L’appartement est minuscule, tellement différent de ce dont ils étaient habitués chez leurs parents. C’est la première chose qu’Adam remarque maintenant qu’il ne risque plus de se vider de son sang sur le parquet (pauvre canapé, il en a pris un coup). Le salon est la cuisine font à eux deux la taille que faisait la chambre de Tris dans le domicile familial et, même s’il est habitué aux motels pourris sur le bas-côté de la route depuis deux ans, Adam n’a pu s’empêcher de faire une grimace de dégoût en entrant dans la salle de bain pour la première fois. Dans ses souvenirs, si lointain désormais, comme s’il s’était passé deux décennies au lieu de deux ans, Tris était une petite princesse, à aimer prendre son temps dans la salle de bain jusqu’à ce qu’il frappe du poing sur la porte et hurle qu’il allait être en retard. Le syndrome de la petite sœur peste, évidemment.

Ce manque évident de confort ne peut que déplaire à Adam. Sans doute la pilule aurait-elle mieux passée s’ils n’avaient pas été habitués dès leurs premiers mois au confort chic des Mannings, aux grands jardins avec balançoires et aux placards remplis de gâteaux et chocolats. Peut-être aurait-il eu moins mal au cœur de voir sa sœur vivre dans un tel trou à rats s’ils avaient grandi comme les orphelins qu’ils auraient dû être, avec rien de plus que leurs vêtements sur leur dos et un vieux doudou effiloché. Tris mérite mieux qu’un placard à balai en guise d’appartement et d’un job pourri de serveuse pour remplir très maigrement son frigo.

Tris mérite mieux que de vivre chaque jour dans la peur.

Il se lève difficilement du canapé, abandonnant là la minuscule couverture dont il se sert durant la nuit, une grimace de douleur se formant sur ses lèvres alors qu’il avance lentement vers la cuisine. Le premier réflexe, avant même d’allumer la cafetière, est d’avaler la moitié d’une tablette de médicaments, espérant qu’ils feront effet rapidement. S’il relève son t-shirt, on ne peut voir qu’un large pansement blanc sur son abdomen, mais Adam sait que dessous se cache ce qui deviendra une horrible cicatrice, loin des files lignes rosées qui strient sa peau. Les points ont été faits à la va-vite et avec des mains tremblantes, et c’est un miracle qu’il n’ait pas chopé une infection depuis. L’hôpital en viendrait presque à lui manquer, mais il ne va pas faire la fine bouche. Sa sœur lui a sauvé la vie, c’est déjà beaucoup.

Au bout de quelques minutes, l’odeur du café envahit l’appartement alors qu’il fouille les placards pour trouver quelque chose de sucré à se mettre sous la dent. Il a perdu beaucoup de sang, il lui faut de quoi tenir le coup et rattraper tout cela aussi rapidement que possible. Trouver un travail va devenir vital, puisqu’il ne veut pas être un poids sur les épaules de Tris, encore moins sur son compte en banque. Avec un peu de chance, un des bars de cette petite ville acceptera de l’embaucher. Il peut toujours tenter sa chance, de toute façon.

Adam a un petit rire heureux alors qu’il tombe finalement sur une boite de cookies au chocolat, juste au moment où Tris sort de sa chambre. Cookie coincé entre les dents, il lui offre son sourire le plus idiot, avec un « Bien dormi ? » marmonné avant de croquer dans le gâteau. Cette vision, sa sœur avec les yeux encore plein de sommeil et les cheveux dans tous les sens, ne peut que le faire sourire tant elle est familière. Trop de matins à la taquiner autour d’un bol de céréales, trop de chamailleries autour du lave-vaisselle, lui reviennent en mémoire. Adam ne peut néanmoins pas s’empêcher de remarquer les changements – elle semble avoir perdu du poids, plus pâle, plus fragile, et il met un point d’honneur à remplir le frigo aussi rapidement que possible. Et à partir d’ici aussi rapidement que possible, aussi, mais il se doute bien qu’il ne s’agit pas d’une conversation à avoir au réveil. Tellement de conversations à avoir mais qui attendront qu’elle ait au moins pris une douche et avalé quelque chose.

« Désolé pour le canapé, » dit-il, tout en fouillant les placards à la recherche de mugs et cuillères. Un peu de sucre ne ferait pas de mal, non plus. « J’étais pas franchement en mesure de penser à ce genre de choses à ce moment-là… » Au moins, les médicaments font effet maintenant, pense-t-il en remplissant les deux tasses. Pas forcément très confortable, mais toujours mieux que rien. Il tend l’un des mugs à Tris, avant d’avaler une gorgée brûlante. « J’aurais dû avoir le réflexe de m’asseoir par terre. Désolé. »