i. que pensez-vous du mouvement terroriste des hunters ?
Je suis mitigé. Je suis contre les organisations terroristes et en particulier quand elles s'appuient sur des critères sur lesquels personne ne peut rien, comme les critères raciaux. Enfin, c'est tout de même une discrimination bien américaine, nous n'y pouvons rien... Je peux toutefois comprendre que la mutation fait peur et que, par conséquent, certains ressentent le besoin de se protéger des transmutants. Pour autant, il vaudrait mieux ne pas tous les mettre dans le même sac. Je ne peux guère leur reprocher leur haine aveugle, vu que je sais ce que c'est, moi aussi.

ii. êtes-vous effrayée par l'apparition des transmutants dans la société ?
Ayant vécu entouré de transmutants pendant toute ma jeunesse, il est évident que non. Pour moi, c'est naturel. Je ne suis pas jaloux. J'ai pu être un peu envieux par moment, souffrir de ma normalité, mais la jalousie ne m'a jamais effleuré. Les voir apparaître dans la société me paraît donc être un processus normal, et j'aimerais simplement que nos sociétés soient plus intelligentes et trouvent le moyen de concilier les deux types de personnes. Je trouve que la bêtise humaine est fort agaçante et qu'elle concerne les deux partis. Plutôt que d'être intolérants, nous ferions mieux de trouver un moyen de nous respecter et de vivre ensemble sans heurts.

iii. avez-vous déjà fréquenté des mutants ?
Oui, de façon régulière, j'ai fréquenté des mutants pendant toute ma vie en Suède, et je continue d'avoir des contacts avec des mutants désormais. Je suis quelqu'un d'ouvert d'esprit : pour moi, s'il y a bien des mutations, il n'y a pas de mutants à proprement parler. Ce sont simplement des humains un peu différents de nous, rien de plus. Il n'y a donc aucune raison pour les rejeter ou avoir peur d'eux pour ce qu'ils sont. Ce sont donc les actes sont répréhensibles qui posent vraiment problème.

iv. que pensez-vous de l'élection récente de thaddeus lancaster à la tête du comté ?
Ce type n'est rien d'autre qu'un imbécile de politicien qui se sert de procédés rhétoriques pour convaincre les autres d'être d'accord avec lui. Comment voulez-vous faire confiance à un type qui a une idéologie aussi douteuse ? Pour moi, il est juste la preuve que les gens sont fragiles et prêts à écouter à peu près n'importe quoi du moment qu'on leur dit ce qu'ils ont envie d'entendre. Franchement, ce type, c'est juste un gros manipulateur, et on ne s'en rend même pas compte...

Les premiers jours vécus éblouissent ses yeux.
Un enfant doit se sentir aimé, protégé. Il doit avoir l'impression d'être une personne importante aux yeux de ses parents. C'est ainsi qu'il pourra croire en lui, et donc se construire. Quelque chose manquait cruellement à Sven. Il le savait depuis qu'il était en mesure de conserver ses souvenirs. Tous les enfants attendaient sagement qu'on vînt les chercher à l'école. Quand leur parent arrivait, ils leur sautaient dans les bras et l'embrassaient bruyamment, tout heureux de les revoir. La seule exception, c'était lorsque ces gamins étaient en train de jouer, dans ce moment-là, ils avaient plutôt envie de pleurer. Sven, lui, restait toujours tranquillement dans son coin. Il était toujours habité par la même angoisse : que son père décidât de ne plus venir le chercher. Il venait toujours en retard. A partir du moment où la sonnerie retentissait, Sven savait qu'il devrait attendre au moins trente-sept minutes – en réalité, il n'avait pas la moindre notion du temps mesurable, il avait donc adopté inconsciemment le nombre trente-sept ; pour autant, celui-ci n'était pas loin de la réalité – avant de voir la silhouette de son père. Celui-ci, toujours très droit dans son costume noir, ne disait rien, ne lui faisait aucun signe. Il se plantait là, à l'entrée de l'école, et Sven se dépêchait de le rejoindre. Son père n'avait jamais porté la main sur lui : c'était toujours sa mère qui se chargeait des punitions. Toutefois, son air austère et le manque d'intérêt qu'il portait à son fils effrayait profondément le garçon, et il se levait toujours docilement, rejoignant l'homme et ne lui donnant jamais la main, pas même quand il s'agissait de traverser la route. Sven était un gamin calme.  Il ne se serait jamais trop éloigné de son père.

