Dix-neuf heures trente, le centre de recherches. Pietra referma doucement la porte du laboratoire. Elle s’avança sur la pointe des pieds, veillant à ne pas alerter l’homme dos à elle de sa présence. Ce fut presque réussi jusqu’à ce qu’il se retourne, un tube à essai dans la main droite. Il cligna des yeux, visiblement surpris. La brune lui adressa un sourire penaud, sa surprise fichue. « Salut Matthias. » « Pietra. » Il accepta qu’elle l’embrasse, malgré le flagrant manque de professionnalisme que cela impliquait. Peut-être commençait-elle à éroder ses si rigides principes. « Pas ce soir. » répondit-il à sa question implicite. « Très bien. » Elle commençait suffisamment à le connaître pour ne pas être vexée de son dialogue brutal. Elle se haussa sur la pointe des pieds pour l’embrasser de nouveau, et glissa sa main dans la poche arrière de son jean. « Si tu changes d’avis, je te laisse mon double. » souffla-t-elle avant de disparaître joyeusement par là d’où elle était venue.

Ce fut en arrivant chez elle qu’elle se rendit qu’elle avait laissé ses clefs dans son bureau. Or, maintenant, le double était entre les mains de Matthias. Pietra laissé s’échapper une exclamation de dégoût et s’affaissa quelques instants sur son porche. Quelle conne. Et évidemment le Callahan ne répondait pas à son téléphone. Elle n’avait plus qu’à faire demi-tour, à la grande incompréhension de Roy, qui était sorti par la chatière pour la saluer. Les miaulements perplexes de la bête suivirent Pietra alors qu’elle s’engouffrait de nouveau dans sa voiture ; vingt minutes plus tard elle était de nouveau à son travail, pestant contre sa propre idiotie. Les derniers scientifiques avaient plié bagage, et la majorité des bâtiments semblaient étrangement sombres. Pietra se dirigea d’un pas rapide en direction de son propre bureau – ses clés l’attendaient sagement au-dessus d’un email récemment imprimé. Elle les attrapa d’un geste, et se dirigea aussi rapidement qu’elle put vers la sortie. A cette heure tardive, elle ne s’attendait pas à trouver une autre personne attendant l’ascenseur. Et surtout pas cette personne précisément.

« N-Noeh ? » s’exclama-t-elle, soudainement rouge d’embarras. Que faisait-il là ? Bien sûr, elle savait pertinemment qu’il était le frère de Matthias, mais à vrai dire elle l’avait toujours beaucoup plus fortement associé à Salomé. C’était sa jumelle, après tout, et le biais par lequel ils s’étaient rencontrés. « Matthias a du partir il y a un moment, tu sais… Mais comme il ne répond jamais à son téléphone, je suppose que tu as du faire tout ce chemin pour rien. » Elle parlait pour ne rien dire, mais c’était plus fort qu’elle. Elle n’avait pas vu le jeune homme depuis que Salomé l’avait prise à l’écart un après-midi, pour lui raconter ce qui le rendait si mélancolique. L’horreur de ce qu’Adriel lui avait souffrir était désormais imprimé dans la cervelle de la brune, et les parallèles entre elle et ce mutant inhumain suffisaient à la faire paniquer rien qu’à l’idée que Noeh ne découvre ses capacités. Cependant elle tenta de se calmer, et même de sourire au jeune homme. « Euh… Tu descends, alors ? » dit-elle, désignant faiblement l’ascenseur. Ils s’engouffrèrent tous les deux dans la vieille machine, qui grinça pour briser le silence pesant.