«
- William Hamish Scottfield ! »
Billy savait que lorsque sa mère l’appelait ainsi ce n’était pas bon signe. Sa voix habituellement si douce et compréhensive se muant en un tonnerre de sévérité, n’utilisant ni son pseudonyme ni un diminutif charmant, était annonciateur de mauvais quart d’heure à venir.
Planquant rapidement son comics sous son oreiller le garçon attrapât son livre d’histoire posé sur la table basse et fit semblant d’y trouver une lecture passionnante, ne se rendant pas même compte qu’il tenait le livre à l’envers.
Sa mère entra telle une furie aux cheveux d’un roux ternis par les années, une ride barrant son front entre ses deux sourcils. Se retournant vivement vers la porte, ses yeux clairs s’écarquillant devant cette apparition soudaine, le jeune homme essayât tant bien que mal d’arborer un visage des plus étonné à la vue du morceau de tissus qui se trouvait entre les mains de sa mère.
«
- Tu peux m’expliquer ce qui est arrivé à ton maillot de hockey ? »
William ouvrit puis referma la bouche cherchant non plus à établir les faits, mais à trouver l’explication qui pourrait paraître à la fois la plus raisonnable et qui ne lui attirerait pas, par le même temps, les foudres maternelles.
«
- Attaque d’extraterrestre sur le chemin de l’école. » finit-il par sortir avec la plus grande simplicité, comme si cette phrase des plus fantaisistes pouvait expliquer l’état lamentable de son pauvre t-shirt d’entrainement dont les coutures semblaient avoir explosées.
William avait compris depuis bien longtemps que passer pour l’idiot du village était parfois la meilleure solution afin d’éviter les problèmes. Inventer des histoires à dormir debout afin d’éviter de se prendre une réflexion cinglante de la part de ses instituteurs ou de ses parents était une forme d’intelligence que bien peu de personnes ne comprenait, mais cela importait peu au garçon qui vivait avec un pied dans le réel et un autre dans l’imaginaire en permanence, ainsi jongler entre son apparente naïveté et ses grandes connaissances était plus aisé qu’on ne pouvait le penser.
Ce n’était certainement pas la première fois que sa mère entendait une histoire d’extraterrestre, ou de montre aux pulsions sanglantes, mais cette fois-ci son visage pris une expression de profonde fatigue avant qu’elle ne vienne s’affaler aux côtés de son petit garçon qui parut alors surpris de la tournure des évènements. Habituellement elle levait les bras en l’air, laissant ses yeux rouler avant de sortir se fumer une cigarette, mais aujourd’hui elle ne répondit rien au mensonge de son fils et resta assise à regarder le t-shirt qu’elle tenait entre ses mains.
«
- Maman ? … non mais je plaisante pour les extraterrestres hein ! C’était … des mutants plutôt, ouai c’est ça des mutants ! »
A ces mots la jeune femme tressaillit et lançât un regard noir à Billy qui se trouvait face à elle. Son visage se retrouva l’expression de sévérité qu’elle avait affiché avant d’entrer dans la chambre et elle le menaçât de son index avant de pincer ses fines lèvres.
«
- Tu n’en as pas assez de raconter des histoires tous le temps. On dirait que tout te passe par-dessus la tête tous le temps, ton père et moi on commence à en avoir assez Billy, il est temps que tu grandisses. »
«
- J’crois que je suis assez grand comme ça pour mon âge ! »
Le sourire taquin du garçon laçât sa mère et soupira en se levant, se dirigeant vers la porte, laissant le t-shirt en piètre état sur le lit à côté de son propriétaire. William était en effet grand et fort pour son âge, un jeune homme bien bâtit à l’image de son père cet ex joueur de rugby venu tout droit de l’Afrique du sud avec sa petite famille afin d’apprendre ce sport aux étudiants américains. Et si William n’avait jamais été passionné par le sport que pratiquait son paternel, il n’était pas des plus mauvais au hockey ce qui accentuait sa carrure si charpenté. Mis à part ses cheveux aux reflets auburn ont eu du mal à penser que sa mère puisse être sa mère, tant elle paraissait frêle à côté de lui.
Ce tournant vers son garçon avant de sortir Madame Scottfield posa un regard plein d’anxiété sur William, humectant ses lèvres avant de parler.
«
- Billy, évite les ennuis. On est bien ici, et ton père a besoin de garder une bonne réputation. Et puis … je ne voudrais pas qu’il t’arrive quelque chose. »
William ne connaissait que trop bien ce regard, c’était celui d’une mère pleine de tristesse, car bien qu’elle le cachât avec toute la force dont elle pouvait faire preuve, Madame Scottfield souffrait terriblement de la perte de son premier enfant, un nourrisson dont personne n’osait parler et qui avait disparu lors d’un incendie. William était né trois ans plus tard, et il savait combien ce frère qu’il n’avait jamais connu restait présent, son père ce montrait bien plus sévère avec lui qu’il n’aurait pu l’être avec le premier né, et sa mère bien plus nostalgique qu’une mère ne devrait l’être, et pourtant il ne manquait pas d’amour. Non ce qui manquait le plus à William c’était ce grand-père qui vivait de l’autre côté de l’océan et qui lui avait toujours parut exceptionnel, avec ses tours de magies et ses histoires farfelus. C’était en grande partie par manque qu’il se recréait un univers à présent, se nourrissant de comics comme on a besoin d’eau pour vivre et ne cessant d’écrire et de dessiner, au grand damne de ses professeurs qui n’arrivent à l’intéresser à rien d’autres.
