My body is a cage Il pleuvait sur le Mont Olympe. C'était un fait suffisamment rare pour que cela mérite d'être signalé. Etrangement et certainement du fait de sa rareté, Eylem aimait la pluie ; elle l'aurait volontiers troquée de temps à autres contre ce soleil cuisant qui inondait toujours Chypre. Elle aimait le son que chaque goutte faisait en percutant le sol, la violente mélodie de l'orage et surtout l'odeur des sols détrempés. Cependant, quand la chasse s'engageait, la pluie n'était plus un joli fantasme poétique qui précédait un arc-en-ciel, elle devenait un ennemi à combattre en plus, annonciateur d'heures de traque plus difficiles encore et de lendemains fiévreux. Surtout quand il s’agissait d’une traque qui lui était si importante.
▬ Eylem ? Tu comptes loucher sur tes cheveux encore longtemps ou tu nous aides ?L'interpelée releva lentement la tête et écarta d'un index hésitant les mèches brunes qui s'étaient collées devant ses yeux sans même qu'elle n'y prête attention. Un sourire maladroit de gamine paumée tout juste entrée dans l'adolescence égaya ses lèvres qui formèrent un
Désolée silencieux avant qu'elle ne se redresse et ne viennent prêter main forte au clan de chasseurs s’affairant déjà autour de tout un arsenal.
Aussi loin que pouvait remonter sa mémoire, Eylem avait toujours vu des armes à chaque coin de rue. Entre l'enclave armée de Chypre du Nord, celle des troupes anglaises et celles de sa famille, elle en était venue à déduire que le monde était ainsi fait, violent, perverti et armé jusqu'aux dents.
Très tôt on lui avait appris que là-bas, dehors, derrière les jolies clôtures du jardin familial, se trouvaient des gens qui n'avaient pas le droit de vivre du fait de leur différence génétique. Des monstres, des anomalies. Certains appelaient ça évolution, les El-Khenissi nommaient cela abomination.
Eylem avait entendu, analysé et s'était plus ou moins demandé pourquoi des gens qui n'avaient pas vraiment choisi d'être comme ils étaient devaient forcément être éradiqués.
On lui avait alors montré des photos, des articles, des témoignages. Son père avait lentement soulevé son t-shirt pour arborer les cicatrices profondes qui marquaient sa peau. Tant qu'il y aurait des abominations rampant sur la terre, il y aurait des morts, des blessés, des orphelins et une souffrance palpable.
Dès cet instant précis, Eylem avait eu peur au plus profond de son être. La peur de passer de l'autre côté de la barrière l'avait hantée une bonne partie de son existence, jusqu'au tout récent Dépistage qui avait enfin retiré un poids de ses épaules, mais surtout, la crainte d'affronter un de ces monstres s'était marquée au fer rouge dans un coin de son esprit.
Bêtement, les années s’écoulant sans que l’on ne lui demande de faire quoi que ce soit à part être la porteuse des caisses et de bien exécuter tous les entrainements qui lui étaient imposés, Eylem avait fini par un espérer qu’on l’avait oubliée et qu’on lui foutrait la paix avec cette violence, que jamais elle n’aurait à affronter les monstres qu’on lui avait tant contés… jusqu’à ce que l’on murmure que, cette fois, elle pouvait garder le dernier Colt qu’elle avait extirpé du coffre de la voiture.
▬ Tu vois un truc ?Eylem balaya la scène des yeux à la recherche du monstre qu’ils traquaient depuis plus de deux heures mais ses prunelles ne rencontrèrent que les iris clairs de ce type qui venait littéralement de se téléporter devant elle. Un lourd silence s’abattit sur la montagne en l’espace de quelques secondes, personne n’osant plus contracter un seul muscle. Il y eut un mélange confus de cris de colère et peur entrelacées, et cette crainte qui surgissait du plus profond de ses entrailles pour la dévorer toute entière. Il était là, le monstre qu’elle avait tant redouté. Il était là, juste devant elle et tous ses membres en étaient paralysés.
Puis, mue par l’instinct et les réflexes profondément ancrés en elle avec des heures d’entrainements payants, elle leva le bras avec une célérité qu’elle ne se connaissait pas et la balle partit avant même qu’elle n’ait pu s’en rendre compte. Dans un bruit mat, le type s’écroula dans la boue avant d’avoir pu enclencher tout mouvement de retraite, laissant à la chypriote tout le loisir de contempler l’existence qu’elle venait d’effacer.
