce qui a été perdu d'avance devient assourdissant. Je suis sourde de vous. « Ca va aller, Tox' ! Tu n'es pas anormale, tu es juste … spéciale. Ouais, t'es unique » Unique dans ses travers, l'unique tâchée de honte dans les regards des gens. Une minorité dérangeante.

L'étoile reste en rotation, ancrée dans une routine quotidienne. Chaque chose à sa place, aucune trahison à tout ce qui a toujours été, un plan de routine de toujours, un plan de route destiné à ne jamais changer. La routine apaisante. Sa formation est essentiellement composée de solitude et de mots à demi prononcés, l'autre est un satellite effrayant, un satellite qui pourrait s'effondrer sur elle, naufrage dangereux. La majeure partie de son existence se résume à son coeur, à son esprit. Siège de réaction en fusion, siège d'édifice imaginaire, siège de son monde fermé. La matière qui la compose est aléatoire, instable mais la matière grandit dans la domination du Soleil qui brille et occulte celle des étoiles. Orazio, le soleil et la lune en même temps. La lune qui révèle la lueur blafarde des étoiles, de l'étoile, l'unique lune qui la voit en sa singulière clarté. Réciprocité valide, tamponnée d'une nuée de poussière étoilée.

Les hurlements. Des sons collés bout à bout qui deviennent horribles. Sa main se perd dans la forêt du pelage sombre, le pelage danse sous ses doigts, il fait comme des vagues. Les grognements se joignent aux hurlements mais l'étoile l'aime bien, ce son. Elle aime quand la lune communique, elle aime bien. Son visage s'enfonce dans le pelage sombre, sa peau de chaux se tâche du liquide épais, ce rouge vif, étoile rouge. L'étoile rouge et sa lune sombre. Lune meurtrière. « Ton fils ! Ton putain de fils ! Clara ! Je vais le buter ! » Tapage nocturne, le fusil qui se charge, du bruit nauséeux. « Orazio ! » Champs magnétique, on l'arrache de sa lune, les mains, les mains. Contact troublant, contact qui surprend. L'étoile implose, elle hurle, elle se débats. Ne pas toucher, ne pas toucher. L'étoile doit rester dans sa vitrine fêlée. « Putain ! Tosca ! Clara, prend ta fille et éloigne la ! » Au sol, la lune se mue en soleil. Là, au sol, la silhouette animale reprend des formes humaines. « Orazio ! »

Dans sa galaxie, tout gravite autour du noyau, tranquillement, l'habitude, le doux quotidien vigoureux. « Maman ne reviendra plus, Tosca. Elle est morte. Tu comprend ? » L'étoile s'égare un peu, ses yeux voudraient trouver un contact, un aéroport mais n'y parviennent pas. « C'est plus que toi et moi » « Pourquoi tu es triste ? » « Parce que la mort, c'est triste » « Pourquoi ? » « Parce que c'est quelque chose d'injuste et qu'on ne contrôle pas. Ca nous tombe dessus comme un astéroïde et on ne peut rien y faire, tu comprend ? » « Oui, c'est comme moi  » « Oui, en quelque sorte. Sauf que toi, ce n'était pas un crash malheureux, t'étais le meilleur crash. Maintenant c'est que toi et moi » La mort, l'attachement entre les personnes, ça l'a dépasse mais l'étoile comprend que dans sa galaxie, la gravite déraille, les choses vont changer. Le changement, ce trou noir angoissant. Elle entre en fusion, elle ventile et s'éparpille comme un puzzle jamais achevé. « Ca va aller, Tosca ! Je prendrais soin de toi, tout ira bien. C'est rien que toi et moi, plus de changement » « Rien que toi, moi et Ombre » « Ouais et Ombre » « Je veux voir Ombre » « Ombre dort en ce moment et vaut mieux le laisser dormir »

Dans le couloir s'élève l'écho de la télévision, un écho morbide, un écho qui raconte le drame d'un monde parallèle, le monde qui ne veut pas d'une étoile, d'une lune, qui n'en a jamais eu besoin. Un drame sanglant où gravitent des hommes qui chassent et traquent les erreurs du ciel. C'est Galilée et ses instruments qui traquent la lune.  « Tu verras Ombre ce soir ! » « Tu seras là demain matin ? » « Je serais là demain matin » Elle s'apaise l'étoile, elle s'apaise et se fait à l'idée, sa galaxie se restreint mais elle ne changera plus. C'est n'est plus qu'elle et lui.

Et puis lui aussi. Décodage sur le pas de la porte. Si tu veux entrer dans la galaxie, il faut se plier au loi de la gravité singulière à cette foutue galaxie. TMTC. Y'a un BAC en sourdine mais tu te le carre  où tu veux. GOF. Tchak tchak. « Il n'y a aucune étoile qui s'appelle Julian » Comment dire que tu es, tout à coup, inintéressant à ses yeux. Recule, retourne dans ton monde parallèle. Toi, l'ombre. Ses yeux sondent la carte d'identité. 15 décembre. «  349e jour de l'année du calendrier grégorien, le 350e en cas d'année bissextile. Il te reste toujours 16 jours avant de commencer une nouvelle année » Est-ce un laisser passer ? Peut-être bien. L'étoile assimile les informations, elle fait connaissance avec l'ovni. A sa manière. « 9686 jours, 318 mois, 1383 semaines, 327 lunaisons que tu es ici » L'étoile se pousse pour laisser entrer l'ovni sans le regarder, éviter tout contact oculaire, elle fixe ses yeux immortalisés sur le papier glacé, elle lui parle à lui, à cette image figée. Elle lui récite ce qu'elle sait. « Upsillon, Pi, Omicran, Nunki, Phi » La constellation du sagittaire. « Kaus Boréalis, Kaus Médius, Nash, Kaus Australis, Eta ... » « Je ... » « Tais-toi, je parle … Tau, Zhêta, Oméga ... » ouais, méga, ça, c'est certain, ça le sera.