tic tac boom !

From womb to tomb, we are bound to others.

Le ciel grisâtre annonçait une aube nuageuse et sans aucun doute humide. Le soleil n’était pas encore tout à fait levé, mais à l’horizon, sous la masse sombre et cotonneuse qui obscurcissait le ciel, on pouvait distinguer la fine ligne rougeâtre qui indiquait que le jour ne tarderait pas à se montrer. C’était cette heure de la journée où les derniers fêtards étaient rentrés chez eux et où les premiers lève-tôt se mettaient doucement en route pour aller travailler. Les grandes avenues de Radcliff étaient presque désertes, à l’exception de quelques chats de gouttières, quelques personnes isolées et, surtout, un petit groupe qui se faisait le plus discret possible.
Dans une rue du quartier nord, un peu décentré par rapport au cœur de la cité, une poignée d’hommes s’affairaient, aussi rapides et efficaces que les fourmis auxquelles ils ont emprunté la couleur de leurs habits noirs. Ils ne construisent rien cependant, et ont plutôt tendance à se servir chez les autres. Objets précieux, rares ou simplement interdits, ils prennent ce dont ils ont besoin et repartent aussitôt ; le fruit de leur rapt sera soit partagé entre les voleurs, soit revendu sous le manteau au prix fort. Ils font rarement couler le sang, mais n’hésitent pas à prendre une vie si cela peut les empêcher de se faire prendre ou de mourir eux-mêmes.

Les minutes passaient et tout semblait enfin prêt. Il ne restait plus qu’à attendre le bon moment pour passer à l’action – à attendre le signal qui sera donné par le meneur de ce drôle de groupe.
Ledit meneur gardait les yeux rivés sur sa cible : une imposante villa entourée de murs et bardée d’un impressionnant système de sécurité qui sera piraté pour laisser passer toute la bande. C’était un assez gros coup l’air de rien, mais le jeu en valait largement la chandelle.
Seth tira sur sa cigarette, la petite étincelle au bout du bâton de nicotine projetant des reflets dorés dans ses yeux sombres. Il fumait occasionnellement, généralement pour se détendre ou bien pour faire passer le stress ou la colère. Il avait beau avoir toute confiance en son plan et en ses hommes, il restait malgré tout relativement tendu, redoutant un accroc dans leur tactique si soigneusement préparée – parce qu’il était hors de question de foncer dans le tas sans réfléchir. Cela dit, il avait tout de même prévu un joli feu d’artifice, voire plus si la situation l’exigeait. Il ne restait plus qu’à attendre l’artificier qui se faisait désirer.
Pensif, le mutant grattouilla distraitement la barbe sur son menton lorsque l’un de ses hommes s’approcha de lui.

- Boss, notre bombardier vient d’arriver.

Seth haussa un sourcil et laissa retomber son bras, répondant en soufflant un nuage de fumée blanche qui s’envola dans l’air frais du matin.

- Il était temps.

Il était difficile de mettre le Calédonien en colère, mais lorsqu’il était sur les nerfs, mieux valait ne pas en rajouter une couche. Il n’était pas incroyablement énervé contre Johan, mais il était juste assez agacé pour que cela se voie – un discret pli aux coins de ses yeux, ses mâchoires très légèrement crispées, bref : quelque chose de changé dans son expression habituellement désinvolte.
Terminant sa cigarette, il laissa tomber le mégot et l’écrasa sous l’épaisse semelle de sa chaussure avant de suivre son subordonné. Sur le chemin, il lança de rapides coups d’œil aux autres pour vérifier une dernière fois que tout était prêt et qu’ils n’avaient plus qu’à lancer l’assaut.
Seth tomba finalement sur Johan.

- J’me demandais si tu m’avais pas posé un lapin, mon lapin.

Il le détailla rapidement, plus par habitude qu’autre chose, puis finalement esquissa un semblant de sourire, le premier de la matinée.

- J’espère que t’es en forme.

Il lui fit signe de le suivre et retourna tout superviser une dernière fois, laissant sa maniaquerie prendre le dessus.

- Faut que je te briefe ou tu te souviens de ce qu’on avait prévu ?

tic tac boom !

From womb to tomb, we are bound to others.

La nuit s'achevait. Je sortais du club de striptease après une soirée intense de travail. Veste en cuir sur le dos, je parcourais les rues de Radcliff pour me rendre à mon prochain rendez-vous pour lequel j'avais déjà du retard. Je rejoignais Seth. Amant et boss occasionnel, je le retrouvais pour un nouveau coup. C'était comme ça que nous nous étions rencontrés et j'appréciais toujours qu'il me contacte pour un nouveau contrat. Qui plus est, j'adorais avoir les poches remplis des billets qu'il me donnait et de passer certaines nuits dans ses draps. Je tournais dans le quartier Nord. J'avais mémorisé le lieu exact du cambriolage ainsi que notre point de rencontre pour peaufiner les derniers détails de notre casse. J'apercevais au loin la silhouette de l'un de mes futurs coéquipiers que j'avais déjà croisé auparavant via Seth. Je le regardais tout en continuant de marcher dans leur direction et comprenais qu'il partait prévenir le boss de mon arrivée un peu tardive. Je passais à côté des autres sans même les regarder et m'avançais directement vers le jeune Koraha.

« Il était temps. » Entendis-je au loin. Je ne répondis rien, l'observant simplement quand j'arrivais face à lui. Il était sur les nerfs comme pour chaque casse. Mais cette fois-ci, j'avais alimenté sa colère et, étrangement, je trouvais que son tempérament actuel collait parfaitement à la situation. Il serait au moins plus sur ses gardes et ferait d'autant plus attention à ce qu'il se passerait autour de nous. D'une certaine manière, je me sentais en parfaite sécurité pour exécuter ce contrat. « J’me demandais si tu m’avais pas posé un lapin, mon lapin. » Sourire aux lèvres, je m'approchais du boss. « Tu sais que j'aime me faire désirer, pourtant... » Un dernier haussement de sourcil et je m'écartais pour admirer la demeure que nous allions piller. Je sentais le regard de Seth sur moi. Je ne réagissais pas. Pourquoi le faire ? Il m'avait déjà vu sous toutes les coutures. « J’espère que t’es en forme. » « Comme toujours, mon chou. » Puisque c'était la matinée des surnoms, je donnais aussi un peu de ma personne pour lui en trouver un. « Quoi que "mon canard" te conviendrait mieux, Seth. » Je riais légèrement et terminais par le suivre quand il me l'indiqua.

Encore une fois, il voulait revoir le plan. Je le connaissais plutôt bien maintenant et je savais qu'il mettait un point important pour que tout soit en place afin qu'il n'y ait aucune complication. « Faut que je te briefe ou tu te souviens de ce qu’on avait prévu ? » Je portais un regard profond sur lui. Le plan, je le connaissais sur le bout des doigts. Il n'avait aucun soucis à se faire à ce sujet et il le savait très bien. Cependant, un autre problème subsistait et j'étais dans l'obligation de le prévenir connaissant ses petites manies. « Crois-tu vraiment que j'ai besoin d'un briefing de dernière minute ? » Lui demandais-je en le fixant dans le blanc des yeux. C'était bien évidemment une question rhétorique. « Faut que j'te parle avant qu'on commence... » Je l'attrapais pas le bras et m'éloignais un peu plus de notre petit groupe. J'attendais quelques secondes et m'éclaircissais la gorge. « J'ai plus de pouvoir. » Lui murmurais-je sur un ton neutre. J'attendais maintenant sa réaction car j'étais certain qu'il réagirait.

- Tu sais que j'aime me faire désirer, pourtant...

Ça pour savoir, Seth le savait. Ils avaient passé suffisamment de nuits ensemble tous les deux pour qu’il apprenne à connaître quelques traits récurrents du mutant au toucher explosif – dans tous les sens du terme ; se faire désirer en faisait partie. Parfois le Calédonien entrait dans son jeu, d’autres fois il n’en avait pas envie et Johan n’arrivait qu’à l’agacer. Mais les choses se terminaient plutôt bien pour l’un comme pour l’autre, aussi ne s’attardait-il pas sur les brefs mauvais moments qu’ils pouvaient passer : ils étaient bien trop fugaces et insignifiants comparés aux avantages que l’un et l’autre tiraient de cette relation dont les deux aspects leur convenaient parfaitement.
Cependant, maintenant que Johan était là, Seth se sentait légèrement plus détendu. Son plan était réglé comme du papier à musique, et l’absence du jeune homme leur aurait posé de gros problèmes.
Il repartit vers le reste du groupe, esquissant un sourire en entendant les surnoms dont il venait de se faire affubler. S’il n’avait pas été aussi tendu qu’il l’était à ce moment-là, il aurait répliqué de bon cœur, poussant le ridicule sans aucune honte. Peut-être jouerait-il à ça plus tard.
Tout en vérifiant que les autres membres de leur petit comité étaient prêts, il demanda à Johan s’il y avait besoin de revenir une dernière fois sur le déroulement de l’opération. La réponse ne se fit pas attendre, accompagnée en prime d’un regard insistant.

- Crois-tu vraiment que j'ai besoin d'un briefing de dernière minute ?

Ding ! Bonne réponse, pensa Seth qui haussa les épaules et répondit :

- Je vérifiais juste.

Il sourit un peu plus, presque de bonne humeur et confiant dans la suite des évènements, lorsqu’il sentit la main de Johan se refermer sur son bras.

- Faut que j'te parle avant qu'on commence...

Le Calédonien haussa un sourcil. Ça en revanche, c’était plutôt inhabituel. Il se laissa entraîner sans rien dire, se demandant bien quelle confession allait pouvoir lui faire son subordonné – et surtout, à quel point elle était importante pour qu’il veuille lui parler à l’écart des autres. Ceci ne l’empêcha pourtant pas de lancer une petite remarque.

- J’espère que c’est que pour parler, on a pas le temps pour le reste.

C’était purement gratuit et il n’était même pas certain d’avoir réussi à se déstresser tout seul. Mais il avait déjà dit bien pire dans des moments bien plus graves, ce n’étaient pas ces quelques mots qui allaient le déranger.
Une fois qu’ils furent suffisamment loin pour ne pas être entendus par une oreille indiscrète, Seth regarda Johan et attendit qu’il daigne parler.

