Sir, In my heart, There was a kind of fighting That would not let me sleep.
William Shakespeare, Hamlet
There’s something rotten, In this kingdom. La lumière dansait sur la peau de Noa, avec presque autant de ferveur qu’elle. Le vide, elle faisait le vide. La demoiselle essayait de bouger en rythme – enfin, son rythme, bien entendu – et d’être une bonne petite idiote. De faire semblant que les bleus sur ses bras n’était qu’un autre effet des éclairages. Ils étaient tous si serrés, collés, agglutinés comme des poulets qui attendent l’abattoir et qui, pour faire passer le temps, avaient décidé de bouger de manière tout à fait spasmophilique. Elle avait les yeux fermés. Elle n’aimait pas cet endroit. C’était la deuxième fois que Noa trainait ses petites fesses inexistantes dans une boite de nuit. Résultat des courses : toujours pas son truc à notre Croate. Non, définitivement pas. Cette sensation de cul agrippé chaque demi-seconde, cet espace ridiculement bondé, ces filles qui s’accroche à n’importe quel poteau pour te faire une petite démonstration de strip-tease vêtue – inutile donc – et surtout, l’impression d’être faussement libre. D’être juste une bande de singes qu’on a mis dans un hangar avec un peu de musique pour pas qu’on s’entrebouffe. Ouai, pas vraiment son truc. Et pourtant, dans toute la beauté de l’hypocrisie humaine, Noa était venue y chercher le vide. Et ça marchait. Enfin… c’est soit ça soit la vodka, va savoir…
Bref. La jeune femme dansait, ses cheveux – courts et bruns aujourd’hui – virevoltant autant que l’espace le leur permettait. Elle avait enfilé un haut à paillettes, un jean simple, et des baskets. Elle brillait dans toute cette simplicité. Elle sentait la musique vibrer en elle à travers le sol. Elle… - Si tu pose un seul de tes doigts sur mon cul, je te fais bouffer ta fausse casquette Vuitton immonde, petit con. Noa s’était tourné au même moment où elle avait siffler cette phrase, toisant un gars tout ce qu’il y a de plus banal. Au fond de ses yeux bruns, gris, bleu, allez savoir, brillait une lueur légèrement démente, avec un petit bout de méchanceté coincé entre les cils. Elle avait eu une semaine de merde. Oui, il y a des gens qui ont des soucis plus sérieux, mais la jeune fille s’en bâtait les cojones – enfin, si elle le pouvait, bien évidement – et elle avait eu, selon ses standards, une semaine de merde. Et au-delà de tous les soucis habituels où moins habituels, il y avait cette tension qui… bouillait en elle. La brune n’avait pas d’autre mot. Elle sentait bouillir, d’une façon horriblement frustrante. Et d’ailleurs, ça bouillait dans le petit con aussi, elle pouvait le sentir. Noa se trouvait plongée dedans. Cela l’assaillait de tous les côté, venait de chaque foutue personne de cette foutue pièce. Elle ne laissa échapper aucun cri, non, pas comme on l’aurait fait dans un film d’action à la Bruce Willis où tu gueule ta frustration dés que t’en sens l’envie, sans aucune considération pour ton prochain. Ouai, mais t’es pas une star de ciné qui peut se le permettre, t’es juste une idiote accroupie dans une foule. Très bonne démonstration de ton sens de la survie d’ailleurs.
Noa se releva. Elle s’épousseta. Elle tira sur son tee-shirt fripé et taché. Elle releva le menton et, sous les regards médusés, méfiant et amusé des gens, se fraya un chemin en jouant des coudes et en serrant les dents. C’est pas comme si cette situation n’était pas familière après tout… La demoiselle se sentait de nouveau comme une petite fille, incapable de contrôler ce qui se passait. La risée de tout le monde, le vilain petit canard. Elle sortit aussi rapidement que possible, se mordant la lèvre pour empêcher des larmes de rage de couler. Venir ici avez été une mauvaise idée, elle le savait. Quelle conne. Ouvrant la portière de sa voiture à la volée, elle se laissa tomber sur le siège et, en même temps que l’habitacle redevenait hermétiquement clos, Noa posa la tête sur le dossier, fermant les yeux. Une seule goutte coula le long de sa mâchoire, qu’elle s’empressa d’écraser et d’essuyer avec l’index. C’était tout ce qu’elle acceptait de leur donner. Une migraine commençait à pointer le bout de son nez, comme si le reste ne suffisait pas. Tapotant ses joues, tentant de s’insuffler un peu de vivacité, elle alluma le moteur et se mit à rouler. Tu vas où, Einstein ? On retourne chez papa ? J’te rappelle que t’as plus l’appart. Les bleus se remirent à lui bruler la peau, leur marque aussi fraîche sur son corps que dans son esprit. Non, elle ne retournerait pas chez son père. Noa continua donc sa route, laissant les minutes s’écouler, quittant les limites de la ville au bout d’un moment, elle continua sa route dans la forêt, avant de quitter les limites de la route cette fois. Son chemin la mena au pied d’une énorme bâtisse. Plus loin, la lune faisait briller le toit de ce qui semblait être une grange. La jeune fille laissa échapper un sourire. La vieille ferme, bien sur. Elle coupa le moteur, la seule lueur venant de l’astre qui l’observait, tout là-haut. Fouillant dans le bordel qu’était son véhicule, elle trouva finalement une lampe torche qu’elle braqua sur la banquette arrière. Des papiers, plein de trucs inutiles, un sac prévu pour ce genre d’occasion et quatre bouteilles de manzana. Un petit ricanement lui échappa. - De la boisson de fillette… Comme c’est cocasse.