A la maison, Sven était très vite laissé à l'abandon. Quand son petit frère était né, ses deux parents étaient restés à la maison pour s'occuper de ce nourrisson. Puis il avait grandi, et leur mère avait repris le travail. Elle était ingénieure et passait ses journées à l'extérieur. Sven ne savait pas ce qu'elle faisait pour rentrer toujours aussi tard le soir. Il apprit par la suite qu'elle passait ses soirées dans un bar à boire, et parfois, à s'envoyer en l'air avec de parfaits inconnus. Cela lui semblait inconcevable à l'époque. Quand elle était là, elle se montrait toujours très tendre à son égard, et s'occupait bien de lui. Elle l'aidait parfois pour ses devoirs, si elle passait à la maison avant de partir en soirée. Elle n'hésitait jamais à le prendre dans ses bras, à lui caresser les cheveux, à lui murmurer qu'elle l'aimait. Ce n'était pas un mensonge. Mais Sven pouvait malgré tout sentir une légère réserve. Non dans sa façon de le toucher ou de lui dire des mots gentils. C'était son regard qui l'inquiétait le plus. Ses yeux, bien qu'attendris, lui évoquaient deux pierres froides, à peine réchauffées par l'amour maternel. Il y avait là dedans quelque chose qui lui évoquait son père, cet homme qui était présent toute la journée, et disparaissait la nuit dans son costume sombre. Sven aimait profondément ses parents. Et pourtant, il ne pouvait s'empêcher d'être amer.

Le petit frère avait été pour lui une blessure narcissique. Lorsqu'il était né, Sven s'était fait la réflexion que jamais ses parents ne l'avaient regardé avec autant de joie, lui. Pourtant, ce petit bout de chair déversant des torrents de larmes, gémissant à n'en plus finir, incapable de vivre par lui-même, les attendrissait. Même lui se sentait ému en le voyant. Il n'avait que quatre ans mais, penché sur son berceau, il se jura que leurs parents l'aimeraient, lui. Il ne pouvait pas savoir que c'était déjà le cas, que ce gamin n'avait pas commis le même crime que lui, qu'il était destiné à être aimé. D'ailleurs, cela se voyait. Sa mère n'avait pas cette glace dans les yeux quand elle le regardait. Elle paraissait plus détendue. Quant à son père, ce monstre d'indifférence... il ne jurait que par ce petit garçon. Il lui donnait la main quand ils rentraient de l'école. Il lui demandait toujours ce qu'il voulait manger. Il lui souriait, tout simplement. Et Sven finit par en concevoir de la jalousie. Une telle différence de comportement lui faisait mal. Et il cachait sa douleur derrière de grands sourires.

Il revoit, au delà de l'horizon lointain, Tourbillonner le vol des désirs et des rêves
Il arrive toujours un moment où les choses nous paraissent claires. Où l'on comprend ce que l'on n'avait jamais compris jusque là. Le déclic, chez Sven, eut lieu à l'adolescence. C'était encore un de ces jours où le jeune homme traînait à l'extérieur pour ne pas avoir à supporter l'indifférence de ses parents. Peut-être bien avait-il des doutes auparavant. Il était frappant de constater que son petit frère ressemblait comme deux gouttes d'eau à leur père, alors que lui-même ressemblait plus à sa mère – et encore. Il y avait de grosses différences entre eux. Ce n'était pour autant pas suffisant. Il était aussi frappant de constater que, dans sa famille, tout le monde était un transmutant – sauf lui. Il avait guetté, attendu de voir s'il développait quelque chose, mais non, il avait dû se faire à l'idée que lui restait parfaitement humain. Il avait pris la nouvelle avec le sourire, faisant comme si ce n'était rien de grave. Comme d'habitude. Ce n'était pas comme si cela le blessait d'être normal, non ?

Lorsqu'il rentrait, il ne prévenait jamais de son retour. Il rentrait, tout simplement. En général, il n'y avait que son père qui était là pour l'accueillir, et il ne prenait pas la peine de dire bonjour. Mais ce jour-là, quand Sven pénétra dans la maison, il fut surpris d'entendre la voix de sa mère. Il n'était pourtant que quatorze heures trente, à cette heure-là, normalement, elle était au boulot. La mère de Sven parlait de façon un peu agacée, et son fils se demanda s'il n'y avait pas une dispute entre les deux adultes. L'espace d'un instant, il envisagea de ne pas s'en mêler, de les laisser régler seuls leurs problèmes. Après tout, il n'avait pas à se mêler de leurs affaires. Mais, alors qu'il passait à côté de la pièce où ils discutaient, et dont la porte était fermée, il entendit quelque chose qui lui fit se figer. Son propre prénom. On parlait de lui. Il fut incapable d'avancer d'un pas. Il était tellement rare que l'on parlât de lui, vu qu'il y en avait toujours pour son petit frère, cela le surprenait. Le jeune homme resta donc figé, à écouter la conversation de ses parents. La mère ne cessait de répéter : « Mais Sven est tout de même ton fils... » alors que le père s'acharnait à le descendre. Le cœur de Sven lui faisait mal. Il n'avait jamais envisagé que, peut-être, son père pouvait le détester. Mais on ne disait pas des choses pareilles quand on parlait de son fils. A moins de lui en vouloir sérieusement. Sauf que Sven n'avait rien fait. Il était juste né, il ne pouvait pas être responsable de l'erreur de sa mère. L'erreur de sa mère. Il comprit tout au moment où sa mère annonça : « Je n'aurais jamais dû faire de test ADN alors, si tu n'es pas capable d'être un père pour le fils d'un autre. » Son sang se glaça. Le fils d'un autre. Cela expliquait bien des choses. Effrayé, Sven s'enfuit en courant, et les parents remarquèrent alors sa présence. Sven ne fut pas là pour voir que cela ne faisait strictement à son père non biologique.