- J'ai plus de pouvoir.

Le mutant cligna des yeux ; pendant un instant, il se demanda s’il avait mal entendu. Après tout, Johan avait juste murmuré. Peut-être avait-il compris ses mots de travers.
Ce fut en voyant son expression étrangement neutre qu’il dû se rendre à l’évidence : il avait très bien entendu.

- C’est pas le moment de faire des blagues de merde, lança-t-il dans un dernier espoir d’être contredit.

La déconfiture céda rapidement la place à la colère. Seth fronça les sourcils et grimaça, et dit à voix suffisamment basse pour que seul le jeune homme l’entende mais suffisamment forte pour laisser éclater une partie de ce bouillonnement intérieur :

- Tu te fous de moi, Johan ! Tu pouvais pas m’appeler avant pour prévenir, bordel !?

Il inspira un grand coup pour se calmer et secoua la tête en se frottant les yeux d’une main, l’autre crispée sur sa hanche. Il avait soudain une envie presque irrésistible d’envoyer son poing dans le si beau visage de Johan, mais il se retint malgré tout.

- Dis-moi que t’as prévu un truc – ou essaie de me le faire croire pendant que je réfléchis à comment faire sans tes étincelles.

S’il avait dû retenir une leçon de toutes ces années passées à trafiquer, voler et plus si affinités, c’était de toujours avoir une solution de secours. Il s’était fait avoir une paire de fois avant de comprendre les mécanismes de cette voie qu’il avait choisie, et il était devenu très difficile de le prendre de court, sauf en de très rares occasions. Aussi réfléchissait-il à toute vitesse à un plan B qui n’aurait pas nécessité d’explosions et qui pourrait être mis en place dans les dix minutes à venir avec les seules ressources qu’ils avaient sous la main.
Tout en envisageant les possibilités qui s’offraient à eux, il ne put s’empêcher de penser que le cas de Johan lui rappelait celui de quelqu’un d’autre – une mutante à qui il revendait certaines de ses prises contre une jolie petite somme, et qui s’était retrouvée dans la peau d’une humaine on ne peut plus normale quelques temps auparavant.

- Depuis quand t’es HS exactement ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

Il avait eu vent de rumeurs et d’informations plus ou moins contradictoires, mais il n’avait jamais vraiment su ce qu’il s’était passé en ville il n’y avait pas si longtemps. Et maintenant que réfléchir l’avait un peu détourné de sa colère, il était capable de parler et d’écouter calmement Johan. Seuls ses gestes trahissaient sa nervosité, ainsi que son tic de gratter le tatouage dans sa nuque quand il commençait à être vraiment tendu.

« Je vérifiais juste. » Je plissais simplement les yeux, comprenant parfaitement sa question. Cependant, tous les jobs que nous avions fais ensemble, je me sentais tout de même vexé de ce doute. Il me connaissait maintenant. Chaque plan, chaque casse, je les connaissais sur le bout des doigts. Il savait que j'aimais contrôler la situation et que, par conséquent, je n'oublierais jamais rien d'un plan établi à l'avance. Mais d'une certaine façon, Seth avait bien eu raison d'avoir des doutes. Pas, par rapport à son plan ni à quoi que ce soit concernant notre cambriolage du jour, mais bel et bien me concernant. Je nous écartais donc des autres pour lui parler seul en tête-à-tête. La nouvelle que j'avais à lui apprendre pourrait changer la donne et surtout le mettre dans une colère noire. Seth ne me faisait pas peur d'habitude mais je devais bien avouer que, pour le coup, j'appréhendais un peu cet échange. « J’espère que c’est que pour parler, on a pas le temps pour le reste. » Je soupirais. Bien que la seconde option me paraissait bien agréable, l'heure n'était pas au batifolage de réussite de mission. J'avais d'autres idées en tête qu'une partie de jambe en l'air pour nous donner un peu plus d'énergie.

Je finis donc par lui avouer mon secret. D'un naturel neutre, je le voyais cligner plusieurs fois des yeux. Surprise ! « C’est pas le moment de faire des blagues de merde. » Je soupirais encore une fois, le fixant dans les yeux pour voir son visage se décomposer et passer d'un état de franche rigolade à une colère noire. Je m'y étais attendu. Je n'étais donc pas surpris. C'était la suite qui me surprendrait sûrement beaucoup plus. « Tu te fous de moi, Johan ! Tu pouvais pas m’appeler avant pour prévenir, bordel !? » Seth se retenait. L'autre mutant semblait se retenir. Voulait-il me frapper ? Qu'il n'hésite pas, si ce geste pouvait le soulager d'une quelconque pressions supplémentaire. « Vas-y, frappes-moi ! Je sens que ça te démange. » Lui lançais-je pour le provoquer d'avantage. Il bouillonnait déjà de l'intérieur et, aussi que je pouvais l'être, j'alimentais sa colère. « Dis-moi que t’as prévu un truc – ou essaie de me le faire croire pendant que je réfléchis à comment faire sans tes étincelles. » Le voyant déjà réfléchir à un plan B, je souris. Il ne perdait pas de temps et j'en étais d'autant plus satisfait. Il ne serait pas le boss que je m'étais imaginé dans le cas contraire. Je posais donc ma main sur son épaule et ne disait toujours rien. Il comprendrait que si j'étais là, c'était que j'avais déjà prévu la solution à ce minuscule problème. « Depuis quand t’es HS exactement ? Qu’est-ce qui s’est passé ? » Me demanda-t-il alors que je retirais le sac à dos que je portais de mon épaule. Je m'agenouillais face au grand patron et ouvrais mon sac pour lui montrer son contenu.

« Si je n'avais pas eu de solution, je ne serais pas venu, Seth. Je pensais que tu me connaissais un peu mieux... Devrais-je m'en sentir vexé ? » Je sortais alors quelques explosifs de mon sac et me redressais pour lui faire face. « Je ne suis pas comme tes acolytes là-bas. J'ai des ressources. Et lorsqu'une chose ne tourne pas à mon avantage, je sais où me fournir pour me retirer une épine du pied. » Je me penchais en avant et rangeais les explosifs. Il connaissait mes intentions et mon importance pour ce casse. J'avais tout prévu. Même sans pouvoir, j'étais l'homme de la situation. J'étais ce 'bombardier' comme son subordonné m'avait qualifié. « Quant à ton autre question... » J'hésitais un instant avant de continuer. Le jeune Koraha ne semblait pas toucher par cette absence de pouvoir. Il contrôlait probablement toujours le sable et tant mieux pour lui. « Au départ, j'ai été surpris. Mon pouvoir avait disparu. Puis fut un temps où j'ai étais soulagé de sa disparition. Je pouvais enfin touché tout et n'importe quoi sans que cela n'explose. Je sais, c'est absurde. Mais maintenant, il me manque. J'ai toujours vécu avec. J'ai toujours eu ce pouvoir en moi qui me permettait de me sortir de situations délicates... » Je détestais plus que tout cette sensation de faiblesse continue. Sans pouvoir, j'étais démuni. Avec, je me sentais moi-même et plus fort que jamais. Et j'étais certain que Seth me comprenait. Nous étions pareil tous les deux. « J'ai perdu mon pouvoir. Le lendemain des évènements au Redwolf Castle. Je ne sais pas comment. Je ne sais pas pourquoi et je donnerais tout pour le retrouver. Mais en attendant, tu devras te contenter de mes explosifs. Et si jamais ça ne te convient pas... » Je remettais mon sac sur mon épaule et reportais mon attention sur Seth. « Alors vires-moi, tues-moi, fais ce que tu veux de moi ! Je n'ai plus rien à perdre maintenant... »

Seth était en colère, c’était un fait. Il avait prévu une solution de secours au cas où quelque chose se passe mal, certes, mais jamais, ô grand jamais aurait-il pu imaginer que ce seraient les pouvoirs de Johan qui leur feraient défaut. Il faillit accepter l’invitation de ce dernier lorsqu’il l’incita à le frapper, mais se retint de justesse, préférant se focaliser sur autre chose. Tout en réfléchissant à un moyen de faire sans les explosifs, ou alors d’en fabriquer quelques-uns de fortune, il se demandait également pourquoi le mutant était tout à coup aussi normal qu’un humain lambda. Il jeta un coup d’œil au jeune homme lorsqu’il posa la main sur son épaule, puis le regarda s’agenouiller et sortir de son sac à dos … Le voleur haussa les sourcils et sourit, à la fois surpris et incroyablement satisfait.

- Si je n'avais pas eu de solution, je ne serais pas venu, Seth. Je pensais que tu me connaissais un peu mieux... Devrais-je m'en sentir vexé ?

Seth hocha un peu la tête, souriant toujours, l’air très content de ce qu’il voyait. Johan s’était toujours montré plus futé et réactif que la plupart des hommes sous ses ordres – ils étaient doués dans ce qu’ils faisaient, mais dès que quelque chose partait de travers, ils se retrouvaient perdus à ne plus savoir quoi faire. Ce manque de réactivité lui avaient valu quelques problèmes, mais les plus incompétents d’entre eux n’étaient plus là pour faire capoter ses plans – généralement morts sur le terrain, les autres étaient renvoyés dans la nature après un généreux passage à tabac.

- Je ne suis pas comme tes acolytes là-bas. J'ai des ressources. Et lorsqu'une chose ne tourne pas à mon avantage, je sais où me fournir pour me retirer une épine du pied.

Le mutant hocha la tête à nouveau.

- C’est toujours pratique d’avoir quelqu’un qui sait se servir de sa tête.

Il regarda Johan ranger les explosifs, imaginant la manière dont ils s’en serviraient. Ce serait moins pratique que le pouvoir à la demande du stripteaseur, mais tant pis, ils devraient faire sans. Le principal intéressé répondit d’ailleurs à la demande de Seth qu’il avait laissé en suspens.

- Quant à ton autre question...

Seth remarqua le temps d’hésitation, comme si la réponse avait du mal à sortir ; cependant, il ne releva pas et attendit.

