i. êtes-vous originaire de radcliff ?
 Point du tout, je ne suis même pas américaine, c'est pour dire. non j'suis irlandaise pur souche, je mange irlandais, je parle irlandais, je respire irlandais. à part ça, j'ai rien contre cette ville, la preuve, j'y habite. quitter son pays et ses habitudes pour aller de l'autre côté du monde n'est pas chose aisé; sur le coup, ça à l'air classe, impertinent, rêveur. et puis la réalité vous tombe dessus, vous avez pas beaucoup d'argent, faut s'y faire. j'ai commencé mon entreprise ici-même et ça marche étrangement bien, alors oui, je ne viens pas d'ici, mais je l'aime bien ce ici. c'est mon ici.

  ii. avez-vous déjà eu affaire à un ou plusieurs hunters ?
 jamais, coup de chance ou coup du sort; je ne saurais jamais. je les sens, je les entend, mais je me cache, je change de sujet, je ris de ça. je les évite, je change de cheveux, de visage, et la roue tourne; je ne suis plus la même, je suis seule, mal accompagnée, mariée, veuve, je suis la vendeuse de fleur, la boulangère, la cousine éloignée, je suis l'inconnu dans la rue, je suis celle qui fait la queue dans le starbuck. je me méfie, je ne parle peu, j'évite les mutants, je survie.

  iii. utilisez-vous beaucoup votre don ?
 vous savez, il y a un moment je m'étais résolu que j'allais mourir. y'a eu un moment où les chimio ne servaient plus à rien, il y a eu ce moment, ce jour heureux, ce dernier jour heureux. celui où on sort à notre mère qu'on voudrait choisir l'habit qu'on porterait pour nos funérailles. il y avait cette robe bleu, magnifique, avec des magnifiques reflets dorés, totalement hors sujet. c'était une robe de bal, elle accentuait mon côté cadavérique, elle ne m'allait pas vraiment. mais elle avait ce côté perlé, ce côté naïf, angélique. et puis un jour j'ai porté cette robe, c'était un matin irlandais, bien pluvieux. ma mère a pleuré, beaucoup, trop. mais je ne suis pas morte. je ne sais pas pourquoi, mon corps a dit non. mes amis, notre petite bande de cancéreux qui riaient au nez de la mort, qui pariait sur qui irait à l'enterrement de qui, ils sont partis. je suis resté seule. mes cheveux étaient trop court. alors je les ai allongés, et je me suis caché. alors si on me demande si j'utilise beaucoup mon don, je l'utilise tout le temps, je me cache, je fuis, je fais semblant que tout va bien et je cache mes casseroles.

  iv. pensez-vous que les mesures mise en place par le gouvernement sont suffisante ?
  je ne suis pas égoïste de nature, mais pour tout vous dire, je m'en fous. les temps changent, les gens ont peur, ils ont besoin de déverser leur haine sur quelques choses qu'ils ne connaissaient pas, sur quelques choses qu'ils ne contrôlaient pas. l'imprévu fait peur, l'imprévu fait douter. je ne me décrirais pas par mutante, je suis un être de chair, je respire, je ne suis pas une mutante. dire que j'appartiens aux mutants, dire que nous sommes peuple, c'est comme dire que je suis du côté de tous les gens qui ont des yeux marrons comme moi, car vous savez, les yeux marrons, on se comprend. c'est stupide et utopique, y'a des cons partout. alors les cons qui montrent au monde entier qu'ils sont mutants cherche le bâtons pour se faire battre. restons cool.

Tu fermes les yeux. Tu es vieille, plus vieille. Ton enfant va se marier, un si beau garçon. Tu es si fière de lui, tu crois en lui. Tes cheveux grisonnent mais tu refuses de les laisser s'exposer. Tu as été une bonne mère, tu dessines tes rides du sourire du doigt. Ton fils va se marier. Tu vas sourire, tu vas pleurer. Tu vas t’intéresser à la vie de ton enfant et de sa femme. Et puis tu vas disparaître. Tu ne duras qu'un week-end. Tu es éphémère, mais tu dois donner l'impression d'avoir vraiment exister. Ajuste ton porté de tête, ouvre les yeux.