Mais au fait, le fils de qui ? La question tarauda pendant longtemps Sven, qui n'osait pas poser la question. Il s'était juste renfermé, opposant à ce monde cruel un sourire qui n'avait jamais été aussi faux et faible. Il détestait sa situation. Détestait être le fils d'un parfait inconnu. Détestait sa mère, pour ce qu'elle avait fait. Pourtant, elle était gentille avec lui, et elle aimait. Mais c'était sans doute pour cela qu'elle avait toujours du mal à l'aimer entièrement. Qu'il y avait une sorte de distance qui se formait d'office entre eux. Sven comprenait tout, et cela le désespérait. Et puis finalement, il prit une décision. Il ne pouvait continuer à se morfondre de la sorte. Il allait gâcher sa vie. Sven comprit comment il pouvait arranger les choses. Et il finit par aller voir sa mère pour lui demander : « Qui est mon père ? »

La lune se balance, Perle éclatante, au fond des cieux d'astres emplis
Radcliff. C'était tout ce que la mère de Sven avait pu dire à son fils. Le récit qu'elle avait fait de cette rencontre n'avait guère été satisfaisante. C'était un homme d'une beauté époustouflante – et même s'il ne l'était pas, l'alcool devait bien aider -, charmant, poli, et surtout riche. Un homme d'affaires américain, qui était en train de discuter en anglais au téléphone en anglais quand sa mère s'était approchée de lui. Elle l'avait juste entendu dire « je rentrerai à Radcliff dans deux jours. » Bien évidemment, s'il avait une famille, sa mère n'en avait cure. Elle-même s'était mariée deux mois auparavant, mais elle continuait de fréquenter les bars. Elle était pour la liberté sexuelle et refusait d'être assujettie à un homme. Sven ne pouvait s'empêcher de déplorer son acte. Parce qu'elle était tombée enceinte et qu'elle lui avait donné naissance. Parce que son mari lui avait demandé de faire un test de paternité, et qu'il avait bien montré que le père de ce nourrisson n'était pas lui, mais le seul autre homme avec qui elle avait eu des rapports pendant les premiers mois de mariage. Cela avait fait rager son père non biologique. Et Sven comprit pourquoi il le détestait autant. A sa place, il en aurait fait de même.

Lorsque vint le temps de faire ses études, Sven comprit qu'il valait mieux se rendre à l'étranger. Le père ne chercha pas à le retenir. Du moment qu'il finançait lui-même une partie de ses études, il voulait bien payer le prix de sa tranquillité. Au terme de longues procédures administratives particulièrement difficiles à mener, Sven Norling fut accepté à la faculté de géographie de Radcliff, et prit un vol pour les États-Unis. Le père ne vint pas lui dire au revoir. Sa mère était partagée entre le soulagement de le voir partir et la tristesse à l'idée d'être séparée de son fils. Il n'y eut que son petit frère pour le prendre dans ses bras et verser des larmes sincères. Sven essaya de le réconforter, mais la douleur de son frère lui faisait un bien fou. Il ne lui avait jamais dit la vérité, mais il lui en voulait, d'une certaine manière, parce qu'il était le vrai fils de son père. De cela, ils étaient tous sûrs. Et il n'avait pas eu à connaître l'indifférence dans laquelle Sven avait vécu. Mais, toujours en souriant, Sven leur dit au revoir et monta dans l'avion qui l'amenait loin de la Suède.

Qu'il fut heureux une fois seul ! Il fut surpris de constater que la solitude lui seyait bien. Qu'il était plutôt réconfortant de pouvoir rentrer chez lui sans avoir à se soucier des autres. De manger ce que lui voulait, au lieu de ce que son frère désirait. De ne plus être entouré d'indifférence. Ses premières années à l'université étaient comme un renouveau pour le jeune homme. Il se faisait des amis, des ennemis, il avait l'impression d'être normal. Bien sûr, il fréquentait toujours beaucoup de transmutants, mais pas uniquement. Il y en avait aussi d'autres qui ne les aimaient guère, d'autres qui les admiraient, et des derniers qui se fichaient pas mal de la question. C'était une situation assez équilibrée. Sven avait tout pour être heureux. Mais il y avait toujours un gros problème. Son vrai père. Après presque quatre années de présence à Radcliff, il n'avait toujours pas la moindre idée de qui il pouvait s'agir. L'indice ne suffisait pas. Mais il ne perdait pas l'espoir. Il était persuadé qu'un jour, il aurait l'occasion de le rencontrer en chair et en os. Cet espoir l'aidait à se lever le matin et à garder le souvenir. Sven était profondément optimiste. Un jour, le ciel lui enverrait un signe, et alors il découvrirait l'identité de l'homme qui lui avait donné une vie aussi misérable...