- Au départ, j'ai été surpris. Mon pouvoir avait disparu. Puis fut un temps où j'ai étais soulagé de sa disparition. Je pouvais enfin toucher tout et n'importe quoi sans que cela n'explose. Je sais, c'est absurde. Mais maintenant, il me manque. J'ai toujours vécu avec. J'ai toujours eu ce pouvoir en moi qui me permettait de me sortir de situations délicates...

Le Calédonien gratta distraitement la barbe de quelques jours qui lui noircissait le menton. Comme tout mutant, il avait eu un moment dans sa vie où il s’était demandé comment il se sentirait s’il devait redevenir un humain parfaitement normal et sans pouvoir du jour au lendemain. Il avait très vite décidé que ça serait un cauchemar et qu’il préférait encore être pourchassé mais capable de passer de l’homme à la statue de sable selon sa volonté plutôt que d’être une petite personne tout à fait ordinaire. Johan l’avait bien deviné : leurs pouvoirs faisaient partie d’eux, c’était un morceau de leur être qui leur était devenu indispensable. Seth considérait que le priver de son don serait revenu à l’amputer d’un membre, et visiblement Johan partageait cet avis.

- J'ai perdu mon pouvoir. Le lendemain des évènements au Redwolf Castle. Je ne sais pas comment. Je ne sais pas pourquoi et je donnerais tout pour le retrouver. Mais en attendant, tu devras te contenter de mes explosifs. Et si jamais ça ne te convient pas...

Le mutant n’eut pas le temps de réfléchir à ces dernières phrases que le jeune homme se redressait et le fixait droit dans les yeux.

- Alors vires-moi, tues-moi, fais ce que tu veux de moi ! Je n'ai plus rien à perdre maintenant...

Seth haussa un sourcil et le détailla.

- T’as pas l’impression d’en faire un peu trop, là ?

Il soupira et passa la main dans sa nuque, grattant le tatouage qui l’ornait.

- J’trouverai pas d’artificier plus efficace si je te virais, et je vois pas pourquoi j’te tuerais – ça serait complètement con, et j’m’ennuierais sec en plus.

C’était une affirmation on ne peut plus véridique : au-delà d’être un élément de choix dans certains de ses travaux et un amant occasionnel plus que remarquable, il faisait partie des rares personnes avec lesquelles il pouvait avoir un semblant de conversation un tant soit peu intéressante. Sous ses airs de brute pleine d’orgueil, Seth était loin d’être un idiot fini. Certes il avait moins d’éducation et de connaissances de la plupart des gens, mais il était capable de réflexions pertinentes et de débattre de tout et de rien. Il leur arrivait de parler de temps en temps avec Johan, et il appréciait ces moments-là autant que ceux qui étaient plus physiques.
Aussi, le tuer alors qu’il n’avait plus de pouvoir, en plus d’être lâche, aurait fait écho aux actions des Hunters que le Calédonien aimait tant narguer, et il était hors de question de commencer à agir comme eux.

- Redwolf Castle, hein ? C’est vrai que c’est un peu le bordel en ville depuis ça … Si tous les mutants qui étaient là-bas ont perdu leurs pouvoirs, ça doit être la panique à bord. C’la dit … si les mutants sont humains … p’têtre que l’inverse s’est passé aussi …

Seth se demandait si les humains présents au château avaient développé des pouvoirs particuliers. Il n’avait pas pu se rendre sur les lieux ce jour-là, et bizarrement, après ce que Johan venait de lui dire, il ne le regrettait plus vraiment. Il n’avait pu assister aux évènements et voir de ses propres yeux si sa théorie était avérée ou non ; curieux et intrigué par cette affaire, il nota mentalement de faire de plus amples recherches à ce sujet dès qu’il en aurait l’occasion.

- T’as pas perdu ton pouvoir du jour au lendemain sans raison. Il doit bien y avoir une explication, et si on la trouve, on trouve sûrement le moyen de te rendre ton toucher magique.

Il planta son regard dans ces yeux aussi clairs que les siens étaient sombres.

- Mais ça, mon canard en sucre, ça attendra plus tard, parce qu’on a un truc à faire avant.

Il lui lança un sourire encore un peu tendu, mais cette tension venait surtout du travail qui les attendait et qui allait se révéler un peu plus compliqué que prévu malgré le plan de secours de Johan. Cela dit, ils ne partaient pas à l’assaut les mains vides comme il l’avait craint pendant un instant, et du moment qu’ils briefaient les autres, ils devraient tous réussir à s’en tirer intacts et les poches très bien remplies.

- C’est l’heure, faut qu’on y aille. On reparlera de tout ça après.

Il tourna les talons et repartit en direction du groupe, chassant toute pensée parasite, focalisé sur ce qui les attendait maintenant.

« C’est toujours pratique d’avoir quelqu’un qui sait se servir de sa tête. » Je ne pouvais qu'acquiescer. Seth avait trouvé les mots justes car, quand je regardais l'équipe au complet du plus prêt, je ne pouvais pas affirmer qu'ils savaient utiliser les quelques neurones qui constituait leur cerveau. Je délaissais donc ces incapables pour me focaliser uniquement sur mon boss, ou autrement dit l'homme de la situation. Homme qui pouvait aussi bien être effrayant qu'excitant. Parfois les deux en même temps. J'enchainais donc sur les réponses qui m'attendait, exagérant probablement beaucoup trop. Comme le trentenaire l'avait dit, j'étais une tête pensante et donc une tête indispensable à la réussite de notre coup. Avec ou sans pouvoir, je maniais les explosifs avec grande réussite, même sans pouvoir l'installation et le temps de réponse étaient bien plus long avec un taux d'erreur nettement supérieur à l'autre possibilité. « T’as pas l’impression d’en faire un peu trop, là ? » Je lui souris, passant une main dans mes cheveux sur un air presque gêné.« J’trouverai pas d’artificier plus efficace si je te virais, et je vois pas pourquoi j’te tuerais – ça serait complètement con, et j’m’ennuierais sec en plus. »

Un sourire bien plus charmeur s'afficha alors sur mon visage. J'étais la solution contre l'ennui et cette qualification me convenait amplement car elle englobait l'essentiel de notre relation. « Redwolf Castle, hein ? C’est vrai que c’est un peu le bordel en ville depuis ça … Si tous les mutants qui étaient là-bas ont perdu leurs pouvoirs, ça doit être la panique à bord. C’la dit … si les mutants sont humains … p’têtre que l’inverse s’est passé aussi … » Son interrogation était censé et légitime. Je m'étais posé la même question, suite à cet incident cataclysmique. Oui, c'était bel et bien un cataclysme à mes yeux. La perte de mon pouvoir m'affectait énormément. Et j'avais eu ma réponse. Des humains se retrouvaient avec des pouvoirs. Bien qu'agréable, je préférais de loin avoir les miens et les laisser sans. Le monde s'en porterait que mieux. « Crois-moi, mieux vaut que nos pouvoirs restent entre nos mains. Je me sens bien plus en sécurité avec lui que sans. Et oui, les humains "traditionnels" ont eu l'agréable surprise de se voir doté de pouvoir. J'espère juste que le mien n'est pas tombé entre les mains d'un imbécile. » Autant l'informer car ce genre d'informations pouvait très bien mettre notre coup et son organisation en péril si jamais l'une de ces personnes se pointaient.

« T’as pas perdu ton pouvoir du jour au lendemain sans raison. Il doit bien y avoir une explication, et si on la trouve, on trouve sûrement le moyen de te rendre ton toucher magique. » Je soupirais. J'espérais qu'il avait raison. Mais j'espérais d'autant plus que cette absence de pouvoir ne soit que temporaire et non pas dû à une modification génétique ou autre. « Mais ça, mon canard en sucre, ça attendra plus tard, parce qu’on a un truc à faire avant. » Je remarquais incontestablement son sourire crispé. Le stress montait et, si le temps nous avait été donné, j'aurais bien eu quelques idées pour lui faire oublier ces quelques tensions. « C’est l’heure, faut qu’on y aille. On reparlera de tout ça après. » Alors qu'il retournait vers le groupe, je lui emboitais le pas avant de revenir soudainement vers ces paroles précédentes. Je me précipitais devant lui et l'arrêtais dans sa démarche en apposant une main sur son torse. « Mon canard en sucre ? Vraiment ? » Le questionnais-je sur le ton de la plaisanterie, accompagné d'un sourire presque mesquin. « La dernière fois que nous étions seuls tous les deux, Seth, ce n'était pas ce genre de surnom que tu utilisais à mon égard... » Mes yeux rencontrèrent une dernière fois les siens et je me retournais sans la moindre peur de lui tourner le dos. Je le connaissais maintenant et  je ne craignais en rien la personne qu'il était, si ce n'est son pouvoir lorsque le mien n'était plus. Je rejoignais alors rapidement le groupe dans une démarche assurée. Mon sac sur le dos, je le déposais sur le capot de l'une des voitures pour expliquer les changements de dernières minutes à ces incapables. Je sortais les explosifs et, avant même de me lancer dans des explications, je sollicitais le grand patron pour une intervention. « Si Monsieur Koraha veut bien s'avancer, il pourra vous expliquer tout ça bien mieux que moi... » Je lui jetais un léger clin d’œil. « ...N'est-ce pas ? »

- Crois-moi, mieux vaut que nos pouvoirs restent entre nos mains. Je me sens bien plus en sécurité avec lui que sans. Et oui, les humains "traditionnels" ont eu l'agréable surprise de se voir doté de pouvoir. J'espère juste que le mien n'est pas tombé entre les mains d'un imbécile.