***
«
Espéce de … NON … mais … oh put… »
Billy n’avait certainement jamais courut aussi vite de sa vie, dans ses bras il tenait la tête de la statuette en bronze du créateur de la faculté où il étudiait depuis maintenant près de deux ans. De toutes les débilités qu’il avait pu faire depuis son arrivée ici, celle-ci était certainement la plus grosse et la plus idiote de toute. Flanqué de Simon, son acolyte de toujours ils avaient réussis à trouver un fer à souder de garagiste, et avaient traversé le parc depuis les bâtiments de la pension avant d’arriver au centre de la faculté. Simon n’avait cessé de répéter qu’il n’aurait pas assez de cran pour le faire, et pourtant depuis le temps il aurait dû savoir qu’on ne mettait pas William Scottfield au défi sans conséquences.
C’est pourquoi après avoir poussé tout une série de juron, Simon Friedman avait détalé tel un lapin à la suite de son grand imbécile d’ami.
L’année prochaine ils quitteraient ensemble l’établissement, ils ne pouvaient se douter de ce qu’y leurs arriveraient, et ils n’y pensaient à vrai dire pas pour le moment, n’ayant en tête qu’une seul chose – trouver un endroit où mettre cette fichue tête en bronze-.
«
On va entrer dans les annales, les futurs étudiants parlerons de nous comme des héros ! »
Le rire tonitruant et bien peu discret de William démontrait toute son exaltation à avoir ainsi réussit son pari, personne ne l’avait jamais vu perdre et aujourd’hui il c’était montré à la hauteur des attentes de tous ses camarades. Il était une légende vivante. William Scottfield, tombeur de ses dames malgré un embonpoint qui commençait à se prononcer, montagne à barbe qu’on pouvait aisément appeler «
le bucheron », drôle, fêtard et excellent dessinateur qui ne cessait de caricaturer les professeurs, tout le monde l’appréciait et il vivait la belle vie.
Tout aurait pu être absolument parfait dans son petit univers si seulement il n’avait pas suivi ces études débiles de comptabilité où il s’ennuyait comme un rat mort. La voix forte et grave de son père résonnait encore dans son esprit «
écrire et dessiner ce n’est pas un métier ! » comme ci apprendre à une bande de dégénérés sans cervelles à courir derrière un ballon était un sport.
Alors oui, il avait écouté son père, de toute manière il ne savait pas vraiment quoi faire d’autres, c’étant pris bien trop tard pour les concours d’entrés dans les écoles d’art, il avait suivi la voix du chef de famille. «
T’es pas mauvais en math … tu feras une belle carrière. »
Une carrière dans la comptabilité, la blague, il n’avait aucune envie d’enfiler une chemise blanche et une cravate, lui il aimait les t-shirt et les jeans, c’était bien plus confortable.
«
Billy ! Là il y a de la lumière, on entre. »
Passant devant un cabanon d’étudiant ou des rires se faisaient entendre. Poussant la porte et passant l’entrée, derrière lui se tenant droit comme un pique son ami, William écarquillât les yeux devant la scène qui se déroulait sous ses yeux. Ils venaient de tomber sur deux demoiselles charmantes en train de siroter un vin italien, de très mauvais gout soit dit en passant … et de toute manière il n’y avait rien de meilleurs que la bonne bière irlandaise. Souriant face à la situation presque surréel, William passa sa main libre dans sa tignasse légèrement emmêlée et suante de la course qu’il venait de faire.
«
Bonsoir … j’espère qu’on ne vous dérange pas. Nous aurions besoin d’un refuge pour la soirée, et d’un endroit où mettre ça. »
Les deux jeunes femmes, d’abord interloquées, rirent aux éclats avant de prendre en considération le morceau de statuette qui se trouvait à présent dans leur salon. Il était évident qu’ils avaient besoin d’un refuge. Mais cela leur semblait bien trop gros que deux garçons, se retrouvent ainsi, avec un hasard des plus grossier dans leur cabanon.
«
On garde la tête vous vous sortez ! »
«
Mais… » Balbutia William conscient qu’il loupait là l’occasion de s’accoupler avec une sublime créature ce soir.
«
Nous nous reverrons William Scottfield. »
«
Comment tu connais mon nom ? … je ne te l’ai pas encore dit. »
Les yeux du jeune homme s’écarquillèrent tandis qu’il se faisait pousser vers l’extérieur par deux mains parfaitement manucurées et un sourire éclatant.
Sans lui donner de réponse, la jeune femme ferma la porte sur Simon et lui, se retournant vers son ami, un peu choqué par la situation il passa une main sur sa nuque et observa le ciel avant de conclure dans un haussement d’épaule.