On vint lui claquer l’épaule, lui frotter le dos avec un sourire radieux comme si elle avait accompli un exploit et elle, elle essayait de superposer l’image de ce corps sans vie avec celle qu’elle s’était faite des monstres transmutants.
Les traques s’enchainèrent, les chasses à l’étranger, les morts qui tombaient lentement. Peu à peu, Eylem se persuada qu’elle servait une cause plus grande, elle masqua la peur qu’elle éprouvait toujours au plus profond de son âme, derrière des calculs savants, des méthodes moins directes, détonnant avec les habitudes de son clan. Elle tira sur la corde de sa moralité jusqu’à ce qu’elle cède, jusqu’à ce que plus rien n’ait de sens et qu’elle en perde de vue qui elle était censée être.
La peur avait repris le dessus, à force de la repousser dans les tréfonds de son être, elle avait fini par enfler, lentement, avec une dangereuse douceur qui l’avait rendue imperceptible.
If you could see me now A peine vingt ans, Eylem tirait son identité de sa fierté à appartenir à un clan réputé. Ou l'inverse. Il y avait les El-Khenissi et les autres, peu importait qu'on ait tendance à les oublier, elle se faisait un plaisir d'occire ou du moins de mettre hors d'état de nuire tout sorcier se plaçant en travers de leur route pour les beaux yeux de sa famille. Elle ne comptait pas le nombre de transmutants dont elle avait triomphé (probablement pas autant qu'elle se l'imaginait), mais le peu qu'elle avait pu neutraliser lui apportait toute la gloire du monde.
Elle avait même infiltré une section musicale de l'université de Melbourne uniquement pour la surveillance à laquelle on l'astreignait.
La musique avait toujours été sa passion, ça tombait plutôt bien, elle s'était toujours prise d'affection pour les sons et les mélodies, jouant avec dextérité de tout ce qui lui passait sous la main, aussi virtuose avec un violon qu'elle l'était avec un couteau.
La musique des autres, en revanche, ne l'intéressaient pas plus que ça, les leçons de piano et d'innombrables autres instruments que l'autre abruti lui donnait l'ennuyaient prodigieusement mais elle avait faire l'effort d'aller au contact de son univers, de faire semblant de jouer comme une gueunon sourde-aveugle avec des moufles uniquement pour qu'il continue à lui apprendre.
Elle était même venue l'encourager lorsqu'il était allé courir après un ballon comme un débile pour l'équipe universitaire.
Elle. Alors qu'elle avait toujours détesté ça, la foule, le bruit, les conneries du genre, faire la cruche pour les beaux yeux d'un connard en slim.
Mais elle avait recommencé, une fois, deux fois et le pire, c'est qu'elle avait même fini par ne plus se forcer. Elle s'était surprise à l'applaudir avec l'ombre d'un sourire lorsqu'il avait joué du Queen n'importe comment.
Ils avaient discuté, un peu d'elle, beaucoup de lui. Il lui avait arraché des sourires idiots et pourtant... pourtant elle n'avait pas hésité une seule seconde à déverser le contenu de sa fiole de somnifère dans la théière familiale au petit matin après une nuit chez lui.
Le geste avait été d'une discrétion à toute épreuve, effrayant tant il lui avait paru naturel.
Un instant elle avait caressé l'espoir que la théière se brise et qu'elle n'ait pas à faire quoi que ce soit. La journée s'achèverait comme elle avait commencé, sans haine ni violence.
La petite famille s'était soudainement écroulée sans comprendre. Ses parents, sa petite soeur et lui. Lui qui lui avait lancé le regard le plus venimeux qui puisse être, la haine ancrée au fin fond de ses iris comme un incendie qui ne s'éteindrait probablement jamais.
Eylem s'était redressée, avec des gestes peut-être plus mesurés qu'à l'accoutumée, son regard épinglé par l'immensité du sien. L'ébauche d'un triste sourire s'était dessinée sur ses traits tandis qu'elle ouvrait la porte aux chasseurs postés derrière la porte.
La chypriote avait vaguement grimacé, s'était empressée de ramasser ses affaires, les clés de sa voiture et s'était rapidement dirigée vers la sortie avant qu'ils ne viennent à ses collèges chasseurs nord-américains la mauvaise idée de l'inclure dans la suite des évènements.
