Charlie balaya la plage du regard, la paille de son cocktail coincée entre les dents dans un sourire de prédateur : elle avait son premier week end « off » depuis des semaines, et elle comptait bien en profiter, et plus si affinité. Elle avait terminé une traque pour Roman Griske la veille au soir, une magnifique jeune télékinésiste qui lui avait donné le droit de profiter de deux jours de luxe et de volupté dans l’hôtel le plus classieux de la côte. Comme quoi, la traite de mutants, ça payait vachement bien, et surtout, elle était du bon coté de la barrière : pas de chaine à ses chevilles, pas de menottes à ses poignets, mais de jolis bracelets clinquants achetés la veille avec la prime que lui avait versée son mentor la veille. Amuse toi, qu’il avait dit. Elle obéirait à cet énième ordre avec le plus grand des plaisirs. Otant ses sandales pour profiter du sable chaud entre ses orteils, elle rangea ses chaussures dans son sac de plage, et réajusta son paréo autour de ses hanches et son maillot de bain sur sa poitrine : à la guerre comme à la guerre, elle ne dormirait pas seule dans son immense suite d’hôtel ce soir. Il était à peine 18 heures et le soleil serait encore chaud pendant une heure ou deux, elle avait largement le temps de trouver son bonheur d’un soir.

La plage du Kuendu Beach était encore chargée de surfeurs et de frimeurs en tout genre en cette fin d’après-midi. Il y avait beaucoup de touristes, de couples de retraités bedonnants dont Charlie ne s’occupait qu’à peine. Ce qui l’intéressait, c’était de chasser local. Il y avait quelques groupes de jeunes hommes de si de là, qui chahutait dans l’eau ou s’envoyer toutes sortes d’objets à la figure pour les rattraper dans des sauts tous plus acrobatiques les uns que les autres, jetant des œillades appuyés aux filles qui se prélassaient pas loin, espérant en impressionner une. Frimeurs. Quelques-uns arboraient des tablettes de chocolat tout à fait agréable à regarder, mais ils semblaient sortir du berceau, des enfants dans des corps de jeunes adultes, à peine plus âgés qu’elle. Elle avait 17 ans et voulait un peu de défi, pas un petit bleu qui s’allongerait sans vraiment réfléchir.  Se désintéressant des ados à frisbee, elle avança le long de la plage avec sa noix de coco à la main, trainant des pieds au bord de l’eau, scrutant toujours les vagues à la recherche de l’apollon providentiel : n’y avait il donc pas un beau calédonien rien que pour elle sur cette fichue plage ?

Et puis elle le repéra. Grand, plutôt musclé, le crane partiellement rasé pour ne laisser qu’une bande de cheveux très noirs au centre, dans une ébauche de crête. Charlie fixa ses muscles saillants lorsqu’il sautait dans les vagues, l’eau percutant son torse juste suffisamment dessiné pour donner de l’appétit à la jeune femme : enfin quelqu’un d’intrigant. Elle laissa tomber sa serviette et son sac sur le sable, hors de portée de l’eau, pour observer l’inconnu encore quelques minutes : il semblait être seul, sans petite copine potentielle autour, ni lourdot de pote pour détourner son attention. Parfait.  Charlie vérifia rapidement son maillot de bain, son gloss à la fraise, puis avança avec détermination dans l’eau turquoise en direction du jeune homme. Elle n’avait aucune idée de ce qu’elle allait bien pouvoir lui dire pour entamer la conversation, mais hey, depuis quand on avait besoin d’une raison quand on était jolie et blonde ?

Elle fit quelques mètres en direction de sa cible avant de s’immobiliser : non, décidément, sans plan, elle n’y arriverait pas. elle devait trouver une stratégie. Tortillant une mèche de ses cheveux blonds vénitien autour de son index en fronçant le nez, elle fit par trouver une idée, ou plutôt un coquillage, bien visible dans l’eau transparente. Ce serait quand même pas de chance qu’elle s’entaille un peu le pied à à peine trois mètres du joli garçon, pas vrai ? Elle inspira profondément et, avec tout le naturel du monde, se jeta sur le coquillage tranchant, enfoncant volontairement la plante de son pied sur le tranchant de ce dernier. En réalité, elle eut à peine mal tant elle était habituée à des supplices bien plus violents, mais elle couina malgré tout en sautillant, faussement surprise :

- Aie !

Trébuchant juste à coté du bel inconnu, elle s’accrocha malencontreusement, bien sur, à son bras pour s’empêcher de tomber, relevant ses jolis yeux bleus dans ceux si noirs du Calédonien :

- Oh, désolé… J’crois que j’ai marché sur un truc, j’ai mal …

Ben zut alors.


(c) elephant song.

Seth sortit de chez lui vêtu de son traditionnel short de lin blanc et d’une chemise ouverte, révélant les muscles qu’il prenait soin d’entretenir d’une manière ou d’une autre. La chaleur de l’été néo-calédonien le frappa de plein fouet, contrastant avec la fraîcheur de l’intérieur qu’il venait de quitter, mais il s’en fichait royalement ; au contraire, il appréciait cette température étouffante dont se plaignaient souvent les touristes mal informés qui ne connaissaient pas le climat de Nouméa. Tant pis pour eux. Lui s’en satisfaisait parfaitement et ne comprenait pas comment on pouvait vivre en dessous de 20°C. Mains dans les poches, il se dirigea tranquillement vers la plage, à deux kilomètres environ de là où il habitait. Il n’avait pas peur de faire le chemin à pieds : ça lui donnait plus de temps pour s’essayer à maîtriser sa mutation, celle qu’il avait découverte cinq ans auparavant tout juste. Il s’amusait en faisait se soulever le sable au bord du chemin, en faisant voltiger les grains autour de ses chevilles et en faisant changer la texture de sa peau. Il n’avait encore aucune idée du potentiel que pouvait lui offrir ce don, mais il comptait bien le découvrir rapidement. Il n’avait encore jamais eu de problèmes à cause d’elle – et puis, c’est le genre de chose qui n’arrive qu’aux autres après tout. Lui péchait par orgueil en étant persuadé qu’il serait capable de passer à travers les mailles du filet. Pour le moment, la chance lui avait souri, mais il ne fallait pas grand’ chose pour que le vent tourne.