Seth grimaça légèrement. S’il y avait eu un concours de mauvaises nouvelles, celle-ci aurait gagné haut la main, volant la première place du podium à la première chose que lui avait dit Johan concernant les pouvoirs disparus de certains mutants. Autant les mutants présents lors de « l’accident » perdant leurs capacités était une chose qu’il pouvait encore tirer à son avantage d’une manière ou d’une autre, autant des humains qui se retrouvaient avec des dons du jour au lendemain, c’était une autre histoire. Le caractère très aléatoire des mutations reçues ainsi que le manque de contrôle de tous leurs nouveaux possesseurs allaient lui causer pas mal de problèmes – et au reste de la ville également, mais le monde pouvait bien s’écrouler autour de lui qu’il s’en ficherait royalement du moment qu’il arrivait à tirer son épingle du jeu. Or, dans le cas présent, il allait devoir redoubler de prudence s’il ne voulait tomber sur la mauvaise personne et se retrouver fumé – au sens littéral du terme s’il croisait la route d’un nouveau pyromane très perturbé et très en colère.
Décidant de mettre ses réflexions de côté pour le moment, ne voulant pas se concentrer sur autre chose que le casse qui les attendait, il répondit rapidement à Johan, lui affirmant qu’il retrouverait bien son pouvoir s’ils arrivaient à trouver ce qui avait réussi à le lui enlever.
Tournant les talons, il se dirigeait déjà vers le reste du groupe lorsque le stripteaseur lui emboîta le pas avant de le dépasser et de l’arrêter. Seth haussa vaguement un sourcil, étonné de cette main qui était venue se poser sur son torse pour stopper sa marche.

- Mon canard en sucre ? Vraiment ?

Le Calédonien leva ses yeux sombres vers le jeune homme, se demandant pourquoi il le questionnait sur cette phrase.

- La dernière fois que nous étions seuls tous les deux, Seth, ce n'était pas ce genre de surnom que tu utilisais à mon égard...

Seth haussa les sourcils et sourit. En effet, les noms qu’il avait donné à Johan la dernière fois qu’ils s’étaient retrouvés en tête à tête dans un endroit bien plus discret que la petite ruelle où ils se tenaient étaient très … différents.
Le tatoué laissa courir un doigt le long du bras de son vis-à-vis.

- Et j’en ai encore plein en réserve, de ceux-là.

Il tapota rapidement le bout du nez du jeune homme avant de laisser retomber son bras le long de son corps.

- Et tu les entendras si on réussit ce coup et si on en sort entiers … mais je me fais pas trop de soucis là-dessus.

Il disait ça autant pour se calmer que pour se motiver davantage. Johan avait prévu de quoi remplacer son pouvoir disparu, ils avaient un plan qui ne serait pas suffisamment affecté par ça pour que leur groupe soit exposé à de nouvelles difficultés et ils avaient tout prévu depuis longtemps. Ca ne pouvait pas rater. Ca ne devait pas rater. Aussi marcha-t-il aux côtés de son artificier préféré pour rejoindre ses hommes et leur exposer la situation.
Il fit un rapide geste de la main et tous se rassemblèrent autour de la voiture où Johan était en train de poser ses explosifs. Quelques regards intrigués furent échangés, à juste titre puisque personne, à part le Calédonien, ne comprenait pourquoi le jeune homme venait avec de tels choses dans son sac alors que c’était lui qui était censé créer les explosions dont il avait besoin. Ce fut alors qu’il interpella Seth.

- Si Monsieur Koraha veut bien s'avancer, il pourra vous expliquer tout ça bien mieux que moi... N'est-ce pas ?

Le principal intéressé répondit à son clin d’œil par un léger sourire qui ne resta pas plus d’une demi-seconde sur son visage ; il vint se mettre debout devant les explosifs et regarda ses hommes.

- On a une légère modification de dernière minute. Et avant que qui que ce soit commence à l’ouvrir, non, le plan a pas changé. On a quelques modifications à faire au niveau des explosifs.

Il tourna la tête vers l’un de ses sbires, à défaut de leur trouver un meilleur qualificatif dans une situation pareille.

- Jay, file-moi la carte.

Le dénommé Jay s’exécuta rapidement et tendit la carte de la demeure qu’ils s’apprêtaient à piller à son patron qui l’ouvrit et l’étala sur le capot de la voiture afin que tout le monde puisse voir ce qu’il montrait.

- On va poser des bombes ici, ici et là, dit-il en mettant le doigt sur des zones bien précises du plan qu'ils avaient sous les yeux. On va se séparer en quatre plutôt qu’en trois, sinon on va perdre trop de temps.

Il désigna deux membres du groupe, l’un grand et sec à l’air nerveux et l’autre plus petit et trapu à la mâchoire carrée.

- Vous deux, vous viendrez avec moi. Le reste change pas. Vous savez tous ce que vous devez faire et quand.

Il se redressa.

- Maintenant, monsieur Lachlan va vous expliquer comment ses petits jouets fonctionnent, parce que vous allez l’aider à les mettre en place, sinon on est bons pour repartir maintenant.

Il s’écarta et laissa Johan prendre la parole tandis qu’il reculait de quelques pas. Il vérifia que son arme était bien chargée et pas enrayée, puis jeta un coup d’œil à sa montre.
Dans six minutes exactement, ils passaient à l’attaque.

« Et tu les entendras si on réussit ce coup et si on en sort entiers… Mais je me fais pas trop de soucis là-dessus. » Je laissais échapper un léger gémissement de satisfaction, accompagné d'un petit haussement de sourcils. Oui, cette fin me paraissait être la meilleure. Encore fallait-il maintenant qu'elle se produise. Je mettrais tout en œuvre pour y parvenir, malgré l'imprévu du moment. Cependant, mon absence de pouvoir ne viendrait pas entacher ce coup. Je m'étais assuré d'avoir les explosifs nécessaire pour la mission. Certes, beaucoup plus lent et long a installé, mais j'étais certain que tout se passerait comme prévu. Je m'avançais donc en premier vers le groupe et sortais sous leur yeux les explosifs. Pour que notre coup fonctionne, la communication était primordiale. Avoir toutes les informations étaient donc cruciales pour éviter toute autre imprévu. Je laissais donc la parole au chef et restais non loin de là pour ajouter ou faire des commentaires. « On a une légère modification de dernière minute. Et avant que qui que ce soit commence à l’ouvrir, non, le plan a pas changé. On a quelques modifications à faire au niveau des explosifs. »

Je le regardais faire, gardant un œil attentif sur la carte que Seth venait de demander. J'étais l'expert en explosif quoi qu'il arrive. C'était donc de ma responsabilité de vérifier que l'information était comprise de tous. «  On va poser des bombes ici, ici et là. On va se séparer en quatre plutôt qu’en trois, sinon on va perdre trop de temps.  » J'acquiesçais d'un signe de tête approbateur. C'était sans nulle doute la meilleure option pour y arriver le plus rapidement. Nous avions la détermination pour le faire et je comptais bien réussir ce coup pour avoir ma part du contrat. Cela représentait beaucoup et je ne pouvais me contraindre à oublier les billets qui tomberaient à la fin. « Vous deux, vous viendrez avec moi. Le reste change pas. Vous savez tous ce que vous devez faire et quand. » Je restais donc avec mon coéquipier habituel, bien malheureusement. Un imbécile dans toute sa splendeur qui pouvait, cependant, se révélait utile pour porter le matériel. Surtout pour ce soir. Je lui jetais un regard. Il me sourit. J'en étais presque dégouté. On ne s'aimait pas mais, étrangement, nous faisions toujours du bon boulot ensemble. « Maintenant, monsieur Lachlan va vous expliquer comment ses petits jouets fonctionnent, parce que vous allez l’aider à les mettre en place, sinon on est bons pour repartir maintenant. » Je donnais une légère tape sur le capot du véhicule afin d'avoir l'attention de tous ces idiots. J'attrapais fièrement un explosif, jouant avec sous les regards médusés de mes acolytes. Seul Seth semblait indifférent et c'était tout a fait normal. Sans détonateur, rien ne pouvait arriver.
« Du calme, les enfants. Ça ne vous sautera pas en pleine gueule, vous savez. »

Je le reposais et sortais justement un détonateur que je leur montrais rapidement. « Alors c'est tout simple. Même le plus imbécile de vous pourrait y arriver les yeux fermés. Il suffit d'enfoncer le détonateur dans le C4, de brancher ça là, d'activer tout ce petit bordel en appuyant sur le bouton qui est ici. Une lumière rouge s'allume et, après il suffira d'appuyer ici pour déclencher la bombe comme ça... » Pour m'amuser, j'appuyais également sur le bouton. Le rouge passa au vert et tous se jetèrent à même le sol. Sauf Seth encore une fois. Il était bien plus intelligent que tous les autres. Et c'était sans doute pour ça que j'appréciais sa compagnie, aussi bien en extérieur que dans mon lit. J'éclatais alors de rire. « Allez debout bande d'abrutis. Il est temps de s'équiper. Vous avez compris la procédure ? » Alors qu'ils se relevaient, chacun me répondait. Bon, c'était déjà un point en moins. En attendant, j'avais besoin de me concentrer. Et comme à mon habitude, je sortis mon Ipod. Je m'isolais toujours de cette manière, bien que je restais parmi notre groupe.


L'heure arrivait. Regardant ma montre, je m'approchais de mon sac dans lequel les explosifs n'y étaient plus. J'attrapais seulement les miens que je rangeais rapidement et glissais le tout sur mon dos. Je faisais un signe à mon imbécile de coéquipier et, sur les ordres du grand patron, je m'avançais vers la maison, musique toujours dans les oreilles. Je n'avais pas besoin d'écouter les conneries de l'autre abrutis. D'une certaine manière, j'étais plus heureux qu'il soit avec moi car je ne le voyais pas avec des explosifs entre les mains. Chacun situé à des lieux stratégiques de la résidence, nous attendions tous le signal après avoir posé les premiers explosifs pour entrer. Après les explosions, nous aurions que quelques minutes pour emporter le plus de butins. Je savais exactement où aller. J'avais étudié les lieux pour connaître les richesses subtiliser. J'étais donc prêt à tout pour parvenir à remporter la mise. Ma montre sonna. Minuit sonnait enfin et notre signal se manifestait. Sous le regard de mon coéquipier, j'appuyais donc sur le détonateur et faisais exploser la porte. « C'est parti ! » Je m'enfonçais rapidement dans le domicile, ne cherchant même pas les pièces puisque je les connaissais sur le bout des doigts. J'aimais avoir le contrôle et je l'avais. Ainsi, je courrais immédiatement vers le coffre. Situé derrière un tableau connu et reconnu, je retirais ce dernier et le donnais à mon imbécile préféré et posais en quelques secondes seulement les nouveaux explosifs. Sans attendre, je les activais. L'explosion retentit dans la pièce entière. Mon cœur battait la chamade. J'ouvrais mon sac, puis le coffre et versais son contenu dedans. Des billets par centaines le remplissaient et des montre et bijoux ne tarderaient pas à les rejoindre. Cette chambre était une véritable salle aux trésors et je ne serais pas le dernier pour la piller de tous ses biens. Ou du moins, je l'aurais fais si ce cri suivit de coups de feu ne m'avaient pas interrompu. Je me redressais rapidement, rangeant la dernière montre de luxe dans mon sac. « Toi, dehors ! Je m'occupe des autres ! » Lui ordonnais-je avant de m'enfuir parmi les différentes pièces pour tomber sur l'agent de sécurité surprise que venait d'abattre l'un de nos collègues. Je m'attaquais alors à lui mais, sans pouvoir, je me sentais complètement démuni. Déséquilibré par le corps qui gisait au sol, je me retrouvais à terre dans cette marre de sang qui se propageait à une allure folle. Une arme me pointait.