«
Ma réputation doit me précéder. Allez viens mon grand je t’offre un verre et une pizza. »
La nuit qui s’en suivit ne mérite certes pas de rester dans les mémoires. Bien loin de se douter que la jolie blonde qui l’avait jeté à la porte le retrouvera effectivement, et qu’il n’y aura là aucun hasard.
***
«
Non alors là je ne te comprend plus. Je croyais que tu voulais te battre. »
Assis dans un pub, Billy regardait le fond de son verre, il n’avait aucune idée de ce qu’il allait faire, et c’était bien la première fois dans sa vie qu’il ne faisait pas intervenir un de ces incroyables retournements de situations dont il avait l’habitude pour se sauver la mise. Cela faisait trois bonnes années qu’il avait percé maintenant, il était l’un des auteurs et dessinateurs les plus en vogue, on le faisait intervenir sur des chaines câblés pour gamins boutonneux, et on lui avait même proposé l’adaptation de sa quadrilogie sur les rats de l’espace en dessin animé pour une chaine de cartoon, mais voilà, son dernier album venait d’être refusé par son éditeur, et il ne savait pas comment rebondir.
Attrapant sa chope d’une main ferme, il but une bonne moitié du liquide qui s’y trouvait avant de le reposer violemment contre le bar, faisait sursauter son voisin.
«
J’veux pas retourner derrière un bureau à vérifier des listes pour envoyer des cartons … »
William en avait suffisamment soupé, il avait réussi à faire ce pourquoi il était fait, et voilà qu’on lui mettait un mur, un stop, une croix. Ce n’était pas la première de sa vie, mais celle – ci lui était étrangement douloureuse. Lui qui considérait son éditeur comme un ami, maintenant il prenait la figure de ce monstre gluant, ce Yuliloped Vord que Bawr Hunielixon combattait vaillamment, son héros, Bawr, pourquoi ne pouvait-il pas se montrer aussi courageux que lui. Lui qui avait toujours rêvé de devenir le héros des aventures qu’il écrivait et dessinait, voici qu’il se retrouvait confronté à sa propre réalité, il n’était pas un super héros et il ne le serait certainement jamais.
«
Billy boy … un coup de fil pour toi. »
William se redressa surpris, qui pouvait bien l’appeler lui dans un bar ? Il était certes un habitué puisque l’établissement se trouvait juste en dessous de son appartement à Washington, qu’il avait plus que l’habitude d’y poser son fessier musclé par les heures passées au fitness dans le seul but de draguer la prof d’aérobique… Mais qui donc pouvait bien penser à l’appeler ici …
«
Merci Gemma. »
Prenant le combiné, un air toujours ahurit sur le visage. Un souffle rapide se faisait entendre dans le téléphone, le bruit d’une voiture et de plusieurs personnes martelant le pavé.
« -
Allo.-
William.-
Oui.-
Je sais que tu es en panne d’inspiration.-
Je m’excuse de demander ça mais qui êtes-vous ? »
La voix ne lui était pas inconnu, mais la déformation acoustique que provoquait certainement une cabine téléphonique, ainsi que son litre de bière bu, l’empêchaient de fouiller dans ses souvenirs afin de mettre un visage sur l’intonation.
« -
Ça n’a aucune importance.-
Ah …-
Rendez-vous à Radcliff, vous y retrouverez l’inspiration.-
Vous êtes qui mon ange gardien ?-
Non. »
Un léger rire crispé se fit entendre, puis une autre voix floutée par la vitre certainement, avec un nouvel empressement la jeune femme sembla prendre une grande respiration avant de reprendre.
« -
Vous le trouverez peut-être si vous venez ici. Vous avez entendu parlé des mutants non ? Des hunters, tout ça … -
Bien sûr … mais pourquoi vous …-
Venez. -
D’accord je viendrai.-
Le plus rapidement possible.-
D’accord.-
Je vous promets un ange.-
Ahah j’espère bien. Comment je vous retrouverai ?-
Il n’est pas nécessaire de me chercher.
-
Mais …-
On vous trouvera bien assez vite si nous avons besoin de vous, mais c’est important que vous continuiez de dessiner.-
‘On’ ?-
Au revoir William …-
Attendez !- *
bip bip bip* »
La conversation se coupa, et William passa une main anxieuse dans sa chevelure cuivrée puis se gratta la barbe. Il avait donné sa parole, sur un coup de tête. Il ne savait pas pourquoi, mais quelque chose le poussait à suivre cet appel. Billy boy venait de retrouver une occupation, et une nouvelle idée germait dans son esprit bien sûr, il allait continuer d’écrire, et puisqu’on ne voulait plus de ses rats, il allait parler d’un autre type de vermines, l’espère humaine. Radcliff, il n’avait aucune idée de l’endroit où pouvait bien se trouver cette ville, mais il irait, il retrouverait a qui appartenait cette voix et qui sait, il en ressortirait peut-être avec le nouveau chef-d’œuvre de la bande dessinée.