Lockton. Un nom qu’Edward a maudit très souvent. Pas lorsqu’il était enfant évidemment. Pourquoi s’opposer à ses parents, aimants ? Mais tout de même vaguement absents... Jusqu’à son adolescence, il n’avait pas grand-chose à dire. En fait, il n’en avait rien à faire. Il vivait comme la vie venait, profitant du pognon de son père et de l’adoration de sa mère. Elève loin d’être assidu, il survolait les cours, touriste, il demeurait cependant dans la bonne moyenne des résultats. Au fond, il se fichait de ce qu’on attendait de lui, se disant qu’il pouvait bien faire ça pour eux. Il n’avait ni aspiration ni envie, il se fichait de tout. Même ce qui faisait de lui un garçon à part n’était pas si fameux. Il avait compris par hasard ce qu’il était et la chose semblait tellement naturelle qu’il n’avait jamais véritablement dû s’en soucier. Au fond, il n’était qu’un miroir de la particularité des autres. Rien de plus. Personne n’en savait rien, ce secret était le sien. Personne ne se l’approprierait.
C’est lors d’un concert auquel participait son père, en traînant dans les coulisses que les choses ont commencé à changer. Il voyait chacun faire ce qui lui plaisait, son père faire sa vie, profiter. Il leur avait toujours imposé ses choix finalement, quand il y réfléchissait. Ses absences, ses contrats, sa mauvaise humeur quand quelque chose n’allait pas dans son sens. N’importe quel gamin aurait probablement été heureux d’être à sa place mais, pas lui. Il ne voulait pas être le fils Lockton. Il voulait être lui, pas une pauvre image de son père, pas un pâle reflet.
Divergence d’opinions et divergence de choix ont fini de mettre le feu aux poudres et c’est un champ de bataille permanent qui finit par voir le jour entre père et fils. Leur principal désaccord ? Les études. Pour Adam Lockton, l’avenir de son fils ne serait certainement pas identique au sien. L’art, sous quelque forme qu’il soit n’était pas une valeur sûre. Il avait été décidé, sans demander l’avis du principal intéressé, qu’il irait en lettre. Hors, Edward lui-même ne savait toujours pas ce qu’il voulait, il savait ce qu’il ne voulait pas. Chaque tentative fut un échec, chaque année d’étude payer fut de l’argent jeté par les fenêtres. Aucune des menaces ne vint jamais à bout de son je m’en foutisme.

À force de passer de soirée en soirée, de bras en bras, il fut approché. Il serait désormais bien incapable de donner le nom de cette personne mais, ce qu’on lui proposait ne lui semblait pas du tout une mauvaise idée.
Edward n’était pas de ceux qui voulait se caser, il ne voulait pas d’une vie tranquille., d’un petit boulot ou d’un chien ou d’une baraque dans la banlieue de Londres. Il voulait faire ce qu’il avait envie de faire et la personne qui l’avait approché avait été très claire sur le sujet, il choisirait. Ce qu’on lui proposait n’était pas de se vendre mais de vendre. C’était précisément cette nuance qu’il avait appréciée. Il gardait le contrôle, il était le seul maître à bord.
Petit à petit, il se fit son carnet, choisit consciencieusement sa clientèle, se fit un nom pour diverses raisons. Connu pour son caractère mais aussi la façon dont il soignait son apparence et ses clients et clientes. Sa discrétion aussi bien entendu jouait un rôle majeur dans sa popularité. Son travail n’était peut-être pas celui de tout un chacun, pas respectable aux yeux de ses parents mais, il avait passé l’âge d’écouter, passer l’âge de rendre des comptes. Des années durant, il eut une clientèle très vaste, allant et venant au gré de leur envie, de leur besoin même. D’après son agence, il était  l’un des rares à tenir aussi bien et surtout aussi solidement dans ce métier. Pas le seul, l’un des rares, et la plupart des autres, il les connaissait, les appréciant ou non. En perdant de vue plus par immobilisme que par réelle envie. Chacun faisait sa vie comme il l’entendait et la sienne était plaisante. Il ne manquait pas d’argent, pas de contrat. En fait, il ne manquait de rien, rien du tout. Et les choses furent chamboulées par un seul homme...

Sans ignorer qu’il y avait d’autres gens que lui disposant de capacités particulières, Edward n’en avait jamais particulièrement parlé. Une seule personne connaissait ce fait et cette personne avait depuis longtemps quitté les radars. Ce qui lui tomba dessus, il ne pouvait donc pas s’y attendre. Un nouveau client, conseillé par un autre. Pas assez méfiant envers ce nouveau client, il ne comprit que bien trop tard ce qui était arrivé. Avant qu’il ne puisse réagir, avant que sa mutation ne repère l’intrusion, les dégâts avaient déjà été fait, irréparable. Son client, il ne sait comment, avait su ce qu’il était et de quelle nature était son don. Il avait voulu tester ses aptitudes. Le but n’avait pas été de réellement chambouler sa vie mais, ce fut le cas.
Sa mutation, naturellement, réagissait à chacune des tentatives au point d’en laisser son client atteint lui aussi. Tout en Edward avait changé, de son caractère à sa façon de voir le monde. Il n’était plus le même tout en étant lui-même, changeant, tantôt modéré, tantôt extrême mais toujours paradoxal. C’est naturellement qu’Adam, son père, vit là l’occasion qu’il guettait depuis longtemps, subissant malgré lui les frasques et décisions de son fils. Véritablement inquiet mais un brin opportuniste, il choisit de le faire internet en hôpital psychiatrique. Un acte qui ne fut pas sans conséquence puisqu’Edward le vécut comme une injustice. Pendant longtemps, il lutta par principe, étant même presque prêt à essayer de gober les mensonges qu’on tentait de lui faire avaler. Rapidement cependant, il en eut assez, car il savait qu’il était toujours lui, lui changeant mais, lui avec ses souvenirs, parfaitement conscient qu’il n’était plus celui qu’il était. Manipulateur doué de par son métier, il se fit véritablement violence et donna le chance pour prouver qu’il avait juste voulu faire chier. Toutes ses évaluations revenant parfaitement normale à quelques exceptions près, l’hôpital fut bien obligé de le laisser sortir.