Son arme prête à l’emploi, son plan prêt à être mis à exécution et la maison ciblée prête à être pillée sans vergogne, Seth s’était adossé contre le mur le plus proche. Bras croisés, il regardait Johan faire sa démonstration, expliquant au reste du groupe comment se servir des explosifs qu’il avait ramenés. Il les voyait tous médusés en l’observant durant sa présentation, comme si le simple fait qu’il manipule ainsi son C4 allait le faire exploser. C’est d’ailleurs ce qu’il ne manqua pas de leur préciser, connaissant la réflexion quelque peu limitée de certains membres du groupe.

- Du calme, les enfants. Ça ne vous sautera pas en pleine gueule, vous savez.

Le Calédonien aurait tué pour une cigarette, mais il ne se risquerait pas à ça. De plus, il savait très bien que la nicotine ne l’aiderait pas cette fois et qu’il s’agirait d’un caprice qui ne le calmerait pas le moins du monde. Tant que l’adrénaline ne serait pas redescendue, il resterait dans un état de stress relativement élevé.
Tout en se remémorant sa stratégie pour la énième fois, il écoutait le stripteaseur d’une oreille distraite.

- Alors c'est tout simple. Même le plus imbécile de vous pourrait y arriver les yeux fermés. Il suffit d'enfoncer le détonateur dans le C4, de brancher ça là, d'activer tout ce petit bordel en appuyant sur le bouton qui est ici. Une lumière rouge s'allume et, après il suffira d'appuyer ici pour déclencher la bombe comme ça...

Il vit alors tous ses hommes se jeter au sol en se protégeant la tête. Le mutant haussa un sourcil en les dévisageant, se demandant s’ils avaient vraiment cru que le jeune homme allait les faire sauter. Il laissa échapper un long soupire. Parfois, il se demandait pourquoi il travaillait encore avec eux, avant de se rappeler que s’ils n’étaient pas d’une incroyable finesse ni d’une intelligence rare, ils avaient au moins le mérite d’être efficaces sur le terrain.

- Allez debout bande d'abrutis. Il est temps de s'équiper. Vous avez compris la procédure ?

Judicieuse question posée par Johan – après tout, on n’était jamais trop prudent. Et tandis que ses hommes se relevaient l’un après l’autre pour lui répondre, il les observait tous avec attention, surveillant qu’ils prenaient le bon matériel en bonne quantité. Le mutant alla ensuite récupérer l’un des sacs de jute dont ils s’étaient équipés : c’était un classique indispensable de tout bon cambrioleur qui se respecte.

La montre de Seth se mit à sonner. Il la coupa et tous les groupes partirent de leur côté. Chacun savait quoi faire, tous avaient reçu des ordres très précis auxquels ils n’avaient pas spécialement intérêt à désobéir, sous peine de se faire lamentablement tuer ou attraper. Une fois à leur poste, ils mirent en place les explosifs fournis par Johan et attendirent le signal.
Lorsque Seth jugea que tout était prêt, il plissa la langue et siffla deux coups suffisamment forts pour être entendus dans le périmètre de la maison. Un instant plus tard, tous les détonateurs s’activaient en même temps. La fumée n’eut pas le temps de se dissiper que le mutant s’engouffra dans l’ouverture béante et fila vers sa destination : une pièce pleine de trophées et de trouvailles hors de prix.
Cette demeure, c’était du pain béni ; entre les billets et les bijoux dans le coffre, les œuvres d’art, l’électronique et le reste, ils allaient tous repartir de là avec un joli petit pécule à la clé.
Fourrant tout ce qui avait une valeur monétaire suffisante dans son sac, le Calédonien gardait l’oreille tendue. L’excitation du casse n’enlevait rien à sa prudence, et ce fut d’un froncement de sourcil colérique et contrarié qu’il accueillit le coup de feu qu’il entendit résonner plus loin.
Laissant échapper un sifflement énervé, il fit signe à ses hommes de ficher le camp ; il noua son sac à moitié plein à sa ceinture et fila en direction du bruit, dégainant déjà son arme. Il traversa une pièce, puis une autre, et finalement, au détour d’un couloir, tomba sur une scène qu’il lui sembla voir au ralenti. Il aperçut le cadavre sur le sol et le sang qui maculait le parquet ; il vit Johan, étalé dans ce sang et en train de fixer le canon du pistolet braqué sur lui – pistolet tenu par un agent de sécurité qui n’aurait pas dû être là ce soir.
Seth brandit son arme.

- HEY !

Le gardien se tourna vers lui, le doigt sur la détente, mais ce fut Seth qui fut le plus rapide et lui tira dans la gorge. Dans un réflexe qui tenait plus du spasme, l’homme appuya sur la gâchette ; la balle manqua la joue du mutant avant de s’incruster dans le mur. Seth traversa la pièce et finit d’achever le garde une bonne fois pour toutes d’une balle dans la tête.
Il attrapa Johan par le bras et l’aida à se relever. Il entendait déjà des bruits derrière lui et ce n’était pas l’un de ses hommes qui était en train d’arriver. Il poussa le stripteaseur vers la sortie.

- Cours ! Casse toi !

Il partit à sa suite en regardant régulièrement derrière lui, entendant une balle fuser à son oreille. Il rentra la tête dans les épaules et se retourna pour tirer à son tour. Un coup partit, puis un deuxième, puis un troisième. Une douleur aigüe lui saisit le bras lorsqu’une balle s’y enfonça, lui arrachant un grognement de douleur. Le mutant continua à tirer jusqu’à réussir à faire mouche. Il se contenta de voir l’homme s’effondrer avant de prendre ses jambes à son cou, se fichant de savoir s’il était mort ou vivant.
Il n’avait plus qu’une idée en tête : sortir de cette satanée maison, sauter dans les voitures qui les attendaient et partir là où il savait qu’on ne les trouverait pas.

Sans pouvoir, je constatais que je n'étais rien. Sans mon fidèle toucher explosif, je n'étais qu'un pion parmi tant d'autres qui ne pouvait se sortir d'une situation aussi délicate que celle que j'avais devant moi. Je me sentais dépasser, vulnérable et faible. Je détestais cette sensation. Depuis les évènements du laboratoire soviétique, je ne l'avais pas connu ce sentiment. Les yeux grands ouverts, les mains posées dans le sang de mon collègue, je fixais l'arme qui me pointait. J'étais en très mauvaise posture et, vu le cadavre que je chevauchais malheureusement, mes options étaient diminuées. Je finirais comme lui. Mort. Mon sang se mêlant au sien. La peur m'envahissait et elle pouvait se lire facilement sur mon visage. Alors que je sentais que l'agent de sécurité ne tarderait pas à appuyer sur la détente, je fermais les yeux, ne voulant pas voir mes dernières secondes venir. « HEY ! » Je n'eus même pas le temps de rouvrir les yeux d'une détonation retentit et le corps de l'agent s'écroula devant moi. Mon cœur faisait des bons inimaginables dans ma poitrine. J'étais sauf. Grâce à Seth et je ne pourrais jamais assez le remercier pour être venu m'aider. Je connaissais ces directives. Celui qui tombe n'aura point d'aide. Pourtant, il était revenu. Je ne pouvais que m'en réjouir.

Encore dans le flou le plus total suite à cet imprévu, je regardais le jeune Koraha sans vraiment le faire. Mes pensées étaient bien loin et mon corps ne réagissait pas. Ce ne fut que lorsque le trafiquant me releva que je revenais à moi. Je m'accrochais à son bras avec ferveur, comme s'il était l'unique lien qui me rattachait à ce lieu. Cependant, il me poussa. Je ne comprenais pas pourquoi mais ne réagissais pas et obéit simplement. « Cours ! Casse-toi ! » Je sortais alors par le fenêtre entrouverte et respirais un grand coup. Je reprenais peu à peu mes esprits. Ma soudaine lucidité retrouvée, je ne pus décamper. Seth était toujours l'intérieur. En peu de temps, j'entendis des échanges de coups de feu. Je ne pouvais rester là à ne rien faire. Je pris donc l'initiative de sortir mon dernier bloc de C4 que je balançais instinctivement dans la pièce quand Seth en sortit. Nous nous échappions alors ensemble, rejoignant la voiture qui nous attendait à l'entrée pour nous enfuir d'ici. Premier arrivé, j'ouvris la porte et attrapais mon amant par le bras pour l'inciter à entrer avant moi. Je remarquais alors sa blessure mais je n'avais pas le temps de m'y attacher pour le moment. Je m'en occuperai l'instant venu. « Démarres ! » Criais-je envers le conducteur. Un coup d'accélération et nous étions déjà bien loin.