Soudain, elle s'était arrêtée sur le pas de la porte et avait fait demi-tour sans réfléchir. Elle s'était penchée au dessus de lui pour lui murmurer un dernier
Désolé au creux de l'oreille. Ses lèvres auraient effleurées les siennes si elle s'était sentit le courage d'être aussi effrontée mais pour une fois, elle s'était retenue.
Elle ne s'excusait jamais dans la mesure où elle n'avait jamais été réellement désolée. Nul regret ni remord mais cette fois, bien que le sens du devoir ait largement pris le dessus sur tout sentiment qui aurait pu être, Eylem avait vaguement songé que si elle l'avait pu, elle aurait été sincèrement désolée.
Il en avait profité pour lui planter ce qui était à sa portée dans la main, lui transperçant la paume du couteau avec lequel il avait coupé son bacon et elle s'était enfuie sans demander son reste, accompagnée par une bordée de jurons et des malédictions insensées.
Pour la première fois de sa vie, la Chypriote avait regretté et souhaité que les choses se soient passées autrement. Pour la première fois de sa vie, Eylem El-Khenissi avait été envahie par les remords et les regrets. Elle en avait été perturbée un instant, ne sachant pas que faire du flot de sentiments contradictoire qui s'était soudainement déversé dans toute son âme.
Puis elle était rentrée sur son île natale, dans l'immense demeure familiale où on pansa ses blessures avec affection. Ses frangins et cousins s'étaient dressés, promettant d'aller casser la gueule au mutant qui l'avait blessée s'il n'était pas déjà mort et Eylem avait apprécié leur considération avec l'ombre d'un sourire amer.
La dernière chose qu'elle souhaitait était une vendetta, une guerre ouverte. Elle l'avait cherché, elle avait tout mis de côté pour servir sa cause et elle avait fini par le payer, marquée en son âme aussi bien que dans sa chair.
La profonde cicatrice avait masqué les lignes de vie de sa paume, chaque regard qu'elle y jetait semblait lui rappeler que son avenir avait peut-être été foutu en l'air, chaque accord de violon devenu difficile lui criait qu'elle avait merdé avec l'art et la manière.
Elle était partie, loin, très loin. Ca avait été plus fort qu'elle. Si elle l'avait pu, Eylem aurait certainement fait face mais elle avait fini piégée par ses propres remords. C'était con, elle le savait, ça aurait fini par lui passer mais elle n'avait pas pu supporter plus longtemps ses cousins et leur surprotection étouffante.
Et cette culpabilité qui avait conduit tout le monde à la ramasser à la petite cuillères pour deux sourires à la con.
En colère contre elle-même, contre les autres, la Chypriote avait tout envoyé valser pour voyager. Elle vivrait de musique, d'eau fraîche et de colère à défaut d'amour.
Just because I'm hurting doesn't mean I'm hurt. Le hurlement strident des sirènes résonnait dans les rues de Charleston et Eylem ne put s’empêcher de pousser une bordée de jurons dans toutes les langues qu’elle connaissait.
Se retrouver à fuir à nouveau après avoir enfin trouvé un certain équilibre la frustrait au plus haut point. Après avoir quitté Chypre, elle avait vu du pays, des différences qui ne nécessitaient pas d’être éradiquées et d’autres qui avaient réveillé chaque parcelle de son corps, la plus infime portion d’instinct de chasseur endormie sous sa peau.
Après des années passées à parcourir le globe, Eylem avait finalement posé sur le sol Américain et, au terme de longs mois de réflexion et d’essais infructueux avec des patrons qui n’avait pas forcément bien fini, la Chypriote n’avait pu se résoudre à vendre des pizzas ou à jouer les serveuses pour le plaisir de gagner dix dollars de l’heure. Elle avait eu de plus grands projets et avait commencé par piquer des papiers et usurper des identités sans vraiment y penser, cédant à la facilité de profiter de la première mémé trop généreuse qui lui ouvrait sa porte.
Dire que les choses s’étaient emballées était un doux euphémisme.
Les sommes nécessaires à la chasse avaient rapidement été excédée et avant même qu’elle ne s’en rende compte, une demi-douzaine de passeports arborant des noms différents s’étalaient sur sa table de nuit et elle était acculée dans un motel crasseux. La pensée que si elle avait été une mutante, peut-être aurait-elle pu s’en sortir raviva la jalousie et toute la haine qu’elle éprouvait à l’égard de ceux dont le capital génétique différait.