En arrivant à destination, le jeune homme promena son regard sur les autres promeneurs. Il y avait quelques locaux et surtout beaucoup de touristes qui ne connaissaient pas les autres plages plus calmes et plus jolies – bien que celle-ci était particulièrement bien entretenue et agréable à regarder. Mais il ne cherchait pas un endroit calme, pour une fois ; s’il était venu là précisément, c’était pour observer un peu les gens qui étaient venus pour la saison, et surtout pour repérer ceux et celles qui étaient seuls. Il appréciait particulièrement ne pas passer la nuit seul, et s’il trouvait une jolie jeune femme ou un beau jeune homme aux charmes desquels il n’était pas insensible, il s’appliquait à ce que l’intérêt devienne réciproque. Il commençait à devenir bon à ce petit jeu, même s’il manquait encore de subtilité parfois. Mais il apprenait, tranquillement, à charmer comme il le fallait. Et puis, ce n’était pas sur cette île qu’il manquerait de matériel pour s’entraîner.
Atteignant enfin l’eau colorée d’un bleu vif, il retira sa chemise et la posa sur le sable, puis fila vers la mer et plongea dans les vagues tièdes. Ce n’était pas la saison des méduses, et les requins ne venaient pas jusqu’ici – normalement. Aussi pouvait-il nager comme il le voulait sans avoir à regarder où il mettait les pieds. Il devait simplement faire attention à ne pas les poser sur l’un des coquillages aux bords coupants à demi cachés dans le sable. Il n’aurait plus manqué qu’il se fasse mal bêtement. Il aurait eu l’air fin, à sortir de la mer, ruisselant d’eau salée, à boitiller en se tenant la jambe et en grimaçant de douleur. Aussi prenait-il garde à ouvrir les yeux et à louvoyer entre les pièges cachés. A force, il finissait par les connaître par cœur. La jeune femme blonde qui lui tomba dessus les connaissait visiblement un peu moins. Il ne put qu’hausser les sourcils en la voyant sautiller et trébucher jusqu’à lui, s’agrippant à son bras pour ne pas tomber tête la première dans l’eau.

- Oh, désolé… J’crois que j’ai marché sur un truc, j’ai mal …

Seth cligna des yeux, passant un bras autour de la taille de la jeune femme pour que le mouvement des vagues ne lui fasse pas perdre l’équilibre.

- Ouais, faut faire attention, y a des trucs planqués un peu partout. T’as dû marcher sur un coquillage, ils sont plus vicieux qu’on le croit.

Il lui sourit, la détaillant rapidement. Elle devait avoir son âge, peut-être un ans ou deux de moins, mais il y avait quelque chose dans son expression qui la vieillissait un peu, la rendait moins gamine que les adolescentes de dix-sept ans qu’il avait pu rencontrer ; ses grands yeux clairs et ses cheveux blonds encadrant son joli visage étaient particulièrement agréable à regarder. Il la ramena jusqu’à l’endroit où les vagues venaient mourir sur la plage et la fit asseoir.

- Bouge pas, je vais voir si c’est profond ou pas.

Il mit un genou à terre et prit doucement le pied de la jeune femme entre ses mains, en profitant pour lui jeter un nouveau coup d’œil rapide, appréciant particulièrement ce qu’il voyait jusque là. Il observa la plaie qui barrait ses chairs, un peu en dessous des orteils, puis haussa les épaules et reposa sa jambe.

- Tu vas boiter un peu, mais c’est tout. C’aurait été con que t’y laisses un pied pendant tes vacances, hein ?

Le jeune mutant alla s’asseoir à côté d’elle. Il ne fallait pas chercher trop loin pour se rendre compte que cette jolie demoiselle aux cheveux clairs et à la peau pâle n’était pas native du pays. Et Seth était très curieux d’en savoir plus sur elle.


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Spoiler:

ça aurait été con ouais, tu m’étonnes. Elle lui offrit un sourire bien moins gêné qu’éblouissant, une véritable pub pour dentifrice ou crème contre l’acné adolescente, enroulant ses bras autour de son cou pour ne pas trébucher à nouveau. On est jamais trop prudent, n’est ce pas ? Elle hocha la tête à l’affirmative à la première reflexion du beau calédonien, avec une grimace vaguement douloureuse :

- Surement, j’étais trop occupée à regardes les … les poissons dans l’eau, j’ai pas vu où je m’étais les pieds …

Elle se laissa guider par le jeune homme, toujours accroché à lui, profitant de la proximité de leurs corps pour humer son parfum : il sentait le monoï et le sable chaud. Est-ce que tous les hommes sur cette île sentait la tiaré et l’iode aussi ? Est-ce que les mères calédoniennes mettaient quelque chose de spécial dans le biberon de leurs mômes pour qu’ils sentent aussi bons en grandissant ? Ou alors c’était uniquement celui là qui avait une odeur aussi appétissante ? Elle se laissa choir sur le banc de sable où l’avait emmené le charmant inconnu, et lui tendit le pied en une jolie pointe de danseuse, les mains enfoncées dans le sol un peu en arrière, avec cette position un peu alanguie des mannequins pour maillot de bain, la cambrure scandaleuse en moins. Fallait pas abuser non plus :

