A long time ago we used to be friends

Bim bam boum. Pietra repoussa les cheveux qui lui tombaient sur les yeux, et lâcha un dernier juron pour la route. A sa droite, l’agent de ménage lui tendait la main pour l’aider à se relever, visiblement tiraillé entre l’inquiétude et l’amusement face à la position tordue de la jeune femme. On l’eût dit dessinée par un créateur de BD qui n’avait jamais touché une femme de sa vie. Avec un sourire coupable, elle accepta son aide et réussit à se mettre debout, non sans grimacer de douleur. Elle allait avoir de sacrés bleus en se réveillant demain, super. Elle qui avait prévu de se mettre en manches courtes, elle allait devoir éviter – ou se résigner à raconter sa chute des dizaines de fois. Pietra remercia gentiment l’homme puis disparut aussi rapidement du bâtiment qu’elle pouvait, priant silencieusement pour que son déboire n’ait pas été capturé par les caméras de surveillance de Worthington Corp. Elle n’avait aucune envie de finir sur le bêtisier annuel de la compagnie.

Une fois à l’arrêt de bus, elle osa enfin ressortir son téléphone, miraculeusement épargné de toute égratignure. ‘Passe à la galerie de Philip me dire bonjour !’ Voilà le message qui l’avait bouleversée au point qu’elle ne rate la dernière marche des escaliers. Elle avait bien donné son numéro à Cosima lorsqu’elles s’étaient croisées dans la rue il y avait quelques semaines, mais elle n’avait eu aucune nouvelle depuis, ce qui n’était pas sans lui déplaire. La jeune femme qu’elle allait maintenant retrouver, c’était une partie de son passé qu’elle tentait aussi bien que mal d’oublier. Or Cosima, dans son exubérance et son amitié, était un rappel, certes chaleureux, mais surtout bien trop réel de sa vie entre l’université et Radcliff. Une parenthèse qu’elle avait cherché à fermer sans prendre le temps de trier entre ce qu’il lui fallait effacer et ce qu’elle aurait peut-être voulu garder, si elle avait pu. Mais non, le risque était trop  évident, elle ne pouvait se permettre de le prendre. Et pourtant… Cosima avait réellement été une bonne amie, une confidente plus que bienvenue après l’isolement de ses premiers mois. Dans d’autres circonstances, elle aurait été prête à l’accueillir à bras ouverts, la présenter à Gee’ – avec qui elle s’entendrait sûrement trop bien, elles avaient la même nature impulsive qui les mettaient si souvent dans des embarras pas possibles – et tirer un trait sur leurs activités plutôt illégales.

Sauf que Cosima semblait avoir d’autres idées en tête, et c’était cela qui inquiétait la grande brune. Mordillant une mèche de ses cheveux, elle sauta du bus lorsqu’il s’arrêta au coin de la rue où se trouvait la galerie de Philip Cavendish. En voilà une autre question, d’ailleurs : comment ces deux-là se connaissaient-ils ? Une connexion comme  celle-là rendrait Cosima plus difficile à éviter, si besoin était. Sur ce, le flot de pensées encombrant l’esprit de Pietra se brouilla, car elle venait de s’arrêter devant la porte de la galerie d’art. Bref. Elle poussa la porte avec plus d’assurance qu’elle ne possédait, et fut accueillie par le murmure des visiteurs, aussi bas et religieux que celui qu’on entend dans les grandes cathédrales du monde. Il ne lui fallut pas plus de deux minutes avant de trouver la fille aux cheveux noirs qui l’attendait. « Salut ma Coco ! » dit-elle, contente malgré elle de voir son amie. S’approchant suffisamment pour pouvoir lui parler bas, elle ajouta. « C’est drôle, j’ai toujours imaginé que si tu finissais dans un musée, ce serait pour te la jouer Catwoman, pas pour y monter la garde. » Vu ses craintes, ce n’était peut-être pas la meilleure façon d’entamer la conversation. Mais au moins le sujet était lancé ?