▬ Aux habitants de Charleston, si vous apercevez cette personne, signalez-le aux autorités compétentes. La suspecte est armée et dangereuse. Crachota le poste de télévision, s’attirant un regard incendiaire de la part de la Chypriote. Evidemment qu’elle était armée, les Etats-Unis étaient un pays libre et tout le blabla qui allait avec mais surtout, il lui fallait bien se protéger contre les abominations qu’elle redoutait toujours autant.
Par conséquent, il était évident qu’elle n’aurait pas vraiment dressé son portrait de cette façon, elle aurait certainement ajouté quelques "servante de la justice, pourfendeuse de monstres" et autres titres ronflants mais n’eut pas le temps d’ouvrir la bouche pour exprimer le fond de sa pensée que sa porte vola en éclat dans un fracas sans précédent.
Une fumée âcre s’engouffra par l’ouverture béante, rapidement suivie par une demi-douzaine de types vociférant à travers leurs masques des termes qu’Eylem peinait à comprendre mais déjà tous ses muscles s'étaient mis en mouvement et elle se glissait dans la rue par sa fenêtre entrouverte, filant de justesse entre les doigts de ceux qui attendaient le mouvement.
Sa cavale fut de courte durée. Quelques secondes d'une course effrénée et elle tomba nez à nez avec une petite blonde en uniforme venue de nulle part, tombée du ciel et surgie du néant.
La Chypriote se figea et n'eut pas besoin de beaucoup plus d'informations pour extrapoler que même les plus hautes instances étaient infiltrés par les monstres. Elle ouvrir la bouche lui hurler quelque chose, une insulte, un ordre, n'importe quoi mais les mots se coincèrent dans le fond de sa gorge.
A cet instant précis, elle regretta profondément de ne pas être armée, d'être autant paralysée face à cette apparition fantomatique qui s'éclipsa aussi rapidement qu'elle était arrivée, la laissant démunie et terrifiée.
Derrière elle s'élevaient déjà les cris des hommes à ses trousses, les bruits de pas sur le pavé, toujours plus proches tandis que ses membres refusaient obstinément de bouger.
Suivant les ordres qu'on lui donnait, elle leva lentement les bras pour les caler derrière sa nuque tandis que l'on se précipitait sur elle pour la plaquer contre les murs de briques humides avant de l'emmener au poste le plus proche où les enquêteurs se feraient un plaisir de tout lui faire cracher.
Son procès fut rapidement expédié et elle assista depuis le box des accusés à un défilé de familles brisées qui avaient tout perdu par sa faute, aux destins altérée pour quelques milliers de dollars et une identité usurpée sans qu’une réelle once de remord ne vienne véritablement l’effleurer. Elle n’avait tué personne (du moins personne d’ « humain » s’entend) et l’argent lui avait vaguement servi à débarrasser la planète de quelques êtres contre-nature (et à s’acheter une nouvelle voiture mais passons). Les sacrifices, les causes plus grandes et tous les beaux discours que sa famille lui avait martelés achevèrent de lui occuper l’esprit en l’empêchant de culpabiliser jusqu’à ce que la sentence ne tombe.
Well I got thick skin and an elastic heart Il n’y avait rien en prison qui puisse arranger l’état dans lequel Eylem s’était peu à peu plongée. Son sang s’était rapidement mis à bouillonner à chaque provocation, chaque regard de travers et bien vite, elle s’était rendu compte que la traque lui manquait. Sans vraiment vouloir se l’avouer, des années de pratique l’avaient rendue totalement dépendante de l’adrénaline qui naissait après des heures de surveillance, du plaisir qu’elle retirait lorsqu’elle savait qu’un monstre disparaissait de la surface de la Terre.
Ca n’avait l’air de rien, d’un simple constat découlant d’une évidence mais comme les transmutants n’avaient pas vraiment choisi d’être différents, Eylem n’avait pas choisi d’être chasseuse. Et pourtant, chez l’un comme chez l’autre, il y avait cette même fatalité. Inévitablement, chacun revenait à faire ce qu’il était né pour exécuter.