- Tu t’y connais un peu ? Sinon faut peut être que j’aille voir les sauveteurs là bas …

Tactique classique pour prendre la température de l’intérêt que lui portait l’apollon pour le moment : attiser sa potentielle jalousie. Si elle lui avait ne serait ce que vaguement tapée dans l’œil, il balayerait l’idée avec n’importe quel argument bidon, et se chargerait de sa blessure insignifiante avec le plus grand sérieux. Sinon, il appellerait surement un des éphèbes du poste de secours, sur lequel elle se rabattrait sans trop de vergogne. Mais pour l’instant elle commençait tout juste à ferrer son joli poisson et ne comptait pas le lâcher tout de suite. Elle le laissa inspecter la blessure qu’elle savait peu profonde –après tout, elle n’avait pas sauté à pieds joints sur ce crustacée non plus-, et reposa sa jambe sur le sable humide alors qu’il venait s’installer à coté d’elle, mouvement d’excellent augure selon la jeune chasseuse. Elle tourna la tête vers le jeune homme en lui souriant à nouveau, tirant faussement timidement sur une de ses mèches blondes pour l’enrouler autour de son index en fixant Seth avant de répondre à sa question :

- Clairement, surtout que j’espérais pouvoir faire plein de choses avant de rentrer chez moi … D’ailleurs, je suis vraiment nulle, j’me suis pas présentée, j’m’appelle Charlie ! Je suis en vacances ici pour quelques jours, mon père est en voyage d’affaire et comme il savait pas quoi faire de moi, il m’a posé sur la première plage la plus proche de notre hotel… Et toi tu t’appelles ?

Voilà, un père absent, une chambre d’hotel dans le complexe quatre étoiles voisin, une vacancière un peu étourdie … La toile se tissait lentement autour de Seth dont Charlie ne connaissait pas encore le nom. Qu’importe, elle le saurait forcément bientôt. Remontant ses jambes contre son buste, elle détourna le regard pour fixer la mer en ôtant le sable séché sur ses jambes :

- Je suppose que tu es du coin, non ? Avec une peau aussi bronzée, tu dois pas venir de Sibérie ça c’est sur …

Un petit gloussement, un autre sourire, alors que son orteil toucha innocemment la cheville de Seth. Ça pouvait être un hasard totalement que ce contact infime, sauf que cela ne l’était pas. Charlie était une professionnelle.



(c) elephant song.

Durant le temps où il porta la jeune femme, Seth se fit la réflexion qu’elle était étonnamment légère et que le parfum qu’elle avait choisi était particulièrement agréable. Ca changeait des fragrances écœurantes qu’il avait pu sentir au creux du coup de certaines femmes – et de certains hommes également, mais pour l’instant, il se contenterait de comparer la demoiselle dans ses bras avec le reste de la gente féminine qu’il avait pu connaître de plus ou moins près.
La posant sur le sable chaud, il s’occupa de vérifier qu’elle ne s’était pas coupé trop profondément malgré tout. C’aurait été bien dommage qu’elle se fasse mal et ne profite pas de son séjour – entre autres.

- Tu t’y connais un peu ? Sinon faut peut-être que j’aille voir les sauveteurs là-bas …

L’adolescent haussa un sourcil. Il se demanda soudain qui des deux essayait de charmer l’autre et, si c’était le cas, il se demanda qui craquerait en premier. Ceci dit, peut-être qu’il se faisait des idées. En attendant, il était hors de question qu’il laisse passer sa chance et regarde la petite blondinette s’envoler dans les bras musclés de l’un des maîtres nageurs un peu plus loin sur la plage. Il haussa les épaules et secoua la tête.

- Nan, pas la peine, c’est pas les seuls à avoir vu des entailles dans leur vie. Tu t’en remettras, ça va piquer un peu pendant quelques jours, mais ça sera vite soigné.

Il alla s’asseoir à côté d’elle et la détailla un peu mieux, la regardant entortiller l’une de ses mèches claires autour de son doigt, faisant mine d’observer ce geste alors que ses prunelles sombres la fixaient elle. Il l’écouta cependant lorsqu’elle répondit à sa question, récupérant le plus d’informations qu’il pouvait. Il s’obligea à retenir son nom rapidement, même s’il ne devait plus jamais le prononcer d’ici quelques jours, et se dit que, tout de même, c’était une aubaine : une jeune touriste à l’air un peu perdu mais pas trop, un père absent et une grande chambre d’hôtel vide qu’il comptait bien visiter avec elle, quitte à devoir fuir le paternel dans un grand éclat de rire et un nuage de sable.

- Charlie, hein ? C’est mignon comme nom. Moi c’est Seth.

L’avantage de son patronyme, c’était qu’il était relativement court et juste assez particulier pour qu’on s’en souvienne. Du moins, il faisait de son mieux pour marquer les esprits d’une manière ou d’une autre et, du haut de ses dix-neuf ans, il comptait bien continuer son petit manège encore longtemps. Il pouffa de rire à sa remarque. En effet, avec sa peau mate et ses cheveux aussi noirs que ses yeux, difficile de le penser venu des pâles pays de l’hémisphère Nord.

- C’est ma tête qui a vendu la mèche ? Ouais, je suis né ici. Paraît même que j’ai du sang aborigène, mais j’ai jamais vérifié.