Le feu brulait au centre de la pièce, illuminant ce qui avait probablement était un salon un jour, et réchauffant Noa presque autant que l’alcool. Beaucoup de jeunes idiots, d’ados en rut et d’imbéciles en quête de sensation fortes était venu ici, dans la maison hantée du coin. Noa avait fait partit de la troisième catégorie, elle savait que, en cas de nuits rudes comme celle-là, un foyer avait été construit par les générations. C’était l’héritage de tous les rebus de la société, de tous ceux qui voulaient péter plus haut que leur cul en montrant qu’il n’avait pas peur de ce qu’ils ne comprenaient pas, de tous les jeunes stupides qui peuplaient cette ville. Et la jeune fille observait cet héritage avec un sourire et des yeux légèrement embués, prenant une grande lampée de la bouteille qu’elle tenait à la main. Les trois autres étaient à ses côtés, comme de vieilles amies. L’une d’entre elle était déjà vide. Noa avait viré son jean trop serré qui gisait quelque part à terre, l’ayant remplacé par un vieux jogging tiré de sa vieille besace, qui était sans aucun doute aussi sa meilleure amie. Elle en avait aussi sortit une couverture rapiécée sur laquelle elle avait posé ses fesses. De la musique s’échappait de son téléphone posé au sol. De la musique s’en échappait. Se balançant légèrement d’avant en arrière, les yeux clos, elle se mit à chanter d’une voix pâteuse. - Now it's three in the morning,, and I'm trying to change your mind… Un petit bruit de jouet pour chien écrasé se fit alors entendre. Relevant les yeux, Noa vit un rat l’observer, les oreilles comme deux paraboles tentant de capter ce que cette épave de 19 ans faisait ici. La brune se leva avec difficulté et, sa bouteille sur le cœur, une main levé au ciel, se mit à déclamer. - Je suis charmé de vous voir bien portant. Horatio, si j’ai bonne mémoire ? Le rongeur l’observa, probablement certain que cette chose avait perdu l’esprit. Bah, il n’a sans doute pas lu Hamlet. - Crétin de rat. Toi aussi tu bouillonnes, pas vrai. De la main, elle le chassa d’un revers de la main. Bien qu’il se soit trouvé de l’autre côté du feu, la bestiole fit quelque chose d’étrange. Les yeux ne Noa lui jouaient sans doute des tours, mais il lui sembla voir la petite chose voler en arrière, comme si sa seule main l’en avait convaincu. Le rat depuis longtemps enfuit, Noa se laissa retomber au sol, observant sa main à la lueur des flammes. Elle refit le geste, mais rien ne décida de lui obéir cette fois. Sans doute un fantôme… Bah, t’es trop bourrée de toute façon. Elle se laissa entièrement choir au sol, tel un pantin dont on avait coupé les fils. Elle pouvait voir le mur de l’autre côté, l’intérieur de son sac, la poussière, tout était à l’envers. Son regard revint sur ce qui se trouvait dans sa meilleure amie. Tendant les mains, elle en sortit un pistolet. C’était un magnum .22, version mini, qu’elle gardait toujours avec elle. Au cas où. Se redressant, elle l’observa, avant de tendre les bras devant elle, et, simulant un tir, elle commentait. - Pfoo, un transmutant en moins…. Elle fit de même une deuxième fois, visant le haut des escaliers. Puis elle stoppa net. Noa resta en suspend pendant quelque secondes, donnant l’impression d’avoir été mise en pause. Elle posa alors le bout du pistolet sur sa tempe et refit le même geste. - Pfoo, une tueuse en moins… Elle retomba alors sur le dos, l’arme dans une main et la bouteille dans l’autre, observant le plafond. Tient, elle pouvait voir la Grande Ours, et l’étoile polaire… Même plus besoin d’étoiles…