STORIES ARE WHERE MEMORIES GO WHEN THEY'RE FORGOTTEN

“Fear creates the strongest illusions. Everyone has darkness inside them, however hidden.”

La photo usée s’étiole entre ses doigts glacés par la bise hivernale. Elle l’a tellement regardé, qu’elle en connait les moindres détails : le pull vert de sa mère aux mailles inégales au niveau de son coude gauche, le sourire bienheureux de son mari, et cette horrible peinture au dessus de la commode derrière eux. Ce bout de papier est tout ce qu’il lui reste comme souvenir de celle qu’elle n’a presque pas connue, alors elle le chérit avec affection comme un vieil ami avec qui on aime renouer les soirs où tout va mal. Annalise Gordon, arrachée trop vite à ce monde. Un nom parmi tant d’autres, anonyme, et pourtant un réel mantra aux yeux de sa fille unique. Depuis qu’elle a deux ans, Joana n’a connu que la fuite, la traque, et la soif de vengeance. La peur qui coulait autrefois dans ses veines a disparu, remplacée par quelque chose de plus sombre, de plus insidieux et malsain. Ceux qu’on nomme les Hunters ont fait de sa vie un enfer, et sont à l’origine de cette existence exécrable qu’elle mène seule avec son géniteur sur la route. Aujourd’hui elle a quinze ans, et son seul cadeau est d’être en vie. Une maigre consolation pour cette adolescente hors normes. « Qu’est ce que tu fais ? » La voix de son ainé la fait sursauter, et aussitôt, elle range le précieux objet dans son manteau vétuste. Elle ne veut pas qu’il la pense faible, sinon il n’acceptera jamais qu’elle l’accompagne tuer l’investigateur de tous leurs malheurs. Or elle ne respire que pour ça. « Rien. Je surveille le feu. » Ils ont quitté les villes il y a une semaine, trop dangereuses et trop bruyantes d’après Scott Gordon, devenu paranoïaque suite à ce qu’ils appellent entre eux ‘l’incident.’ Aussi, ont-ils migré vers une forêt, plus sûre, et moins promptes aux patrouilles. Malheureusement leur confort laisse à désirer, mais elle ne se plaint pas, elle a connu pire dans certains motels qui ont jalonné leur quête. « Elle me manque aussi tu sais. » Joana reste silencieuse, se contentant de hausser mollement les épaules. En parler est devenu tabou, elle préfère garder ça pour elle, tel un secret. Peut être que si ils prétendent que rien est arrivé, elle reviendra. « Tient je t’ai pris ça. Je sais qu’aujourd’hui est un jour particulier. » Ses grands yeux sombres la toisent avec intérêt. Il a vieilli, des rides barrent son front marqué par tous ces mois loin de chez eux. Ces mois d’insomnie. Fêter son anniversaire parait inapproprié désormais, mais son geste ramène un semblant de normalité dans leur quotidien. Un sourire nostalgique se peint immédiatement sur ses lèvres gercées. Maladroitement elle ouvre le sac en plastique qu’il lui tend, et y trouve deux pulls chauds, et surtout ses confiseries préférées. Son unique plaisir lorsqu’ils passent sur des aires d’autoroutes, évidemment il s’en souvient. « Merci papa. »  Et tandis qu’il prends place à côté d’elle, Joana ne peut s’empêcher de glisser un bras sous le sien dans une étreinte affective. « Bientôt tout ira mieux. » Elle acquiesce, muette, c’est une promesse qu’il ne devrait pas faire, toutefois elle l’accepte, espérant au plus profond d’elle même qu’il a raison. Hélas les ennuis ne font que commencer.


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Les années s’enchainaient et se succédaient avec une ressemblance déconcertante, quasi mécanique. Un cycle sans fin dans lequel elle était bloquée contre sa volonté. Tantôt il lui semblait qu’elle n’en verrait jamais la fin, que cette traque ne se terminerait qu’avec leur mort ou celle des hunters qui les poursuivaient. Une fin acceptable en soit qui tardait cependant à venir. Ses prières furent cependant exaucées le jour de son seizième anniversaire. Et si elle avait su à l’époque les incidences que cela provoquerait, elle aurait tu cette voix intérieure qui criait sans cesse à la vengeance et à l’action. Cette même voix qui la rendait capable de provoquer des explosions imposantes et surtout dangereuses pour elle même comme pour les autres. Avec le temps elle avait appris à le maitriser mais demeurait une débutante en la matière. Ses émotions s’embrasaient rapidement, elle allait devoir calmer ses ardeurs et éviter de se laisser guider par cet amas de ressentiments qui broyait son esprit, mais pas ce soir. Loin de là.