Il ne savait absolument pas dans quelle proportion cette histoire racontée par sa mère était vraie. Ceci dit, il l’avait déjà vue en colère, et si elle n’avait pas du sang guerrier dans les veines, en tout cas elle le faisait drôlement bien croire.
Le jeune homme sentit l’orteil de Charlie passer sur sa cheville et pencha légèrement la tête sur le côté. Il ne savait pas si ce contact était voulu ou non, mais il joua le jeu bien volontiers. Il s’étira un peu et finit par s’allonger à moitié sur la plage, appuyé sur ses avant-bras, les épaules légèrement en arrière dans une position qui, même s’il prenait garde de ne pas l’exagérer, révélait les muscles dessinés sur son ventre. Il n’avait rien d’un bodybuilder ni d’un modèle de magazine, mais il était plutôt bien fait pour son âge et mettait un point d’honneur à soigner son image autant que son corps.

- Et toi, jolie blondinette, d’où tu viens ?

Le premier compliment était lancé. Il n’y avait plus qu’à voir si elle y répondrait ou si elle jouerait les jeunes vierges effarouchées – même s’il doutait fortement qu’elle en fasse partie. Elle aurait probablement rougit jusqu’aux oreilles si ça avait été le cas, et le seul rose qu’il voyait sur ses joues était probablement venu là avec le soleil.

- Si tu veux profiter de l’île, j’peux faire le guide si tu veux. Bon, j’avoue, je connais pas l’archipel par cœur. Mais j’connais les lagons et les jolis trucs à voir du coin, donc si tu cherches quelqu’un pour te faire faire le tour du propriétaire …

Il haussa les épaules et sourit, de ce sourire malicieux qui lui plissait le coin des yeux et dessinait des fossettes sur ses joues. Il aurait été ravi de profiter de sa compagnie encore un peu. Il aurait été dommage que leur petit jeu de charme s’arrête aussi brusquement qu’il avait commencé, et s’il pouvait mener la danse jusque dans les draps de la demoiselle, il ne se priverait certainement pas.




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A priori, le charmant garçon répondait pluôt positivement à ses signaux. Il s’était étendu à coté d’elle, suffisamment près pour être dans son cercle personnel, sans pour autant pénétrer son espace intime. C’était presque du travail de professionnel, de réussir à être si proche de quelqu’un sans paraitre intrusif. Il devait en draguer, des filles, avec cette rangée de dents blanches comme des perles, sa crête marrante et ses airs de j’ai tout vu. Ça lui plaisait bien en tout cas, et elle en faisait tout à fait son affaire.

- Bon, si je perds mon pied dans la semaine, je considèrerais que c’est de ta faute alors… Seth.

Elle agita les orteils terminant son pied irrité aux petits ongles colorés de vernis brillant, avec un petit air satisfait sur son minois de poupée. Seth, ce n’était pas commun ça comme nom, et ses parents devaient être d’étranges individus pour baptiser leur enfant du patronyme du dieu égyptien du désert et de la destruction. A moins qu’ils sont chrétiens pratiquants, mais du coup, c’était un peu moins drôle d’appeler son fils « le remplaçant ». Enfin bref.

- Ça veut dire quoi, du sang d’indigène ? que si la température descend sous les 10 degrès, il refroidit et tu ralentis, comme les reptiles ? Ce serait marrant, tu me diras, que tu bouges uniquement en slow motion.

Elle laissa glisser un regard appréciateur sur les abdominaux du garçon, sans la moindre hausse de gêne : elle ira bien y croquer un ou deux carrés, sur ces tablettes de chocolat. Elle releva les yeux dans ceux de l’adolescent quand celui-ci lui posa une autre question, qui la fit sourire : d’un kolkhoze russe quelque part en Sibérie, dans une petite chambre de 7 m² carrés avec juste un matelas, sur le sol. Autre question ?

- Australie, pas loin de Sydney. Mais mon père voyage partout dans le monde pour son boulot, alors il m’amène avec lui. J’suis des cours par correspondance, et le reste du temps … Je joue la touriste !

L’avantage, c’était qu’avec son physique occidental, elle pouvait venir d’un peu partout où des colons européens avaient pointé le bout de leurs navires. Russe, Australienne, Africaine du sud, Grecque … Elle avait endossé tellement de nationalité au cours de ses missions qu’elle doutait parfois d’en avoir vraiment une bien à elle. Elle avait souri en l’entendant la qualifier de petite blondinette ; c’était vrai qu’elle était blonde, et pas bien grande, mais les clichés de demoiselle frêle et naive qui collaient à l’expression étaient loin, bien loin de la réalité. Elle ne se dépêcha pas cependant de le contredire : ce rôle lui convenait bien, le temps de quelques vacances :

- Hmmmm j’sais pas … mon père m’a toujours dit que c’était pas super prudent de suivre des inconnues …

Elle se redressa sur ses pieds, grimaçant légèrement en sentant la blessure sous sa plante, exagérant un peu au passage :elle avait vécu tellement, tellement pire depuis tout ce temps.