Elle observa son travail dans le miroir. Parfait. Se penchant pour récupérer des lunettes demi-lunes rouge vif, elle observa à la dérobée son décolleté. Non, il faut cacher ses seins de jeunes. Prenant une chemise blanche ample, elle l'enfile, la lisse du bout des doigts et sourit. Son client va se marier. Parfait. Et c'est si stupide d'être en froid avec ses parents depuis si longtemps. Pas si stupide que ça finalement, ça lui donne du travail. Cherchant dans sa commode une jupe grise, elle l'enfila rapidement et ouvra du coude la porte blanche qui était à sa droite. Se retrouvant dans une pièce entièrement blanche, elle alluma le vieux appareil photo et rajusta un de ses cheveux blonds derrière son oreille. Regardant l'objectif dans les yeux, elle attendit le déclic.
Rose Murphy. Quel joli nom. L'inscrivant au dos de la photo qui venait d'être imprimé, elle sourit.
Rose. Bonjour, je suis Rose. Je suis la mère du marié. Enchantée.
Relevant la tête, elle prit la robe en soie rose posée sur une chaise dans son enveloppe tissée et sortit prendre son taxi. Arrivée à la maison de son client, elle descendit avec le plus d'élégance du taxi et versa un pourboire généreux au conducteur. A peine fut-elle dehors que son client courrait vers elle.



« tu sais panda, les cheveux ça t'allait pas en fait. » Elle leva la tête pour regarder l'andouille heureux sur le siège à côté d'elle. « va te faire foutre Sean. » Il sourit de toute ses dents et s'installa un peu plus dans le fauteuil. « tu te souviens de notre dernière chimio ensemble ? t'avais gerbé pendant des heures, t'es vraiment une petite nature. » elle ferma les yeux et prit un coussin pour se le mettre sur le visage. Elle voulait qu'il parte, elle voulait qu'il reste, elle ne savait plus ce qu'elle voulait. Grognant, elle prit une grande inspiration derrière son bouclier.  « devine ce que le fan de Jésus m'a dit hier soir ? » « on est tous de prêcheur et nous allons être lavé du crime de nos ancêtre ? » « non ! que Dieu nous attendait là haut et qu'il fallait sourire. sérieux qu'est-ce qu'il est con haha. mais la tienne était pas mal panda. » Elle rit.

Et puis quelqu'un toqua à la porte et sa tante entra dans la chambre. Elle aurait préféré être en chimio, dans une chambre stérile bien tranquille mais non, il fallait que ça ne soit qu'un épisode. Et les épisodes ne signifiaient qu'une chose, un défilé de voisin et de famille éloignée qui vomissait toute leur pitié et leur joie cachée de vivre, eux. Vous savez bien, pauvre enfant. Sean fit une grimace et lui demanda silencieusement s'il fallait qu'il sorte. Pandora hocha négativement la tête. « pandora ma chérie ! tu es si...  » « malade ? ça se voit hein madame ? je lui ai dit de se maquiller mais elle m'a dit qu'avec son air d'E.T. elle arrivait à draguer les cancéreux de l'étage en dessous. c'est une tombeuse panda. » Panda se retint de rire et hocha la tête, il suffisait de voir la mine attirée de sa tante pour vouloir prendre dans ses bras Sean pour le remercier. « c'est vrai qu'elle a un charme comme ça quand même. »

Sa tante s'agenouilla pour presser la main de Panda et cette dernière retint un soupir. C'est quoi cette manie de toucher des cadavres en devenir ? C'est quoi leur trip à tous ? « ma chérie ne l'écoute pas, c'est un garçon, il raconte tous des conneries, tu vas vite te remettre, ne t'inquiètes pas. » La concernée hocha un sourcil, s'en remettre ? Ne pas s'inquiéter ? Bien sur. Et les licornes existent, elles sont magnifiques d'ailleurs. « tu es si courageuse pandora... » « pourquoi ? pourquoi je suis courageuse Tante Lissa ? c'est quoi cet héroïsme de maladie ? je suis mal foutue Lissa, je vais crever. oui je vais mourir. » Elle savoura les quelques instants où la figure de sa tante était effrayée. « oui Lissa, je vais mourir, soyons réaliste, alors arrête avec tes "tu vas vite te remettre", non, je ne vais pas aller mieux, je vais mourir. N'est-ce pas Sean ? » Panda se tourna vers lui en souriant. « oui tout à fait, elle va mourir. d'ailleurs on se demande souvent si elle va mourir avant moi ou pas. bonjour, j'ai oublié de me présenter, je m'appelle Sean, et je suis un ptit cancereux aussi. » Il était tout sourire, plutôt fier de lui. La tante de Pandora se leva, comme insultée et prit son sac en reculant. « c'est bon ? vous êtes heureux ? vous allez mourir et alors ? vous êtes égoïste, vous pensez qu'à vous, et les gens qui restent, hein ? Bande de gamins égoïstes. »



Elle détestait le moment où on lui proposait de s’asseoir sur ce canapé vert. C'était le canapé vert des mauvaises nouvelles, et on savait à chaque fois que les médecins allaient annoncer la mort de l'un d'eux, et petit à petit le groupe diminuait, et petit à petit le canapé s'affaissait. Elle aurait voulu qu'on lui annonce au milieu d'une conversation, mine de rien pour qu'elle n'ait pas à détester ce canapé. Elle le haïssait, c'était devenue la seule chose qu'elle détestait, le reste ne signifiait plus grand chose à côté. Ce canapé.

