(001), deux cents quatre-vint-trois ans, c'est long. beaucoup trop long aux yeux de siobhan qui commence à s'impatienter. ça l'a amusé au début, de pouvoir vivre sans précaution, mourir et recommencer. puis le temps est passé, elle s'est rendu compte de la dure réalité. condamnée à continuer alors qu'elle regarde tous ceux qu'elle aime se flétrir sous ses yeux. désillusion. (002), la belle possède une capacité d'adaptation impressionnante. question de survie pour sage qui doit sans cesse se renouveler. elle a vu naitre les premières locomotives, elle a assisté à la création des technologies modernes. le temps file, et la mutante est obligée suivre de près pour ne pas se retrouver perdue. sage est une femme complètement différente de siobhan, forgée au fil des ans et des changements. (003), son corps à beau être immortel, son cerveau est on ne peut plus lambda. sage amasse les souvenirs, mais son esprit ne peut pas tout accumuler. alors la belle oublie, petit à petit, sa mémoire la plus lointaine. des détails insignifiants d'abord, puis des moments de plus en plus important de sa vie, jusqu'à complètement effacer tout ce qui est trop vieux. elle conserve quelques flash de souvenirs anciens, les plaines de son irlande natale, le visage de son premier amour, la naissance de son premier enfant. passé les soixante dernières années, tout est flou, tout s'emmêle et la mutante a bien du mal à tirer le vrai du faux. un handicap dont elle souffre beaucoup, mais qu'elle considère parfois comme une aubaine ; la nostalgie la tue déjà à petit feu. (004), avant de découvrir son pouvoir, la brune avait une famille, un mari et des enfants. son caractère était déjà bien trempé pour une femme de l'époque, mais elle était loin de la furie qu'elle est devenue aujourd'hui. elle ne se souvient plus de cette lointaine femme au foyer, ignorant presque tout de la femme qu'elle était. la seule chose dont elle se souvienne de cette vie passée, c'est la douleur du feu qui lui léchait les jambes et la désagréable odeur de chair brûlée. on l'a brûlé pour sorcellerie, après qu'elle soit revenue à la vie pour la première fois. elle y est presque restée, il lui fallut des mois pour que sa peau se soigne ; c'est à ce moment qu'elle se rende réellement compte de l'étendu de son pouvoir. (005), défaitiste, l'immortelle a perdu espoir il y a bien longtemps. quand elle a compris ce qu'elle était, et quand la réalité de sa condition s'est imposée à elle, siobhan a essayé de s’ôter la vie plus d'une fois. la belle a tout essayé, redoublant chaque fois créativité pour ces suicides en série. mais en vain. son corps se répare sans arrêt, la laissant seulement inconsciente quelques temps selon la gravité. un court moment de répit pour lequel elle doit payer des mois de guérison, un prix trop cher à payer selon elle. sage a accepté son sort, elle parcoure maintenant la terre d'un pas las et noie son chagrin dans l'alcool. (006), très vite, sage compris que si elle voulait rester intacte face à ces années d'errances, elle devait se détacher du reste du monde. la belle laissa derrière elle son humanité, oubliant petit à petit la femme qu'elle était avant. la mutante se différencie complètement des autres humains, les regarde évoluer d'un œil lointain comme si elle n'était pas concernée par le monde autour d'elle. si elle parait hautaine et condescendante, c'est peut-être parce qu'elle se considère supérieure à ces humains éphémères mais aussi pour se protéger d'eux. la brune a l'impression de flotter, de passer au dessus de tout ce monde qui tourne sous ses pieds, sans jamais réellement pouvoir prendre part aux festivités. une solitude qu'elle s'impose, mais qui est nécessaire pour ne pas perdre la tête ; prendre part à la vie des humains, c'est être condamner à les voir s'éteindre sous ses yeux impuissants. plus jamais, a-t-elle décidé. (007), la belle voyage. beaucoup. tout le temps. elle s'arrête rarement plus d'un an ou deux dans un même endroit, protégeant à la fois son identité, son pouvoir et son cœur déjà bien abîmé. elle refuse de s'intégrer, de peur de s'attacher à quelqu'un à qui elle devra forcément dire adieu. quand, malgré tout, elle sent une connexion naitre avec quelqu'un, la belle préfère fuir plutôt qu'affronter la réalité. c'est la spécialiste quand il en vient à partir du jour au lendemain, sans laisser de mots. (008), si dans ses premières décennies, son pouvoir était tabou à ses yeux, elle a appris à l'accepter et en parle maintenant avec moins en moins de complexes. la belle enchaine les sous-entendus sans vraiment faire attention, parlant d'événements de sa vie passés depuis bien trop longtemps par rapport à son âge. un comportement qui s'accentue encore plus lorsque l'alcool coule dans ses veines, autrement dit le plus souvent. sage a déjà eu pas mal de soucis à cause de ce comportement imprudent ; elle s'est même fait tuer plusieurs fois. mais elle est chaque fois revenue, sans grande surprise. (009), la seule chose qui rattache encore l'immortelle à son humanité, ce qui la fait se sentir un peu plus humaine, ce sont les enfants. elle a toujours eu un faible pour les bambins, elle n'a jamais vraiment réussi à les mépriser comme le reste des humains. elle aime leur innocence, et leur vision naïve de la vie. ils représentent tout ce qu'elle a perdu au fils des ans, et la belle aime se sentir un peu plus proche de tout cela. c'est d'ailleurs pour ça qu'elle est devenue pédiatre il y a quelques dizaines d'années ; un métier qui ne lui déplait pas trop, et qui la met au contact de ces créatures d'un increvable optimisme. (010), ses carnets, elle les entassent par dizaines dans ses sacs de voyages, ne se séparant jamais de ce qui la rattache au passé. elle griffonne, noircissant chaque page des souvenirs qu'elle ne veut pas oublier. sa malédiction, elle refuse d'en être victime et d'oublier totalement ce qu'elle a vécu ; ça la rend malade de ne pas savoir où elle était, ce qu'elle faisait. alors elle note les grandes dates, les événements importants et le noms des gens qui comptent pour elle. tout ce qui compte ou comptait à ses yeux figure sur ces pages chargées d'encre, ultime hommage à ses vies passées. si elle les perdait, elle en serait malade ; alors depuis peu, elle essaie de les numériser pour ne pas perdre ces parties d'elle.

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