- … Mais comme j’connais ton prénom, je suppose que tu es plus un inconnu, non ? C’est loin tes endroits cools ? On prend un scooter de l’hotel ? J’devrais pouvoir demander des clés à la réception, en général ils ont du mal à me refuser quoi que ce soit …

Comment pouvait on refuser quoi que ce soit à une si jolie petite demoiselle, avec ses grandes franges de cils autour de ses yeux malicieux et son sourire aux petites canines pointues ? On ne pouvait pas. Vraiment, certains avait essayé, ils ont eu des problèmes …



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Il ne fallait pas chercher très loin pour voir que Seth et Charlie se tournaient allégrement autour. Certes, c’était un truc du jeune homme de se mettre à draguer tout ce qui lui plaisait de près ou de loin, mais avec elle, ça n’avait pas mis longtemps du tout avant de commencer. Il était même à peu près sûr qu’elle l’avait fait exprès. Bon, il fallait être un peu fou – et avoir une dalle monstrueuse – pour s’entailler volontairement le pied pour démarrer une conversation, mais tout de même. D’un autre côté, ça ne le dérangeait pas le moins du monde. Il trouvait même ça plutôt drôle ; et puis, si tout allait comme il le voulait, c’est autre chose qu’une bête conversation qu’ils auraient.
Il la laissa répondre à ses explications et pouffa de rire à sa remarque.

- Ouais, en slow-motion, et faut que je reste au soleil pour pas entrer en hibernation aussi.

En réalité, il ne savait pas vraiment comment il aurait réagi au froid, lui qui n’avait jamais connu de température en dessous des dix degrés – il n’osait même pas imaginer la vie dans ces pays où le thermomètre passait dans le négatif. Ceci dit, il ne voyait aucune raison d’y mettre les pieds un jour – Russie, Suède, Norvège, il n’en verrait jamais les collines gelées en plein hiver.
Du coin de l’œil, il remarqua le regard que la jeune fille lançait à ses abdos. Il n’était pas le plus musclé des hommes sur l’île, c’était certain, mais il prenait soin de son corps malgré tout et mettait un point d’honneur à être aussi en forme que possible. Comme ça, il pouvait se permettre quelques excès de boisson et de nourriture de temps en temps. Il hocha la tête lorsqu’elle lui expliqua d’où elle venait. Australie. Ce n’était pas si loin de chez lui.

- Ah ouais, t’as baroudé pas mal. T’as dû voir de chouettes choses pendant tes voyages.

Lui ne cherchait pas trop à voyager pour le moment. Il y avait suffisamment de choses à faire à Nouméa, la capitale toute proche, pour qu’il s’occupe encore quelques années. Après, peut-être qu’il irait voir du pays. Mais ça n’était clairement pas dans ses projets immédiats qui incluaient une petite promenade avec la jolie blonde à ses côtés. Elle eut une petite moue absolument charmante, faisant mine de réfléchir. Il se leva avec elle et épousseta rapidement le sable collé à ses cuisses. Il avait un moyen plus simple et pratique de s’en débarrasser, mais autant ne pas se servir de sa mutation si ça n’était pas de manière exceptionnelle et un peu théâtrale. Il sourit.

- C’est vrai qu’on doit difficilement te refuser quoi que ce soit. Avec ton pied, ouais, mieux vaut prendre un scooter. C’est pas si loin, mais si t’y vas en boitillant, ça va te gâcher le plaisir.

Il la laissa ouvrir la marche et avança à ses côtés, ni trop loin ni trop près. Juste assez pour que la distance entre eux soit assez équivoque sans être intrusive. Il ne comprenait pas l’intérêt de jouer les gros balourds et d’empiéter sur l’espace vital des autres. C’était le meilleur moyen pour faire fuir les gens.

- Ton père doit faire un chouette travail en tout cas, pour que tu puisses avoir ta chambre à toi dans le plus bel hôtel de l’île. Le coin te plait au moins ?

S’intéresser à elle, essayer de glaner des informations, découvrir quelques uns de ses goûts : même s’il parvenait à ses fins et qu’ils ne passaient qu’une nuit ensemble, il n’allait pas se priver de la charmer dans les règles de l’art.
Enfin, l’art d’un jeune Calédonien de dix-neuf ans.




(c) elephant song.

Des choses, c’est sur qu’elle en avait vu, depuis le temps que Roman l’avait reprise en main. De là à dire qu’elles étaient chouettes. Ça dépendait où est ce que l’on plaçait le curseur, en fait. Parce que dans un sens, voir un homme coupé en deux par un jet de laser, c’était chouette, dans un certain sens. Voir quelqu’un avec la tête dans une pièce, le reste du corps dans la salle de bain, ça claquait aussi, d’une certaine manière. Il fallait juste ne pas craindre le sang, ni l’exposition des organes vitaux en dehors de l’organisme. Alors Charlie hocha la tête, toujours toute sourire :

- Alors ça, t’a pas idée mon grand … Ce qui est dingue, c’est qu’aucun de ces endroits n’étaient pareils. C'est impossible de se lasser.

Les morts en revanche, une fois raidis et refroidis, se ressemblaient tous. Ils étaient gris, et froids, et puants. Beurk. Simulant toujours sa blessure au pied en claudiquant à coté de Seth, elle remonta en trainant la patte le long du sentier menant jusqu’à l’hôtel. C’était l’un des plus beaux hôtels où elle avait pu séjourner, signe que ses dernières missions avaient été des succès éclatants. En plus, la réceptionniste était vraiment très jolie, souriante, et elle sentait bon le monoï. En même temps, elle avait l’impression que tout le monde sentait le monoi sur cette île. Elle appuya joyeusement sur la sonnette du comptoir de l’accueil, et il ne fallut pas une minute avant que la belle réceptionniste vienne a leur rencontre, son sourire comme un collier de perles sur le visage : la blondinette lui expliqua rapidement la situation à grand renforts de gestes et d’expressions étranges qui firent rire la jeune femme, qui leur tendit un jeu de clef de scooter. Charlie signa la décharge en la remerciant chaleureusement, puis attrapa Seth par le bras pour l’amener jusqu’à garage. Hop, contact physique innocent mais prolongé, check.