Je respirais à nouveau. Les flics ne tarderaient pas à arriver. Ils mettront des barrages et nous serions certainement coincés. Mais, bien heureusement, nous étions plus futés. J'avais appris qu'une des maisons du quartier nord était à l'abandon depuis quelques semaines déjà. J'en avais fais notre point de retrouvailles et notre cachette. Des garages viendraient cacher nos voitures et nous pourrions alors survivre et respirer sans s'inquiéter des patrouilles et des flics. J'avais gardé cette information pour moi et je savais que Set comprendrait pourquoi. Je n'avais confiance en personne. Si l'un d'eux nous avait trahi, nous serions foutus. Dans le cas présent, personne ne connaissait mon plan. Nous étions donc sauvés. « Tournes-là et gares-toi dans le premier garage. » Le conducteur s'exécuta sans dire un mot. Nous reprenions tous nos esprits après ce coup qui venait de mal tourné. « Aidez-moi, maintenant. Seth est touché. » A deux, ils le soulevèrent tandis que j'ouvrais la porte du garage pour pénétrer dans l'enceinte du domicile. « Posez-le sur le canapé. Je vais m'en charger. » Ils exécutaient mes ordres. Surprenant. La mort de leur collègue les touchant bien plus que je ne le pensais. « Maintenant dehors. » Ils ne réagissaient pas. « DEHORS ! Barrez-vous !! » J'attrapais des clefs de voitures. « Deuxième garage, vous passerez facilement les autorités avec ça. Et profitez-en pour vous changer en même temps. Y'a tout ce qu'il faut dans le coffre. »

Ils déguerpirent, encore une fois sans dire un mot. Tant mieux. Les avoir sur les dos ne m'auraient pas aidé et, surtout, j'en aurais certainement étranglé un pour me défouler. J'inspirais et expirais alors fortement. Mon boulot n'était pas fini. Je devais m'occuper de Seth, de sa blessure. Je le délaissais alors un instant pour aller chercher le kit de soin. Il fallait désinfecter les plaies car, par chance, la balle était ressortie. Il aurait aussi besoin de point de suture. Encore heureux, j'avais tout prévu au cas où le pire arrivait. Et ce fut presque le cas. L'un des nôtres était mort et un autre touché. « Enlèves ton tee-shirt, Seth. Faut qu'on soigne ça maintenant avant que ça s'infecte. » Lui demandais-je en revenant avec le matériel nécessaire. D'une certaine façon, il n'avait pas le choix et s'il ne désirait pas m'obéir, je le contraindrais à le faire. Il n'était en position de jouer au grand patron avec moi en cet instant. « Bon allez, laisses-toi faire maintenant. Et si ça peut t'aider, j'ai trouvé ça dans la cuisine. » Je lui tendais alors une bouteille de whisky. Si je ne pouvais pas l'anesthésier ou le soulager, l'alcool pourrait l'aider à supporter la douleur quand je m'attaquerai à ses points. En attendant, je désinfectais l'entrée et la sortie de la balle, tâtonnant le produit désinfectant sur ses plaies.

Seth eut à peine le temps de voir passer le bloc de C4 qu’il plaqua les mains sur ses oreilles pour les protéger. Le souffle de la détonation le fit tituber en avant mais il resta bien deux debout sur ses deux jambes, rejoignant Johan et fuyant avec lui jusqu’aux deux voitures qui les attendaient dehors. Il se laissa tirer à l’intérieur et se tassa contre l’autre portière pour laisser à Johan la place pour monter.
Il le laissa hurler au conducteur de démarrer, en profitant pour plaquer sa main contre la plaie toute fraîche qui lui transperçait le bras de part en part. Apparemment, la balle était ressortie. Il avait au moins eu un semblant de chance de ce côté-là. D’un coup d’œil, il compta les occupants de la voiture, puis se retourna pour observer celle qui les suivait de près. En soupirant, il constata qu’ils étaient tous là moins un. Moins leur collègue dont ils avaient dû laisser le corps au milieu de l’un des riches salons de cette foutue villa. Seth avait beau être quelqu’un de très matérialiste, il était étonnamment attaché à ses hommes, aussi butés et bêtes pouvaient-ils se montrer parfois ; et il savait qu’aucune richesse ne ramènerait celui qui était tombé ce soir. Il fallait se rendre à l’évidence : ce casse avait mal tourné. Ils avaient pillé, oui, mais ça ne s’était pas bien passé du tout.
Relativement énervé par l’issue de cette soirée, il suivit à peine l’itinéraire emprunté par la voiture, avant de reconnaître la maison abandonnée dans les garages de laquelle ils se cachèrent. Ce ne fut que là qu’il recommença vraiment à suivre les évènements.

- Aidez-moi, maintenant. Seth est touché.

Le Calédonien fronça les sourcils. Il était blessé, oui, mais il pouvait encore marcher. Le temps que Johan donne son ordre, deux de ses hommes le faisaient déjà sortir de la voiture. Le mutant, une incroyable tête de mule quand il décidait de s’y mettre, finit par se débattre jusqu’à pouvoir poser les pieds sur le sol.

- C’est bon, je peux marcher, grogna-t-il.

Il avança jusqu’à la porte que le stripteaseur avait ouverte, toujours flanqué de ses deux employés qui, malgré tout, ne voulaient pas s’éloigner de leur patron.

- Posez-le sur le canapé. Je vais m'en charger.

Aussitôt dit, aussitôt fait : Seth se retrouva assis dans le canapé, sentant sa veste en cuir frotter contre sa blessure. Il grimaça pendant que son artificier congédiait les autres avec virulence.

- DEHORS ! Barrez-vous !!

Il y eut le bruit d’un trousseau de clé qu’on agite.

- Deuxième garage, vous passerez facilement les autorités avec ça. Et profitez-en pour vous changer en même temps. Y'a tout ce qu'il faut dans le coffre.

En quelques secondes, ils n’étaient plus que tous les deux. Le Calédonien entendait les bruits venant du garage attenant. Il faisait confiance à ses hommes pour fuir sans laisser de trace, surtout avec les atouts que venait de leur donner Johan. Ce dernier venait de sortir de la pièce et Seth en profita pour ôter sa veste comme il put, la jetant plus loin sans s’occuper de l’endroit où elle atterrissait.
Le stripteaseur revint enfin avec un kit de soin.

- Enlève ton tee-shirt, Seth. Faut qu'on soigne ça maintenant avant que ça s'infecte.

Le mutant fit la moue.

- Ca va, c’est juste une balle dans le bras, pas la peine de te donner ce mal.

Mais déjà il le voyait s’approcher pour lui ôter son tee-shirt de force. En soupirant, il finit par lever les bras, ce qui lui arracha une grimace de douleur. Il attrapa son vêtement et le tira par-dessus sa tête ; il l’envoya rejoindre sa veste une fois torse-nu.

- Bon allez, laisses-toi faire maintenant. Et si ça peut t'aider, j'ai trouvé ça dans la cuisine.

Il fixa la bouteille d’alcool qu’il lui tendait et la prit de son bras valide.

- Quelle bonne idée.

Il l’ouvrit rapidement et en prit une grande gorgée. Le whisky lui brûla la gorge et l’œsophage, lui faisait un instant oublier la douleur de son bras – douleur ravivée par le désinfectant qu’appliquait Johan.
En cet instant, il n’y avait plus de hiérarchie entre eux ; il n’était plus son employeur et il n’était plus sous ses ordres. Il ne savait pas trop si c’était un ami, un amant, ou un homme qui ne voulait pas perdre une partie de son gagne-pain qui s’occupait de lui, et à dire vrai il s’en fichait un peu. Il se contentait d’apprécier l’intention, faisant de son mieux pour faire redescendre la colère, avalant une nouvelle gorgée d’alcool pour s’aider.
Il finit par détailler Johan, silencieux pendant un temps avant de finalement reprendre la parole.

- … J’savais pas que t’étais autoritaire comme ça.

Et c’était vrai qu’il ne l’avait jamais vu aussi virulent, aussi efficace et concis dans sa manière de donner des ordres. Ca lui plaisait, quelque part, pour un certain nombre de raisons.

- T’as bien géré la sortie. On se serait fait piéger comme des bleus sinon.

Le mutant soupira et finalement se laissa aller dans le canapé, se forçant à se détendre – ce qui était une manœuvre quelque peu paradoxale.
Lorsqu’il vit Johan sortir une aiguille et du fil, il renifla, but une nouvelle fois et serra les dents. Il grogna en le sentant faire le premier point, puis se laissa faire sans broncher. Il se souvenait de la dernière fois où on l’avait recousu et de la cicatrice que ça lui avait laissé dans le dos. Cette balle lui laisserait une marque de plus. Seth était loin d’être balafré de partout, mais il gardait un certain nombre de traces de ses coups ratés, des attaques de hunters, des bagarres qui avaient dégénéré et, surtout, de ses années d’esclavage lorsqu’il avait été capturé il y avait longtemps maintenant.
Presque vingt ans plus tard, il ne lui restait que ces souvenirs-là, ceux dans sa chair et ceux dans son esprit.
Perdu dans ses pensées, il tapotait machinalement le goulot de la bouteille, laissant Johan travailler, ses yeux bruns fixant un point du vide et du passé.

« C’est bon, je peux marcher. » Je m'attaquais déjà à la porte quand j'entendis la remarque de Seth. Je souris, le reconnaissant bien dans ces mots. Il jouait toujours au grand dur, n'aimant qu'on s'occupe de lui même dans les situations difficiles. En attendant, je commandais les autres imbéciles et prenais les choses en main afin de soigner ce grand blessé. Monsieur Koraha faisait la tête brûlée et le dur mais j'étais sûr qu'au fond de lui, il apprécierait mon aide. Il ne pouvait aller dans un hôpital. J'étais donc son unique chance, malgré le fait qu'il aurait deux belles petites cicatrices au bras grâce à moi. Toujours sur le même ton autoritaire, je lui ordonnais de retirer son tee-shirt. «  Ca va, c’est juste une balle dans le bras, pas la peine de te donner ce mal. » Je le fixais, n'ajoutant rien, et lui retirais son haut de mon propre chef. Il ressentait la douleur de sa blessure et comprendrait ainsi l'utilité des soins. Bref, une fois torse-nu, je lui tendais la bouteille de whisky que j'avais découverte dans la cuisine par un pur hasard. L'alcool servirait d'anesthésie. Oui, le saouler pouvait m'aider. Surtout pour les points de suture. Il avait beau être un mâle à la musculature avantageuse, j'étais certain qu'une aiguille recousant sa peau le retournerait sur le canapé. Alors si le whisky pouvait aider, je n'étais pas contre un peu d'aide de 60 ans d'âge. « Quelle bonne idée. » Et apparemment, je n'étais pas le seul à prêcher la parole de ce délicieux nectar, bien que ma préférence se tournait vers un verre de vodka sans glace.