Aussitôt dehors, aussitôt parti. Comprenant que les carottes étaient cuites pour lui en Angleterre et que sa clientèle lui avait tourné le dos, il prit le premier avion pour les États-Unis. Nulle ne lui manquerait sur le territoire qui l’avait vu naître et bien qu’il blessait sa mère et probablement son père... peut-être... un peu... il n’en avait que faire. Egoïste notoire, Edward voulait reprendre sa vie en main et il pouvait facilement le faire, à son sens, si son nom n’était pas en permanence associé à celui de son père. Faute de pouvoir redevenir ce qu’il avait été, il pouvait user d’autres talents. Il avait toujours été meilleur que bon en peinture. Longtemps, ça n’avait été qu’un passe-temps, un moyen de prouver qu’il pouvait s’élever au rang des maîtres en les copiant, en se faisant passer pour eux. Il avait quelques faux à son actif, disséminés en Angleterre, sur les murs de riches économistes, de grandes avocates, de membres de la haute. Il s’ennuyait... Aujourd’hui, la chose était nécessaire, le temps de se poser, s’il le faisait. Des mois durant, il parcourut Washington, New York. Il emmagasina de l’argent, en rajoutant sur un compte déjà bien rempli et lorsqu’il se posa à San Francisco, il eu une agréable nouvelle. Il n’était pas le seul à s’être exilé sur le nouveau continent. Elle était là, Theo... La seule qui avait pu le décrypter et inversement. Il en avait toujours été proche et il se devait de la retrouver. Comprendre oui mais pas que. Leur dynamique avait toujours été efficace et comme lui, elle s’était retirée, semble-t-il. Leur ami commun le lui certifia.
Arrivé à Radcliff, il se plia à ces conneries de dépistage, y ayant échappé à chaque fois en raison de ses nombreux déplacements. Sans surprise, il fut qualifié de mutant et si on essaya bien de lui faire cracher le morceau quant à sa mutation, il leur dit juste qu’il était un miroir, sans s’étendre sur les difficultés qu’il rencontrait depuis qu’on lui avait retourné le cerveau. Ne s’en souciant pas davantage, il se mit à chercher celle pour qui il était venu se perdre dans ce coin paumé. Paumé d’après ses critères changeant. Tout ça n’avait rien de romantique, leur relation avait toujours été étrangement platonique, rendant perplexe leur collègue tant la chose aurait semblé naturelle. Il voulait juste la voir, s’assurer qu’elle allait bien et quand ce fut fait, son passage en ville se transforma en squattage, son squattage, en colocation. Edward ne pouvait désormais plus sortir de la ville de toute manière même vacciné. Un vaccin qui faillit bien avoir sa peau.

La fièvre dépassant trop fréquemment les quarante et le mettant en danger, les douches tièdes puis froides pour la faire retomber, les frissons, le froid, les nausées, les vomissements, une tranche de plus d’une journée. Il n’était pas près de l’oublier. Il aurait pourtant pu le remercier, ce hunter. Il ne pouvait pas franchement en faire grand-chose de sa mutation depuis cette foutue nuit mais, il avait fallu que ça se passe comme ça. Sans compter que l’arme braquée sur lui ne lui avait pas plu plus que ça. Edward, en vérité, en avait soupé de toutes leurs conneries. Il aurait pu trouver un moyen de se tirer, de repartir. Pourtant, il resta pour Theodora, parce qu’elle le lui avait demandé et aussi parce qu’il lui était redevable. Il fit donc la seule chose qu’il avait à faire, s’établir.
Les choses se corsèrent davantage quand il sut ce qui lui était véritablement tombé dessus, quand il se rendit compte que la vaccination était définitive. Il avait cédé une bénédiction pour une malédiction et une malédiction pour une autre. Loin d’être ravi par ce que le vaccin a fait de lui et par ce qu’il lui fait subir, il met un point d’honneur à ne se mêler des affaires d’aucun groupuscule. Leurs conneries, ça n’est pas son problème. Entre le mutant qui lui a retourné le cerveau, le chasseur qui lui a braqué son arme sur lui et l’a vacciné, et ce qu’il est devenu. Il s’échine au moins à ce qu’on ne découvre pas les conséquences du NH25 sur lui, bien qu’il méprise une certaine partie de la population mutante. La neutralité, ça marche pour tout le monde.