- Ça te dérange pas de conduire ? ce sera plus facile que de devoir me hurler les directions, d’accord ?

Et puis elle pourra mettre ses bras autour de sa taille et se serrer contre lui. Ce n’était pas que ça l’enchantait, elle savait observer la beauté des gens et objectivement, Seth était un canon. Savoir qu’il ferait l’effort de capter son attention était excellent pour l’égo de la jeune femme, qui découvrir un magnifique scooter rouge flamboyant, tapant dans ses mains comme une petite fille :

- Ça … C’est.. .Trop … Cool ! tiens !

Elle lui lança les clés, puis attendit qu’il se mette devant pour monter derrière lui.

- Et pour répondre à ta question, oui, il a un métier plutôt cool. Insolite, je dirais. Et l’endroit me plait, mais je suis sure que tu peux faire en sorte que ça me plaise encore plus ! allez, en route mauvaise troupe !

Elle lui tapa sur l’épaule, retenant un gloussement quand il fit rugir la presque moto pour la sortir du garage. Elle était curieuse, curieuse de savoir dans quel genre d’endroit il pourrait bien l’emmener. Elle n’était pas inquiète le moins du monde : même si le Calédonien se révélait être un mauvais garçon, elle savait parfaitement se défendre, et si il se montrait vraiment trop entreprenant ou agressif, et bien … Il irait nourrir les petits poissons multicolores et les requins. Peut être même que les dauphins aussi en feraient leur gouter, pour ce qu’elle en savait. Mais bon, elle préférait imaginer le meilleur, à savoir un Seth toujours aussi marrant et un nouveau paysage encore plus exotique. C’était quand même super chouette, ces vacances …



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Décidément, cette jolie demoiselle aux cheveux blonds comme les blés était une aubaine pour le moins inattendue. Si Seth avait l’habitude des touristes venant s’égarer sur les plages de Nouvelle-Calédonie, une jeune femme comme Charlie, il en trouvait rarement. Elle était jolie comme un cœur, se montrait discrètement entreprenante et avait l’air de venir d’un milieu plus que confortable. Il n’y avait qu’à voir l’hôtel dans lequel elle logeait. Les rares fois où il avait mis les pieds dans un bâtiment pareil, c’était pour se glisser dans le lit de quelqu’un d’autre – homme ou femme, tant qu’il trouvait un partenaire à son goût, il se fichait bien de savoir ce qu’il avait entre les jambes. Malgré tout, il ne put s’empêcher de promener un regard appréciateur sur la réception, suivant Charlie qui alla joyeusement appuyer sur la clochette de la réception. Il détailla rapidement la réceptionniste qui arriva, l’air de rien, assez sûr de l’avoir déjà vue en compagnie de son frère. Tant mieux pour lui, elle était particulièrement jolie et avait l’air d’être suffisamment gentille pour se laisser attendrir par les mimiques et les expressions rigolotes de la petite blondinette en train de s’agiter de l’autre côté du comptoir. Il se laissa entraîner une fois qu’elle eut les clés en main, souriant discrètement. Ce contact physique prolongé n’était pas pour lui déplaire, et ce ne serait certainement pas le dernier qu’ils auraient. Au moins pas tant qu’ils seraient sur la route.
Le jeune homme haussa les sourcils et pouffa de rire en voyant le scooter rouge flamboyant qui les attendait. Au moins, ils ne se retrouveraient pas à devoir conduire une mobylette pétaradante jusqu’à la crique qu’il voulait montrer à la demoiselle, et c’était un avantage non négligeable. Il attrapa les clés qu’elle lui lança au vol et s’installa tranquillement sur le siège, la laissant se caler derrière lui une fois la porte du garage ouverte. Il fit rugir le moteur de leur moto, testant un peu la machine. Il n’avait pas officiellement le permis, mais ça n’était certainement pas la première fois qu’il conduisait, et il connaissait les routes de ce coin du pays comme sa poche. A moins d’un accident imprévu ou d’un souci de dernière minute, il n’aurait aucun problème à aller où il le voulait.

- Y a plein d’autres trucs à voir qu’on te montrera pas dans tes jolies brochures touristiques.

Il se mit en position et roula vers la sortie avant de filer sur les routes. Il conduisait rapidement mais prudemment. Il n’était pas aussi casse-cou qu’en temps normal quand il était juché sur une machine comme celle-là. Il avait vu trop de ses amis et des amis de ses amis se faire très mal parce qu’ils avaient été un peu trop orgueilleux pour leur propre bien, et même si lui-même avait des chevilles particulièrement enflées, il ne voulait pas non plus risquer finir entre quatre planches parce qu’il aurait voulu faire le fier pour impressionner une conquête potentielle.
Il entretint la conversation durant le trajet, ne laissant pas le silence s’installer trop longtemps mais laissant à Charlie tout le loisir de contempler le paysage. Plus ils s’éloignaient des plages réservées aux touristes, plus la nature reprenait le dessus. Des fleurs multicolores et de gigantesques plantes exotiques bordaient les chemins, la modernité aseptisée des grands hôtels laissait place à quelque chose de plus rudimentaire, certes, mais de bien plus élégant aussi. Le soleil était encore haut dans le ciel malgré l’heure qui avançait vite, la température ne semblant pas vouloir redescendre tout de suite.
Finalement, Seth arrêta le scooter au bord de la route, à l’entrée d’un chemin de sable où la machine n’aurait pas pu rouler.