Je m'exécutais donc pendant que Seth buvait. Je le laissais faire alors que je nettoyais ses plaies. Il m'avait sauvé la vie, le moins que je puisse faire maintenant était de le soigner en retour. C'était la vision que j'avais de la situation. Je payais ma dette en quelque sorte. Une grande et importante dette. Sans Seth, je serais probablement mort comme mon ancien coéquipier. Cette vision me donnait la chair de poule que j'en frissonnais encore. Cependant, je ne laissais rien transparaître. Comme à mon habitude. Pourtant, je sentais le regard de mon patient sur moi. Se rendait-il compte de ma nervosité ? De la peur que j'avais ressenti lorsque ce flingue me pointait ? « …J’savais pas que t’étais autoritaire comme ça. » Je m'arrêtais soudainement pour poser mes yeux azurés sur le trafiquant. Il ne m'avait jamais vu au club de striptease car, là-bas, c'était bel et bien moi qui posait les règles et qui faisait que les clients les respectaient. « Viens me voir au club et tu verras à quel point je peux être autoritaire. » Lui répondis-je avec malice tandis que je reprenais mon travail, en forçant sur ses plaies pour le faire grimacer. Sadique ? Moi ? Jamais... « T’as bien géré la sortie. On se serait fait piéger comme des bleus sinon. » Je lui souris. Il avait raison. J'avais assuré. Comme toujours. Le jeune Koraha ne pouvait s'attendre à autre chose de ma part. « Tu sais bien j'aime vraiment tout contrôler. Et j'ai confiance en personne. Alors j'assure toujours mes arrières et les tiens par le même occasion. » J'étais taquin mais j'estimais que, maintenant que nous étions sain et sauf, nous pouvions plaisanter afin de détendre l'atmosphère qui était pesante jusque là.

Je sortais alors un fil et une aiguille. Les armes en main, je les approchais de la première plaie. J'hésitais tout de même à me lancer durant quelques secondes mais la raison prit rapidement le dessus. Alors que Seth buvait une énième gorgée de whisky, j'enfonçais l'aiguille dans sa peau et commençais à refermer sa plaie. Elle n'était pas bien grande, je n'aurais donc pas de difficultés particulières pour le faire. Je me concentrais sur ma tâche, essayant de faire au mieux pour lui éviter une fâcheuse conséquence. Une cicatrice difforme ou pire encore une horrible infection. Le trafiquant ne disait rien. Il serrait les dents mais n'émettait aucun signe de douleur. Son courage et sa détermination m'impressionnaient et m'attiraient plus que jamais. « Première plaie terminée ! » Lançais-je fièrement. Je coupais ensuite le fil avec mes dents. « Et ne gardes pas la bouteille pour toi. » Je la lui piquais furtivement, buvant à mon tour une gorgée. Recoudre le bras de son amant et de son boss n'était pas un job à prendre à la légère. Puis je la lui redonnais pour m'attaquer à la seconde plaie qui serait sans nulle plus difficile. Vu sa localisation, j'avais deux options. Soit je demandais à Seth de se tordre le bras pour que je puisse le soigner. Soit je m'installais à califourchon sur lui pour le faire. D'une certaine manière, la deuxième me semblait bien plus intéressante et surtout beaucoup plus pratique. Ainsi, je passais une jambe par-dessus les cuisses de jeune Koraha et venais le chevaucher. Tout ça, pour un simple acte médical. « J'espère que cela ne te dérange pas... » Un dernier sourire et je retournais à mes affaires, piquant la peau du trafiquant. En quelques minutes à peine, le travail se termina. « Et voilà, monsieur "tête brulée" s'en sortira. » J'attrapais un bandage et l'enroulait alors autour de son bras. Au cas où les sutures lâchent, le sang ne coulerait pas le long de son bras.

Seth soutint le regard de Johan, ce regard aussi clair que le sien était sombre.

- Viens me voir au club et tu verras à quel point je peux être autoritaire.

Le Calédonien haussa un sourcil et, finalement, eut un semblant de sourire. En effet, il n’avait jamais vu le jeune homme sur son lieu de travail. Il ne connaissait de lui que ce qu’il avait bien voulu lui dire et lui montrer lors de leurs coups et de leurs nuits passées ensemble. Il découvrait une nouvelle facette de sa personnalité qui était tout à fait intéressante.

- Si c’est une invitation, elle est acceptée.

Il comptait bien s’y tenir : sa curiosité n’était pas son plus vilain défaut, mais elle était suffisamment présente pour le pousser à vouloir voir son artificier sous un autre jour.
Il le commenta ensuite sur la façon dont il avait mené leur fuite et les avait sans aucun doute empêché de se faire attraper bêtement.

- Tu sais bien à quel point j'aime tout contrôler. Et j'ai confiance en personne. Alors j'assure toujours mes arrières et les tiens par la même occasion.

Le mutant le dévisagea un instant avant de sourire un peu plus.

- Content de voir que tu fais gaffe à mon espérance de vie quand j’oublie de le faire.

Petit à petit, le jeune homme arrivait à le détendre, malgré la douleur, malgré la sensation désagréable de l’aiguille s’enfonçant dans sa peau et du fil tirant chaque côté de sa plaie pour la refermer. Cela n’empêcha pas Seth de se perdre dans ses pensées durant quelques instants, mâchoires serrées pendant qu’on s’occupait de soigner son bras, bras qu’il aurait probablement désinfecté avec la première bouteille d’alcool à brûler qui lui serait tombée sous la main s’il avait été seul. Ce n’était pas une bonne chose de le laisser par lui-même dans la nature quand il était de mauvais poil, surtout quand il risquait de faire des choses qui pouvaient l’envoyer directement à l’hôpital.
Cela dit, à défaut d’avoir un docteur chevronné sous la main, il avait Johan, et le jeune homme s’en sortait étonnamment bien.

- Première plaie terminée !

Le mutant alla pour répondre lorsqu’on lui enleva sans vergogne sa bouteille de whisky de la main.

- Et ne gardes pas la bouteille pour toi.

Il le regarda en boire une gorgée et la récupéra en souriant.

- Tant que ça te donne pas la tremblote, hein.

Il but lui aussi une nouvelle fois et posa la bouteille sur la petite table de chevet à côté du canapé. Il commençait à avoir plus chaud, ce qui n’était pas désagréable compte tenu du fait qu’il était à moitié nu dans une maison qui n’était plus chauffée depuis quelques semaines.
Il se demanda si la température allait continuer à grimper lorsque Johan passa une jambe par-dessus les siennes, s’asseyant à califourchon pour mieux atteindre la seconde plaie sur son bras. Haussant un sourcil, il détailla le jeune homme, posant par habitude sa main libre sur sa cuisse.

- J'espère que cela ne te dérange pas...

Seth lui rendit son sourire et fit mine de réfléchir. Non, ça ne le dérangeait absolument pas. Au contraire : ce contact était toujours le bienvenu. Il avait trouvé en Johan un amant de qualité en plus d’être un excellent élément lors de leurs casses, et les moments qu’ils passaient tous les deux étaient plus que remarquables. Aussi passionnés l’un que l’autre, les nuits que le Calédonien passait avec lui ne l’avaient jamais déçues.
Il haussa les épaules.

- Bah, je m’en remettrai.

Il le laissa travailler, le regardant faire, caressant sa cuisse l’air de rien. La douleur était toujours présente dans son bras, mais plus diffuse, moins agressive maintenant que ses chairs n’étaient plus à vif. En y repensant, il avait eu une chance folle que la balle ressorte. S’il avait fallu fouiller pour l’extraire de là où elle s’était fichée, Seth aurait eu besoin de plus d’une bouteille d’alcool pour accepter seulement qu’on le touche ; pour avoir déjà subi ce genre d’opération, il savait à quel point « désagréable » était le plus doux des euphémismes pour la décrire.
Son médecin improvisé finit de le recoudre.

- Et voilà, monsieur "tête brulée" s'en sortira.

Seth pouffa de rire. Tête brûlée, voilà qui le définissait bien. Il était très difficile de lui faire entendre raison, et lorsqu’il avait une idée en tête, il fallait bien du courage pour lui faire changer d’avis. Il était comme ça : têtu et obstiné, parfois jusqu’à la déraison, mais c’était un trait de son caractère que l’on aurait eu bien du mal à changer.

- Cool, ravi de savoir que je mourrai pas tout de suite – ou que j’y laisserai pas un bras. Pas sûr que ça m’aille d’être manchot.

Il le laissa bander son bras, appréciant la proximité du jeune homme et son toucher qui, pour la première fois depuis qu’il le connaissait, n’avait plus rien de dangereux. Autant ça avait failli leur poser problème plus tôt lorsqu’ils s’étaient lancés à l’assaut de la maison, autant il entrevoyait désormais certains avantages à cette perte momentanée de pouvoirs.

- C’est plutôt bien fait pour un infirmier amateur. Même si je reste assez persuadé que tu serais très sexy en blouse blanche.

Il lui lança un sourire malicieux et se demanda si le stripteaseur avait, dans ses tenues de travail – son vrai travail – une fausse blouse de médecin. Cette question le rendit encore plus curieux et d’autant plus motivé à aller le voir au club qu’il n’avait pas spécialement eut l’occasion de fréquenter.
Seth détailla Johan sans complexe. Il l’avait déjà fait de nombreuses fois, dans un certain nombre de situations différentes.

- Cambrioleur, artificier, médecin … rappelle-moi ce que tu sais faire d’autre avec tes jolies mains, déjà ?

Il déposa un baiser léger dans le creux de son cou ; il se demandait comment la soirée allait se terminer, si le jeune homme allait le planter là ou si les choses deviendraient un peu plus intéressantes pour eux deux. Les deux solutions lui allaient parfaitement : le calme ne lui déplairait pas, mais il ne cracherait pas du tout sur la compagnie si particulière de l’homme qui le chevauchait toujours.