Et par défi, Sean et Vince lui avait demandé de s'y asseoir. Alors les trois idiots s'y sont assis et attendu. Les minutes s'écoulaient et personne ne disait rien. Puis soudainement Vince se mit à rire. A rire pendant si longtemps qu'elle se demanda s'il n'était pas en train de mettre fin à ses jours. Quand il eut fini, il se leva et se racla la gorge avant de lancer : « à partir d'aujourd'hui, je ne raconte des blagues que sur ce canapé. et un jour quelqu'un d'autre racontera des blagues ici aussi. aussi merdique que les miennes. je compte sur toi Sean. » Sean sourit et lui serra la main. « promis, faudra que je cherche dans le livres des blagues les plus moisies, mais je devrais y arriver. allez balance ta connerie Vince. » « c'est l'histoire d'un gamin qui souffrait d'angine. alors qu'en fait il avait un cancer. mais ça, les médecins l'ont découvert trop tard. alors du coup, il va mourir, bientôt. du coup, il est tellement con qu'il aimerait bien que ses deux meilleurs amis écrivent des éloges funèbres pour qu'il sache à peu près à quoi va ressembler son enterrement. parce que c'est un privilège quand on est un ptit cancereux, et je vais me le prendre. parce que je suis qu'un gros con de gamin égoïste. » « comme d'hab' t'es pas drôle du tout Vince. mais je vois bien la mienne commencer par "il le savait lui-même, mais Vince était un gros con de gamin égoïste, et vous savez, tous les matins, il volait des bonbons dans les magasins. un voleur ce mec". » Elle se leva, essuyant une larme au coin de son œil et prit dans ses bras l'homme. « merde Vince, j'avais parié du fric sur le fait que j'allais crever avant toi. » Il se mit à rire de nouveau. « ah putain t'es pas une flèche panda, si t'es morte, comment t'allais avoir l'argent ? » elle se mit à rire à son tour.  « j'allais la léguer à Sean. » Il lui tapa sur l'épaule et se pencha vers Sean. « quand je serais mort, tu pourras pisser sur ce canapé pour moi ? il est tellement laid. » Sean sourit de toutes ses dents et se leva. « et pourquoi pas maintenant ? panda regarde ailleurs. » « ah vous êtes dégueu je me casse ! »



Elle ne s'était pas endormie par choix, mais par lassitude, par fatigue. Ils en rigolaient, ils trouvaient ça simple, mais rien ne les préparait à ça. Le monde était injuste, trop injuste. Et ils étaient seuls dans leur prison, leur petite prison qui les tuaient lentement. Elle avait tout préparé, avait écrit une jolie lettre pour lui, vantant ses bons côtés, évitant toutes les conneries qu'il avait. Car quand elle lui avait lu, tout était une blague sans fin; sa vraie lettre était mélancolique, belle, sincère. Car sa lettre n'était pas prévue pour le corps dans le cercueil, non, la lettre était prévue pour les gens qui restaient. Car le corps n'avait plus d'oreille, mais la tristesse de ceux qui restaient était réelle.

Ah ça, le départ de Vince, elle l'avait préparée, ils avaient choisis tous ensemble ce qu'il porterait, sa coupe de cheveux et même choisi un blush débile pour lui donner "du rouge au joue, du sang chez le mort". Mais la mort de Sean, non, ça elle ne l'avait pas prévu, elle lui avait donnée des mois, elle avait pensée partir avant lui. La question ne s'était jamais posée.

Elle était donc là, couché sur les genoux de Vince, tombé dans les bras de Morphée à force de pleurer. Lui n'avait rien dire, avait bien essayé les blagues mais n'y arriva pas longtemps. Il prit alors une décision sans demander l'avis de Panda. Car Vince n'était pas humain, non Vince était un mutant et il avait ce stupide don. Ce stupide don qui le tua, quand il sauva Panda, quand il lui vola sa leucémie, quand il l'a guérie, et quand il tomba.