- C’est ici qu’on descend.

Il laissa Charlie mettre pied à terre et cacha leur ticket de retour à l’ombre des grands arbres qui empêcheraient le moteur de prendre un coup de chaud en leur absence, puis se mit en marche sur le sentier, la jeune femme à ses côtés.

- J’pense que l’endroit va te plaire. C’est pas le même charme que ton hôtel, mais quand même.

Il la guida jusqu’au bout du chemin qui déboucha sur une superbe crique absolument déserte de toute présence à l’exception de celle des animaux qui y faisaient leur vie. Quelques poissons multicolores nageaient paresseusement dans la mer d’un bleu intense, et le sable était si blanc qu’il en était presque aveuglant à la lumière du soleil. L’endroit était plus sauvage et aussi plus beau que la plage où ils s’étaient croisés tous les deux.

- Tadaaaa !




(c) elephant song.

Décidément, cette île allait bientôt devenir l’endroit préféré sur Terre de l’adolescente, alors qu’elle resserrait l’emprise de ses bras autour du ventre de Seth. Elle avait levé la visière de son casque pour mieux profiter du paysage qui défilait devant ses mirettes émerveillées : Elle avait l’impression qu’on avait saturé les couleurs de sa vue, tellement ce qu’elle voyait était un cadeau pour la rétine, des verts profonds et luisants, des jaunes et des rouges dans des fleurs énormes, et ce brun chocolat gourmand des bras de Seth dont les muscles saillaient quand il prenait un virage un peu brusque. Partout ça sentait à nouveau le monoï, les embruns et le sable chaud, Alors qu’elle se refusait à fermer les yeux, luttant presque pour battre des cils le moins souvent possible pour ne pas rater une miette du spectacle. Quand elle allait raconter ça à Roman, il serait jaloux, c’est sur. Petit à petit, la route se fit de moins en moins goudronnée, et la nature autour d’eux, plus luxuriante. Charlie s’agrippait à Seth pour ne pas perdre l’équilibre en riant, alors qu’ils terminaient leur course sur un petit chemin de terre, le Calédonien sauta de leur monture avant de l’aider à descendre à son tour et de cacher la moto entre deux hautes herbes. Elle jeta un coup d’œil circulaire à son environnement –reflexe de combattante surentrainée surement-, avant d’offrir au beau brun un sourire resplendissant :

- Quelque chose me dit que ça va me plaire encore plus…

Elle suivit tranquillement Seth, oubliant même de faire semblant de boiter alors qu’elle crapahutait à sa suite pour découvrir ce fameux endroit tellement mieux que tout ce qu’elle avait vu auparavant. Elle nota dans sa tête que Seth était peut être grande gueule, mais pas menteur : devant elle apparaissait progressivement un lieu qu’elle pouvait honnêtement qualifier de paradisiaque. Le sable était d’un blanc immaculé, l’eau, d’un bleu se confondant avec celui du ciel, tellement transparente qu’elle pouvait y voir tous les petits habitants. Il n’y avait pas âme humaine qui vive sur cette plage hors du temps, alors qu’elle ouvrait grand la bouche dans une expression ébahi.

- Waaaaah c’est juste… Juste magnifique… J’ai jamais rien vu d’aussi beau.

Et pourtant, elle était déjà allée dans des coins sacrément chouettes, elle avait diné en haut de la tour Eiffel, elle était allée au carnaval à Rio et avait pris une photo sur la muraille de Chine. Alors pour qu’elle dise ça, c’était que ce qu’elle avait en face d’elle était exceptionnel.

- On peut descendre ? Se baigner ? Ya pas de requins au moins ? Oh, mon, Dieu, je crois que j’ai vu une tortue !

Elle trépignait, comme une enfant, avant de doubler Seth et de descendre avec agilité les rochers qui la séparaient de la plage de sable fin. Il la suivrait, c’est sur, alors qu’elle déboutonnait déjà son short pour l’abandonner lâchement sur un caillou plat, son tshirt volant à nouveau pour se retrouver encore une fois en maillot de bain, rien de plus. Déjà elle avançait dans l’eau ridiculement chaude, riait toujours bruyamment de ses éclats cristallins :

- Alors, tu viens ? Elle est super, super bonne !

Et en plus, elle avait envie qu’il vienne. Il était fort le garçon, il avait réussi à la surprendre, et ça méritait bien un petit remerciement …




(c) elephant song.

Seth adorait son île. Certes, il aspirait à plus grand que de passer le reste de ses jours sur ce morceau de terre paradisiaque, mais ça ne l’empêchait pas d’apprécier le paysage et d’en profiter tant qu’il n’avait pas trouvé une bonne raison d’en partir. Il savait qu’il avait de la chance de vivre là, entouré de ces forêts vertes comme des émeraudes, de ces lagons d’un bleu ridiculement intense et de cette mer qui semblait ne jamais devoir refroidir. Bon, il n’y avait pas que des avantages non plus, et la faune pouvait se montrer quelque peu agressive, mais tout de même : le jeune homme avait conscience de se trouver dans un décor de rêve où certains venaient s’échouer en vacances, ou bien dans de luxueuses villas secondaires lorsqu’ils étaient plus riches que les trois quarts de la population locale. Lui se contentait de ce qu’il avait – pour le moment. Un jour, lui aussi comptait bien s’établir dans l’une de ces demeures somptueuses que possédaient ces dames et ces messieurs de la haute société. En attendant, il devait se contenter des passages éclairs qu’il pouvait faire dans tous les hauts lieux touristiques de la région – comme l’hôtel de Charlie, par exemple. Il avait beaucoup apprécié la vue qu’il avait eu de l’accueil, et il espérait bien explorer l’endroit avec la jeune femme un peu plus tard. Mais pour l’instant, pas question d’hôtel ou de quoi que ce soit qui ait un quelconque rapport avec la civilisation : pour le moment, ils étaient à la plage. Une très jolie, très propre et très calme plage où ils ne se trouveraient que tous les deux. Il n’y avait vraiment que les locaux pour s’aventurer dans ces petits coins ; après tout, c’était toujours plus rassurant d’avoir un maître-nageur à proximité en cas de pépin ou si jamais un requin décidait de pointer le bout de son nez pointu. Fort heureusement, ça n’était pas l’heure de voir apparaître l’une de ces charmantes bestioles. Et puis ce ne serait certainement pas un grand blanc qui viendrait leur manger les orteils si jamais un de ces énormes poissons se montrait malgré tout. Pour l’instant, le Calédonien comptait bien profiter de l’endroit, de la vue, et surtout de la compagnie qui semblait parfaitement emballée par tout ce qu’elle voyait. Il rit de bon cœur.