Il avait suffit d’une erreur dans leur trajectoire, d’un manque de vigilance pour provoquer leur chute. Sans doute étaient ils trop confiants, ou fatigués, mais le résultat était le même : ils avaient baissé leur garde. Dans ses souvenirs la suite demeurait confuse, et était occultée par la mort de son père. Seconde perte dans le paysage familial réduit à néant, car Joana Gordon était désormais la dernière du nom. Et à elle seule, elle portait la promesse de ne pas connaitre de répit tant que les commanditaires respiraient.

Si maintes fois, elle avait répété en boucle ce qui leur était arrivé cette nuit là, elle avait par la suite décidé d’en éradiquer toute trace de sa mémoire. Elle ne gardait de cet événement que le visage de son père déchiré par les assauts répétés qu’il avait subit. Elle n’avait même pas pu lui dire au revoir correctement, et avait du quitter au plus vite les lieux, auquel cas elle aurait été la suivante sur la liste. Seule, perdue, du sang plein les mains, elle avait laissé son pouvoir prendre le dessus sur son corps frêle. Des explosions mortelles avaient décimé les environs, et les larmes aux yeux, elle s’était enfuie en courant à tout rompre, à en perdre son souffle. Elle retrouverait l’auteur de ces crimes et lui ferait payer, ce n’était qu’une question de temps. Tout venait à point à qui savait attendre.

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Sa persévérance avait payé tout comme ses recherches. Elle avait passé des années à le traquer, allant de ville en ville, utilisant de fausses identités, mais elle possédait désormais le nom de celui qui avait tué son père. Or, cet élément aussi infime fut-il lui arrachait des frissons d’adrénaline imperceptible. Elle avait l’impression de détenir un pouvoir inestimable entre les mains et se réjouissait de cette longueur d’avance qu’elle avait sur lui. Alexander Callahan. Combien de fois avait elle répété son patronyme la nuit tombée afin d’être sûre de ne pas l’oublier ? Très vite il était devenu bien plus qu’une obsession. Cet homme était un cancer qui rongeait le peu de lumière qui restait encore dans son cœur d’enfant. Elle avait trente ans et n’aspirait qu’à la mort et la destruction à cause de lui. Oh bien sur il allait payer, elle en avait fait le serment, mais sa fin serait plus subtile que la mort. Lui ôter la vie était un acte bien noble et agréable à côté de ce qu’elle lui réservait. Beaucoup trop simple même. Non, ce qu’elle voulait, c’était le faire souffrir autant qu’elle avait souffert. En quatorze ans sa peine avait eu le temps d’évoluer, de muer, pour ne devenir que noirceur. Et aujourd’hui toute cette rancœur ne demandait qu’à s’exprimer par la révolte. Son sang qui battait contre ses tempes réclamait justice.

En proie à un trop plein d’émotions trop longtemps contrôlées et refoulées, Joana avait néanmoins du faire preuve de patience. Attaquer de plein fouet était malvenu voir dangereux, elle devait réfléchir davantage et ne pas se laisser emporter. Une tache hautement ardue pour celle qui rêvait de serrer ses doigts autour de la gorge de Callahan. Voir dans ses yeux la dernière étincelle de vie s’éteindre après qu’elle eu décimé tout ceux auxquels il tenait. Un par un. Elle les aurait tous, et se réserverait le patriarche en dernier.

La première étape avait été plus aisée qu’elle ne l’eut espéré, et elle avait presque été déçue de pouvoir pénétrer aussi facilement chez lui. L’excitation s’était emparée de tout son être ce soir là au fur et à mesure qu’elle progressait dans ce sanctuaire d’apparence inviolable. Voir où il vivait et le souiller par sa présence avait quelque chose de jouissif. Il baignait dans le luxe, avait un travail satisfaisant, et une famille aimante : exactement ce qu’il l’avait empêché d’avoir de son côté. Sa haine n’en fut que renforcée, et sa joie décuplée lorsqu’elle fit exploser une partie du manoir. Un geste d’autant plus significatif parce qu’elle avait eu la chance de le voir au loin. Lui et son visage fermé, ses pupilles sombres sans remords. Ils étaient restés stoïques de longues secondes, tels deux loups prêts à se jeter sur l’autre pour en découdre. Certes il avait eut l’occasion de voir un fragment de ses traits, mais ses iris avaient trahi un léger doute : il ne la reconnaissait pas. Et le jeu ne faisait que commencer.

FÉLICITATIONS JEUNE MUTANT

tu es validé, tu pues la classe, vas-y sors tes lunettes de soleil.