La sirène stridente de l’ouverture des grilles lui vrilla les tympans comme elle le faisait tous les matins. Chaque jour, le même geste, le même rituel terriblement routinier. Elle avait fini par se résigner, après avoir loupé sa seule chance de conditionnelle et rajouté une peine supplémentaire à son casier, Eylem avait abandonné tout combat et s’était finalement laissée portée par l’ennui, laissant ses instincts et tout de qui allait avec couler allègrement.
▬ El-Khenissi, téléphone ! Surprise, Eylem en laissa tomber sa tartine sur le sol crasseux du pénitencier avant de se précipiter sur le combiné, espérant que son avocat lui apportait de bonnes nouvelles avant qu’elle ne vire complètement tarée en cellule.
▬ Eylem ? Fit une voix qu’elle reconnaîtrait entre mille, à son plus grand désespoir. Elle ne prit pas la peine de répondre et s’apprêtait à raccrocher lorsque son frère reprit d’un ton hésitant
Attends, raccroche pas ! J’ai eu du mal à te retrouver, tu sais.Les mâchoires de la jeune femme se contractèrent.
▬ C’était un peu le but, Adam. S’entendit-elle siffler entre ses dents serrées.
▬ Oh ! Personne n'a dévoré ta langue ! Bonne nouvelle. Ironisa son aîné à l’autre bout du combiné.
On a pas beaucoup de temps alors j’ai une proposition à te faire. Il y eut un silence flottant, presque gêné et chargé d’amertume.
▬ C’est pas la peine, je suis partie et je reviendrai pas même si... Commença la brune avec plus de brutalité qu’elle ne l’aurait voulu avant d’être interrompue.
▬ T’es en prison, Eylem, je vois pas ce que tu pourrais avoir de pire. A part peut-être être extradée à Nicosie. Crois-moi, jpense que les prisons chypriotes sont nettement moins drôles que celles des Etats-Unis. Nouveau silence. Elle lui concéda le point à contrecœur. Il n’avait pas tort, elle était tombée au plus bas et aurait tout donné pour sortir.
▬ T’as entendu parler des nouvelles dispositions prises par les US au sujet des transmutants hein ? Le dépistage en cours, tout ça… Elle hocha la tête sans vraiment prendre conscience qu’il ne la verrait pas et il prit son silence pour une invitation à poursuivre
Les Hunters partagent pas vraiment l’idée et du côté de l’Europe, on craint que ça ne vienne jusqu’aux autres gouvernements. Les gars proposent d’utiliser leurs relations pour te faire sortir en conditionnelle si tu promets de t’occuper de ce qu’on te dira. Tu peux plus jouer à ignorer ce qu'on te dit, cette fois, c'est plus possible, les choses changent. Ca fait partie d'toi et tu le sais parfaitement. Ca n'était même pas une question, Eylem poussa un lourd soupir et se mordilla la lèvre inférieure. Elle l'imaginait de l'autre côté de l'Atlantique, sourire doucement en sachant qu'il touchait là où ça faisait mal.
Elle avait eut beau clamer que la chasse était derrière, on la suivait à la trace tout autour du globe pour qui savait regarder au bon endroit. Ici un type qui avait vaguement fait bouger un verre d’eau dans un restaurant, là cette fille qui arnaquait des passants avec des tours de passe-passe, des commandes aux Hunters passées un peu partout. Eylem avait vaguement résisté mais s’était de nouveau embarquée dans une chasse à
sa façon. Une traque longue mais payante, le genre qui la plaçait suffisamment loin de ses victimes pour qu’elle ne se sente plus vraiment concernée quand la mort venait les faucher. Elle ne pouvait pas s'en empêcher, elle voyait, elle agissait, c'était dans son sang autant que son éducation.
▬ Tu sais que si on avait pu éviter, on t'aurait laissée faire ta vie… Enfin ce qu’il en reste. Qu'il reprenait fermement face au manque de réponse de l'autre côté.
Tu fais semblant de pas entendre, je sais bien. Me fait pas croire que c'est parce que je t'appelle à pas d'heure. Il est quoi, neuf heure ? De toute façon t'as que ça à foutre de répondre au téléphone. J'espère que tes camarade de cellules t'ont fait des tresses africaines.▬ Ta gueule. Il est huit heure et demie. Corrigea-t-elle sans pouvoir s'en empêcher. De l'autre côté du combiné, son frère esquissa un sourire, savourant sa petite victoire. Raconter n'importe quoi avait toujours fait réagir Eylem, c'était le meilleur moyen pour obtenir des réponses de sa part et comme d'habitude, elle n'avait pas marché, elle avait couru.
