i'm dying to catch my breath

I’m here on the edge again, I wish I could let it go

Les évènements au Redwolf Castle s'étaient terminés. Tout semblait être revenu à la normale après cette nuit de folie. Je m'étais endormi sur mes deux oreilles ce soir-là pour être réveillé de bonne heure sans raison apparente. Quelque chose m'avait sorti de mon sommeil. Je ne me sentais pas différent pour autant, ni même malade. C'était juste une sensation étrange qui me parcourait le corps entier sans que je ne puisse identifier la source du problème. Je ne m'en préoccupais donc pas et me levais à regret. Vu l'heure matinale, je décidais de partir faire un jogging. Seul avec moi-même et ma conscience, je ne voyais que ce moyen pour passer le temps tout en se défoulant afin d'évacuer les tensions de la veille. Gants en place, écouteurs dans les oreilles, je courrais sans but ni destination. Les premiers rayons du soleil venaient m'éclairer le chemin et je me retrouvais rapidement à courir dans le parc de la ville. J'enchainais les kilomètres et les exercices d'étirements sans me préoccuper du temps et des gens m'entourant. Je remarquais simplement que la population de Radcliff s'éveillait petit à petit.

Je ne me préoccupais pas des autres. J'étais un solitaire et mon pouvoir ne me permettait de côtoyer d'autres personnes. Le risque de les faire exploser était bien trop grand si jamais je les touchais par erreur. Pourtant, quelque chose avait changé ce matin et m'avait réveillé brusquement. Je sentais comme une libération sans pouvoir réellement le confirmer. Mes mains étaient en plus engourdies et ces gants n'aidaient pas. Alors dans un moment de lucidité, je décidais de les retirer et de ne pas les porter. Courir ne serait pas un danger si je ne posais pas mes mains sur n'importe quoi ou n'importe qui. Toujours à courir dans le parc, je fixais mes mains et les retournais dans tous les sens pour comprendre ce qu'il m'arrivait. Je restais sceptique et, sans même apercevoir que je quittais le parc et m'aventurais dans les rues de Radcliff, je fus tiré en arrière avec une force incroyable que je ne compris pas ce qu'il m'arrivait. Tombant à terre quelques mètres en arrière, je me relevais en touchant ces longs bras dont je n'apercevais pas encore le propriétaire. Je venais juste de comprendre après d'innombrables coups de klaxon et des jurons d'un conducteur que j'avais failli finir sur son capot. Je respirais fortement, heureux d'être encore en vie, quand je constatais avec terreur que je venais d'effleurer ces mains qui venaient de me sauver.

Pris de panique, je me relevais comme une furie. Mais rien ne se passait. Aucune substance violette n'était sorti de mes mains. Intrigué, je regardais mes mains une fois debout avant de suivre du regard ses bras. Une jeune femme me faisait face. Elle semble aussi prise au dépourvu que moi. Je ne savais quoi dire. Je n'avais plus de pouvoir. Et elle semblait surprise d'en avoir. Pour m'en assurer, je touchais le poteau électrique d'à côté. Rien ne se passait. Comment étais-ce possible ? Pour une fois, j'étais surpris et ne savais pas par quoi commencer. La remercier ? L'interroger ? Gueuler sur les passants qui nous regardaient ? Je commençais par m'approcher de la demoiselle. « Ça va ? » Lui demandais-je dans un élan soudain de compassion. Allez savoir pourquoi... Alors que d'habitude les autres ne m'intéressaient que très peu.