- La tortue, c’est possible. Et y a pas de requin à ce moment de la journée.

Il s’engagea à sa suite sur le chemin menant à l’immensité de sable blanc et haussa un sourcil appréciateur en la voyant se débarrasser de ses affaires pour ne plus se retrouver qu’en maillot de bain. Il sourit et se débarrassa de son t-shirt, ne se retrouvant plus qu’avec son ample short noir avec lequel il se baignait. Dévalant les rocher, puis avançant rapidement sur la plage, il se débarrassa de ses sandales, les envoyant valser plus loin, et parcourut rapidement la distance qui le séparait de l’eau. Il se mit à courir et y plongea tête la première avant de ressortir à côté de Charlie et de secouer la tête en souriant, chassant l’eau qui lui dégoulinait sur le visage. Il rit un peu.

- T’as l’air d’apprécier le coin.

Il espérait sincèrement. Après tout, si elle était contente, peut-être que les choses iraient dans le sens qu’il espérait. Et puis, elle n’avait pas l’air spécialement insensible ni passive, la jolie blondinette, et ça ne rendait la situation que plus intéressante encore.



(c) elephant song.

A bien y réfléchir, peut être que Roman n’aurait pas trop aimé qu’elle s’amuse autant. S’amuser, c’est l’inverse d’être concentrée et déterminée, c’était ce qu’il lui disait le plus souvent quand elle avait tendance à trop se disperser pendant ses chasses. Elle avait essayé de lui faire comprendre que plus elle s’amusait plus elle était efficace, mais il mettait sa fougue sur le compte de sa jeunesse et de sa perversion naturelle, inhérente à sa situation de dégénérée. Il devait surement y avoir une once de vérité là dedans, mais Charlie n’avait pas spécialement envie d’y penser alors qu’elle profitait de la chaleur de l’eau du lagon en barbotant joyeusement. Elle n’avait appris à nager qu’assez récemment pour tout dire, mais elle adorait l’eau, vraiment. Elle observait les poissons frôler ses orteils sans que cela ne les émeuvent plus que ça, alors que Seth venait de plonger tête la première dans l’eau transparente et limpide pour ne remonter à la surface qu’une fois tout proche d’elle, l’éclaboussant même au passage :

- Heyy !

Elle lui envoya de l’eau à son tour de ses mains en rigolant, avant d’acquiescer joyeusement à la réplique du jeune homme :

- A un point que tu peux même pas imaginer.

En effet, qui aurait bien pu imaginer l’écart de confort entre cette baie paradisiaque et l’enfer dans lequel elle avait passé les quinze premières années de sa vie, calfeutrée dans une cellule à peine plus grande qu’un des placards de l’hotel – un grand placard, mais tout de même-, où on l’affamait et la faisait passer sur une chaise à électrodes plusieurs fois par semaine. Envisager ce qu’elle avait pu vivre toutes ces années n’était pas une chose facile même pour les esprits les plus tordus, alors pour un gentil gars comme Seth, c’était probablement juste hors d’atteinte, elle en était tout à fait consciente. Elle bascula en arrière pour se mettre à faire la planche un moment et profiter de la caresse du soleil sur sa peau si pâle, avant d’ouvrir un œil pour le poser sur le Calédonien, lui souriant de toutes ses petites dents pointues :

- T’es quand même super sympa de m’avoir amené ici pour découvrir tout ça, ça doit pas être donné à tous les touristes de voir un truc aussi beau, j’en suis sure.

En même temps, toutes les touristes n’étaient surement pas aussi malines et mignonnes qu’elle. On avait ce qu’on méritait. Elle se laissa dériver jusqu’à ce que les bouts de ses doigts viennent cogner contre les cotes de Seth, se redressant par la même occasion.

- Vraiment, merci Seth, c’est surement la meilleure journée de vacances que j’ai jamais eu. Et j’aimerai vraiment beaucoup te remercier comme on remercie un gars aussi mignon que toi, en Australie…

Elle n’avait fichtrement aucune idée de comment on remerciait les beaux garçons serviables à Australie, mais elle, elle avait pas mal envie de l’embrasser, le calédonien. Après tout demain soir elle serait à nouveau dans l’avion, alors elle pouvait bien se laisser aller à croquer dans le local avant de repartir dans d’autres aventures sanglantes, alors qu'elle enlaçait le cou du jeune homme de ses petits bras, battant des cils de manière bien moins innocente qu'un peu plus tôt...




(c) elephant song.