▬ Je suppose que t'es au courant pour le décès d'Elias ? La question fit naître un silence gêné. Elle savait oui, mais admettre qu'elle était au courant revenait à admettre qu'elle n'avait jamais complètement lâché le monde des chasseurs.
Presque miséricordieux, Adam vint mettre fin à sa torture.
▬ Je sais que t'es au courant, Théo t'a téléphoné y'a pas deux semaines. Alors fais pas celle qui s'en fout ! La colère pointait dans la voix de son grand frère et inconsciemment, Eylem se tassa sur son siège.
▬ Je sais. Exhala-t-elle péniblement après avoir dégluti.
▬ Parfait. Tu prends sa place, tranquille et on te foutra la paix si tu mets de l'ordre dans ses affaires.Elle roula des yeux effarés, laissant échapper un reniflement méprisant, pas vraiment convaincue par la proposition.
▬ Arrête de dire des conneries ! Une fois que j'aurais remis le pied dedans, j'y serai jusqu'au cou. Lui renvoya-t-elle en pleine face, n’ignorant pas les enjeux d’un tel contrat.
▬ Ton avocat passera avec un ami la semaine prochaine. Tu devrais être sortie dans trois mois. Eylem pinça les lèvres face à l’ordre donné. Si elle en avait eu la possibilité, elle se serait évidemment payé le luxe de faire tout le contraire.
Prends-soin de toi, Eylem. Ajouta-t-il avec tendresse pour couper court à la colère qu'il sentait monter chez son interlocutrice. Eylem ne put que balbutier quelques vagues protestations mais aucune n'eut le temps d'aboutir avant qu'un
Très bien. ne franchisse ses lèvres.
But your blade it might be too sharp Les doigts enroulés sur son trousseau de clefs, la respiration encore hachée, elle pose son front sur le montant de la porte. C'est de tous ses membres qu'elle tremble encore, la peur s'échappant de chaque pore de sa peau. Elle se déteste, si profondément qu'elle se tuerait volontiers si elle n'avait pas peur de la mort. Et puis même morte elle continuerait à craindre les dégénérés.
Sa main frôle la poignée et l'appartement s'ouvre, doucement. D'un geste rapide, traduisant l'habitude, elle sort un couteau de sa botte et s'engouffre dans l'embrasure. Comme toujours, elle vérifie les placards, le moindre déplacement dans l'espace, photos à l'appui. Chaque variation est prétexte à une nouvelle vérification. Une fois cela terminé, elle s'écroule sur le plancher crasseux au milieu des dizaines de clichés répétés de son appartement.
L'oeil vide et l'âme de même, Eylem fixe le plafond sans vraiment savoir ce qu'elle lui trouve. Il est étrangement d'un gris moins tranché que celui qu'elle avait l'habitude de contempler en prison mais elle lui trouve un côté plutôt familier. Elle n'est pas certaine de savoir ce que cela signifie mais dans un sens, ça la rassure un peu. Elle se sentirait presque chez elle, vraiment.
Avec une lenteur calculée, elle ferme les yeux, brièvement tout d'abord, comme pour effacer d'un flash noir la crainte qui lui vrille les entrailles, mais c'est le visage de Lancaster qui s'impose. Elle soupire fébrilement, ses entrailles encore retournées par l'exécution publique et les évènements qu'elle a déclenché. Eylem le savait, elle n'a jamais eut totalement confiance en Taddheus Lancaster mais se garde bien de partager son avis avec qui que ce soit. Il est hors de question de se laisser aspirer par un trou noir fait de haine et de violence. Elle fera les trois ans de détention surveillée qu'il lui reste puis disparaîtra dans la nature, c'est tout ce qu'elle souhaite.
Une sonnerie de téléphone plus ou moins salvatrice la tire hors de ses pensées. Il ne fait pas bon se torturer psychologiquement avec ses propres peurs lorsqu'on est chasseur...
▬ Eylem ? De l'autre côté du combiné, son frère, pour changer.
▬ Enfoiré ? Qu'elle répond sur le même ton badin.
▬ On a besoin de toi pour de la surveillance, au coin de main street, sois là à 22h.Il raccroche, elle soupire. Ce n'est pas demain qu'elle fera ce qu'elle veut. Elle se déteste, si profondément...