Il y avait une chance sur mille pour qu’après les derniers événements, Eylem n’ai pas absolument envie de déverser tripes et boyaux sur le parquets toutes les dix minutes et ce pendant plusieurs mois. Evidemment on aurait fini par la croire enceinte et la Chypriote serait alors tombée dans un nouveau vortex espace-temps fait de grand n’importe dans lequel elle aurait probablement feint d’effectivement être enceinte, convaincu un illustre inconnu de faire semblant d’être le père et, à terme, probablement kidnappé un bébé dont elle n’aurait su que faire au bout de dix minutes. Ou qui serait mort pour cause de couche mise sur la tête et non au bon endroit.
Mais bref. Fort heureusement pour l’humanité en général et ce contre toute attente, Eylem se sentait incroyablement bien, comme si rien n’était venu perturber sa petite vie merdique. Pourtant, entre deux moments d’euphorie, les flashes de terreur étaient bien là, émaillés de cris et de sons stridents que son imagination débordant s’acharnait certainement à rajouter, de ces visions qui l’éveillaient encore tremblante de peur en pleine nuit, les doigts littéralement plantés entre ses draps.
Défiant toute logique, surtout lorsqu’il s’agissait d’Eylem El-Khenissi, la Chypriote semblait se la jouer Pénélope (pas Cruz, l’autre, celle de l’Odyssé) et défaisait inexorablement les prises de consciences de la veille, occultant chaque matins les troubles qui, quelques jours plus tôt, l’empêchaient de dormir.
Le fait était que, pour la première fois ou presque depuis plus de dix ans, Eylem se sentait paradoxalement très bien. Euphorique aurait été le terme plus ou moins exact si elle avait su définir ses sentiments avec un peu plus de précision. La brune avait bien conscience que l’état qui était le sien n’avait pas grand-chose de naturel mais elle était bien loin de s’en soucier.
Présentement, la main encore posée sur la poignée de sa porte, Eylem s’étonnait de son propre manque de prudence. N’avait-elle pas vérifié que sept fois les dispositifs de son appartement ?
Sans s’attarder, elle haussa doucement une épaule dans un mouvement qui lui était peu naturel et prit le chemin du parc comme chaque matin, d’un pas plus déterminé qu’à l’accoutumée.
Accélérant progressivement l’allure jusqu’à atteindre une vitesse raisonnable, elle laissa son regard voguer sur les silhouettes anonymes se pressant dans les rues. Le ballet incessant avait habituellement l’incroyable don de la transformer en furie psychopathe et névrosée mais pas cette fois.
La Chypriote exhala un bref soupir de contentement avant d’enfoncer un écouteur dans chaque oreille.
Une haute silhouette traversa son champ de vision et il s’écoula une poignée de secondes avant qu’elle ne se décide à lui emboîter le pas, pour l’amour du défi sportif ou toute autre raison aussi obscure qu’assurément stupide.
Traversant les rues de Radcliff sur les talons de l’inconnu, elle eut à peine le temps de formuler un cri d’avertissement face à la route que déjà il s’engageait en même temps que les voitures démarraient en vrombissant.

Pour la première fois depuis des années (ou peut-être même depuis toujours), Eylem El-Khenissi eut un geste protecteur à l’égard d’un être vivant autre qu’elle-même. (Comprenez par-là qu’elle ne sauvait même pas ses plantes d’une mort certaine et que par conséquent, elles étaient légion à dépérir dans son appartement crasseux).
Sans vraiment réfléchir, elle avait tendu les bras et fermé les yeux, anticipant déjà le bruit du choc, tellement fort qu’il traverserait le mince mur musical qui la séparait de l’extérieur. Mais rien n’était venu. Pire. Ses bras avaient enlacé la lointaine silhouette et l’avaient attirée hors de danger.
Eylem ouvrit des yeux effarés et le désolant spectacle de ses propres bras s’étalant sur une bonne partie de la ruelle la laissa sans voix. Les bras lui en seraient tombés si ça n’avait pas déjà été le cas.
La chasseuse cligna des yeux. Une fois. Deux fois. Dix fois. Perplexité.
L’homme se releva soudainement, les traits figés par la peur, provoquant par la même occasion une grande vague de panique chez l’ex-détenue qui ne put qu’agiter ses bras immenses avec la grâce de deux spaghettis trop cuits.
Elle aurait probablement trouvé l’homme légèrement bizarre si elle l’avait vu toucher des poteaux au hasard sans aucune raison apparente mais son regard restait fixé sur ses mains qui n’avaient jamais été aussi loin. Même la cicatrice marquant sa paume droite s’effaçait avec la distance. Distance qui se réduisait lentement, par ailleurs.
▬ Ça va ? Fit une voix, lui rappelant que, pour couronner le tout, elle n’était pas seule.
Eylem leva un regard éteint sur l’inconnu dont elle allait probablement regretter d’avoir sauvé la vie et fronça brièvement les sourcils, incapable d’aligner deux pensées cohérentes.
▬ Je… Je n’en ai pas la moindre idée. Balbutia-t-elle tout en ramenant ses bras et ses jambes contre sa poitrine, de peur qu’ils ne leur viennent à l’idée de s’étaler dans toute la ville. J’ai besoin de… de faire le point, je pense. Vous… Vous pensez que vous pourriez faire partir le public ? Au moins ?
Les pièces se mettaient lentement en place dans l’esprit de la Chypriote mais elle avait grand besoin de calme.  Elle aurait bien proposé d’aller s’isoler dans un coin du Parc pour proposer à l’inconnu un deal qu’il ne pourrait pas refuser (ou à défaut pour discuter comme des gens civilisés de ce qui venait d’arriver) mais la crainte qu’une partie de son corps décide de ne pas suivre l’autre l’encouragea à rester sur place. Pour le moment du moins.
Elle se contenta donc de jeter un regard misérable à l’homme, attendant qu’il propose quelque chose. N’importe quoi.