« Si c’est une invitation, elle est acceptée. » Une invitation ? Je ne pensais pas que Seth en avait besoin mais s'il considérait mes mots comme tels, je ne lui dirais pas le contraire. Mon charmant patron et amant était le bienvenue au club. Au moins, je saurais quel type j'aurais devant moi. Contrairement à d'autres qui étaient bien plus énervant et qui se retrouvaient bien souvent le visage plaqué face contre terre quand ils ne respectaient pas les règles. Mais le plus important à l'heure actuel était que le trafiquant se détendait. C'était le mieux pour le soin en plus des effets de l'alcool. Je m’attelais donc à ma tâche. Soigner des plaies ne faisait pas parti de mes prérogatives habituelles. D'ordinaire, je me déhanchais devant des clients aux portes-monnaies bien fournis. J'étais donc concentré et terminais mes soins à califourchon sur le jeune Koraha. J'avais remarqué sa main sur ma cuisse mais je n'avais émis aucun objection. Nous étions plutôt proche. Sentir ces caresses n'était donc pas surprenant. C'était même plutôt agréable. Ainsi, je connais de le recoudre, mêlant délicatesse et détermination pour un échange tactile qui ne me laissait pas indifférent. Le trentenaire ne me laissait pas de marbre et nos nuits passées le prouvaient ardemment. « Cool, ravi de savoir que je mourrai pas tout de suite – ou que j’y laisserai pas un bras. Pas sûr que ça m’aille d’être manchot. » Je laissais échapper un léger rire moqueur, continuant de bander son bras, alors que je l'imaginais déjà manchot. Ma vision était étrange et incomplète. L'imaginer sans un bras me perturber quelque peu, sans doute le souvenir datant de ses deux mains sur ma peau lors de nos derniers ébats.

Je serais le bandage avec mes dents et déposais le matériel médical sur la table basse qui se situait juste derrière moi. Je ne voulais pas bouger. Après avoir connu une des plus grandes peurs de ma vie, j'avais besoin de me sentir vivant. « C’est plutôt bien fait pour un infirmier amateur. Même si je reste assez persuadé que tu serais très sexy en blouse blanche. » Je souris, amusé par ses propos. Lui qui n'était jamais venu au club me voir me trémousser devant une meute de loup affamé sous-entendait bien des choses. « Serait-ce une demande particulière pour une future soirée, monsieur Koraha ? » Le questionnais-je en posant mes mains sur son torse nu. Si tel était le cas, peut-être que je lui accorderais ce souhait. Il m'avait sauvé la vie et le soigner n'était pas suffisant à mon goût pour payer ma dette. S'il désirait un service particulier, j'étais prêt à le lui offrir. N'importe où. N'importe quand. « Cambrioleur, artificier, médecin … rappelle-moi ce que tu sais faire d’autre avec tes jolies mains, déjà ? » Je me redressais légèrement. S'il savait... J'avais bien des talents, mon toucher explosif étant ma fierté. Bien qu'en cet instant, mon don n’existait plus. D'ailleurs notre cambriolage m'avait clairement montré la nécessité de mon pouvoir. Je ne pouvais vivre sans lui. J'étais démuni et vulnérable sans lui. J'avais hâte de le récupérer. Même si, dans cette position, son absence me donnait d'autres idées. Le baiser de Seth n'arrangea rien. Sa soudaine douceur me réconfortait étrangement. Après le stress de notre coup foiré, un peu de douceur ne pourrait que me détendre afin d'anéantir cette nervosité grandissante qui stagnait désormais à son plus haut point.

Toujours à califourchon sur les cuisses de mon amant, je soutins son regard après qu'il m'est offert ce chaste baiser dans le creux de mon cou. A mon tour, je jouais avec sa coiffure et passais une main dans ses cheveux alors que l'autre glissait sur ces pectoraux. Je tirais soudainement sur sa crinière, lui faisant relever le visage. « Mes jolies mains sont-elles à ton goût ? » Justement, ces dernières se rejoignirent au niveau de sa nuque. Mes doigts dessinèrent son tatouage que je connaissais maintenant assez bien pour le faire de mémoire. Je ne connaissais pas son origine et je ne souhaitais pas le savoir. Seth ne m'en avait jamais parlé, tout comme j'avais omis de lui parler de mon passé. Alors que je continuais de jouer avec lui, mon visage se rapprocha du sien. Mes lèvres, à quelques centimètres des de sa bouche, se jetèrent langoureusement sur les siennes dans un baiser plus que fougueux. Je lui mordais finalement la lèvre inférieur avant de me redresser pour retirer ma veste en cuir. Je le lançais maladroitement pour réitérer ma dernière action. L'adrénaline de notre coup retombait. J'avais pourtant envie que ce sentiment perdure et je savais de quelle manière le faire durer. Je caressais à nouveau son torse, me focalisant essentiellement sur ces pectoraux. La musculature de calédonien m'impressionnait toujours autant. « Puis-je continuer ou tu avais d'autres idées en tête pour terminer notre journée ? » Lui demandais-je sur un ton mi-malicieux, mi-coquin. Bien que je puisse connaître son opinion sur le sujet, j'avais envie de l'entendre me le dire à haute voix.

- Serait-ce une demande particulière pour une future soirée, monsieur Koraha ?

Seth haussa un sourcil et sourit. Voilà une proposition qui n’était pas pour lui déplaire. Il aurait été curieux de voir Johan prendre ce genre de rôle. Après tout, il ne l’avait jamais vu à l’œuvre dans ce genre de contexte, et il était curieux de voir ce qu’il en était. Le mutant se promis d’y réfléchir davantage. Pour l’heure, il avait d’autres choses sur lesquelles se concentrer.
Il se contenta donc d’hausser plusieurs fois les sourcils, un fin sourire malicieux et porteur de sous-entendus accroché aux lèvres.

- Peut-être bien, monsieur Lachlan.

Il fit ensuite une remarque sur les mains du jeune homme – ces mains qui pouvaient être si meurtrières et en même temps si prompts à donner du plaisir.
Il le sentit se redresser légèrement et en profita pour déposer un baiser dans le creux de son cou. C’était un geste intéressé, oui, mais il avait aussi été étrangement doux. Le Calédonien n’était pas la brute épaisse dont il avait parfois les faux airs. Et dans l’intimité, il pouvait se montrer aussi délicat que passionné. Même si le côté sauvage de la chose l’attirait beaucoup.
Il soutint le regard de Johan tandis qu’il sentait une main se poser sur son torse et l’autre se glisser dans ses cheveux. Il eut juste le temps d’apprécier le contact qu’il se retrouvait avec la tête tirée en arrière. Le geste avait été soudain et inattendu, et juste assez fort pour le surprendre sans lui faire mal pour autant – ou alors juste assez pour arracher à Seth un demi sourire et un léger grognement qui resta bloqué au fond de sa gorge.

- Mes jolies mains sont-elles à ton goût ?

Le trafiquant sourit de plus belle. Il fit mine de réfléchir, bien que la réponse ait été évidente.

- C’est pas trop mal pour le moment.

Il se laissa faire une fois encore, posant les mains sur les hanches du stripteaseur tandis que les siennes venaient se rejoindre dans sa nuque. Seth le sentit dessiner la forme de son tatouage, ce chiffre VII qu’on avait incrusté à l’intérieur de sa peau il y avait longtemps maintenant. Ça devait être comme un numéro de bétail, comme un numéro de marchandise en attendant qu’un acheteur potentiel veuille bien de lui. C’était un souvenir de ses heures sombres, et pourtant, le mutant en était venu à faire de cette marque une part indissociable de ce qu’il était devenu. Et lui qui avait pour langue natale le français avait toujours trouvé très ironique le fait qu’il soit tombé sur le chiffre qui se prononçait comme son nom. Mais toute cette partie de son histoire, Johan ne la connaissait pas. Et à moins qu’il ne lui pose la question, ce dont le Calédonien doutait fortement, il ne lui en dirait rien. Il parlait de tout et de rien, souvent à tort et à travers, mais ça, c’était différent. C’était un sujet bien précis qu’il n’abordait que contraint et forcé, ou alors avec une minuscule poignée de personnes qui avaient gagné sa confiance.
Cela ne l’empêcha pas d’apprécier ces doigts qui se promenaient dans son cou, caressant sa peau tandis que leur propriétaire avait rapproché son visage du sien. Il soutint ce regard clair avant que Johan ne l’embrasse fougueusement et que Seth n’y réponde avec autant de passion. L’une de ses mains remonta le long du dos du jeune homme, se calant dans le creux de ses reins. Il sourit légèrement en le sentant mordre sa lèvre et le regarda se débarrasser de sa veste avant de revenir à lui. Il lui rendit son baiser une fois encore, non sans une certaine gourmandise.
Il caressa le dos de Johan d’une main, l’autre toujours sur sa hanche, le laissant caresser son torse, ne comptant plus les fois où ils s’étaient retrouvés dans cette position.

- Puis-je continuer ou tu avais d'autres idées en tête pour terminer notre journée ?

Seth sourit de plus belle. Ils s’entendaient sur beaucoup de points tous les deux, et celui-là n’y faisait pas exception.

- Nan, ça va, c’est à peu près ce que j’avais en tête.

Il le détailla un instant avant d’ajouter :

- Quoique … y a des trucs en trop. Comme ça, là.

Il glissa les mains sous son tee-shirt et le lui enleva comme le jeune homme l’avait fait plus tôt avec le sien.

- Voilà, c'est déjà un peu mieux.

Il jeta le vêtement plus loin dans la pièce et revint s’occuper de son amant. Il mordilla le creux de son cou avant d’embrasser sa peau nue, descendant le long de sa gorge, effleurant ses pectoraux du bout des lèvres avant de retourner chercher celles du stripteaseur ; il glissa une main dans sa nuque pour le rapprocher de lui, mêlant ses doigts aux cheveux bruns de Johan tandis que son autre main caressait son dos, se posant parfois sur ses fesses avant de revenir se caler dans la cambrure de ses reins, dessinant cette courbe du bout des doigts.
Seth se rendait pleinement compte d’à quel point il avait envie de Johan, à quel point cette nervosité et cette adrénaline des deux dernières heures avaient besoin de s’envoler, et quelle meilleure façon de les faire disparaître que celle-là ? Le mutant commençait à sentir un feu délectable grandir quelque part dans son ventre.
Et il comptait bien faire en sorte que cette sensation soit réciproque.